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AccueilJournalNuméros parus en 2002N°9 - Mai 2002 > Pays basque et liberté

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Pays basque et liberté

Complément à la formule papier du journal No Pasaran n°9


Le 7 mars, Asier Ormazabal Lizeaga, militant basque arrêté en Bretagne en novembre 97, a été extradé vers l’Espagne, après avoir purgé une peine de 5 ans de prison en France. Asier fait parti de ces 600 citoyens basques, qui sont détenus dans les prisons espagnoles et françaises, et de ces 2000 exilés politiques obligés de fuire leur pays pour échapper aux menaces de morts, aux arrestations arbitraires et à la torture. C’est en Bretagne qu’il se réfugiera, comme de nombreux autres avant lui ; s’intégrant très vite à la vie locale, y retrouvant un combat similaire au sien, visant à la reconnaissance d’une langue, d’une culture, d’un peuple. Comme les autres refus, il y construira des liens très forts avec ceux auprès de qui il a vécu jusqu’à son arrestation. Des liens qui perdurent encore aujourd’hui, et qui se sont renforcés avec l’apport de nouvelles relations.


image 85 x 129Cela faisait un peu moins de un an que Asier et moi, nous nous écrivions régulièrement, dans le cadre de ce que j’appelle notre « internationale du silo », échangeant points de vues et analyses, entre militants révolutionnaires, communistes, indépendantistes, antifascistes ou anarchistes, essayant tant bien que mal de construire un outil de lutte et de solidarité, face à la machine carcérale, et au delà, contre un système qui privilégie l’argent à l’homme et à la nature. Cette solidarité face au dur traitement que nous subissons tous (il y a peu, il fréquentait encore le mitard de Fresnes, après d’autres, tels que ceux de la Santé, Bois d’Arcy, etc.), a cimenté notre groupe durant cette période, élargit la connaissance des uns et des autres. Notre correspondance ne s’est pas pour autant cantonnée au seul terrain politique, elle a été aussi empreinte d’humour (une arme redoutable face à l’AP), et permis de nous connaître sur le plan humain, et même de nous trouver des ami-es commun-nes. Au-delà donc de la solidarité entre camarades de lutte, de galère, il y a aussi quelque chose de plus qui s’est formé au fil du temps et des lettres : l’amitié. ce qui me rend d’autant plus insupportable son extradition, tout comme à ses autres ami-es.

J’arrêterai là la personnalisation d’un cas, que Asier ne veut pas voir distinguer de tous les autres.

Je voudrais donc le replacer dans le contexte de l’histoire de la lutte que mène le peuple Basque, et de la répression dont il est victime. Aujourd’hui, et surtout depuis le 11 septembre, les médias aux ordres des Etats français et espagnols, n’ont de cesse de présenter, de réduire la lutte d’Asier et de ses camarades, à celle d’une lutte « terroriste », faisant des militants Basques, les Talibans de l’Europe du Sud, quand ils ne la présente pas comme d’inspiration raciste, voire fascisante. Pourtant dans les années 70, mes mêmes « démocrates » qui la condamnent aujourd’hui, la considérait alors comme une lutte de résistance armée pour le retour de la démocratie dans l’Espagne alors franquiste.

Avec le temps, l’amnésie consensuelle et la réécriture de l’histoire, firent que l’on présenta la mort de Franco, comme celui du franquisme et de l’ entrée de l’Espagne dans la démocratie, oubliant au passage, tout ce qu’elle devait aux combattants Basques, et notamment l’élimination du successeur désigné, l’amiral Carréro Blanco. Ce qu’on appela la transition démocratique, ne fut qu’un simple ravalement de façade institutionnel, permettant le recyclage des anciens dirigeants économiques et politiques du franquisme, dans une droite dont est issu l’actuel premier ministre Aznar, tandis que la gauche communiste et socialiste, sous le couvert de la « réconciliation nationale », avalisèrent cet accord tacite de ne pas remuer le passé « pour que résiste la démocratie ». Drôle de démocratie, où Franco mort, persistait et perdurait son idéologie, ainsi que ses complices, dans le quotidien des espagnols, au travers de la religiosité, le fonctionnariat, l’enseignement, les lois et les règlements, la structure du pouvoir (police, armée, justice). Tandis que la machine à libéraliser, accordait au peuple ce que le franquisme lui refusait : des espaces de fausses expressions à profusion, des kiosques à journaux débordant de publications, où voisinaient sexe et politique. L’époque étant sans doute permissive sur la forme, mais sur le fond rien n’avait changé. Les luttes ouvrières radicales, puisque non encore encadrées par des syndicats « responsables », et celle du peuple basque, continuant à subir la même répression, des mains des militaires et des policiers (ex : en 1976, à Gasteiz (Victoria) au Pays Basque, la police ouvrit le feu sur une foule d’ouvriers, faisant cinq morts et une centaine de blessés par balle, à la sortie d’une église où se réunissaient une assemblée générale de grévistes).

Le début des années 80 va voir l’arrivée du Parti Socialiste Espagnol au pouvoir, poussé par la bourgeoisie Espagnole, jugeant Félipe Gonzalez plus apte pour moderniser l’économie du pays, et à la faire rentrer dans la communauté européenne, avec pour cela le soutien de Mitterrand. Quelques tentatives de coups d’Etat, manipulées / téléguidées de l’armée (Téjéro, Milan Del Bosh), vinrent vite faire comprendre aux socialistes, que si sur le terrain économique, ils avaient les mains libres, il n’en était rien sur celui du cadre des institutions politiques et étatiques, et notamment que l’Espagne devait demeurer « Une, Grande et Indivisible ». Face aux aspirations du peuple Basque, le nouveau pouvoir, tout socialiste et démocratique qu’il se revendiquait, n’hésitera pas à employer les mêmes méthodes que celles qui étaient en vigueur sous Franco, d’autant plus facilement, que les mêmes hommes restaient aux postes clés de la justice, de la police, et de l’armée. On assistera alors à la militarisation du Pays Basque, sous la forme du plan ZEN (Zone spéciale Nord), et de la réactivation à partir de 1983 de ce que l’on appellera la « Sale guerre ». C’est ainsi que sera décidé au plus haut niveau de l’Etat, la création du tristement célèbre GAL, héritier du Bataillon Basque Espagnol, et autres guérilleros du Christ roi des années 70, formés de truands, de militants d’extrême droite et de policiers espagnols.

Le GAL arrêtera ses activités après plus d’une vingtaine d’assassinats, ayant atteint les objectifs qui lui avait été fixé : terroriser la communauté de réfugiés Basques se trouvant en France, et surtout l’obtention de la collaboration de la France dans la répression dans le cadre d’une politique d’expulsion / extradition de ces réfugiés vers l’Espagne. Quelques hommes de main furent sacrifiés devant l’opinion publique et internationale, pour sauvegarder les formes « démocratiques » d’un Etat assassin, tandis que les rares cadres policiers inculpés dans cette affaire, ne faisaient pour certains que quelques jours de prison, tandis que les autres bénéficieront de conditions de détention VIP, agrémentées de permissions et de libérations conditionnelles très rapides. En 1986,l’Espagne achevant son intégration économique et politique à l’Europe en adhérant à l’OTAN (au Pays Basque, 60% de la population votant contre ce référendum). Au projet politique KAS porté par Herri Batasuna, l’Etat espagnol opposera un statut d’autonomie dévalué, qui deviendra vite l’enjeu de luttes de pouvoir et d’alliances de circonstances entre la bourgeoisie Basque et les socialistes, et une fin de non recevoir aux négociations d’Alger en 1989.

Le règne des socialistes s’achevant, comme en France, dans l’affairisme et la corruption généralisée, tandis que les plans de reconstruction économique, font de l’Espagne, le pays d’Europe où le chômage bat tous les records (22% de la population en 96). En 1996, c’est le retour de la droite au pouvoir, avec à sa tête Mario Aznar, qui fit ses classes dans l’ombre de l’ancien ministre de Franco, Fraga Iribarne, toujours président de l’actuelle communauté autonome de Gallice. Aznar se veut plus moderne, plus libéral que ces anciens. Son modèle politique et économique, c’est les Etats-Unis. « Les USA des années 90 doivent être notre point de référence » martèle t-il. Face à la résistance du peuple Basque, il poursuit la même politique que ces prédécesseurs : répression policière, refus du dialogue et de la négociation avec le mouvement de libération, malgré une trêve de plus d’un an suivi par celui-ci.

Le 11 septembre et le consensus mondial anti-terroriste, ajouté au fait que depuis le 1er janvier 2001, l’Espagne préside pour six mois la communauté européenne, va lui permettre de franchir une nouvelle étape dans le règlement policier de la question basque. C’est Aznar lui-même, qui indiquera dans un de ses discours, la nouvelle politique qui va être mise en oeuvre  : « Nous allons nous attaquer aux terroristes, à ceux qui les appuient, à ceux qui les couvrent, à ceux qui sympathisent avec eux, et ensuite nous verrons ». Campagne de criminalisation qui va être mise en musique par le juge Balthazar Garzon, les médias jouant le rôle de la chorale.

image 227 x 160C’est ainsi que des pans entier de la société Basque, vont subir une offensive sans précédent, même sous le franquisme. Tour à tour, vont être criminalisé puis interdit l’expression politique du Mouvement de Libération National Basque, avec l’arrestation de douze dirigeants de Herri Batasuna, puis l’interdiction du parti, celle des associations politiques de la gauche Abertzale (Nationaliste) comme Ekin, ses organisations de jeunesse Jarrai puis Haika et aujourd’hui SEGI ses journaux, Egin et Ardi Beltza qui ont été fermés, le rédacteur en chef de ce dernier Pépé Rei, étant même emprisonné avant d’être libéré sous caution, l’organisation de défense des droits des prisonniers politiques Basques, Gestora Amnistia dont treize membres ont été emprisonnés en Espagne, et le principal dirigeant Juan Mari Olano, arrêté en France, jusqu’à AEK, une association d’alphabétisation en Basque pour adulte, qui est présentée comme étant liée une « structure terroriste ».

Cette incrimination de la gauche Abertzal, se faisant non plus sur la base de délits concrets, mais parce que les buts de ces organisations coïncideraient « objectivement » selon le pouvoir espagnol, avec ceux de l’ETA. Par un phénomène de capillarité « antiterroriste », bien connu en Espagne, leurs membres se transformant donc en collaborateurs/trices, ou bien carrément en recrues d’ETA. Le problème n’est pas seulement dans la criminalisation d’organisations, mais qu’elle se situe dans le répression des droits fondamentaux, comme ceux de la liberté idéologique, la liberté d’expression, la liberté d’association, la liberté de manifester.

Dans le cadre de cette offensive générale, les prisonniers et les prisonnières, deviennent un objet de pression et de chantage permanent : éloignement, dispersion, isolement, contrôle total des communications, sans droit à l’intimité, sans droit à la santé pour les malades, sans droit à la liberté pour plus de 100 personnes qui devraient bénéficier d’une liberté conditionnelle, sans droit à la défense, sans droit de se servir de sa langue, faisant l’objet d’agressions physiques régulières de la part de la police et des surveillants, lors des transferts. Sans oublier leurs familles, condamnées à vivre sur les routes, obligées de faire des milliers de kilomètres pour les voir moins d’une heure parfois, harcelées, faisant l’objet d’un chantage économique, etc. C’est une sorte d’Etat d’exception permanent qui s’instaure au Pays Basque à l’encontre de la gauche Abertzale, et au delà à tous ceux et toutes celles qui rejettent la mondialisation du capital.

Car derrière l’envers du « miracle Espagnol », se cache une autre réalité. La restructuration de l’appareil économique Espagnol, entamée très largement sous le PS, n’a pu être possible que par une précarisation croissante de l’emploi, la flexibilité du travail, le développement de l’intérim, la privatisation d’entreprises publiques, la liquidation d’industries comme l’acier et les chantiers navals, l’attaque contre le droit de grève, avec le vote sur « la grève minimum », qui font que si l’Espagne ne compte que 1 500 000 chômeurs officiels, la croissance économique n’a pas été la même pour tout le monde, certaines provinces continuant à vivre des situations extrêmement difficiles, comme l’Estramadure et l’Andalousie, tandis que 20% de la population espagnole vit aujourd’hui sous le seuil de pauvreté (chiffre officiel).

Là aussi, il faut donc briser les résistances. Du coup, les luttes syndicales sont assimilées à du « terrorisme syndical », ou encore du « terrorisme corporatif », avec arrestations de responsables syndicaux, et de fortes amendes à la clé, quand elles ne sont pas accusées d’avoir partie liée avec l’ETA, comme celle des écologistes contre le plan hydrologique (Inaki Garcia Koch, un écologiste basque, ayant été condamné à 5 ans de prison, pour avoir avec quelques camarades « Los Solidarios » coupé un câble servant à transporter du matériel dans le cadre de la construction du barrage Itoiz, interrompant les travaux pour un an), celle des anarchistes en soutien au prisonniers/ières en lutte contre les prisons spéciales appelées FIES, sortes de GHS, accusés de l’envoi de colis piégés à des membres de l’administration pénitentiaire (affaire Edoardo Garci Macias « Edu », membre de la croix noire anarchiste, arrêté puis libéré sous caution). C’est dans ce contexte, qu’il faut aussi replacer l’actuelle attaque contre les squats à Madrid, Barcelone, et contre le mouvement anti-mondialisation espagnol (Mouvement de Résistance Global).

Avec le prétexte de la lutte antiterroriste, réapparaissent des méthodes et des pratiques, qui reflètent la véritable nature de l’Etat Espagnol ; questionnant son caractère démocratique, et mettant en évidence, la réalité de la « transition démocratique » en une évolution, ou plutôt une régression, qui touche toutes les sphères sociales, économiques, politiques, at au cadre de tous les droits fondamentaux.

La lutte du peuple Basque, ne peut donc être résumée aux articles de journaux et aux reportages des journaux télévisés du 20h, qui circonscrivent celle-ci à une succession d’attentats, et à un affrontement de type militaire autour d’une question identitaire.

Il n’y a pas une lutte, mais des luttes multiples, s’inscrivant autour de la question nationale, et à travers elle, visant plus largement à participer à l’élaboration d’un modèle de société autre que capitaliste.

C’est le sens du combat que mène Asier et ses camarades, prisonnier/ières, et les dizaines et dizaines de collectifs ou associations Basques impliqués dans les différentes luttes : politiques, économiques, sociales, culturelles, etc.

En cela, ils nous démontrent que l’on est pas le seul produit d’un sol, mais aussi le produit de l’action qu’on y mène.

C’est pourquoi, j’ai été, je suis, et je reste solidaire de ce combat et de ceux qui le mènent.

ASKATASUNEDANTZ BORROKA DA BIDE BAKARRA

La lutte est le seul chemin vers la liberté.


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