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AccueilJournalNuméros parus en 2002N°12-Septembre 2002 > C’est quoi, cette gauche ?

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C’est quoi, cette gauche ?

Par Maurice Rajsfus



Il paraît que, de juin 1997 au 21 avril 2002, nous avons été gouvernés à gauche. Tout comme de mai 1981 à avril 1986, et de mai 1988 à mars 1993. Si l’on se fiait aux étiquettes, comme nous aurions dû être heureux durant ces trois périodes. Certes, il y a bien eu quelques mesures positives - surtout en 1981 - comme la hausse significative du SMIC et l’abolition de la peine de mort. Rien ou peu de choses de 1988 à 1993, sinon la volonté de donner des leçons à l’électorat potentiel de la gauche. Mais, que de promesses non tenues, que de reniements. Langue de bois sur le vote des étrangers non-communautaires ; manque de volonté de régulariser les sans papiers, mépris affiché des précaires, des sans logis, etc. Tandis qu’à chacune des périodes concernées, le renforcement des forces de l’ordre était constamment à l’ordre du jour.

Cette attitude devenant quasiment obsesionnelle, de 1997 à 2002. Plus grave encore, la gauche laissait en héritage à la droite revencharde cette immonde loi de sécurité quotidienne (LSQ), votée en octobre 2001, tandis que Julien Dray, ce zozo bien connu de la gauche socialiste, remettait à plat la loi sur la présomption d’innoncence d’Elisabeth Guigou, en février 2002. Comme les élections approchaient, il fallait calmer la grogne des policiers, au mépris des droits de l’homme.

“Il était une fois la gauche”. Cela pourrait être un titre de Western tout à fait cohérent. Plusieurs explications de texte pourraient être fournies. Tout d’abord le rôle passé de ceux qui se voulaient les représentants avancés, sinon de la masse des exploités, tout au moins du mythique “peuple de gauche” de François Mitterrand. Ensuite, la satisfaction du devoir accompli, les revendications honorées d’un avenir rose pâle, s’imposant en lieu et place des fameux “lendemains qui chantent”, promis jadis par le PCF. Comment passer par pertes et profits cette trahison permanente (le mot est faible), cette professionalisation du militantisme, lorsque le permanent “pense” à la place de ceux qui luttent pour un avenir meilleur - sans patrons ni petits chefs...

Cette gauche alimentaire, même lorsqu’elle ne se nourrit pas de caviar, a permis de rendre indifférent ou de désespérer son électorat naturel par un mépris très visible. En effet, sans la moindre honte, les Strauss-Kahn et les Fabius, persuadés de triompher aux échéances électorales de 2002, expliquaient tranquillement que leur électorat se situait ailleurs que dans les couches laborieuses. Ben voyons !

C’est quoi, cette gauche ? S’agit-il de ces enfants de Jospin, qui n’ont plus de socialiste que le nom ? Les mêmes faisant déjà partie d’une autre galaxie, au temps de Tonton Mitterrand. S’agit-il des membres encore actifs de ce PCF - groupuscule, toujours mal repentis de leur stalinisme passé, encore marqués par les vingt années de l’ère Marchais ? Ne parlons pas des déchets du chevénementisme que pour mémoire, avec ces ex-socialistes qui grelottent dans leur marais de ce pôle républicain, qui avait pour ambition affichée de servir de machine à recycler la droite souverainiste (Pasqua, William Abitbol, ancien d’Ordre nouveau).

Restent les Verts, parfois attachants - particulièrement dans leur refus de légitimer la politique du tout sécuritaire, et leur volonté de soutenir la revendication du vote des étrangers.

Si ceux-là pouvaient se résoudre à gratter un peu de leur surcharge de verdure, peut-être seraient-ils plus rouges que verts, donc plus proches des préoccupations d’une frange de la politique qui ne rechignerait pas à une certaine radicalité. On ne change pas la société avec de belles pelouses et, au-delà, en se limitant à lutter contre la “malbouffe” - Ohé, José Bové.

A l’extrême gauche, il y a bien les vrais rouges et les noirs authentiques. Côté rouge, les 100% à gauche” et les paléo trotskistes, le choix est simple pour les moins autoritaires, face aux “purs” qui s’enferment dans la marge. Côté noir, le choix est plus large, de la Fédération anarchiste de papa aux communistes libertaires de toutes nuances en passant par le réseau REFLEX et les compagnons des deux CNT, il est possible de trouver sa sensibilité du moment.

Comment oublier, dans ce paysage en revue, les grands anciens du syndicalisme traditionnel qui, à eux tous réunis, ne représentent plus guère de 10% des salariés de ce pays ? Une pierre de touche pour juger de l’ampleur de cet effondrement : il y a vingt-cinq ans, les enseignants représentaient la corporation où le taux de syndicalisation était le plus élevé. En 2002, ce sont les policiers qui tiennent le ponpon - presque tous syndiqués nos képis, tous ardents à défendre leurs droits, matraques à la main.

Rappelons-nous la dévotion que ces défenseurs de l’ordre public portaient à Jean-Pierre Chevénement. Il y avait enfin un ministre de gauche sachant manier la trique, un grand républicain qui montrait du doigt les véritables ennemis de la démocratie - selon la police - ces “sauvageons” s’acharnant à empoisonner le quotidien d’une population affolée à la vue des étrangers colorés.

Sur le plan social, en revanche, cette gauche s’est contentée de faire le gros dos face aux licenciements boursiers, durant cinq ans, a accepté le sabotage des 35 heures, tout comme ces emplois jeunes bidons ; ne se souciant véritablement que des futures consultations électorales.

A trop vouloir hurler l’hymne sécuritaire avec les loups du Front national, notre gauche convenable a lourdement échoué dans sa tentative de se faire accepter par les couches moyennes de ce pays. Tragique erreur ? Sans doute pas. Plus sûrement authentique mépris des immigrés, et véritable volonté de diaboliser les jeunes des banlieues acculés à l’impasse. Il reste que nos socialistes ne sont toujours pas convaincus de l’ignominie de leur comportement durant ces cinq années passées au pouvoir. Ces braves gens, persuadés que le pouvoir ne pouvait pas leur échapper, n’ont pas compris que chaque mesure autoritaire favorisait encore plus le retour de la droite. Très clairement, l’équipe Jospin n’a fait que conforter la France profonde dans sa volonté de retourner à sa famille naturelle - aidée, il est vrai, par un taux d’abstention signifiant surtout le désintérêt porté aux gesticulations de la gauche.

On nous a expliqué, en guise d’excuse que notre gauche à la dérive n’était pas adroite. (Si l’on peut dire). Erreur, elle avait changé de trottoir, depuis bien longtemps déjà. Curieuse évocation, c’est vrai, mais les péripatéticiennes ne font pas d’autre promesse que la jouissance brève à son client. La gauche, quant à elle, n’est pas avare de promesses, mais elle méprise ses électeurs et les laisse insatisfaits.

La lourde défaite des socialistes, en avril et juin derniers, a pour conséquence directe le durcissement des lois scélérates votées par la gauche. Déjà la Loi sécurité quotidienne (LSQ) laissée en héritage par Lionel Jospin a été complétée par la Loi de programmation sur la sécurité intérieure (LOPSI) de Nicolas Sarkozy. Désormais, nous sommes tous directement sous haute surveillance policière et l’on prépare activement l’enfermement des indociles - dès l’âge de 13 ans. Nous avons également appris, au lendemain des élections législatives, la création d’un ministère du “programme immobilier du ministère de la Justice”. En clair, un ministère des prisons, dont le titulaire, Pierre Bédier, maire de Mantes-la-Jolie - donc du Val Fourré - représente plus qu’un symbole.

On nous parle aujourd’hui de reconstruire la gauche. Ah bon ? Quelle gauche ? Pour quel projet ? Le 24 juin, dans les colonnes de Libération, le sociologue Jean-Pierre Legoff évoquait “l’identité perdue de la gauche”. C’est peu de le dire puisque le 17 juillet dernier, les socialistes votaient le budget destiné à l’application de la fameuse loi LOPSI. Il ne s’agit donc que de la continuité et l’on peut être persuadé que si la gauche avait triomphé aux dernières consultations électorales, elle aurait été aussi répressive que la droite.

Alors, plutôt que de songer à la reconstruire, il serait sans doute plus cohérent d’oublier cette gauche qui, à chaque occasion, fait le lit de la droite, tout en continuant à prétendre donner des leçons.

Maurice Rajsfus


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