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AccueilJournalNuméros parus en 2002N°12-Septembre 2002 > Israël : medias va-t-en guerre ?

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Israël : medias va-t-en guerre ?


Vue par les medias israéliens, la deuxième Intifada a des allures de guerre. Dans quelles proportions les journalistes israéliens préservent-ils leur objectivité quand l’Etat hébreu est partie prenante du conflit ?


A l’Est de Jerusalem, Har Homa est au cœur du conflit israélo-palestinien. Quartier ordinaire pour l’Etat hébreu depuis l’annexion de la ville sainte en 1981. Colonie illégale pour les Palestiniens, certains Israéliens et la communauté internationale. Pourtant, l’un de ses habitants, interrogé sur la situation, déclare qu’“Aucun Arabe ne pose problème ; ils aiment Israël”(1). Comment expliquer son ignorance ? Refus d’entendre l’Autre, désintérêt sont parmi les réponses possibles. Le parti pris des medias israéliens en est une autre. Jerusalem, tout comme le Golan selon Larry Defner dans le Jerusalem Post (2), ne peut être “occupée” puisque l’Etat l’a légalement annexé à son territoire. Cette présentation univoque est caractéristique des medias israéliens. Un suivi de la presse anglophone (Jerusalem Post, journal de droite, et Ha’aretz, journal de gauche) et du programme télévisuel IBA News permet de constater la domination de la seule idéologie israélienne. Domination problématique lorsqu’elle met à mal la déontologie journalistique et la qualité des articles.

Les journalistes israéliens se heurtent à un obstacle majeur : une investigation impossible dans les territoires autonomes palestiniens. Depuis le début de la deuxième Intifada, l’entrée leur en était interdite, comme à tout Israélien. Mais ils pouvaient accompagner l’armée israélienne. Cette dernière mit fin à la coopération lorsque des images, ayant échappé à la censure militaire, furent diffusées. C’était la mort d’une Palestinienne, tuée pendant l’offensive de Balata. Le Premier Ministre Sharon appela les medias israéliens à plus de patriotisme. Le contrôle des informations fut renforcé : le champ de bataille fut aussi interdit à la presse étrangère. Ce qu’approuve l’éditorialiste du Jerusalem Post du 10 mars, sous prétexte du danger encourru : “Que les journalistes étrangers ne se plaignent de se faire tirer dessus”(3). Pourquoi alors ne pas citer, dans le Jerusalem Post du 14 mars, le journaliste italien témoignant du meurtre de son collègue par des tirs israéliens, comme le fait le Ha’aretz ? Et lui préférer la déclaration du porte-parole de l’armée : “Il est impossible pour l’instant de déterminer la source des tirs” ?

Aux medias israéliens, il ne reste plus alors que deux sources invérifiables : l’armée israélienne et les témoignages palestiniens. La première est à ce point favorisée qu’Aviv Lavie, dans le Ha’aretz du 2 avril, écrit à propos des journalistes : “Les soldats deviennent leurs yeux, ce qui explique l’énorme différence entre ce qui nous est rapporté et ce que le reste du monde voit”(4). Lorsque les deux sources sont citées, le dernier mot revient à l’armée. Dans le Jerusalem Post du 3 mars 2002, O’Sullivan et Dudkevitch confrontent la déclaration du commandant de l’unité Golani (“Il n’y avait pas d’innocents dans les rues”) et celle de Palestiniens, faisant état de femmes et d’enfants parmi les blessés. Les journalistes citent en dernière instance le commandant : ”dans leur recherche, [les soldats] sont tombés sur des enfants que leurs parents avaient abandonnés à la maison”(5).

Les medias font de la société israélienne leur seul centre d’intérêt, aux dépens des Palestiniens. Les pertes israéliennes sont mises en avant quand bien même les morts palestiniens sont plus nombreux. Ainsi, le tiers de la une du Jerusalem Post du 3 mars est consacré à la mort de neuf Israéliens, alors qu’un article d’une trentaine de ligne est intitulé “L’armée est prête à se retirer de Balata ; un deuxième soldat et trente Palestiniens tués”(6). Les pertes palestiniennes se font progressivement plus discrètes. Elles sont souvent exclues des gros titres : ainsi, le 13 mars, il faut lire l’article “ l’IDF s’empare de Ramallah” pour découvrir que 32 Palestiniens ont été tués (7). Et viennent parfois à disparaitre de la une : le 17 mars, la mort d’une femme palestinienne et de ses quatre enfants est reléguée en page 2 (8). Les morts israéliens bénéficient en plus d’un traitement tres affectifs : état civil complet, photographies, témoignages de proches, etc. Quant aux Palestiniens, ce sont des listes de noms, le plus souvent morts dans des circonstances imprécises. Et ils en ressortent coupables. Car, à moins d’être une femme ou un enfant, les civils palestiniens sont potentiellement des hommes armés, et donc des “terroristes”.

Déshumaniser les Palestiniens permet la focalisation sur Arafat, ridiculise, diabolise, et l’amalgame est fait entre le peuple palestinien et son président. De son interview du 30 mars accordée a CNN, seules deux phrases furent retransmises à la television : “Vous devez être précise quand vous parlez au général Yasser Arafat. Taisez-vous.”. L’enregistrement complet etait : “Vous couvrez avec ces questions les activites terroristes de l’occupation israélienne et les crimes israéliens. Taisez-vous. Soyez équitable. Merci. Au revoir”(9).

Dans leur ensemble, les medias isareliens ne traitent pas les deux entités du conflit équitablement. Le Ha’aretz est de loin le moins partial : il est de plus le seul à employer une journaliste palestinienne, Amira Hass, dont les articles mécontentes une partie des lecteurs. En ignorant les causes de l’Intifada, les medias israéliens font des Palestiniens au pire “un ennemi assoiffé de sang”(10) dont les “attaques terroristes (…) rappellent a beaucoup les pogroms dont a souffert le peuple juif en Europe” (11), au mieux la victime d’Arafat qui “amène la misère à son propre peuple”(12). Si les medias israéliens sont les seuls de la region à jouir de la liberte d’expression, ils se devraient d’user de cet avantage pour fournir à la démocratie un juste traitement du conflit. En espérant qu’ils ne reflètent pas une société israélienne de moins en moins tolérante envers ses contestataires.

Marion DUMAND et Michael SUWWAN

(1) Jerusalem Post, 8 fevrier 2002, Leora Frucht, “Rooms with views”. (2) JP, 15 mars 2002, Larry Defner, “Israel’s provence”. (3) JP, 10 avril 2002, edito “The awful price of restraint”. (4) Ha’aretz, 2 avril 2002, Aviv Lavie, “The war looks different abroad-and maybe so do the facts”.(5) JP, 3 mars 2002, Arich O’Sullivan et Margot Dudkevitch, “Army ready to withdraw from Balata ; second soldier, 30 Palestinians killed”. (6) JP, 3 mars 2002. A la une : “Bomber kills 9 in J’lem ; 2 babies among dead, 57 wounded in Beit Ysrael attack”, “Army ready to withdraw ; second soldier, 30 Palestinians killed”. A la lecture de l’article, on apprend qu’il y eut au moins 200 blesses palestiniens. (7) JP, 13 mars 2002. A la une : “IDF takes over Ramallah”, “Man killed, 9 wounded by terrorists”, “Terrorists slay 6 in Galilee attack”. (8) JP, 17 mars 2002. A la une : “Sharon ready to call cease fire”, “Cheney takes heat from Saudis on mideast inflation”. La femme et les enfants ont ete tues lors de la tentative d’assassinat de son mari par l’armee israelienne. (9) JP, 31 mars 2002, “Arafat lashes out at CNN”. (10) Declaration de Ariel Sharon le 4 mars 2002 in Ha’aretz, 5 mars 2002, Yossi Verter et Gideon Olon, “Sharon : first we’ll beat them badly, then we can negotiate”. (11) JP, 1er avril 2002, Oren Shahor, “Arafat’s fatal mistakes”. (12) Ha’aretz, 31 mars 2002, Yoel Marcus, “We know how to go in”.


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