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Juin-Juillet-Août 2002
> Ils ont voté... ils vont voter !

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Ils ont voté... ils vont voter !

par Maurice Rajsfus



Retour des urnes. Avant de s’y rendre à nouveau. Tous ont la gueule de bois. D’avoir déposé un bulletin Chirac dans l’urne leur a sûrement coupé l’appétit. On leur avait tellement seriné, durant quinze jours que l’abstention équivalait à voter Le Pen, que leur petit bout de papier était emprunt de cette conviction républicaine qui sied tant aux partisans de la politique du moindre mal. En l’occurrence, le choix consistait entre un fascisme à la française, sans base sociale visible, et un Etat autoritaire s’appuyant sur les oripeaux de la démocratie formelle. Il faut choisir le choléra, disaient les bons esprits, parce que la peste n’est pas guérissable. Qui se serait risqué à passer outre un tel ukase ?

Ils ont donc voté en masse pour Chirac, pour rappeler à l’homme aux valises farcies de billets de banque que la France des droits de l’homme le considérait comme l’unique recours, à un moment donné, pour sauver la démocratie. De fait, la gauche convenable était certainement la plus ardente dans cet appel à soutenir celui qui, il y a onze ans, expliquait avec un sourire carnassier qu’il ne supportait pas « le bruit et l’odeur » des immigrés. Le même habile homme qui, faisant de l’esprit rugueux, entre deux bières, se laissait aller à expliquer que les promesses n’engagent que ceux à qui elles sont destinées.

En tête du peloton, nos socialistes en peau de lapin se sont évertués à vouloir nous faire croire, durant cinq ans, que nous vivions dans un Etat où le libéralisme avancé, et le mondialisme raisonné, feraient le bonheur des français. En tout cas de ceux qui croyaient à ces sornettes à l’eau de rose. Nulle préoccupation de ce genre chez ceux d’en face. Tous vêtus de cette certitude tranquille que le pouvoir est leur affaire, et désireux de nous guérir de ces cinq années passées sous l’emprise d’une équipe d’usurpateurs. Ils se ressemblaient tellement que beaucoup se consolaient en estimant que les uns étaient moins pires que les autres...

« Ils ont voté, et puis voilà... » fredonnait le cher Léo Ferré. « Ils », sont persuadés que Le Pen a été renvoyé dans les cordes et qu’une petite cure sans ordonnances, rédigées par le docteur Chirac, sauvera la République et la démocratie. Certes, il y aura bien quelques inconvénients mineurs, des obligations et des interdits - comme le Code de la route -, mais quel soualgement. Ce sera le prix à payer pour calmer leur frayeur. Gageons, sans trop nous tromper, que les manifestations anti-Chirac seront moins nombreuses, après les élections législatives que celles qui prenaient Le Pen pour cible, à la fin du mois d’avril.

La France profonde est satisfaite. Heureux mortels de ce pays « d’en bas », qui auraient bien accepté Le Pen pourvu que celui-ci se soit contenté d’expulser les immigrés trop voyants. Tristes concitoyens aux convictions à géométrie variable. Pauvres crétins qui se croient protégés dès lors qu’un uniforme de policier se profile à l’horizon de leur bêtise. La sécurité, puisqu’il faut bien appeler le mal par son nom, cette volonté toute sécuritiare a été bien mieux instrumentalisée par Chirac et Le Pen que par Jospin et ses roquets. Il fallait être sacrément stupide comme un Julien Dray pour espérer doubler les deux autres lascars sur ce terrain. Et pourtant, tous les ténors de la gauche plurielle - à l’exception de Noël Mamère et des Verts - ont entonné cet hymne à la punition nécessaire, indispensable, même, pour sauver les institutions et la démocratie.

Nous ne les avons pas volés ces Sarkozy, ces Devedjian, ces Alliot-Machinchouette, ces De Robien, ces De VGillepeinte, petits barons de la Chiraquie bien ordonnée. Ils représentent la mauvaise conscience de ceux qui n’ont pas pu se résoudre à se respecter, jusqu’à affirmer, tel Jospin lors de son entrée en campagne électorale, que leur programme n’était pas socialiste. Ils sont notre chatiment collectif car nous avons été trop laxistes - une fois de plus - envers ces abonnés de la trahison, ces compagons de route de la collaboration de classes. Ceux-là, trois fois depuis 1981, nous ont fait le coup de la démocratie retrouvée. Le temps de retour pour la quatrième tentative risque d’être plus long, plus périlleux, assurément, pour ceux qui ont eu la naïvité de croire que les socialistes au pouvoir préparaient des lendemains qui chantent - tout comme ceux qui avaient fait confiance aux staliniens, à une époque révolue...

Une première fois, en 1986, après, selon le premier ministre de l’époque, Laurent Fabius, que les socialites eurent « fait le sale boulot », on nous avait appelé à la rescousse. « Au secours, la droite revient ! » nous interpellaient les affiches des socialistes qui pressentaient la déroute. Rien de cela durant la récente campagne électorale. La certitude tranquille de leur victoire était telle que le recours au bon peuple paraissait inutile. Et, puis, même après la déroute du 21 avril, nos socialistes commentaient sur le mode méprisant ces manifestations où le gros des contestataires était constitués de lycéens : « Ce sont des jeunes gens, même pas électeurs... » La prochaine fois, mes bons apôtres, ces intrus vous les feront peut-être avaler ces bulletins de vote dont vous êtes persuadés qu’ils font la différence entre la démocratie et le totalitarisme - tout au moins pour ce que vous en faites, une fois au pouvoir.

Fort heureusement, il ne manque pas de ces gêneurs qui se risquent à troubler le jeu politique, et renvoient dans les cordes ceux qui veulent déjà nous persuader que la France unanime les a appelé à prendre le relai. Même s’il est nécessaire de rejeter les délires nationalitaires des Corses, comment ne pas se réjouir de les voir siffler La Marseille, le 11 mai dernier, au stade de France, provoquant la colère de l’homme qui peut, impunément, vivre aux frais de la Princesse, mais ne supporte pas le pied de nez fait à l’hymne national.
Certes, nous sommes loin du but recherché : en finir avec ceux qui se considèrent comme les propriétaires naturels de ce pays. Cela dit, il est certain que de nombreuses embûches attendent le De Gaulle au petit pied. En espérant, naïvement, qu’une fois de plus, nos sociaux-démocrates, dans leur habitude tradition de trahison, ne fassent pas le nécessaire pour lui sauver la mise, en étouffant soigneusement le bruit de casseroles qui accompagne le premier magistrat de la République.

Dans l’attente, la démocratie sous haute surveillance policière qui nous est promise augure mal de notre proche avenir. Il est certain que la répression va se donner libre cours. Quant aux braves citoyens qui ont voté - et qui vont voter - sans oublier leurs cauchemars sécuritaires, ils comprendront bientôt que l’ennemi intérieur c’est peut-être le policier qui se croit tout permis et interprête la loi bien plus qu’il ne l’applique. Faut-il expliquer à nouveau que le policier n’est pas seulement l’instrument du pouvoir mais qu’il prétend dicter sa propre loi lorsque la démocratie est en péril ?

Maurice Rajsfus


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