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Juin-Juillet-Août 2002
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Chiapas

Une autonomie en construction


Durant la deuxième quinzaine d’avril, nous sommes une dizaine du CSPCL (comité de solidarité avec les peuples du Chiapas en lutte), du CSIA (comité de solidarité avec les indiens des Amériques) et de la CNT à nous être rendus au Chiapas suite à l’invitation qui nous avait été faite l’été dernier par l’école secondaire rebelle autonome d’Oventic. Nous avons eu la possibilité de nous rendre dans plusieurs communautés, de discuter avec différentes personnes nous permettant d’appréhender de manière plus précise la situation actuelle.


Celle-ci se caractérise d’une part par la présence toujours accrue de paramilitaires, avec plus récemment l’apparition supplémentaire d’escadrons de la mort notamment dans la " zona norte ". D’autre part le gouvernement (fédéral mais surtout celui de l’Etat du Chiapas de Pablo Salazar Mendiguchia, gouverneur élu l’an dernier avec le soutien de tous les partis contre le candidat du PRI) met en œuvre actuellement une stratégie dite de contre-insurrection civile. Ainsi à chaque fois que les zapatistes développent un projet, par exemple d’école ou de clinique, le gouvernement construit à coté une autre école ou une autre clinique, mieux dotée, mieux équipée pour attirer la population. Les paramilitaires de Paz y Justicia développent de même des activités civiles comme des coopératives de transports en commun ou de café afin d’acquérir une nouvelle légitimité. Sans oublier le travail habituel fait par les employés du gouvernement dans chaque foyer des communautés pour convaincre les familles, généralement en échange d’avantages matériels, de revenir dans le giron gouvernemental.
Ce fut notamment le cas dans la communauté de Roberto Barrios, où se trouve une Aguascalientes zapatiste, l’an dernier. Ceux avec la conviction la moins affirmée, comme nous le relatèrent les autorités de ce village de deux ou trois cents personnes, épuisés par des années de lutte et de pression violente au quotidien abandonnant le mouvement zapatiste, le travail de sape gouvernemental aboutit à une division accrue de la communauté.
Roberto Barrios. Zona Norte près de Palenque. Nous nous rendons dans cette communauté pour deux raisons. D’une part nous avons rencontré à San Cristobal un homme de cette communauté venu là dans le cadre du Chiapas Media Project (association qui fournit aux membres des communautés une caméra afin de filmer les pressions dont ils sont victimes quotidiennement et qui les aide à monter les images ensuite). Il nous décrit une situation très difficile avec des intimidations quotidiennes (telles que des tombes creusées dans les champs de maïs des zapatistes que ceux-ci trouvent le matin) ou pire le meurtre d’un paysan en mars. Il nous dit aussi qu’il serait très important pour les gens de cette communauté que des gens viennent de l’extérieur à la fois pour relayer ensuite l’information et pour leur faire sentir une présence solidaire. La deuxième raison était que des informations faisaient état dans cette communauté d’une école secondaire autonome développant un projet similaire à celui d’Oventic (il s’avérera que cette école n’est qu’en construction). Nous arrivons donc dans un village perdu au milieu de la jungle (accessible seulement par la bétaillère du village et deux heures de route sur des chemins défoncés en saison sèche et à pied lors de la saison des pluies) ou de manière étonnante mais récurrente au Chiapas la tension largement perceptible est compensée par un accueil d’une grande chaleur. Il y règne une impression de sérénité comme si (impression personnelle) la richesse du projet commun collectif permettait de dépasser la violence du quotidien. Lors d’une longue conversation, les gens de la communauté nous ont relaté la pression paramilitaire, la stratégie de contre-insurrection et aussi la pression gouvernementale dans le cadre du Plan Puebla Panama. Rappelons que ce plan " d’intégration économique ", à l’échelle de l’Amérique Centrale et dans la plus pure tradition, capitaliste vise à développer toute une série d’infrastructures (canal, route, pont, chemin de fer) pour faciliter l’accès de nos bienveillantes multinationales aux ressources locales(minières, de la biodiversité ou d’une main d’œuvre bon marché), bien entendu pour développer ces contrées déshéritées et pour apporter plus de richesses à ces pauvres gens ! Une de ces ressources étant le tourisme, le village de Roberto Barrios a la malchance d’avoir à quelques minutes à pied de magnifiques cascades d’eau serties dans un écrin de verdure. Et quel magnifique projet a-t-on eu pour ce village, perdu donc au fond de la jungle ? La construction d’hôtels et de golf. Je laisse à chacun le soin d’imaginer les ravages sur la communauté remarquablement structurée socialement (sans parler de l’environnement) de meutes de touristes. Roberto Barrios n’est pas un cas isolé, des individus circulent actuellement dans toute la région à la recherche de sites remarquables pour monter des projets de ce type.
Ce Plan Puebla Panama nécessite la pacification des régions à exploiter. Ceci explique pourquoi une des zones où la situation est des plus tendues est celle de la réserve de biosphère de Montes Azules. Cette réserve forestière de plus de 300000 hectares est un des centres les plus riches en biodiversité de la planète et une des plus grandes zones de forêts tropicales restant en Amérique Centrale. Cette richesse suscite de nombreuses convoitises notamment de la part des entreprises spécialisées dans la " biopiraterie " et le génie génétique. Le gouvernement accuse donc les communautés se trouvant dans la région (et dont un certain nombre comme par hasard sont zapatistes) de porter atteinte à l’intégrité de cette forêt par leurs pratiques agricoles de culture sur brûlis et veut donc les déplacer hors de cette région.
Quand on sait que la déforestation est la conséquence directe de la présence des sinistres monterias rendues célèbres par les livres de Traven dans la première partie de ce siècle, on mesure l’hypocrisie de vouloir imputer aux pratiques ancestrales de quelques centaines de famille la disparition de ces forêts. (Surtout que pour avoir observé ces cultures sur brûlis autour de Roberto Barrios, elles sont très loin, quand elles sont maîtrisées et effectuées en nombre raisonnable, d’avoir les conséquences dévastatrices des entreprises forestières multinationales).
La situation est quelque peu différente à Oventic, autre Aguascalientes, beaucoup moins isolée, sorte de vitrine voyant passer beaucoup de monde. Nous y sommes allés essentiellement pour discuter du projet d’école secondaire rebelle autonome. Celui-ci est passé du stade de projet à la concrétisation depuis déjà l’an dernier. Et c’est environ 80 élèves qui sont cette année en deuxième année alors qu’une centaine sont entrés en première année. Elèves qui au bout de leur cursus de trois ans retourneront dans leur communauté pour y remplir la fonction de promoteurs d’éducation auprès des enfants afin de leur donner une éducation en accord avec leur culture indienne et non avec celle du gouvernement.
Enfin un des derniers projets que nous avons pu observer est celui de la coopérative de café de Mut Vitz, située non loin d’Oventic dans le municipe d’El Bosque. Cette coopérative regroupe 700 producteurs zapatistes qui produisent un café biologique arabica. En but eux aussi à la répression gouvernementale (plusieurs morts ces dernières années) et à la pression économique (chute des prix du café, manœuvre des autorités. Celles-ci, sous couvert d’un programme d’élimination du café de mauvaise qualité (alors que le café Mut Vitz est un café arabica très bon) propose à la coopérative de lui racheter à bas prix une partie de sa production si elle accepte de lui céder gratuitement une autre partie pour qu’il soit éliminé), la coopérative tire une bonne partie de ses ressources de l’exportation de plusieurs tonnes de café à destination des Etats-Unis et de l’Europe. Ce café est vendu ensuite essentiellement par l’intermédiaire des réseaux de solidarité.
Une réflexion plus personnelle pour terminer. Nous passons beaucoup de temps nous autres libertaires ici en discussion, débats…, souvent sur des questions très théoriques débouchant parfois sur des querelles dont la nécessité, je l’avoue, m’échappe parfois. Les communautés indiennes en rébellion, si elles font sans doute des erreurs, si elles sont certainement parfois éloignées de certains principes libertaires (même si sur l’écoute de l’autre, la prise de décision au consensus, la place donnée aux femmes, etc… elles pourraient en remontrer à beaucoup) ont l’immense mérite de mettre en œuvre concrètement leurs idées. Malgré une répression sans commune mesure avec celles que nous pouvons vivre, elles essayent de construire au quotidien leur autonomie, leur projet, une société en rupture totale avec le libéralisme. Ici même, dans un contexte complètement différent certes, pourraient naître plus de projets alternatifs, pourrait être dépensé plus d’énergie dans la tentative de faire émerger des projets concrets, tels que des coopératives ou autres, en opposition eux aussi au monde capitaliste.

F.-X.


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