Retour accueil

AccueilAnalysesAnti-capitalisme > La gratuité des transports contre le service public ?

Rechercher
>
thème
> pays
> ville

Les autres articles :


La gratuité des transports contre le service public ?


Texte paru dans la brochure Fraude de mieux

Les syndicats, les partis de gauche comme d’extrême-gauche sont tous d’accord : il faut sauver le service public à la française ! Celui qui fait de la France le paradis des travailleurs (à l’instar de la défunte URSS.) Or, pour les transports qu’ils soient privés ou publics, il apparaît que la gratuité n’est pas à l’ordre du jour. Parler de déliquescence ou de sauvetage du service public tend à placer le mouvement social dans une position défensive.


image 250 x 333 La gratuité des transports soulève la question de la gestion des biens utilisés collectivement. Doit-elle pour autant placer les militants qui se battent « pour » dans le camp des défenseurs du service public ? Ne les autorisent-elles pas au contraire à réinterroger ce système économique et social organisé autour de deux sphères, l’une privé, l’autre publique ? Comprendre la logique qui a institué ces services devient une première étape indispensable pour mieux comprendre les motivations qui ont institué les transports en commun. On peut alors se demander quel type d’alternative proposent les défenseurs du service public ? La lutte pour la gratuité des transports ne doit-elle pas se réunir autour d’un autre projet innovant, collectif et rupturiste.

Ne pas opposer liberalisme et service public

La première démarche est de définir le service public, non pas dans la réalité mais dans ses principes. Bauby offre une définition consensuelle. Le service public garantit d’abord le droit individuel d’accéder à des biens essentiels. Ensuite, il est l’expression de l’intérêt général d’une collectivité. Enfin, il sert à réguler le marché (1). Voilà, ce que défendent les personnes qui réclament le rétablissement ou la non-destruction du service public.

Cette approche montre bien que les services publics n’existent qu’à travers le marché. D’une part parce qu’il doit en éviter "les excès ». Ils sont régis par le principe de subsidiarité, c’est à dire, qu’on fait appel à eux que lorsque le marché est jugé moins efficace pour produire le même bien ou service. D’autre part, contrairement à ce que veulent nous laisser croire les apôtres du service public, les valeurs collectives restent largement annexes. "En effet, de montrer aux individus que leur intérêt passe par un projet collectif quelconque ne fait que conserver en tant qu’élément central le noyau du capitalisme, à savoir le dispositif individu-monde" (2). A priori, d’après ces premiers éléments, la défense du service public ne semble pas rentrer en contradiction avec le système capitaliste.

En réalité, les partisans d’un système capitaliste libéral accordent un rôle précis aux services publics. Les pères fondateurs des courants libéraux actuels attribuent à l’Etat des fonctions proches du service public contemporain, bien qu’ils n’emploient pas ce terme. Smith, fondateur du libéralisme économique, pense que l’Etat, outre son rôle de gendarme (justice et protection du territoire), a pour mission "d’élever et d’entretenir ces ouvrages et établissements publics dont une grande société retire d’immenses avantages, mais qui sont néanmoins de nature à ne pouvoir être entrepris ou entretenus par un ou par quelques particuliers, attendu que pour ceux-ci, le profit ne saurait jamais rembourser la dépense » (3). Dans ce sens, il est donc légitime et même nécessaire que l’éducation soit à la charge de l’Etat.

De même, Walras, économiste de la fin du XIXe, fondateur du libéralisme scientifique, ne s’oppose pas à l’intervention de l’Etat. Il avance deux raisons. D’abord, l’existence de monopoles moraux (sécurité, justice, éducation...) Cette morale ne se réfère pas à l’éthique, mais au fait que certains biens ne peuvent être vendus séparément. Ils sont dits indivisibles. Par exemple, on ne peut pas faire payer à chaque personne le coût d’un lampadaire qui éclaire une rue. Dès lors, il paraît logique que ça soit la collectivité, en l’occurrence dans notre société l’Etat, qui paie les coûts liés à l’éclairage public. Ensuite, l’intervention de l’Etat se justifie pour les monopoles naturels (communication, distribution d’eau...) Un monopole naturel est une situation où deux firmes en concurrence ne peuvent pas réaliser de profit. En revanche, une seule firme fixe le prix qu’elle souhaite étant la seule entreprise à offrir ce service (la distribution d’eau en France est un exemple). Le service public permettrait alors un meilleur fonctionnement de l’économie. Pour Walras, "la concurrence ne peut autoriser un nombre indéfini d’entrepreneurs à enfouir des tuyaux dans les rues » (4). Ces arguments s’opposent à la privatisation du métro, synonyme de monopole naturel pour la firme propriétaire. A travers ces deux auteurs majeurs de la pensée libérale, on s’aperçoit que l’Etat peut avoir sa place dans une société libérale.

D’ailleurs l’apparition de la notion de service public, à la fin du XIXème, coïncide et est indissociable de l’ancrage d’un système capitaliste dans la société occidentale. Cela traduit le passage d’un Etat qui assure la guerre militaire à un Etat qui assure la guerre économique, au service des entreprises nationales (5). De grands investissements vont permettre au capitalisme de mieux fonctionner. La nouvelle forme de pauvreté qu’est le salariat justifie l’intervention de l’Etat. Le réseau ferré français, le métro sont construits à cette époque. En permettant la migration vers les villes, ces infrastructures servent les intérêts des patrons en agrandissant leur bassin de main-d’oeuvre. Afin que celle-ci se reproduise sans trop protester, l’Etat participe à l’organisation rationnelle du salariat en mettant en place des lois sur le travail, le vagabondage, des institutions sociales, etc (6). Certes, on peut arguer que le service public a permis l’instruction gratuite, le progrès social avec l’interdiction du travail des enfants, la limitation de la journée de travail à douze heures. Rappelons que ces changements ne sont que le fruit de lutte âpre qui ne font pas disparaître les inégalités et la pauvreté, les rapports d’exploitation. Ces réalités historiques permettent de mieux comprendre en quoi le service public ne remet pas en cause la logique capitaliste.

Voyager et produire…

La politique hexagonale de transports collectifs met parfaitement en évidence les propos ci-dessus. Quatre déplacements en transport en commun sur cinq servent à aller travailler ou à consommer. Nous pouvons les considérer comme contraints, car ils sont liés à des besoins vitaux et soumis à une logique économique plus que sociale ou culturelle. Les dirigeants des usines ou des grands centres commerciaux ont tout intérêt à ce que l’Etat ou les collectivités territoriales mettent en place des systèmes de transport, amenant les usagers vers les lieux de production ou de consommation.

A Paris, que serait le quartier d’affaire de La Défense sans les transports en commun. Cette aire géographique construite pour concurrencer les hautes places financières européennes, comme la City de Londres, achemine chaque jour des centaines de milliers de voyageurs. La collectivité a financé une gare ferroviaire, des RER qui y ont leurs terminus, une douzaine de lignes de bus, un métro, un tramway, etc. Quel serait la viabilité de ces entreprises, mais aussi des centres commerciaux, sans ces investissements ? Si les voies n’étaient pas entretenues ? Cet exemple n’est pas propre à la région parisienne. La majorité des villes de taille moyenne de l’hexagone ont mis, de la même manière, les services publics à disposition des entreprises ou centres commerciaux.

Cette gestion de l’espace qui vaut au niveau urbain, se conçoit aussi à l’échelle hexagonale et internationale. Ainsi, le Train à grande vitesse relie d’abord entre elles les grandes métropoles hexagonales et européennes (Bruxelles, Londres, etc.) La promotion de ce mode de transport a largement défavorisé les zones rurales. Le TGV, à mesure qu’il s’implantait, a réduit la place dévolue aux Trains express régionaux (7). Ainsi, la construction du "TGV méditerranée" mettant Marseille et Paris à près de trois heures de voyage a considérablement handicapé la ponctualité des TER de la citée phocéenne, entraînant des réactions d’usagers mécontents, mais malheureusement pour eux moins solvables aux yeux de la SNCF. Ainsi, seules les zones économiques prospères tendent à être reliées entre elles, quitte à laisser loin de tous moyens de locomotion une partie importante de la population. Que vaut un ouvrier agricole de la Creuse face à un cadre toulousain d’Airbus Industrie ?

L’histoire des services publics de transport montre bien leur soumission aux besoins des détenteurs de capitaux. Ainsi, la première carte d’abonnement mis en place par la RATP, en 1927, s’appelle la "carte ouvrière hebdomadaire", preuve du rôle avant tout productif des transports en commun. Aujourd’hui, les pouvoirs publics poussent même le vice, à Paris, à offrir des réductions aux salariés à hauteur de 50% (8), tandis que les chômeurs ne bénéficient d’aucune réduction. Les chèques mobilité, aux effets plus médiatiques que sociaux, ne sont en fait qu’accessibles à une minorité de sans-emploi respectant des critères précis.

Les chômeurs jugés improductifs ne bénéficient donc que très rarement de la gratuité des transports, sauf si leur déplacement est lié à l’insertion dans le monde du salariat. Ainsi, les pouvoirs publics, généralement peu sensibles aux arguments portés par les mouvements sociaux ont, accepté, il y a quelques années, celui soulignant qu’il était difficile de trouver un emploi sans moyen de locomotion. Désormais, l’Agence nationale pour l’emploi joue aussi un rôle de service public en remboursant, sous certaines conditions, les frais de transport pour se déplacer à un entretien d’embauche. Bien sûr, l’équilibre sentimental ou psychologique d’une personne précaire qui n’a pas les moyens d’aller visiter sa famille ou ses amis n’est pas jugé assez important pour qu’on lui permette de circuler librement. Il apparaît clairement que les systèmes de transport ne visent pas à satisfaire la mobilité de tous, mais bien à s’assurer que les rouages de l’économie capitaliste fonctionnent parfaitement.

Cette logique productiviste et consumériste amène même la gratuité des transports à portée de main. Par exemple, dans les années 1970, le Crédit mutuel de Bretagne dont le siège social était situé à Brest a mis en place un système de cars de ramassage gratuit des salariés logés dans le Finistère. Cet exemple n’en est qu’un parmi tant d’autres. De même, un grand magasin du centre de Paris avait au début des années 1990 payé les frais du bus qui s’arrêtait devant sa boutique pour permettre aux consommateurs potentiels de voyager gratuitement.

Dès lors on pourrait se demander pourquoi paye-t-on encore les transports ? En fait, on s’aperçoit que le coût des transports en commun pour un usager, c’est à dire du titre de transport, n’est pas le même pour tous. Il n’est pas égal pour tous les habitants d’un même territoire. Les discriminations de prix peuvent être liées au remboursement des transports par l’entreprise, la collectivité locale, l’âge, le nombre de personnes dans une famille, la fonction sociale, etc. Les économistes parlent, pour justifier ce traitement différencié digne des entreprises privées, de "service public marchand", expression qui nous éloigne d’une quelconque dimension collective de l’intervention étatique. Au final, il semble plus approprié de parler des prix des transports et de mettre aux oubliettes l’égalité de traitement comme principe des services publics.

L’essentiel reste donc que ces prix des titres de transport n’entravent pas la reproduction de la force de travail salariée. Il faut s’assurer qu’elle puisse se rendre sur leur lieu de travail. D’ailleurs, lors de la constitution de cet article, un salarié d’une entreprise des transports publics nous narrait le compromis, proposé par son patron, pour assurer le service minimum lors de jour de grève : il ne s’agissait même pas d’assurer le service matin et soir, mais uniquement le matin pour que les salariés se rendent au travail !

Evolution du service public et transformation du capitalisme

Le service public ne remet donc pas en cause les principes marchands de notre société, bien au contraire. En fait, le service public ne répond qu’à des besoins générés par notre système économique. Par exemple, la réaction face aux embouteillages n’est que de construire des routes. A l’inverse la gratuité des transports remet en cause le schéma urbain, affirme que l’environnement est une priorité, pose la question du « Tout bagnole ». Elle renverse aussi les velléités capitalistes en mettant sur un même plan les déplacements liés aux loisirs et ceux liés à des contraintes économiques. Réclamer la gratuité des transports s’oppose alors à la défense du service public.

La logique inhérente à la constitution du service public fait qu’il doit s’adapter au capitalisme. Se positionner pour sa sauvegarde n’a donc pas de sens, car il porte en lui les germes de sa transformation. Le discours simpliste annonçant la disparition du service public n’est plus valide non plus. Il s’agit en réalité d’une mutation correspondant à l’évolution du système capitaliste. Mais en aucun cas l’Etat ne s’efface complètement. Il reste un acteur économique majeur (9), dont les fonctions économiques s’expriment différemment. Les services publics quoique transformés restent au service de la reproduction du capital. Ces propos ne signifient pas qu’il est équivalent d’avoir un système de santé privé ou public. Il s’agit de dire que défendre le service public n’éradiquera jamais la pauvreté, les inégalités, les apartheids sociaux, car le service public est parti prenante du capitalisme, dont il a permis l’avènement

La transformation des services publics en sociétés d’économie mixte n’annonce pas une disparition de l’Etat, mais bien la création d’un partenariat avec le privé. L’Etat apporte son soutien en réalisant des investissements lourds et en s’engageant à assurer un minimum de rentabilité à ces sociétés. La phrase disant qu’on "mutualise les déficits et privatisons les déficits" garde plus que jamais son sens. Enfin, il faut noter que ces sociétés restent astreintes à une mission de service public.

Le problème que pose le débat sur le service public est que les termes nous sont imposés. Il n’y aurait aucune autre alternative entre nationalisation et privatisation. Dès lors, les pourfendeurs de la privatisation sont automatiquement placés dans l’autre camp, et réciproquement. C’est ainsi qu’un journal comme le Monde Diplomatique, opposé au processus de privatisation impulsé par l’Union Européenne, se positionna comme défenseur des services publics à la française. Ce dossier paru en janvier 1996 qui s’intitulait "la grande révolte française contre l’Europe libérale" ignorait par là toute la perversité inhérente aux services publics. Comme si tout d’un coup, le capitalisme d’Etat de l’après-guerre correspondait à un idéal, comme si les nationalisations de 1981 par Mitterrand avaient donné un visage humain au capitalisme.

La revendication des transports gratuits tend à changer la problématique et à placer les nationalisations et les privatisations sur le même plan : notamment parce que ni l’une ni l’autre ne laissent place à la gestion quotidienne par la population. Qui décide du prix du ticket de transports en commun aujourd’hui ? La gratuité exprime l’idée que tout le monde paie en commun, mais aussi que tout le monde décide en commun. Depuis quelques années, les sociétés de transport ainsi que les gouvernements successifs ont tendu à déresponsabiliser les usagers des prises de décision. Ce matraquage s’est sacralisé par une transformation linguistique majeure où le terme de client a été préféré à celui d’usager. La définition des deux termes met parfaitement en évidence l’évolution désirée, c’est à dire la rentabilité et non pas l’amélioration du service, comme on a voulu nous le faire croire. Le client est "la personne qui requiert des services moyennant rétribution" tandis que l’usager est celui "qui a un droit réel d’usage » (Le Robert, 1994). Les gouvernements de droite comme de gauche ont parfaitement relayé cette campagne, notamment en se félicitant, comme Rocard et Bayrou, de "traiter les utilisateurs comme des consommateurs ».

Cette transformation des services publics concerne plus que jamais les salariés qui ont vu leurs employeurs rivaliser d’artifices avec leurs collègues du privé. La dégradation des conditions d’accès aux transports et celle des conditions de travail sont parfaitement liées. Salariés et usagers sont donc victimes des mêmes restructurations visant à mettre la rentabilité comme une priorité dans la gestion des services publics.

Développer la notion de services collectifs

La notion de service public met à jour un concept dual de l’organisation économico-sociale : d’un côté les entreprises privées, de l’autre les entreprises publiques. Les services publics se chargent alors de la production des biens publics, dont les caractéristiques s’opposent à celles produites sur le marché des biens privés. Mais contrairement, à ce que les défenseurs de l’intervention étatique nous disent, ce n’est pas l’indivisibilité de certains biens ou services économiques qui les a fait devenir service public mais bien leur caractère non-rentable. En effet, quelles entreprises sont disposées à construire aujourd’hui de but en blanc un réseau ferré ? Aucune. En revanche, nombre de firmes sont candidates à une plus qu’éventuelle privatisation de la SNCF. Ici, on s’aperçoit que l’argument d’indivisibilité n’est pas un critère de décision pour justifier que l’activité soit un service public ou privé. En revanche, une fois que ces activités offrent des perspectives de rentabilités, elles peuvent être privatisées.

La notion de services collectifs a l’intérêt de poser la question de ce qu’une société veut mettre en commun. Elle rejette l’idée néoclassique libérale affirmant qu’un individu cherche à maximiser son utilité sous une contrainte budgétaire, et qui fait que le service public n’est en fait que l’agrégation d’intérêts individuels. Il "est gratuit [que] s’il fonctionne principalement en vue de l’intérêt général, il est payant et industrialisé, s’il fonctionne exclusivement dans l’intérêt des usagers" (Bonnard, 1943). Le service public est bien une entreprise individualiste en faisant des discriminations d’âge, de nationalité, ou encore de la "positive discrimination" à l’américaine.

En réclamant un service collectif, il s’agit de privilégier la notion de personne qui n’est pas séparable du collectif. Dès lors, la privatisation de la santé, des transports, de la distribution des eaux ne peuvent plus être à l’ordre du jour. La gratuité affirme en permettant une égalité d’accès à tous qu’il n’y a qu’un intérêt collectif. Gratuité et service public ne font pas bon ménage quand il n’y a pas d’intérêt économique. En matière de transport, un texte de loi autorisa, en 1979, la perception de redevances sur les bacs et les ponts à péages. Certains députés de l’époque arguèrent que la liberté d’aller et venir était un principe constitutionnel et qu’elle impliquait la gratuité. Le Conseil constitutionnel s’opposa à cette requête.

Toutes ces raisons nous font dire que le service public n’est pas une bataille qui vaille la peine d’être menée. La notion de services collectifs revêt un sens plus profond, applicable dans la société actuelle comme dans un futur émancipé. Trois grands principes pourraient en être la base :

- Les services collectifs concernent tous les biens ou services qui nécessitent une gestion collective sans notion de rentabilité. Les activités qui ne peuvent pas être produites ou utilisées autrement que collectivement sont à la charge de la collectivité. Cela repose la question "proudhonienne" de la propriété. Quel type de biens appartient à la collectivité et lesquels sont personnels ? Qui décide de l’aménagement d’une rue ? Les personnes qui y habitent, les personnes qui habitent la ville, la région, la nation, etc ?

- Le service collectif pose aussi la question de la gestion. Lors de la Ière internationale, De Paepe et Schwitzguébel s’opposent déjà sur cette réorganisation sociale. La question est de savoir à quel niveau doit se placer la gestion collective : au niveau communal, régional, national ? Le premier propose l’Etat ouvrier, "Etat désarmé, chargé d’instruire la jeunesse et de centraliser les grands travaux d’ensemble ». Le second penche en faveur de fédération de communes où les différentes branches d’activité se fédèrent localement, ce qui pour De Paepe est "un obstacle à la réalisation d’une entente générale » (10). Dans tous les cas, gestion directe et collective, avec des délégués révocables à tout moment sont les bases des services collectifs.

- Le service collectif ne peut enfin pas se concevoir sans la gratuité. Elle est le seul gage de liberté et d’égalité d’accès aux biens collectifs. Tout système de paiement, quel qu’il soit, introduit une barrière. La gratuité est une idée collective où tout le monde paie pour accéder à un bien ou à un service. Elle refuse l’individualisation des besoins, la séparation des personnes pour privilégier le partage, la mise en commun.

Organiser la lutte, ici et maintenant !

Lutter pour la gratuité des transports, et par là pour un service collectif, est d’autant plus d’actualité avec le projet de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) au travers de l’Accord général sur le commerce des services (AGCS). Cet accord, au-delà de la privatisation des services publics, cherche à mettre en place une instance supérieure aux Etats, permettant de déresponsabiliser les gouvernements de ses privatisations (comme pour l’Union Européenne.)

Dans ce combat, encore une fois l’avant-garde éclairée entend bien nous montrer le chemin telle Susan Georges, qui écrit sous la signature d’Attac : "il est important de proposer un argumentaire sur l’AGCS pour que le citoyen ne se laisse pas abuser" (11). Et pourtant, la lutte contre l’AGCS ne peut pas se faire hors du quotidien et uniquement lors de contre-sommet épisodique ou dans les bureaux réunissant des personnes toutes plus instruites les unes que les autres. En revanche, lutter pour les transports gratuits en se réappropriant les espaces, les biens et les services utilisés collectivement nous apparaît aujourd’hui comme une expérience intéressante : permettant à chacun d’y trouver une place égale, pour transformer son quotidien tout en faisant reculer les ambitions portées par les Etats réunis au sein de l’OMC.

Yann Lupec

1. BAUBY Pierre (2000), Quel définition du service public ?, Dossier de l’AITEC, groupe "service public"
2. BENASSAYAG Miguel (1998), Le mythe de l’individu, La découverte.
3. SMITH Adam (1776,) Richesse des nations, Gallimard.
4. WALRAS Léon (1901), Eléments d’économie politique ou théorie de la richesse sociale, LGDJ.
5. LABARDE & MARIS (1998), Ah dieu ! Que la guerre économique est jolie, Albin Michel.
6. POLANYI Karl (1994), La grande transformation, Editions Gallimard.
7. AITEC (1998), Les services publics ferroviaires, la SNCF entre l’impératif commercial et le "service public", Dossier de l’AITEC, groupe "service public".
8. Toutes les entreprises d’Île de France d’au moins dix salariés sont contraintes à rembourser de moitié les déplacements mensuels de leurs salariés.
9. En France, la part des prélèvements obligatoires dans le PIB n’a cessé de croître en 30 ans, passant de 30% en 1967 à 55% en 1997.
10. GUERIN Daniel (1999), Ni dieu Ni maître, Anthologie de l’anarchisme, Edition la Découverte.
Attac (2001), Remettre l’OMC à sa place, Editions Mille et une nuits, p57.


No Pasaran 21ter rue Voltaire 75011 Paris - Tél. 06 11 29 02 15 - nopasaran@samizdat.net
Ce site est réalisé avec SPIP logiciel libre sous license GNU/GPL - Hébergé par Samizdat.net