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La France des camps


Le mouvement des sans-papiers puis les actions contre les expulsions ont mis en évidence la réalité de la politique xénophobe de l’État français. Piliers de cette politique : les centres de rétention.


image 222 x 327 « Si l’étranger est indésirable, il convient de prendre les mesures d’éloignement qui paraitront justifiées... Si l’étranger, sans être indésirable, a la faculté de quitter la France, il y aura lieu de le faire dans un délai à fixer » proclamait une circulaire du Ministère de l’Intérieur français du 5 août 1939. Camps d’internement d’Argelès ou de Rivesaltes pour antifascistes espagnols dans les années 1930. Camps de concentration de Drancy ou Pithiviers, véritables antichambres de l’extermination nazie, dans les années 1940. Camps de travail pour ouvriers immigrés dans les années 1950. Camps d’emprisonnement pour indépendantistes algériens dans les années 1960. L’administration française possède une vraie pratique dans la mise en place et la gestion de camps en tout genre. Même si le sort réservé aux populations qui y sont enfermées varie selon les causes de leur regroupement et les périodes historiques.

Avec les années 1970, un nouveau type de camps se développe à travers l’hexagone : les « centres de rétention ». Après la révélation de leur existence clandestine - la découverte de celui d’Arenc à Marseille dans un hangar du port - ces camps sont légalisés par la loi Bonnet du 10 janvier 1980. Objectif : « retenir » les étrangers en situation irrégulière pendant une durée déterminée, pour identifier leur pays d’origine afin de les y expulser. Depuis, les multiples lois sur le séjour des étrangers n’ont cessé de préciser le cadre légal de ces camps et d’augmenter la durée maximum de détention qui est aujourd’hui de 12 jours (loi Chevènement) jusqu’à trois mois dans les centres de rétention judiciaire d’Aniane (près de Montpellier), Ollioule et Orléans. Si le terme « retenir » est hypocritement employé, il s’agit en réalité d’interner, de regrouper, de concentrer les réfugiés avant de les expulser, de les déporter 1 dans leurs pays d’origine.

En 1986, on dénombrait douze de ces camps. Aujourd’hui, il en existe au moins trente-deux répartis dans toutes les grandes agglomérations ainsi qu’en Guyane. D’une capacité nationale estimée à un millier de « places » (dont quasiment la moitié en région parisienne), les plus importants ressemblent à de véritables camps avec barbelés, miradors et garnisons, comme celui de Mesnil-Amelot (142 places), près des pistes de l’aéroport de Roissy, celui de Vincennes (134 places) construit dans une ancienne forteresse - celle de Gravelle dans le Bois de Vincennes - ou celui d’Arenc (72 places) dans la zone portuaire de Marseille. Les plus petits peuvent prendre l’aspect d’une simple cellule de commissariat ou de gendarmerie. Il faut ajouter à cela l’existence d’au moins 82 « zones d’attente » situées dans les aéroports, les ports et les gares métropolitaines et destinées à l’internement des étrangers qui sont interceptés par la Dicilec (ex-police de l’air et des frontières) lors de leur entrée irrégulière en France.

Qui décide de l’internement ? Dans un premier temps, les réfugiés interpellés dans une rafle ou lors d’un contrôle au faciès y sont placés sur décision administrative (policière) et non judiciaire. Au bout de 24 heures, l’article 35bis des lois Pasqua de 1993, revisité par la loi Chevènement, donne un tour judiciaire la procédure : les réfugiés sont alors conduits devant un juge de permanence. Celui-ci peut décider de les assigner à résidence, de les libérer ou de les maintenir en rétention jusqu’à « l’exécution de la mesure d’éloignement ». « Cette audience se tient, à Paris, dans un tout petit local du Tribunal de Grande Instance (...) dans lequel s’entassent le juge, le représentant de la préfecture, le greffier, l’étranger, l’avocat, l’interprète, les officiers de police... » témoignent les membres d’une mission d’enquête de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH) effectuée au printemps 19962. « La durée des audiences varie entre cinq et quinze minutes mais elles se déroulent invariablement de façon expéditive dans une atmosphère de travail à la chaîne », constate la mission. Pourquoi s’étonner alors que « le juge qui préside l’audience ne porte pas la robe ». D’ailleurs la majorité d’entre eux « ne se posent aucune question sur les conditions d’interpellation ou autres irrégularités ». « La France n’est pas un hôpital. Vous pouvez peut-être aller aux États-Unis. Il faut que vous trouviez un autre pays d’asile », déclare un juge à une sans-papier haïtienne, enceinte, lors d’une audience, le 6 mai 19973. « Il faut que vous fassiez votre vie en Algérie » expliquera ce même magistrat à un Algérien, père d’un enfant français. D’autres ne prennent pas le même ton paternaliste : « Vous êtes sans-papiers ? Vous vous appelez Mamadou ? Ah non, Ali ? ça se vaut… », propos entendus lors de l’audience du 7 juillet 1997... Résultat : chaque année, des dizaines de milliers d’étrangers sont envoyés en camps de rétention par une justice d’exception.

Que deviennent-ils ? Selon la Cimade (service œcuménique d’entraide), habilitée à pénétrer au sein de ces centres spéciaux, le plus important, celui du Mesnil-Amelot, voit défiler environ 7000 réfugiés par an. Un tiers d’entre-eux est expulsé, un tiers est emprisonné pour avoir refusé d’embarquer, les autres sont remis en liberté. Au total, en 1995, plus de 18 000 réfugiés ont été internés enFrance.

Difficile de savoir ce qui se passe à l’intérieur de ces camps. Le quartier pour hommes du dépôt de Paris, situé dans les caves de la préfecture, a longtemps été strictement interdit à tout observateur extérieur, associations ou avocats. Si un rapport du Comité européen pour la Prévention de la Torture (CPT) dénonçait dès 1991 les conditions d’internement de ce centre, il a fallu attendre quatre ans pour qu’une décision de justice impose sa fermeture en avril 1995. Décision qui est intervenue quelques jours après le tabassage d’un Algérien par huit policiers, un mois après le suicide d’un Marocain dans sa cellule et cinq mois après le viol d’un Algérien par un policier... Depuis, ce centre a été rénové pour la coquette somme de 24 millions de francs puis à nouveau ouvert.

Malgré la médiatisation de cette affaire, le secret continue d’entourer ces lieux. Un an plus tard, la mission d’enquête de la FIDH n’a pu en visiter que deux : celui de Nanterre (26 places) et celui d’Arenc. Les portes de ceux de Bobigny (28 places), de Lille (39 places) et du Mesnil-Amelot lui sont restés fermées. La partie immergée de l’iceberg... En septembre 1995, deux émeutes de réfugiés secouent les murs du centre de Nanterre. Fin août 1997, ce sont une cinquantaine de sans-papiers qui entament une grève de la faim au camp de Mesnil-Amelot. Selon un récent rapport du CPT, dans plusieurs centres, les réfugiés détenus sont privés de toute possibilité d’exercice en plein air. Une pratique digne de l’isolement carcéral, même si l’emprisonnement ne dure que douze jours. La FIDH, pour sa part, dénonce « l’omniprésence voire l’ingérence de l’administration et des forces de l’ordre à tous les stades de la procédure » : c’est bien un régime d’exception de fait qui est appliqué dans les centres de rétention. Quand on connaît les conclusions de la mission du CPT (printemps 1998) accusant la police française d’infliger des mauvais traitements aux personnes détenues, notamment d’origine maghrébine et africaine, on imagine l’ambiance qui règne au sein des centres de rétention administrative. À la sortie de ces camps, les méthodes ne changent pas.

Une fois dans l’avion, les expulsés sont menottés et attachés au siège, voir chloroformés. Un médecin du Service Médical d’Urgence (SMU) de l’aéroport de Roissy a même été accusé de leur administrer du Barnetil, un neuroleptique puissant mis en cause pour ses effets secondaires dangereux. L’État français ne lésine pas sur les moyens financiers pour mettre en œuvre sa politique xénophobe : le forfait-expulsion négocié avec Air France lui coûte 15 000 francs par opération, réfugié et escorte compris. Avec environ 400 expulsions par mois à l’aéroport de Roissy (selon la Dicilec), on atteint un budget « expulsion » de six millions de francs mensuels. Sans compter celles effectuées de Marseille. Quant au budget « rétention » on peut l’évaluer à près de 7 milliards de francs sur 10 ans.

Le reste de l’Europe n’est pas épargné par la multiplication de ces camps et des mauvais traitements qui y sont pratiqués. L’État belge a décidé d’allouer près de 300 millions de francs jusqu’en 2002 pour la construction de sept « centres fermés ». En janvier 1997, 200 demandeurs d’asile emprisonnés à Rochester (Kent, Angleterre) ont suivi une grève de la faim. Selon la National Coalition of Anti-Deportation Campaigns, près de la moitié des détenus y souffraient « de problèmes de santé mentale ou physique et de traumatismes dus à des tortures psychiques, à la malnutrition et à des conditions sanitaires déplorables ».

Malgré les protestations des défenseurs des droits de l’homme et de la femme et les actions directes contre la xénophobie d’État (collectif anti-expulsion en France, campagne contre les centres fermés en Belgique), l’Europe-forteresse et ses aspects les plus sombres se met irrésistiblement en place. Non contente d’avoir colonisé et dominé le monde, d’avoir instrumentalisé et entretenu la traite négrière et de continuer à piller les richesses planétaires, l’Europe capitaliste s’acharne à jeter ses immigrés après usage, en massifiant leur emprisonnement.

Plan du camp de rétention de Mesnil-Amelot, à proximité des pistes de Roissy

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