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Juin-Juillet-Août 2002
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S’associer pour mieux résister


La peur n’écarte pas le danger... La lobotomie médiatique pour dénoncer l’es abstentionnistes et dans une moindre mesure celles et ceux qui avaient voté pour l’extrême gauche a eu un effet dévastateur, même dans les rangs libertaires et radicaux. Mais la question essentielle n’est peut-être pas celle du vote mais de l’absence d’une alternative, d’une incapacité à penser contrer les idées d’extrême droite sur le terrain social et politique. Que la gauche (les chances sont maigres) ou la droite remportent les législatives de nombreuses échéances sont à venir où les libertaires éclatées auront dû mal à faire entendre leur voix s’ils ne réussisent pas à faire converger autour d’idées novatrices leur force.


Au sein du milieu libertaire plusieurs raisons ont été évoquées pour se rendre aux urnes le 5 mai en dehors des motivations d’ordre émotionnelle que l’on peut légitimement comprendre tout en les trouvant non justifiées par les faits ; la première était que l’extrême-droite récolte un pourcentage important (au-delà des 30%) ; l’autre idée étant de noyer le score de Chirac.

- Il n’y avait aucun danger de voir Le Pen faire un score de plus de 25%. Toutes les composantes de la société (corps institués, associations, syndicats, patrons, etc.) ont appelé à voter contre le Front national. Ce dernier n’arrive toujours pas à percer dans les milieux socio-professionnels à la différence de ces idées qui, elles y sont très présentes. En second lieu, le Front national reste inscrit dans sa marginalité du fait des positions de son leader. C’est bien ce que nous avions souligné lors de sa scission en 1998 et que vous pourrez lire dans le dossier central de ce numéro de No Pasaran. -"Noyer" Chirac dans un score "soviétique" pour qu’il gouverne sans pouvoir mener une politique sécuritaire était l’un des leitmotiv ; à ce niveau il fallait vraiment se mettre le doigt dans l’œil (de Le Pen) pour penser que le consensus sur ce sujet ainsi que sur celui de l’immigration au sein de la classe politique (droite et gauche plurielle en dehors des Verts), tant dans l’hexagone que dans l’Europe nous éviterait d’entendre des déclarations de guerre de Sarkozy contre les banlieues ou la mise en place d’une police européenne des frontières, voire l’usage de bâteaux de guerre dans les eaux méditerranéennes comme le propose le "social-démorate" T. Blair. C’était oublier toutes les analyses faites ces vingt dernières années.

- Un autre argument était de ne pas se "couper des masses". Il est aussi problématique car il ne permet pas de replacer dans un contexte global ce score qui est dans la réalité plus la démonstration de l’implosion de la gauche plurielle qu’un succès du FN. De plus au vue du poids électoral qu’ont les libertaires... il est peut-être plus important de consacrer nos efforts sur l’information et la réflexion critique, sur des questionnements, sur des interrogations, sur la mise en place d’un Front social que sur un Appel à faire barrage à l’extrême-droite dans les urnes qui s’inscrit dans la pensée unique sur les moyens non pas de combattre le FN, mais de faire de l’anti-lepénisme. Pour être pragmatique jusqu’au bout, ne va-t-il pas falloir appeler à voter dans toutes les élections où le Front national s’implante sur un terrain local ? Car là le danger n’est pas seulement fantasmé, il est réel : dans le Vaucluse, dans le Gard, dans les Bouches-du-Rhône, entre autres, faut-il allier à la lutte antifasciste radicale une expression électorale et de quelle sorte ? Cette réflexion a échappée à tous les textes libertaires appelant à voter... Et pourtant il se posera lors des législatives et sûrement encore plus lors des régionales à venir.

Les difficultés à construire un Front social antifasciste

Au soir du 21 avril, le Réseau No Pasaran soulignait l’importance de la mise en place d’un Front social antifasciste pour que se construise un camp en rupture avec le Front républicain, qui place au centre de sa réflexion et de son action, la question sociale et anticapitaliste et refuse d’absoudre la gauche plurielle. Une fois encore comme depuis vingt ans, l’extrême gauche - en dehors de Lutte ouvrière - s’est empressée de signer avec le Parti socialiste. Depuis trois ans, les mouvements antifascistes de gauche avaient soit disparu, soit s’étaient assoupis. On vient de les redécouvrir dans tous les journaux, les remettant au premier plan de la lutte antifasciste, oubliant bien évidemment les mouvements radicaux qui ne s’étaient pas redécouverts une âme antifasciste le soir du 21 avril. Le plus important d’entre eux Ras l’Front avait eu du mal à survivre à la scission du Front national, en dehors des collectifs et d’individus qui avaient bien saisi toute l’importance de ne pas faire de la lutte antifasciste un simple appendice électoral pour la gauche et l’extrême gauche. Le mouvement Ras l’Front va bénéficier de l’engagement d’une toute une partie de celles et ceux qui ont pris conscience d’un danger le 21 avril. Pour autant on peut rester sceptique sur le fait que Ras l’front choisisse de s’engager dans une lutte antifasciste en rupture avec la gauche. La Ligue communiste révolutionnaire, véritable ossature de ce mouvement, se gardera bien de choisir cette ligne, qui irait à l’encontre de son travail de reconstruction d’une force "vraiment" à gauche.
Au soir du 5 mai, le communiqué de Ras l’Front disait "Le Pen battu, l’essentiel reste à faire. Il faut maintenant engager un corps à corps d’idées et de valeurs, se réapproprier l’espace public, lutter pied à pied dans les quartiers, les entreprises, les villages, les écoles. Opposer aux solutions démagogiques du Front national, nos solidarités, nos combats, nos désirs. Il n’est pas trop tard, il n’est pas non plus trop tôt." Si les responsabilités de celles et ceux qui ont été au pouvoir entre 1997 et 2002 sont évoquées, on se garde bien de nommer directement la gauche plurielle. A aucun moment Ras l’Front évoque l’idée de construire un Front antifasciste avec d’autres forces antifascistes existantes. Tous ses regards sont encore une fois tournés vers cette gauche qui, pour faire plaisir « gauchisera » quelques-uns de ces discours.
Lutte ouvrière a refusé d’appeler à voter contre Le Pen avec des motivations proches de celles énoncées par les antifascistes radicaux. Pour autant, il reste toujours impossible d’entrevoir des espaces communs d’action avec ce mouvement qui préfère se retrancher dans sa tour d’ivoire ouvriériste, que de se mélanger avec d’autres. La Ligue communiste révolutionnaire dont l’opportunisme n’est plus à démontrer, a su faire évoluer sa position tout au long de ces quinze jours au gré du rouleau compresseur médiatique. Faire barrage à l’extrême droite dans la rue et dans les urnes, reconstruire une force de gauche semble correspondre à une attente certaine chez celles et ceux qui se sont engagées ces dernières semaines et joue sur des franges du Parti socialiste et du Parti communiste qui voudraient voir émerger une force politique nouvelle à gauche, que certains nomment "pôle de radicalité".
Chez les libertaires, Alternative libertaire tout en développant une loggorhée pour la mise en place d’un Front social* a dans de nombreuses villes participé aux collectifs républicans contre l’extrême droite qui se sont (re)constitués. Opérant un virage à 180° avec leur positionnement d’avant le premier tour et leur volonté de se situer dans un camp en rupture avec la gauche -campagne pour l’abstention : par exemple à Toulouse au soir du premier tour, l’Alternative libertaire a stoppé la campagne demandant à la Fédération anarchiste de ne plus diffuser le matériel de campagne-, on a pu voir dans une ville comme Nantes, le représentant d’Alternative libertaire, supplier le Scalp de se mettre derrière le Parti socialiste pour garder l’unité du mouvement... L’Organisation communiste libertaire, si elle n’a pas émis d’avis en tant qu’organisation, a publié un texte dans son journal Courant Alternatif (n°119) en utilisant un drôle de concept à savoir l’inutilité des manifs "La participation aux manifs anti-Le Pen pose deux problèmes : Le premier est que si manifester contre le fascisme avait une quelconque utilité, depuis le temps que nos antifascistes – démocrates et/ou radicaux – le font, le Pen n’aurait pas dû obtenir 17 ou 19 %...." (Mai 2002 CA 119). Avec ce type d’argument on risque de ne plus manifester souvent ni contre le nucléaire, ni en soutien au peuple palestinien, etc. ! Du côté de la CNT, l’appel à la grève générale contre l’extrême droite et à un positionnement lutte de classe contre le fascisme ne souffrait d’aucune ambiguité sur les responsabilités de la gauche et d’un positionnement clair pour mener la lutte.
Il y a besoin impérieux de souder les forces libertaires dans un cadre de convergence comme l’avait très bien noté l’Appel pour l’unité du mouvement libertaire lancé l’année dernière par R Noël, JM Raynaud et JC Berrier et signé par plus de 500 personnes. Sachant que les véritables dangers sont devant nous : durcissement des politiques sécuritaires, criminalisation des désobéissants, criminalisation des pauvres, libéralisme encore plus prononcée, etc. et pour ne pas rester à la traîne des forces de gauche, il faut que les libertaires rendent visible et lisible une autre lecture de la situation politique et compréhensible des revendications communes sur des thématiques sociales et sociétales. Et cela dans une optique d’ouverture vis-à-vis des forces associatives et syndicales. Les sujets ne manquent pas : retraites, campagne contre la précarité, pour la gratuité, pour la libre circulation, etc.
Pour que dans les années à venir le choix ne soit pas entre la peste et le choléra, pour que l’on n’en soit pas réduit à voter Mégret contre Le Pen... pour que des alternatives concrètes et quotidiennes prennent corps dans la société, pour que les résistances s’amplifient, les libertaires ont intérêt à s’associer pour redonner vie à des utopies émancipatrices.

Laurent

* Un texte en dix points d’Alternative libertaire "pour la constitution d’un Front social, pour une Alternative" revient sur les raisons de la montée du Front national. On remercie Alternative libertaire pour son appel à favoriser la création ou l’engagement de militants dans les Scalp... !!!
** Pour toutes celles et ceux qui veulent avoir les brèves des groupes sur les mobilisations antifas, allez sur le site No Pasaran
***La violence et les actes fascistes se sont multipliés ces dernières semaines à l’occasion des législatives, notamment à Nîmes (trois incendies criminels), et à Paris.


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