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Juin-Juillet-Août 2002
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Wesh Wesh


Le jeudi 2 mai, nous recevions lors de l’émission du Scalp-Reflex, Rabah Ameur-Zaïmeche et Madjid "Madj" Benaroudj qui ont co-écrit le scénario de « Wesh Wesh qu’est-ce qui se passe ? » Rabah et Madj, également responsable d’Assassin Productions, nous ont parlé du film et de ce qu’on peut y déceler. Résumé de cette discussion sur les ondes de Radio Libertaire.


No Pasaran : D’où vient l’idée de faire Wesh Wesh ?
Rabah : L’idée de faire un film remonte à 94, après nos études d’anthropologie urbaine. On voulait faire un travail de recherche sur la territorialité des minorités en milieu urbain. On ne l’a pas fait… ça a donné Wesh Wesh par contre.

Y avait-il une réelle volonté de rester indépendant des circuits classiques de production ?
Madj : C’était surtout une nécessité. Parce que le cinéma est un monde impitoyable, qui fonctionne avec des cadres assez rigoureux. Il n’y a pas tellement de place pour des initiatives nouvelles. Pour que le projet existe, il n’y avait plus qu’à prendre le truc à bras le corps et à se lancer, Rabah l’a fait !
R : Je crois que dans la vie, si à un moment on veut réellement faire aboutir ses rêves, on ne peut tenir compte que de nos propres forces. ça évite d’avoir des regrets envers les autres.

Quelle était l’idée de départ ?
R : Nous, on voulait transmettre un savoir. On avait l’impression que le savoir qui nous était dispensé à l’université n’était décerné qu’à une élite. Si les chose doivent changer, on pense que ce savoir doit être transmis de manière beaucoup plus large. Pour cela le cinéma a une force extraordinaire.

Est-ce un film engagé ou libre ?
R : Je préfère le terme de liberté.
M : On voulait raconter une histoire basée sur les tourments auxquels peuvent être confrontés les populations des quartiers. La base a été de partir d’un personnage frappé de la double peine. ça rentrait dans une préoccupation de narration intéressante et politique. Ce problème est au cœur d’un combat de longue haleine dans les milieux associatifs de l’immigration. On a toujours été persuadé qu’à travers de belles fictions on pouvait parler aux gens en terme politique… sans forcément tomber dans le pamphlet ou dans le tract cinématographique.

Etait-ce une volonté de ne pas être donneur de leçon mais plutôt d’apporter un témoignage ?
R : Un constat établi sur des faits sociaux incontournables. On sait depuis longtemps que ce sont toujours les mêmes qui sont visés : ceux qui font partie des classes les plus déshéritées.

Tu racontes que dès le début du tournage vous avez mis le scénario de côté et vous avez tourné au feeling…
R : Oui, mais avant de travailler sur la spontanéité, il y a eu un travail très rigoureux de répétition pendant tout un mois. On a pratiquement appris le scénario par cœur. Une fois assimilé, on a pu s’en libérer.

ça n’a pas été trop dur de canaliser cette énergie ?
R : ça se canalise avec beaucoup de gentillesse. Le plus important c’est de savoir regarder dans le cadre. Là, c’est la liberté. Il y avait plein de mômes qui passaient en arrière-plan et qui on fait des choses fulgurantes. Je suis plein de gratitude envers ces petits lascars.

Certains flics, dans le film, on le visage brouillé. Est-ce que ce sont de vrais flics que vous avez filmé sur les lieux ?
R : Non, les seuls comédiens professionnels ont les rôles de keufs. C’était à eux de représenter les forces répressives de la nation. On les a mosaïqués pour les montrer du doigt à notre tour.

Le film plonge le spectateur en situation. On est coïncé là-bas sans savoir ce qui va arriver dans les cinq minutes, ni à long terme.
R : C’était complètement délibéré. Notre volonté était de nourrir la réflexion du spectateur, de l’interpeller par son intelligence et non pas de le flatter comme on le fait souvent à travers un spectacle aberrent et nuisible.

Est-ce une nouvelle forme d’expression du mouvement hip hop ?
M : Le cinéma est un outil culturel. Il peut voyager au travers différentes mouvances. La culture de l’image est quelque chose d’inhérent à notre société. L’évolution des technologies fait qu’avec du matériel léger on peut faire des films. Et l’image devient un support important, dans la culture hip hop.
R : Je crois que c’est aussi l’aboutissement d’une culture dans tous les champs artistiques. ça a commencé avec le rap, la danse ou le graph. Aujourd’hui Wesh Wesh est l’expression d’une maturité cinématographique de la culture urbaine.

Wesh Wesh semble prendre le contre-pied de la vague médiatique qui a déferlé pendant la campagne présidentielle. Etait-ce volontaire ?
M : Il faut replacer l’histoire de Wesh Wesh dans son contexte. Le scénario est né en 94. La déferlante médiatique et idéologique qui s’est abattue à l’aube des élections présidentielles n’était pas vraiment calculée dans notre calendrier. Ce qui est révélateur, c’est qu’un scénario écrit il y a 8 ans, reste d’actualité. Aujourd’hui, les préoccupations des classes populaires, du sous-prolétariat, sont en réalité les seules choses qui n’ont pas été discutées pendant ces élections. Il n’y a pas l’amorce d’un règlement. Le 1er tour, au niveau du débat, a été totalement vide. Le deuxième tour, avec ce qu’on sait, va être encore pire. C’est Chirac élu sur rien… pas de bilan… pas de projet de société.

Peux-tu développer sur l’économie parallèle liée au shit ?
R : Souvent à l’extérieur des cités on a l’impression que ceux qui y vivent sont décérébrés, qu’ils n’ont pas conscience de leur position sociale. En réalité, ils savent pertinemment qu’ils sont les dominés dans les rapports sociaux. Ils n’ont pas besoin de vendre leur force de travail pour être intégrés. Maintenant, pour être intégré, il faut consommer. A partir d’une frustration liée à la consommation, certains sont prêts à rentrer dans un système délinquant, dans quelque chose de très dangereux. Le business représente le système capitaliste ultra-libéral. Les mecs s’en battent les couilles des idéologies contestataires. Ce qui prime c’est l’argent pour s’acheter les objets qui permettent de correspondre à la société de consommation. En même temps, cette économie fait tenir les bâtiments.
M : Au-delà de ça, il y a la précarité sociale et économique. Au-delà de porter des Nike, il y en a qui n’ont pas d’autres alternatives pour fonctionner. C’est pas forcément le cas général, mais ça existe.

Le film ne fait pas d’angélisme sur les rapports de pouvoir dans les cités, la violence. Ton personnage, Madj, vit quelque chose de très dur.
M : La moindre complaisance glisse très vite vers la démagogie. Si on n’a pas de complaisance vis-à-vis de la police et des institutions… il n’est pas question d’en avoir vis-à-vis des nôtres. Quand on parle du business du shit, on ne peut pas glorifier ça. Il y a l’exemple du personnage que je joue. Ce sont des situations de règlement de compte qui peuvent glisser dans une espèce de folie, proche de la barbarie. ça gonfle les rubriques « faits divers » du Parisien. C’est ce qui explique cette envie d’absence totale de complaisance avec ce qui ne le mérite pas.
R : Le fait que les lascars soient matin et soir dans leurs cages d’escaliers à vendre leur barrette les entraînent très loin d’une quelconque prise de conscience politique. Il n’y a que l’argent qui les intéresse. On ne peut pas le défendre.

Sur l’insécurité, le film casse la peur sur laquelle Le Pen a fait ses voix, la peur de ce qu’on ne connaît pas. Le film montre que l’insécurité est à la fois sociale et la violence des flics au jour le jour.
R : Oui, il montre bien que la violence et l’insécurité, c’est les forces de l’ordre qui les mettent en place. Leur omniprésence est un outil dans la lutte des classes. C’est une volonté de vouloir stigmatiser une population, en la rendant dangereuse. L’insécurité c’est de vivre dans la précarité, dans l’exclusion.

Dans la brochure du film, tu parles de la destruction des grands ensembles comme d’une erreur. La plupart du temps on nous le décrit comme positif. Tu prends le contre-pied en regrettant qu’on détruise au lieu d’améliorer. Pour toi, ces ensembles font-ils partie d’une histoire ?
R : La classe dominante voulait absolument effacer du paysage urbain les bidonvilles. Pour ça ils ont eu une superbe idée : la cité radieuse. Il y a eu beaucoup d’espoir. L’idée était de déplacer les populations des bidonvilles vers ces grands ensembles. De leurs donner accès à un confort sanitaire élémentaire… et nécessaire. ça a changé beaucoup de choses. Aujourd’hui, on tend à mépriser ces bâtiments. On les trouve laids alors qu’ils sont fonctionnels. Plutôt que de les briser à coup de dynamite et de millions de francs, je pense qu’il faut prendre en considération la population qui y vit. La volonté farouche de la classe dominante de vouloir détruire les quartiers populaires a une fonction précise : briser la solidarité entre les habitants. C’est par cette solidarité que peut naître une prise de conscience collective. Impossible si les gens sont séparés… que tous les 20 ou 30 ans on détruit leurs quartiers. Au début du XXe siècle, Paris était infesté par les classes populaires et il a fallu les expulser en banlieue. C’est ce qui se produit actuellement avec les grands ensembles. On les détruit car on a peur des liens sociaux que les gens ont mis des années à constituer.

On est frappé par la différence entre les extérieurs délabrés des bâtiments et les intérieurs soignés.
R : Tu sais si l’extérieur est complètement dégradé c’est parce qu’on a déresponsabilisé les habitants. La plupart des décisions viennent d’en haut, sans prendre en compte l’avis de ceux qui y vivent. A partir du moment où les gens décideront par eux-même de leur avenir, ça se passera beaucoup mieux. C’est pour ça que pour nous la démocratie n’a aucun sens si elle n’est pas à l’échelle locale.

Propos recueillis par Pirouli et Niouf


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