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AccueilJournalNuméros parus en 2002N°12-Septembre 2002 > Sonne, sonne, sonne l’heure des brutes.

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Supplément à la formule papier du journal No Pasaran n°12

Sonne, sonne, sonne l’heure des brutes.


" Le juge Garzon continue son travail avec l’arrestation et l’incarcération d’Iker Casanova, militant de la gauche abertzale. Il lui est reproché d’avoir organisé des manifestations et de récolter des fonds à la Herriko Taberna (bar indépendantiste) de Barakaldo pour payer les cautions imposées à certains détenus " (1).


image 240 x 187 Mais s’agit-il seulement d’un juge déjà remarqué pour son activisme contre la gauche basque ? C’est bien tout le champ des droits, vernissant la façade de la démocratie formelle, qui est piétiné par les Etats de la « solidarité indéfectible » avec le gouvernement US. Instrumentalisant les attentats du 11 septembre, ils s’arment tous azimuts. Ce que d’aucuns appellent la dérive sécuritaire masque de plus en plus mal le bond en avant de la guerre multiforme contre les exploités et vaincus. Plus le mode de production capitaliste se heurte aux limites « génétiques » de son mode de développement, plus ses conséquences impérialistes se font brutales. Plus s’aggravent les effets dévastateurs de la valorisation capitaliste, moins les profiteurs de ces dévastations humaines, sociales, environnementales font semblant de respecter les formes. Ou plus exactement, plus sont flagrantes les ficelles du mauvais show que met en scène la réaction.

C’est un Bush qui vend sa politique étrangère comme une défense des « valeurs démocratiques ». C’est un Raffarin, psalmodiant « l’humanisme » de ses projets gouvernementaux. C’est un Aznar qui traite de « fasciste »un politicien italien, pourtant d’un bord politique très proche du sien (2). Qu’importe que le Parti Populaire assume sans complexe sa filiation avec le franquisme ! (3) L’important est d’avoir marqué son territoire. Toutes les vocalises avec « démocratie » sont un autre indicateur de ces territoires investis de mots ayant perdu leur sens. Là où il fait office « d’espace public », les définitions des dictionnaires sont mises cul par-dessus tête. Le rêve semble fuir devant l’enflure des termes. Le débat « politique » est cadré dans un système de représentations convenues. Excluant toute véritable mise en cause du système économique comme de celui politique, elles ont déjà intégré les normes du récit autorisé par les vainqueurs. Pas d’alternative à la soumission. Le bavardage bruyant des commentaires consacre les tabous de la religion du capital et donc d’Etat.

La « Ley de los Partidos » illustre bien cet état de pourrissement atteint par la démocratie parlementaire. Le 26 juin 2002, l’adoptaient à l’unisson les deux partis de l’alternance à l’espagnole : à savoir, les élus d’un PP dont nombre de membres, Aznar compris, s’élevaient publiquement en 1977 contre la « transition démocratique », et ceux d’un PSOE, excellent exemple du processus qu’ont connu nombre de partis sociaux-démocrates européens au cours des deux dernières décennies(4). Deux mois plus tard, les mêmes détenteurs du label « démocratique » donnaient le feu vert à une procédure de justice qui devra décider si Batasuna peut être interdit en fonction de cette loi. Sachant qu’elle a précisément été conçue pour ce faire, il n’est nul besoin d’être devin pour augurer de la décision judiciaire qui suivra.

Ce même 26 août, le juge Garzon faisait procéder à la fermeture de divers locaux de Batasuna. Car, cela doit être clair, avec ou sans cette loi, l’Etat espagnol dispose déjà des outils juridiques pour rendre illégale toute structure politique, sociale ou culturelle contestant son pouvoir sur la vie et l’avenir de ses « citoyens », basques en particulier (5). L’illégalisation prononcée par le seul Garzon est valable pour trois ans. Interdisant toute activité politique, elle implique le saisissement des biens du parti et décrète a priori illégale toute manifestation publique de Batasuna.

Néanmoins, les mandats des élus de Batasuna ne sont pas suspendus. Jusqu’à la fin de la législature, les élus continueront de siéger et travailler dans les mairies, conseils municipaux et instances législatives du parlement basque. Là, intervient la procédure mise en oeuvre au niveau parlementaire espagnol. Le fait est, la loi adoptée le 26 juin autorisait le gouvernement à demander seul au Tribunal Suprême espagnol l’interdiction et la dissolution. Mais pourquoi se priver d’une légitimation par l’incarnation même de la « démocratie » ? Le régime parlementaire n’est-il pas le meilleur outil de la classe dominante en ces temps de monopoles financiers et politiques. L’alliance fusionnelle entre la « classe » politique de l’alternance politicienne et la classe détentrice des moyens de production rend compte de l’interaction entre un niveau exceptionnel de concentration des pouvoirs militaire, économique et politique et la soumission à un totalitarisme soft où les perdants et les vaincus seraient condamnés à penser dans les catégories des exploiteurs.

Si, à cet état général, on ajoute quelques ingrédients judiciaro-policiers, la petite minorité prospérant sur le droit du plus fort a beau jeu de se gargariser avec « Etat de droit », « régime des libertés », « système démocratique » ou « démocratie sans complexe ». Au Pays basque sud, l’étau se resserre sur une aspiration s’exprimant sous la forme même requise par les règles de la démocratie formelle. Entre 10 et 15 % de l’électorat dans les provinces basques est en voie d’expulsion de la représentativité politique correspondant à ce régime de régulation des rapports entre le capital, le travail et l’Etat. C’est en tout cas, ce qui devrait interpeller en priorité.

L’expulsion certes, mais plus encore ce que cette expulsion dit du rouleau compresseur de la brutalité en marche. Certes, comparé à un Bush ou un Sharon, Aznar ne fait pas le poids. Néanmoins il relève du même contexte : un stade historique du capitalisme où la réaction politique a le champ libre devant elle. Dans un tel contexte, sont condamnées à être instrumentalisées les dénonciations tournant en rond dans l’illusion « citoyenne ». Qu’elles pleurent la disparition des Etats du Welfare ou crient à l’atteinte aux « principes démocratiques ».

Quels qu’aient été les droits sociaux et politiques obtenus au cours de luttes et combats très durs dans le cadre de cette « démocratie », ces cadres et règles furent déjà un aboutissement du mode de production capitaliste dans sa pleine gloire de vampire suçant le sang de l’assujettissement de la force de travail. Au XIX°, ce vampire avait grosso modo achevé en Europe « l’expropriation de la masse du peuple hors de sa terre, fondement du mode de production capitaliste » (6). Il se lança à la conquête des mondes où la dépendance salariale ne constituait pas encore son verso, en tant que « rapport social de production » (7).

Aussi raccourci soit-il, cet abrégé des conditions historiques ayant présidé à l’instauration de ce régime politique ébauche la question d’une approche offensive. Sachant que la réaction naît au coeur même du système de domination, nous devons pouvoir en critiquer les cadres politiques et idéologiques. Les formules incantatoires pour dénoncer le régime d’ordre au profit de la bourgeoisie sont a-historiques. Posant la démocratie formelle comme un nec plus ultra de régulation des rapports sociaux et humains, elles évacuent son histoire, ainsi les situations historiques et concrètes d’exploitation et d’oppression qui l’ont caractérisée. Dans le même mouvement, elles renoncent à saisir l’extermination essentielle du processus à l’oeuvre. Or, nous n’avons pas vraiment le choix. Soit, nous abandonnant à la douce certitude du pire, nous laissons l’étau se resserrer. Soit, partant des conditions matérielles et historiques où le talon de fer est forgé, nous assumons les enjeux de l’heure. Et ce faisant, nous resserrons les liens entre lutte pour l’abolition de toutes les classes et lutte générale, systématique et révolutionnaire pour la démocratie.

Joëlle Aubron - Prisonnière politique - Bapaume, le 27 septembre 2002

Sites web à visiter (multilingues : basque, anglais, français, castillan) :
www.batasuna.org/international
euskalherria.indymedia.de/fr

(1) Ekaitza du 19 septembre 2002. (2) Après une visite en Euskal Herria, Cossiga, chrétien-démocrate, ex-ministre de l’Intérieur et ex-président du Conseil italien, s’était prononcé contre la Ley de los Partidos. (3) Le Parti Populaire n’a jamais eu un mot pour condamner le soulèvement franquiste, la dictature ou encore la violence ayant caractérisé cette forme-là des rapports entre capital, travail et Etat. (4) Arrivé au pouvoir en 1982, il montrera tout au long de sa présence aux mannettes gouvernementales sa capacité à adopter l’économie et les structures étatiques espagnoles aux exigences du nouveau mode d’accumulation en cours d’élaboration. Comme le PS en France, il renforcera l’OTAN, œuvrera à la composante ouest-européenne des profiteurs de la mondialisation. Comme le PS encore, il s’appliquera à faire sien un « il vaut mieux être voleur que rouge » où la soumission au capital se traduit en prévarications. Une entente franco-espagnole qui se manifestera encore dans la collaboration de structures étatiques françaises à la terreur contre les réfugiés basques, organisée par le GAL. (5) Rares sont effectivement les structures associatives ou politiques qui n’ont pas déjà été victimes de l’accusation d’appartenir à « la mouvance de l’ETA » : de la Mesa Nacional d’HB à Gestoras pro-Amnistia en passant par le quotidien Egin, la radio qui lui était liée ou l’association d’alphabétisation en basque des adultes AEK, la fondation Joxemi Zumalabe, les groupes KAS et bien d’autres. Jusqu’ici cependant, nombre de ces constructions ont échoué à un stade très élaboré de l’enquête. Ce fut notamment le cas pour la Mesa Nacional, Egin ou encore AEK et EKIN. Néanmoins, c’était avant les perfectionnements juridiques apportés par la « croisade anti-terroriste » et les accusations présentées le 23 août contre Batasuna et le réseau des Herriko Taberna reposant sur des documents secrets qui n’ont pas à être présentés… (6) Karl Marx, chapitre « L’expropriation originelle », Le Capital, livre 1. (7) Idem.


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