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Réduire les coûts sociaux et environnementaux des transports


Texte paru dans la brochure Fraude de mieux

Notre société est malade. On retrouve nombre de ses maladies dans son système de transport : une dépendance aigüe à la consommation d’énergie ; des vertiges liés à la vitesse des modes de transports ; une schizophrénie teintée de masochisme, elle fait de la voiture une "vache sacrée" alors que chaque jour elle subit de plein fouet les conséquences humaines et environnementales de ce mode de transport ; maniaco-dépressive, il lui faut sans cesse gagner du temps, gain de temps jamais satisfaisant. Un diagnostique s’impose !


Tout d’abord une précision doit être faite pour distinguer le transport du transit. La circulation des biens et des personnes peut en effet être catégorisée selon la source énergétique utilisée : le transit qui utilise l’énergie métabolique de l’homme (la marche, le vélo…), et le transport qui utilise des moteurs (que la source soit animale, nucléaire ou fossile). Cette définition a son importance car si la fonction des deux catégories est la même (faire se déplacer des personnes et des objets) leurs conséquences environnementales et sociales ne sont pas les mêmes.

Il ne faut pas confondre le besoin (la mobilité) et les moyens de le réaliser (le transport ou le transit). Ce qui nous intéresse à travers le slogan "transports gratuits pour toutes et tous", c’est bien d’obtenir un égal accès à la mobilité. Dans cet article, nous nous attachons aux conséquences à la fois sociales et environnementales de la mobilité dans nos sociétés occidentales. Les revendications pour la gratuité des transports, au-delà du libre-accès, veulent aussi questionner pour réduire les impacts négatifs des transports. Si les symptômes de la maladie nous reviennent en pleine face, s’ils sont maintenant bien connus, il se cache derrière des problèmes plus globaux liés aux ravages du capitalisme, notamment à notre façon d’aborder les questions de l’énergie et de la vitesse…

Les symptômes : coûts externes des transports

Lorsque l’on considère les coûts externes de la mobilité, on parle uniquement des coûts externes aux transports. Ce sont les coûts, non pris en considération dans une opération de marché et qui devront tôt ou tard être engagés par suite des impacts des activités, produits et services de celle-ci sur l’environnement. Par exemple, dans le prix du carburant, on n’intègre pas le surcoût engendré pour la Sécurité sociale des suites de la pollution de l’air des villes. Les coûts externes des transports représenteraient, selon une étude commandée par l’Union internationale des chemins de fer (1), 10% du PIB Européen. Cette étude évalue pour dix-sept pays européens (les quinze plus la Suisse et la Norvège) les accidents, la pollution atmosphérique, les risques liés aux changements climatiques, le bruit, la congestion de la circulation et une série d’autres effets environnementaux. Cette étude, qui a comparé tous les modes de transport (route, rail, transport aérien, et voie d’eau) en matière de transport des personnes et fret, impute à la route 92% des coûts externes du transport européen global. La voiture engendrerait des coûts externes plus de quatre fois supérieurs à ceux du rail par voyageurs/km. Concernant le fret, ces coûts externes sont cinq fois supérieurs à ceux du rail par tonnes/km (2).

Transport routier : la bête noire

Il est reconnu que le transport routier est un mode de transport néfaste pour notre environnement. D’abord par la pollution directe : gaz d’échappement, bruit, contribution à l’effet de serre. Les conséquences de ce phénomène sont chaque jour plus visibles au travers du dérèglement des climats, provoquant inondations d’un coté, sécheresses de l’autre, avec toutes les conséquences sur les activités humaines, la faune et la flore. Une enquête trilatérale (3), réalisée par des spécialistes en épidémiologie, de la pollution atmosphérique et de l’économie, mandatée en Autriche, en France et en Suisse, sur les coûts externes imputables à la pollution de l’air par les transports annonçait : 2 000 décès prématurés en Autriche, 17 600 en France, des dizaines de milliers d’enfants et d’adultes souffrant de maladies respiratoires entraînant des milliers d’hospitalisations supplémentaires, ainsi que seize millions de journées d’activité restreinte. Les coûts immatériels (douleurs, souffrances et qualité de vie moindre) ainsi que les coûts matériels (découlant de la perte de production et des coûts de traitement) totalisent 26,7 milliards d’euros par an pour les trois pays concernés, soit environ 350 euros par habitant.

Ces mesures sont, par nature, relativement imprécises (comment évaluer une vie humaine, calculer le coût en euros du danger qu’il y a pour des enfants à se déplacer à vélo, la difficulté pour les personnes âgées de traverser une rue ?). Cependant elles permettent une meilleure prise en compte des coûts indirects induits par les transports routiers et aériens. Ajoutons à cela le coût humain que représente chaque année en France la mort de 8 000 personnes et 30 000 blessés graves (sur plus de 100 000 blessés), causés par les accidents de la route.

La pollution est également indirecte avec les marées noires conséquences du transport des hydrocarbures. Ainsi, la Bretagne a connu quatre grandes marées noires, dont une en 1999 avec le naufrage de l’Erika. Il faut également parler de l’abjecte domination politique et économique que nécessite une telle consommation de pétrole. L’Occident en général accapare l’essentiel des ressources en hydrocarbure, pourtant surtout présentes dans des pays du Sud ou de l’Est. Pour arriver à leurs fins, les Etats et les firmes pétrolières, utilisent la corruption, le meurtre, les déportations de population, ou même la guerre, comme ce fut le cas pour la guerre du Golfe, déclenchée pour empêcher toute flambée des prix.

Il convient cependant de distinguer le transport individuel du transport collectif. Les voitures et les camions sont responsables de 90% des coûts externes liés au transport routier. En tous cas, lorsque la route apparaît comme un moyen incontournable pour le transport, il convient de privilégier la logique collective.

Des déplacements toujours plus longs

Autre coût externe qui mérite notre attention : celui du temps que représente dans nos vies les transports. Actuellement, les villes occidentales sont conçues de telle façon que les quartiers ont des fonctions bien précises : les grandes surfaces à l’extérieur des villes, les petites surfaces et les activités culturelles au centre. Des quartiers sont réservés pour les bureaux, pour les industries, d’autres pour dormir. Chacune des activités quotidiennes est séparée physiquement l’une de l’autre : travailler à la Défense, habiter en Seine et Marne et sortir dans le quartier Latin. Et chacun de nous, en fonction d’où est placé son appartement par rapport à son travail ou à ses autres activités, passe plus ou moins de temps dans les transports individuels ou collectifs. Vouloir la liberté de circulation et la gratuité des transports collectifs, ce n’est pas vouloir passer plus de temps dans les transports, quels qu’ils soient. C’est au contraire vouloir réduire et limiter les conséquences néfastes - notamment la fatigue et le temps perdu engendrées par les heures de transports quotidiens.

Apartheid social

L’urbanisme présente un enjeu crucial par rapport à la croissance de nos besoins de mobilité. Les transports payants permettent d’assurer une caractéristique urbaine : le zonage des villes en populations relativement homogènes. Interdire par une répression de plus en plus forte l’accès au transport, c’est justifier la création de ghettos sur le territoire. Régler le problème de la pauvreté en la rendant moins voyante, en assignant à résidence les pauvres des quartiers dits "sensibles" est un vieux projet libéral que ne peuvent pas accepter les partisans de la justice sociale. Tout le discours sécuritaire actuel vise à nous faire croire que se développe une violence gratuite. Quand une personne est descendue du bus ou du train par des contrôleurs, personne ne parle de violence. Car cette violence sociale est invisible puisque intégrée au capitalisme (pas d’argent, pas de droit). En l’absence de réponse offensive du corps social, cet apartheid social progresse.

Les maux : les ravages de la société de consommation

Mais, ces coûts externes ne sont que la partie apparente d’un iceberg. Vouloir les réduire est illusoire, s’ils ne sont pas intégrés dans des problématiques plus globales. Combattre la fièvre ne suffit pas pour supprimer un virus. De la même façon, on n’obtiendra pas un accès égalitaire aux transports ni un système écologiquement sain seulement par des carburants propres et la gratuité d’accès. Derrière le slogan de "gratuité des transports", nous devons intégrer une volonté de modification de nos rapports à la consommation.

Tous shootés à l’énergie

Il faut tordre le cou au mythe de "l’abondance". Ce mythe nous vient tout droit des Trente Glorieuses. On parviendrait à réduire les inégalités en produisant plus de biens. Ce mythe s’exprime souvent en terme de culte voué à la croissance économique. La croissance économique, c’est plus de biens produits donc plus à répartir pour le même nombre de personnes. Arrêtons la supercherie ! Croire au mythe de "l’abondance libératrice", c’est faire fi des inégalités qui progressent dans nos sociétés occidentales même en période de croissance. C’est tout simplement parce que "la croissance, dans son mouvement même, se fonde sur les inégalités sociales : la croissance reproduit, restitue l’inégalité sociale, les privilèges, les déséquilibres" (4). Il faut sortir de ce cercle vicieux, de cette course en avant, de toujours vouloir produire plus, pour pouvoir consommer plus. Cette logique ne nous apportera ni le bonheur (recherché à travers la consommation) ni l’égalité sociale.

C’est dans ce contexte qu’il faut placer la question de la gratuité des transports : toujours plus de transports toujours plus rapides n’apportera ni la liberté de circulation ni l’égalité d’accès aux transports. Ainsi la gratuité des transports doit s ’accompagner d’une réflexion sur la réduction des consommations énergétiques liées aux transports. Nos sociétés occidentales sont fondamentalement dépendantes à la surconsommation d’énergie. Inutile de démontrer que cette forte consommation d’énergie par habitant est une aberration compte tenu des capacités de la planète. Plus grave encore, cette surconsommation d’énergie est socialement dangereuse.

En effet, une trop grande consommation d’énergie, même abondante et propre, ne sera jamais utilisée de façon équitable par la population. Au contraire, l’abondance énergétique, tout comme la croissance économique, c’est plus d’exploitation et plus de contrôle social. Jusqu’à un certain seuil, l’utilisation de moteurs améliore les conditions sociales. Au-delà de ce seuil, la consommation d’énergie progresse aux dépens du progrès social et d’une répartition équitable. Dans les années 60, Ivan Illitch (5) montrait qu’à partir d’un certain niveau de PNB, les frais du contrôle social (travailleurs sociaux, éducateurs, armées, police, Renseignements généraux, planificateurs et autres gestionnaires, frais liés aux dégradations du matériel public) augmentent plus vite que le PNB. En d’autres termes, plus les richesses produites par une société sont fortes et plus on trouve de personnes au pouvoir pour se les accaparer et empêcher leur bonne répartition. Il ne faut pas confondre bien-être et abondance.

Plus que le gaspillage des ressources limitées ou les dégradations de l’environnement, c’est le niveau de consommation des populations occidentales qui est nuisible à la société. La question de l’énergie dépasse de loin la question de l’environnement. Ce qui reste acceptable pour la planète ne l’est plus forcément pour la société : continuer sur ce rythme de consommation avec des énergies propres aurait le même effet qu’une drogue physiquement inoffensive mais psychiquement asservissante (écologiquement propre mais socialement injuste). Il est illusoire de vouloir une société émancipée et libre si nous sommes dépendants d’une consommation croissante d’énergie. Lorsque la consommation d’énergie mécanique devient trop importante par rapport à la consommation d’énergie métabolique, la technocratie et le contrôle social s’instaurent pour pouvoir mieux contrôler son utilisation. L’énergie métabolique est une énergie que l’on contrôle aisément puisqu’elle nous appartient. Plus on utilise l’énergie mécanique, plus on est dépendant de la société pour la production de ces sources d’énergies. Il est alors beaucoup plus facile de développer un contrôle social sur l’accès à ces ressources. C’est là où la dépendance croissante à l’énergie non-métabolique est dangereuse.

Ce raisonnement s’applique, bien entendu, à la mobilité. L’énergie consommée dans la circulation pendant un certain temps prend la forme d’une vitesse. Une vitesse élevée est le facteur critique qui fait des transports un instrument d’exploitation sociale. A pied, les êtres humains vont plus ou moins à la même vitesse, en fonction de leur âge, leur handicap. Il n’existe pas une inégalité choquante, même si cette égalité n’est pas parfaite et heureusement. Les transports mécaniques pourraient permettre de limiter ces inégalités en compensant les différences d’aptitudes, le confort, le rayon d’action. Or, l’arrivée des transports mécaniques a augmenté ces inégalités avec des élites voyageant sur des distances illimitées, souvent aux frais de leurs entreprises et une majorité qui utilise des transports certes plus rapides que la marche mais ô combien dévoreurs de temps et limités au trajet hébergement/travail/achats. Avec l’augmentation de la vitesse des transports, les gens se déplacent plus vite sur de plus longues distances et paradoxalement consacrent plus de temps aux transports. Progrès social ?

Le transport motorisé s’est assuré le monopole des déplacements et, par là, il interdit aux personnes l’utilisation de leur énergie métabolique. Ce monopole s’illustre notamment par le déplacement des services comme les cinémas, les hôpitaux ou grandes surfaces à l’extérieur des villes, rendant leur accès difficile à toute une partie de la population sauf à recourir à un moyen de transport motorisé. En apportant les infrastructures pour aller loin et vite, les transports, ont rendu la mobilité naturelle inopérante.

En manque…de temps

L’usager des transports a toujours l’impression de manquer de plus en plus de temps alors qu’il utilise chaque jour la voiture, le train, l’ascenseur ou le métro pour se déplacer. Qu’il prenne l’avion ou le métro, il a l’impression d’aller beaucoup moins vite et beaucoup moins bien que les autres. Enchaîné à l’horaire de son train, il rêve d’une auto. Épuisé dans les bouchons, il envie les riches qui vont dans le sens inverse. Le sentiment de vitesse des moyens de transports est bien relatif : le banlieusard a encore plus le sentiment de perdre son temps en voyant passer l’avion.

La question du temps est ambigüe. Si on peut gagner du temps de trajet avec des transports rapides, ce n’est qu’un leurre car ce temps gagné est consommé au préalable pour pouvoir s’offrir la vitesse élevée. Ivan Illitch (5) avait calculé dans les années 70, qu’un américain moyen passait 25% de son temps pour les transports (temps de travail pour payer les frais des transports, temps de circulation, temps passé à se garer, à faire des réparations…). Ainsi, notre américain moyen passe chaque année 16 000 h pour parcourir 10 000 kms. Ce qui fait une vitesse moyenne de 6 kms/h. Les pays en voie de développement, qui utilisent beaucoup plus le transit, se déplacent à la même vitesse. Le transit ne représente que 10% de leur budget-temps. Ils passent simplement moins de temps pour aller moins loin. L’augmentation de la vitesse des transports ne permet pas de passer moins de temps à se déplacer, elle permet d’aller plus loin. Cependant, ces chiffres sont à prendre avec prudence. D’abord parce qu’ils sont difficiles à évaluer avec précision et qu’il s’agit de moyennes qui datent des années 70. Mais également parce qu’ils supposent qu’on peut tout ramener à du temps passé par l’intermédiaire de l’argent (le temps c’est l’argent d’un salaire). Dans une société capitaliste, le temps de travail n’a pas une valeur universelle. Les heures de travail de certains travailleurs ont une plus grande valeur monétaire, ce qui permet de consacrer moins de temps de travail pour s’offrir les mêmes transports. Prenons un exemple, si un budget-temps journalier de 4 heures est consacré à la voiture, 0,5 heures peuvent être consacrées au trajet et 3,5 heures au travail. Au contraire, pour le même besoin effectué à vélo, un budget temps journalier de 3,5 heures serait consacré mais avec 3 heures consacrées au trajet et 0,5 heures au travail.

Si les transports posent la question de l’investissement en temps de chacun pour assurer sa mobilité, ils posent aussi la question de l’équité face à ces transports. La vitesse incontrôlée est coûteuse et de moins en moins de gens peuvent se l’offrir. Tout surcroît de vitesse d’un véhicule augmente son coût de propulsion, les prix des voies de circulation nécessaires et, la largeur de l’espace que son mouvement dévore. Dès qu’un certain seuil de consommation d’énergie est dépassé par les voyageurs les plus rapides, il se crée à l’échelle du monde entier une structure de classe de capitalistes de la vitesse. Entre l’égalité des chances et la vitesse, il y a corrélation inverse.

Cette structure de classe de la vitesse fonctionne sur le principe d’une élite censée faire avancer le bien-être de la société. Pourtant cette élite ne fait qu’augmenter le désir de véhicules motorisés. Un jour, on atteindra notre idéal : toute la société se déplacera à grande vitesse. Ce jour viendra et ce sera une société du plein emploi avec une croissance économique durable retrouvée. Le hic c’est que plus le système de transport d’une société est rapide et plus la société consacre de temps aux transports. Le temps qu’une société consacre aux transports augmente avec la vitesse du moyen de transport le plus rapide.

Quel niveau d’effort sommes-nous prêts à accepter pour la vitesse de nos transports ? Limiter la vitesse des transports c’est défendre l’équité. Augmenter l’efficacité des transports, c’est réduire le temps passé par rapport à la distance parcourue. Cependant, limiter la vitesse ne suffit pas à réduire les inégalités : des différenciations au sein de la société peuvent-être faites par le niveau de confort des moyens de transport. Ainsi, la gratuité est une condition indispensable et complémentaire à la réduction de la vitesse pour un égal accès à la mobilité.

Le traitement de choc

Comment prendre acte et réduire au maximum les impacts des transports sur la société et sur l’environnement. Les solutions sont loin d’être trouvées. Les pistes qui se dégagent font apparaître des changements en profondeur du système de transport mais aussi de la société. Il nous reste à inventer des pratiques, des modes de vie qui puissent assurer la mobilité des personnes et des objets sans compromettre l’équité sociale et l’équilibre dynamique de la nature.

Désintoxication ou méthadone prolongée ?

Il va falloir choisir entre la désintoxication (se débarrasser de notre dépendance à la surconsommation d’énergie) et la méthadone (conserver notre niveau de consommation et trouver des énergies propres). Ce qu’il convient de faire, ce n’est pas seulement de remplacer nos sources d’énergie actuelles par d’autres, plus propres, mais de changer de régime énergétique. Il serait bon de reprendre conscience des avantages apportés par le recours à la force musculaire. Pour changer de régime énergétique, cette société doit trouver les moyens de limiter la consommation de ses citoyens les plus puissants et parallèlement le fantasme de ceux qui ne le sont pas.

Comment estimer ce seuil critique ? Il revient à chaque société de fixer le degré d’injustice, de destruction et d’endoctrinement que ses membres sont prêts à accepter pour le plaisir d’idolâtrer les machines puissantes et de se plier aux injonctions des experts (du gouvernement, d’EDF/CEA ou de la SNCF). Une chose est sûre, ce seuil n’a aucun sens pour la majorité de la population mondiale. Pour un tiers de la population qui n’a pas accès à l’électricité ou aux moteurs, il est déjà trop élevé et relève d’une culture inconnue. Pour les population occidentales, ce seuil est négligeable et relève d’un rythme de vie qu’elles ont connues plusieurs siècles auparavant.

Instaurer une démocratie de participation, c’est relocaliser, revaloriser la proximité, le quartier : c’est retenir une technique économe en matière d’énergie. Dans le domaine des transports, l’établissement de rapports sociaux fondés sur une égale participation n’est possible que là où la vitesse est limitée. Pour caricaturer, entre les hommes libres, des rapports sociaux vont à l’allure d’une bicyclette, pas plus vite !

Penser le changement ou changer le pansement ?

C’est aussi l’aménagement des territoires qu’il faut repenser. La mobilité des personnes et des produits ne doit pas se faire au détriment de notre cadre de vie. L’automobile est directement visée par cette remise en cause Elle entraîne une saturation des transports en ville : chaque année des milliards partent littéralement en fumée par le seul fait des embouteillages, comme ceux du périphérique parisien. On ne pourra faire passer plus de voitures, mêmes non polluantes, dans des centres urbains déjà engorgés. Bien évidemment, les transports motorisés ont leur place dans notre société, ne serait-ce que pour faciliter certaines tâches comme les déplacements d’objets, pour transporter les vieillards, les handicapés et tout simplement les paresseux. Au niveau urbain, il faut utiliser des moyens de transports efficaces et propres (pas des voitures ou des trains électriques qui ne font que déplacer la pollution des villes au niveau des centrales nucléaires). L’énergie la moins polluante étant celle que l’on n’utilise pas, il faut également réduire les besoins en transports polluants. Une politique des transports en milieu urbain ne peut être uni-modal : le métro ou le bus ne saurait être la solution unique. Ainsi la gratuité des transports, du fait de l’asservissement de la société au paiement de ces transports (budget temps social) et du temps passé toujours plus grands dans les transports, doit s’accompagner d’un développement du transit. Quel est l’intérêt de développer des transports si la société passe de plus en plus de temps à les utiliser et à les faire fonctionner ? Il faut que le transport soit combiné aux autres moyens de mobilité : le vélo ou la marche. Le piéton et le cycliste doivent retrouver leur place dans la ville…

La demande des transports collectifs gratuits pour tous et toutes, ne peut être crédible en faisant l’impasse sur les problèmes de saturation aux heures de pointes. Cette question ne pourra être résolue sans une réorganisation de la ville qui seule permettra la réduction des besoins en transport. Il faut réaménager nos quartiers, nos vies de façon à ce qu’il soit possible d’aller d’une activité à une autre en peu de temps et avec des moyens propres (vélo, marche, transport collectifs). Il faut sortir de cette obsession à vouloir aller toujours plus vite et toujours plus loin (à la recherche d’un bonheur hypothétique ?).

Réclamer la gratuité des transports, c’est aussi lutter contre l’enclavement des zones périphériques, des zones dortoirs. La gratuité, c’est éliminer le zonage des villes lié à la tarification. Comment aller de la périphérie vers le centre lorsque le prix du billet aller-retour est de huit euros ?

Mettre le capitalisme en quarantaine …

Le système industriel occidental et la société de consommation qui va avec est un énorme consommateur d’énergie : le mode de vie des 700 millions d’occidentaux est inapplicable à la planète entière pour les raisons évoquées plus haut. Sauf à justifier la domination, ou a choisir une énergie nucléaire mortifère, on n’a d’autre choix que de remettre en cause la société de consommation qui ne se soucie que de produire pour vendre sans se préoccuper de l’utilité sociale de cette production.

Et pour finir…l’ordonnance

Cet article souhaitait, dans le cadre de la gratuité des transports, interroger les conséquences sociales et environnementales des transports. Premier constat : la question des transports doit être abordée avec celle du transit. Il est évident également que la gratuité des transports, en favorisant les transports collectifs et un accès égalitaire, est une proposition forte pour la réduction des coûts sociaux et environnementaux des transports. Revendiquer la gratuité, bien sûr ! Mais on n’obtiendra pas l’émancipation recherchée, si on continue à fantasmer sur des transports toujours plus puissants. Même gratuits, les transports posent la question du contrôle social lié à la production de l’énergie. Nous devons sortir de notre dépendance à la consommation d’énergie. Si on veut voyager loin, il faut en prendre le temps.

1. "Coûts externes des transports-coûts des accidents, d"environnement et de congestion en Europe occidentale" réalisée par Infras (Consultants indépendants) et IWW (université de Karlsruhe) pour l’UIC.
2. "Evolution des transports 1970-1998", éd. de l’OCDE, 2000, brochure de la conférence Européenne des ministres des transports.
3. "Coûts externes de la santé", Confoederatio Helvetica, enquête réalisée dans le cadre de la conférence ministérielle de l’OMS de Londres en 1999 sur l’environnement et la santé.
4. " La société de consommation ", Jean Baudrillard, Gallimard, 1970.
5. " Energie et Equité ", Ivan Illitch, éd. du Seuil, 1975.


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