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AccueilJournalNuméros parus en 2002N°5 - Janvier 2002 > Pour en finir avec les prisons 

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Pour en finir avec les prisons 


Voici la seconde partie de l’interview d’Alain Brossat, professeur de philosophie à Paris 8 (St-Denis) du 24-11-2001 suite à la parution de son ouvrage "Pour en finir avec les prisons" paru aux éditions La Fabrique. Par ailleurs, A. Brossat a écrit "L’épreuve du désastre", "Le XXe siècle et les camps", "Le corps de l’ennemi", "Hyperviolence et démocratie".


No Pasaran : mais justement, quelles sont les raisons profondes pour toi de cette volonté de la société d’empêcher tout mouvement de politisation au sein des prisons ?

A.Brossat : les détenus sont retirés de la société. Ils n’ont aucune espèce de statut. Il y a un coté traitement de masse, biologique au fond qui constitue une exception radicale par rapport à tout ce qui est reconnu comme conditions élémentaires à tout individu vivant dans cette société. On a bien vu, dans les années 70, un phénomène intéressant lié aux effets de Mai 68. En effet, un certain nombre d’individus sont apparus à travers de procès ou en prison avec des conduites imprégnées de 68. Et cela est totalement insupportable à nos institutions. Quand des types commencent à parler politiquement de la condition pénitenciaire, commencent à réfléchir sur leurs crimes, refusent dès leur procès d’adopter le langage de la justice, refusent le rituel de : " oui, j’ai compris, ce que j’ai fait est très très mal, je ne recommencerai plus " mais qui au contraire commencent à donner un sens politique à leur crime… image 227 x 145 Des gens comme Serge Livroset ou d’autres ont fait cela, et cela a duré jusque dans les années 80. Il y a des bouquins qui témoignent, part ailleurs, que dans sa masse la population pénitencaire est plus pauvre que la moyenne de la population, qu’elle est moins instruite, on sait tout cela. Mais il n’empêche que des individus émergent, qui montrent que la condtion des détenus peut tout à fait être compatible avec une condition de citoyenneté. L’institution déteste cela. Dès qu’un type commence à réflechir sur sa condtion, à parler, à écrire, l’institution casse ça. Le pire, c’est que le vecteur est le plus actif de la destruction de toutes ces tentatives de d’organisation de l’expression des détenus n’est pas le ministère de la Justice, n’est pas l’administration pénitencaire, ce sont les syndicats majoritaires (de matons).

Tu cites Kropotkine dans ton livre, sur la question de la rentabilité que pouvaient avoir les prisons à l’époque. Il y a eu un recul de ce point de vue là, mais " les prisons de la misère " de Loïc Wacquant parle tout de même de complexes carcéraux industriels.

On travaille en prison, c’est bien connu, dans des conditons d’exception absolue. Ce n’est plus la prison du XIXe siècle, parce qu’il y a, à cette époque, une imbrication entre les manufacturiers et les prisons, telle, qu’on fait travailler les détenus littéralementà mort. Les conditions sont telles, une nourriture très défficientes et une mortalité effrayante qui est liée aux conditions d’hygiène mais aussi au travail forcé. Ce qui fait qu’au XIXe siècle on entre en prison pour mourir. Ce n’est pas la guillotine qui tue, c’est massivement les épidémies, les mauvais traitements et le travail.
Nous ne sommes plus dans cette situation mais tout de même pour des raisons économiques, une masse importante de détenus est astreinte à travailler dans des conditions qui défient toute notion élémentaire de droit. Il ya là un chapitre entier pour des revendications et des luttes. Il n’y a, dans le travail, aucun droit d’organisation, des salaires symboliques par rapport à l’extérieur, des boulots très monotones dépourvus de tout intérêt, un embrigament… Il y a un potentiel qui devrait… mais jamais le mouvement ouvrier ne s’est soucié de cela. Jamais. Ils sont des dizaines de milliers à travailler en prison et ils n’ont pas de droit de se syndiquer. C’est là une anomalie colossale. Mais le mouvmeent ouvrier français est ainsi fait que tout ce qui est délinquant, criminel, ou supposé lumpen prolétariat n’est pas une question politique.

Un des lieux communs que tu critiques est le thème de la peine de mort et de la prison qui serait plus humaine avec sa suppresison et qui amènerait une nouvelle étape dans un mouvement de l’historie toujours plus positive. Tu cites aussi Benjamin Contant : " J’aime mieux quelques bourreaux plutôt que beaucoup de geoliers.

Il est bien évident, comme dit Michelle Perrot, que la suppression de la peine de mort constitue une sorte de progrès absolu. Mais moi, ce que j’essaie de comprendre, ce sont les effets paradoxaux que produit cette suppression. Evidemment, il y a un lien direct entre la disparition de la peine de mort dans les conditions qu’on sait, l’arrivée des socialistes au pouvoir, l’accession au minisitère de la Justice, du meilleur possible, dans ce type de régimepolitique, Mr Badinter, et les peines de subsitution qui produisent un allongement constant des peines. Ce qui fait que la prison devient pour certaines catégories de délinquants ou de criminels le pourrissoir absolu. Des gens vont écoper de peines incompressibles de 20 ans ou plus. A tel point que se reconstitue une figure qui va au-delà de l’abandon. Ils sont vraiment là pour la mort. Personne, sauf exception, ne peut garder une intégrité psychique et physique face à une épreuve d’une telle durée. C’est ce qu’écrit Claude Lucas, un ancien détenu qui a écrit un très grand livre sur la prison qui s’appelle " Suerte ". Il dit qu’on ne pouvait pas imaginer dans les années 80 des peines d’une telle longueur et pour des délits ou parfois il n’y a pas mort d’hommes comme des hold ups, des agressions où il y a certes brandissement d’armes mais pas mort d’hommes.
Ce soir, encore on peut lire qu’ un homme, psychotique, s’est pris 21 ans. Les experts ne sont vraiment plus portés à déclarer l’irresponsabilité. Ils étaient tous d’accord pour dire " il est irresponsable " et bien non, sa responsabilité a été déclarée. Il a comparu sous neurolectiques, complètement dans le cirage et il a pris 21 ans. C’est vraiment l’effet pervers de la suppression de la peine de mort en France. Ce qui fait que dans le langage même des détenus, l’idée d’une mort froide, d’une mort blanche, de la guillotine revient tout naturellement. Dans le livre de Jean-Marc Rouillant, un détenu d’Action Direct qui a fait le tour des centrales en France, il y a un de ses compagnons de détention qui voulait lancer une pétition pour le rétablissment de la peine de mort, en disant que cela ne pourrait qu’alléger les souffrances de certains d’entres nous. J-M Rouillant dit évidemment cela avec un certain ton de cynisme, mais cela donne une idée de ce que peut être l’état d’esprit de cette catégorie qui vit sans aucune espèce d’espérance. C’est une tendance lourde de l’institution puisque si on regarde la réforme de Mme Lebranchu, vous avez un effet de dénégation qui est frappant. Elle dit : "non, on ne va pas rétablir les QHS", mais cela témoigne du problème de certaine zones ou de prisons spéciales qui seraient supposer totalement sécurisées. Cela veut dire que les gens entrent et ne sortent pas. Cela renvoie à un problème plus général. Il faut tout de même réfléchir sur l’indifférence du public aux prisons. Il y a une indifférence de glace dans la masse de la population. A quoi tient cette indiférence ?  image 227 x 199Je crois qu’elle tient largement au fait qu’il y a ce niveau moyen de la conscience humanitaire dans un pays comme le nôtre, qui dit que dès l’instant où l’on ne massacre plus les gens, qu’on ne les torture plus, qu’on ne maltraite plus les corps, qu’on ne fait plus couler le sang et bien… on est en règle avec le code humanitaire. Mais tout ce qui se passe par derrière, ça, on ne veut pas le savoir, on ne veut pas le voir. Donc la souffrance n’est pas prise en compte. Un type qu’on laisse crever pendant 25 ans avec des semaines, des mois, au mitard, parce qu’il pète les plombs, ça, c’est dans l’angle mort d ’une conscience humanitaire. C’est le coté pervers des effets d’humanisation. On se met en règle, tout va bien.

Cela rejoint ce que tu disais sur la violence d’Etat. Tu as une formule, dans ton livre. Tu dis qu’il y a eu passage du " faire mourir, laisser vivre " au " faire vivre et laisser mourir " qui est plutôt la condition d’aujourd’hui.

Oui, même plus que cela. Ces gens-là, on ne les laisse pas mourir. On organise leur mort lente. C’est un dispositif de l’institution. Les QHS sont supprimés mais cela se reconstitue toujours sous d’autres formes. Dès l’instant qu’on considère qu’il y a des irrécupérables, on affirme que c’est une des vocations de la prison de garder des corps jusqu’à ce que mort s’en suive. Il a faut prendre les choses à l’envers. Il faut dire que dans un système qui aujourd’hui fonctionne de plus en plus avec la norme humanitaire, de plus en plus en faisant référence au droit, avec les interdits majeurs sur le plan international, interdit de génocide,interdit de la purification ethnique, interdit de la torture qui deviennent des absolus, en même temps, on ne veut pas voir comment la condition qui est faite à la masse des détenus constitue une infraction énorme et grossière.

Tu parles même du code de la prison comme programme de l’Etat de laisser mourir.

Bien sûr, c’est un problème d’élimination qui a partie lié avec la justice. Car, évidemment, il faut aussi remonter en amont jusqu’aux juges, comment on juge aujourd’hui, comment on assomme de plus en plus dans les Cours d’Assises.

Il y a un autre phénomène qui n’existe pas encore au cœur des débats en France, mais qui existe pourtant qui tourne autour des peines de substitutions ou peines alternatives, une autre forme de punition, de contrôle comme le bracelet électronique, l’assignation à résidence ou encore les travaux d’intérêts généraux. Penses-tu que cela change fondamentalemnt les choses et change notamment cette vieille conception de la centralité de l’enfermement dans la punition.

On en est bien loin. Plus que jamais, la prison est le dispositif central dans les pénalités en France. La population pénitencaire s’accroit et tout ce qui se décrit comme peine de substitution reste minoritaire et même marginal. Alors, il y a une contradiction entre une politique d’intimidation d’affirmation de la prérogative de l’Etat souverain et des problèmes gestionnaires. Traditionnellement, dans l’histoire de la prison, c’est une constance que la misère des prisons, que le peu de moyens financiers est absolument organisé. Par distraction, les pouvoirs publics mettent le moins possible de fric la dedans contrairement à d’autres institutions comme l’armée. C’est absolument constant. Donc, à partir d’un certain taux d’engorgement cela pose des problèmes de surchauffe qui eux-même entrainent des dysfonctionnement, des irrégularités, peuvent susciter des mouvements chez les détenus etc… Il y a donc une tension entre cette fonction politique et les problèmes économiques d’infrastructures… A la marge, on doit chercher à désengorger.

La première chose à remarquer c’est que ce ne sont pas des peines alternatives à l’emprisonnement, ce sont des peines qui se conjuguent parce qu’elles renvoient toujours à l’emprisonnement.Le type qui expérimente le bracelet électronique ou le type qui est en conditionnelle a toujours suspendu au-dessus de lui le fait que s’il ne joue pas la règle du jeu, qui est extraordinairement contraignante dans tous les cas, c’est le retour à la case prison. Donc, la prison conserve son rôle central.Tout renvoit à la prison, tout converge vers la prison. Ce ne sont pas des alternatives, ce sont des dispositifs périphériques, marginaux, mais l’institution pénitentiaire conserve sont rôle central. A la moindre infraction… hop ! Il ne faut surtout pas surestimer l’importance de ces dispositifs et ce n’est sûrement pas par là que, lentement mais sûrement on entrerait dans une perspective de dépassement de la prison.

Est-ce que tu penses que c’est à nous, militants politiques ou aux universitaires ou aux chercheurs de défendre l’intérêt de développer de véritables peines alternatives.

Je ne m’investis pas dans la position d’un réformateur de la prison. Ce n’est pas mon problème. J’essaie simplement d’avoir une position analytique, à la limite une position de bon sens. Quand on décide qu’on ne va plus torturer les gens, que cela n’entre pas dans un régime de pénalité parce que c’est barbare, Quand on décide de supprimer la peine de mort parce que c’est incompatible avec la notion que nous nous faisons de l’humanité, ces décisions, on ne les prend pas en se posant la question des alternatives. Ces décisions sont absolument intransitives. On décide parce que ce n’est pas supportable, parce que ce n’est pas compatible avec une norme culturelle, une norme morale. Pour la prison, c’est exactement la même chose . Ce qui se constate, c’est que la prison a des conséquences destructrices sur une part de l’humanité qui n’est pas négligeable. En France, il y a environ 50000 personnes en prison. Donc, il faut supprimer la prison parce que c’est en infraction avec tout ce qui se raconte sur le droit, l’humanité et la civilisation dans laquelle nous vivons. Naturellement, ce qu’on va nous répondre c’est qu’il y a tout de même des problèmes d’ordre public, il y a toujours des méchants, il y a toujours des salauds. Il faut bien se mettre, d’une manière ou d’une autre , à la place du juge, du policier et de l’homme politique. C’est cela qui va revenir constamment.Il y a plusieurs type de réponses à faire. La première que je ferais c’est que chacun est à sa place dans cette société. On ne demande pas au policier ni au juge d’occuper la place du philosophe, par exemple. Ce n’est pas son boulot. On ne leur demande pas de se poser les problèmes qui ont trait à la communauté, au bonheur, à la question du bien et du mal et autres questions philosophiques. Donc, il n’y a aucune raison qui m’oblige à répondre cette injonction. Ce n’est pas mon problème. Je n’ai pas compétence pour cela. J’estime seulement que ce que l’on me dit, y compris ce que l’on me demande d’enseigner comme normes ou références générales à un certain mode de civilisation, la prison représente quelque chose d’absolument insupportable. C’était la position de Foucault. Je n’ai pas, pour réflechir à ces questions à me référer à un règlement policier. C’est une autre question. L’autre problème c’est quand que je dis qu’il faut en finir avec les prisons, je ne dis pas que nous allons vivre du jour au lendemain dans une société qui ne punit plus. Je n’entre pas dans un discours utopique disant que tous les hommes vont être frères, que les loups vont devenir des moutons etc…
Je dis que la prison est une institution qui a une histoire. Une des caractéristique de cette institution c’est d’homogénéiser des catégories de gens qui sont différents et de les astreindre à un régime unique d’isolement ; d’abandon et de désolation. Qui va en prison aujourd’hui ? Des voleurs, des déviants sexuels, des hommes politiques qui ont fautés, des sans-papiers, des usagers de substances toxiques etc… Qu’est-ce que ces gens ont à faire ensemble. Qu’est-ce que les sans-papiers, qui dans une prison comme la Santé à Paris doivent représenter comme 30% du corps pénitentiaire, ont à faire avec des type qui ont tués pères et mères ? Et qu’ont-ils à faire avec des psychotiques qui sont de plus en plus nombreux, par ailleurs ? Qunand je dis " en finir avc la prison " cela veut dire en finir avec la prison qui produit cela, ces effets d’homogénéisation là. Pour le reste, je pense que la question de punir doit prendre en compte d’abord la particularité ds délits, des crimes etc…Cela signifie démanteler cette instituiton. Et après, éventuellement, on parlera de ce que cela veut dire, punir.

Vous concluez en essayant de percevoir les causes. Qui est en prison ? Pourquoi ? et Comment se fait-il qu’une société comme la nôtre puisse entraîner autant de délits. Vous dites que nous vivons dans une société où ce n’est plus le dénuement ou la faim qui pousse au crime mais où le non-accès à la consommation constitue dans ce monde du crime une forme assez rigoureuse, non seulement, de marginalisation ou comme on dit d’exlusion mais quasiment de mort sociale.

C’est évident qu’il y a des modèles de consommation, une domination d’un fétichisme de la marchandise qui induit des effets automatiques d’illégalismes dans cette société. Quand on voir les types d’inégalité sociales, économiques, en termes de revenus, de disponibilités des biens qui est la règle dans cette société avec ses effets de dualisation toujours plus grand, il y a des effets absolument automatiques. Je mentionne en passant tout ce qui tourne autour de l’automobile. Il y a énormémemnt de délits, de crimes aussi qui sont liés à cela. On voit bien qu’il y a quelque chose de réglé, de programmé, dans les formes de consommation qui créent de toute pièce des formes de délinquance, qui créent une plèbe qui se produit là où vous avez d’un coté des incitations à consommer toujours plus massives, toujours plus sophistiquées, toujours plus perverses et de l’autre coté des situations, des poches de dénuement complet. Les gens ne crèvent pas de faim, non, ce n’est pas le vol du pain comme au XIXe siècle dans Les Misérables, mais c’est la distance entre ce qui va se présenté sur un écran de télévision et ce que chacun est appelé à consommer, ou ce dont chacun est appelé à jouir comme objet et au final, l’absence de moyens. C’est l’histoire des téléphones portables aussi.
Cela dédramatise tous les discours sur la sécurité, sur le crime… Ce sont des modes de consommation qui produisent eux-mêmes largement des formes d’insécurité dans cette société-là.

Propos recueillis par Cdric et Pirouli


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