Retour accueil

AccueilAnalysesInternationale > Attac, ou l’imposture idéologique

Rechercher
>
thème
> pays
> ville

Les autres articles :


Novembre à Seattle, Pâques au RMI

Attac, ou l’imposture idéologique


Article paru dans le journal No Pasaran de novembre 99.

Au risque de passer à nouveau pour des empêcheurs de tourner en rond, il nous a semblé important de nous essayer à un regard critique sur le nouveau joujou de la "gauche mouvementiste" : la taxe Tobin.

En effet, suite à l’affaire José Bové, nous connaissons une tentative de mobilisation en règle contre la rencontre de l’Organisation Mondiale du Commerce de Seattle le 27 novembre. Les appels à la citoyenneté se multiplient et une tournée de conférences est organisée à travers l’hexagone alliant des leaders de la Confédération Paysanne à des économistes ou des militants d’extrême-gauche. C’est la naissance d’un consensus large, très large, puisqu’il mêle à la fois une partie de la gauche associative, internationaliste et extra-gouvernementale à des partis de la majorité plurielle, parfois ultra-souverainistes comme le Mouvement des Citoyens de Benito, pardon, J.P. Chevènement.


image 220 x 171L’idée est simple et séduisante : élaborer un contrôle citoyen de l’OMC à travers des groupes de pressions pour favoriser la prise en compte d’exceptions culturelles, agricoles, voire industrielles et d’agir pour une meilleure redistribution des richesses. C’est à cet instant qu’intervient l’Association pour la Taxation des Transactions financières et l’Aide aux Citoyens (ATTAC).

Du FMI. a l’OMC : agir sur la financiarisation

Auparavant, les luttes anticapitalistes se dirigeaient vers le F.M.I., le G7 (+1) et la Banque Mondiale, réclamant l’annulation de la dette du tiers-monde et l’arrêt de la libéralisation de l’économie. Cependant, un choc récent fera se tourner les mouvements vers l’OMC, successeur du GATT : l’Accord Multilatéral d’Investissement (AMI). Cet accord qui allait être ratifié par l’ensemble des grandes puissances donnait plein pouvoir à l’OMC pour réguler le marché mondial et finissait d’interdire aux peuples ou aux gouvernements nationaux toute intervention en matière de choix économiques locaux. Scandale lorsque la nouvelle est diffusée via Internet. Immédiatement, une campagne de presse et de pression politique force les dirigeants à renoncer à cette mesure trop violente bien que jugée inéluctable. Depuis, l’OMC est la cible démasquée du machiavélisme capitaliste. Et son contenu fait l’objet de négociations régulières, tel un supra-ministère de l’économie-monde.

En 1994, des économistes ainsi que des personnalités se réunissent autour d’une initiative d’Ignacio Ramonet, directeur du Monde diplomatique : ATTAC, ou taxer de manière infime les transactions financières pour en dégager un capital assez élevé pour le redistribuer aux populations défavorisées de la planète. Outre cet aspect charitable de la taxe Tobin, c’est la volonté de s’attaquer à la financiarisation du monde qui est affichée. Les membres d’ATTAC estiment que la spéculation est devenue l’espace majeur de création de richesses et que celle-ci échappe à tout contrôle ou impôt notamment en terme de contributions sociales. C’est exactement vrai. De plus, les bulles spéculatives prennent en otage les économies puisqu’elles sont totalement déconnectées, du moins en valeur, avec leurs performances réelles. Ainsi, lorsqu’il leur arrive "d’exploser", comme en Asie récemment, c’est une récession brusque qui flingue les structures économiques et sociales de régions entières, avec les habituelles conséquences : chômage de masse sans protection sociale = misère et esclavage. A travers la taxation de ces transactions, les économistes d’ATTAC souhaitent rétablir un équilibre et un brin de justice sociale. Ce qui ne peut être que louable à priori. Enfin, certains estiment que la taxe Tobin va agir comme un grain de sable dans les mécanismes de marché financier quand d’autres voient enfin une offensive contre les youpies des places boursières, jusque-là épargnés, voire intouchables.

Le mouvement ATTAC est lancé. Il est devenu très populaire parce que simple et réalisable. Il correspond également à une attente réelle d’une partie de militants ou de sympathisants en mal de revendications "sérieuses" après l’échec des idéologies communistes, du moins vécu comme tel à la chute du mur de Berlin. Surtout, c’est une réponse à l’arrogance capitaliste, à la fin de l’Histoire et à la pensée unique.

Cependant, aussi attirant soit-il, ATTAC n’en revêt pas moins nombre de contradictions qui nous font douter et de son efficacité, et de sa capacité à donner un souffle nouveau au mouvement social.

Et non ! Il n’y a pas de capitalisme à visage humain

La gôche au pouvoir nous fait croire qu’elle lutte contre la mondialisation quand elle veut moraliser ce système. Qui se leurre ? Alors qu’une partie de la majorité se retrouve dans ATTAC, qu’elle commence par donner des signes d’intentions de redistribution équitable des richesses et on ne les traitera pas d’opportunistes. Ou alors le calcul pour ATTAC est tout autre, et ses membres espèrent peser sur les choix gouvernementaux... D’ailleurs un groupe de 70 parlementaires s’est créé autour de l’idée de la taxe Tobin. Certains discours réclament sa mise en place au niveau européen à titre d’exemple pour le reste du monde. Ou alors s’agit-il de créer une zone Europe protégée, riche et fermée aux pauvres du Sud, que l’on continuera d’exploiter. Car la richesse de notre continent s’est bâtie sur les empires des vieilles puissances, ce qui lui permet aujourd’hui de rivaliser avec la zone dollar ou yen. La taxe Tobin ne peut rapporter qu’aux pays riches, puisque ce sont ses entreprises qui spéculent. Les pays sous développés contrôlent rarement des multinationales. Toujours est-il que la présence du MDC au sein d’ATTAC confirme une vision souverainiste, protectionniste et européano-centrée de la redistribution des richesses.

Alors à qui profite l’hypocrisie ? Aux 3 millions de chômeur-se-s et aux 5 millions de précaires dans le gouffre, à qui Jospin avait accordé 1 milliard après le mouvement de l’hiver 97 ? Ou aux patrons à qui Jospin accorde des milliards de réductions et dont la loi des 35h se soldera par plus de flexibilité et une annualisation toute au profit des entreprises ? Ou alors à celles et ceux qui croient au capitalisme solidaire ?

La taxe tobin, oui, mais a 99,05% !! C’est le minimum syndical !

En effet s’il y avait un capitalisme à visage humain, nul besoin de taxe Tobin, nul besoin de descendre dans la rue pour obtenir le revenu garanti, nul besoin d’exiger la gratuité des services sociaux...

Comment imaginer un mouvement lobbyiste conduit par un collège de citoyens éclairés qui régulerait la domination économique ? Lorsqu’on assiste aux conférences d’ATTAC, on est en pleine prise de la Bastille ! 1789, c’est reparti. Convoquer une assemblée constituante pour gouverner les intérêts des faibles. Si la république et son avènement a été une révolution politique, elle n’a pas été une révolution sociale accomplie. Mais là où on rentre en pleine science-fiction, c’est quand le berger rouge affirme "Il faut imposer un contrôle citoyen de la dictature des marchés" (occupation de Vivendi ven. 15-10-99). A quel moment l’Histoire a-t-elle montré que des citoyens pouvaient contrôler une dictature ? C’est un non-sens qui cache mal le fouilli idéologique et pratique de cette fin de siècle. Soit, l’intention est là, mais rien ne sert de s’emballer. Il semble préférable d’imaginer un système de groupes de base de citoyens, fédérés entre eux, déterminant leurs besoins et exigences en matière de cadre de vie, et d’organiser la production en ce sens. Reprendre le pouvoir, ce n’est pas le laisser à une élite plus généreuse, c’estpouvoir contrôler la mise en place des décisions qui ont été déterminées à la base.

De plus, imposer une taxe affirmée indolore sur les marchés financiers ne combattrait en rien l’ordre social imposé par le capitalisme mondialisé. Quelle convergence d’intérêt entre un patron de PME-PMI et un salarié alors que tous deux peuvent être pour la taxe Tobin ? En effet, ATTAC s’ouvre de plus en plus aux petits patrons "victimes" de la mondialisation (adhésion : 1000 frs l’année pour ATTAC 49). On voit bien ici qu’une mesure de contre-balancement des marchés financiers ne remet pas en cause la domination économique quotidienne et le système d’accumulation de profits sur le dos des employés. Évidemment, l’objet d’ATTAC n’est pas de produire une mesure révolutionnant l’ensemble de la société. Cependant, nombre de ses adhérents se satisferaient bien d’une gentille mesure de partage d’un bout de gâteau en échange de la paix sociale...

Continuons. Quelle remise en cause des rapports Nord-Sud quand l’immigré expulsé se retrouve côte à côte avec ses expulseurs du MDC dans les conférences ou sur les tracts (à Nantes, par exemple) ? A vouloir faire des grand-écarts pour façonner l’unanimité, on en arrive à des absurdités dangereuses qui passent malheureusement inaperçues tant l’autosatisfaction est béate dans les meetings. Cela révèle une nouvelle faiblesse du contenu du projet ATTAC qui nous enthousiasma jadis.

"We don’t want just a cake, we want all the fucking bakery !" class war.

Simplement, nous ne sommes pas des rabat-joie -quoique parfois...- mais remettons les choses à leur place. Tobin est un économiste certainement brillant, sa taxe n’est pas une mauvaise idée, mais aller en faire le point central d’un mouvement qui se réclame de l’anticapitalisme, alors là on peut confier sa mère à garder à Robert Hue ! Les économistes politiques qui font la promotion d’ATTAC se réfèrent aux théories keynésiennes, qui veulent qu’en distribuant des sous aux pauvres, cela permette de relancer la consommation, et donc de faire prospérer les entreprises. Keynes n’était pas de gauche. Ces analyses et propositions ont régulièrement été utilisées par la gauche politique et par les centrales syndicales type C.G.T., dans une optique du "mieux vivre" en faisant un compromis avec les capitalistes. Ni plus, ni moins.

Or, les théories de Keynes ont fonctionné tant que la croissance économique s’appuyait sur le plein-emploi notamment, pendant la période dite des "trente glorieuses". Entre 1981 et 1983, lorsque la gauche au pouvoir a voulu resservir la sauce, la crise était là et il leur a fallu mettre en place une politique de rigueur. Or, jusqu’à preuve du contraire, nous ne sommes pas sortis de cette foutue crise. De plus, les économistes passent leur temps à nous expliquer que la spéculation se fait sur de l’argent dont la valeur est virtuelle (bulles spéculatives). Comment taxer et redistribuer un argent qui n’existe pas ?

Alors pour celles et ceux qui croient en s’engageant dans ATTAC franchir un pas dans la radicalité, halte-là ! Il est heureux que les gens aient envie de bouger, de s’occuper des affaires de la cité, mais pour changer ce monde, c’est un harcèlement quotidien des dominations auquel il faut s’adonner : sexisme, racisme, exploitation, hiérarchie, compétition, etc.

La question du partage des richesses est une question de lutte des classes, à la base, et la citoyenneté active reste l’engagement militant pour gagner le rapport de force nécessaire à la satisfaction de nos revendications. La mise en place de mesures de redistribution des richesses découlera de nos luttes, pas l’inverse ! Ne nous leurrons pas dans le sentiment d’être des acteurs sociaux majeurs en adhérant simplement à un groupe de pression. Dans nos collectifs de lutte, nous expérimentons déjà d’autres rapports humains développant l’entraide, l’égalité homme-femme, l’autogestion et l’autonomie individuelle. Ce sont les bases minimum de la construction d’alternatives antagonistes à la sauvagerie libérale.

De la mal-bouffe comme symptôme

La mal bouffe est aussi un problème social qui nécessite lutte locale de terrain et combat international. Le Comité anti-OGM de St.-Nazaire (44) multiplie les interventions pour dire STOP aux importations d’OGM. Des bateaux qui contiennent tout et n’importe quoi arrivent sur les quais de St-Nazaire avec la bénédiction du gouvernement. Un gouvernement gôche plurielle, qui n’a de cesse, de scandales en scandales, de revendiquer la sacro-sainte traçabilité dont nul acteur local ne se charge de contrôler la réalité.

Ceci est d’autant plus alarmant, à nos yeux, que là encore, ce sont ceux qui en ont les moyens qui peuvent s’offrir des produits de qualité alors que les plus pauvres n’ont qu’à se ravitailler dans les supermarchés pour pauvres.

Au niveau de la planète, même punition. Et même combat à mener : celui du partage équitable des richesses. Face aux multinationales super-organisées, la solidarité internationale reste bien faible malgré les zapatistes, la marche des Indiens en Europe au printemps dernier... Pourtant, plus que jamais quelques Etats servent de bras armé afin de faire respecter les délires de l’Organisation commerciale du monde (pas l’OMC, non, non !). Jusqu’à quand laisserons-nous faire ?

Pimprenelle et Richard

image 126 x 65


No Pasaran 21ter rue Voltaire 75011 Paris - Tél. 06 11 29 02 15 - nopasaran@samizdat.net
Ce site est réalisé avec SPIP logiciel libre sous license GNU/GPL - Hébergé par Samizdat.net