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AccueilJournalNuméros parus en 2003N°21 - Juin, juillet, août 2003 > Entretien avec Carmen Pérez et César Chavez

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Entretien avec Carmen Pérez et César Chavez


Membres de la délégation du Conseil Indigène Populaire de Oaxaca "Ricardo Flores Magón". Il faisait chaud au VAAAG cet après-midi au cours duquel nous avons croisé Carmen et César dans leur tournée de trois mois en Europe. Issu de différents projets, le CIPO-RFM est né officiellement en octobre 1997 et continue son processus de développement et de maturation. Il se compose aujourd’hui de 20 communautés présentes dans six des sept régions de l’état de Oaxaca au Mexique, ce qui représente environ 35 000 companeros qui participent à l’organisation.


Pourquoi avoir choisi d’ajouter le nom de Ricardo Flores Magón à celui de votre Conseil ?

César : Parce que c’est un révolutionnaire indigène, né en 1910, qui a passé toute sa vie à se battre sans faillir contre le gouvernement. Partageant les conceptions anarchistes de Europe de l’époque et connaissant le fonctionnement de nos communautés - ce qui n’était pas le cas là-bas - il n’a jamais renoncé à son opposition au pouvoir même au moment de mourir, au fond d’un cachot. Il nous semblait également important de souligner que c’était son talent d’écrivain qui l’avait rendu célèbre alors qu’aujourd’hui on continue à faire passer les indigènes pour des analphabètes.

Notre organisation ne recherche pas le pouvoir, ne veut appartenir à aucun parti, n’a pas de chef et n’en aura jamais car elle fonctionne sur un mode horizontale et non de façon verticale. Nous nous organisons autour de principes tels que le tequio, qui est le principe du travail au service de la communauté, la Guelaguetza, qui est celui de l’entraide, du soutien mutuel. Nous privilégions l’usage du troc, mais les échanges se font la plupart du temps par l’entraide et la solidarité, et ce n’est que dans nos relations avec l’extérieur de la communauté que nous devons utiliser l’argent.

L’autorité est partagée entre plusieurs instances de références, comme le conseil des anciens par exemple. Mais il y a aussi des charges telles que celles d’alcalde et de topil. Etre topil, c’est participer à des équipes chargées de veiller à ce que tout se déroule bien dans les communautés. Ce ne sont évidemment pas des équipes spécialisées, ni préparées à des interventions musclées puisque tout le monde participe à ces tâches ; elles sont redistribuées chaque année entre ceux qui sont mariés et qui ont moins de 60 ans.

Où en est la lutte qui vous oppose au gouvernement mexicain ?

Carmen : C’est une lutte très vaste qui repose sur notre système communautaire tout entier, comme la mise en pratique des tequios par exemple. Nous sommes engagés dans des conflits agraires avec le gouvernement, car celui-ci ayant signé les Accords de Libre Echange Nord-Américains (ALENA), il vend les terres aux entreprises étrangères. Nous n’avons plus aucune source de revenus. Nous n’avons plus de droit de vendre notre artisanat, ceux qui le font se font arrêter et jeter en prison. Les nouveaux propriétaires paient des paramilitaires du PRI (parti au pouvoir). Comme ce sont des indigènes, comme nous, le gouvernement en profite pour brandir l’image de bagarres entre natifs et légitimer ses interventions.

César : Nous nous battons contre la politique néo-libérale qui donne aux investisseurs les armes légales pour s’emparer des terres. Ils transforment un mode de vie collectif en un mode de consommation individualiste et veulent faire de l’indigène un ouvrier du patron. Ils savent que les indigènes ne vont pas se défendre sur le plan juridique. C’est pourquoi le soutien international revêt une telle importance à nos yeux.

Quels sont vos rapports avec l’EZLN ? (Ejercito Zapatiste de Libéración Nacional - armée zapatiste)

César : Nous partageons la même lutte étant donné que nous vivons la même oppression. Nous menons la lutte ensemble, avec les mêmes revendications. Nous sommes quatre-vingt communautés au Conseil de Suivi des Communautés en Lutte et nous recherchons l’unité nationale de tout le pays. Nous préparons une rencontre fin septembre, à l’occasion de la venue de l’OMC à Cancùn. Mais la situation est la même partout puisque cette logique est à l’œuvre dans toute l’Amérique Latine. Il s’agit donc de discuter pour faire avancer les choses et réussir à articuler les luttes de toutes les communautés.

Quelles évolutions avez-vous senties depuis le 1erjanvier 94 ? (date de l’insurrection zapatiste)

César : Ce qui a surtout changé, ce sont les méthodes de répression du gouvernement, celui-ci comptant dorénavant sur le harcèlement paramilitaire, la police n’a plus à venir tuer dans les communautés. Le Mexique ne tient pas à ternir son image aux yeux de l’opinion internationale. Mais il n’y a aucune avancée concrète sur le terrain, nous devons nous cantonner à notre place dans le folklore. Devant nous tout n’est que répression voilà pourquoi le soutien libertaire international est si essentiel à notre moral.

Quels sont vos relations avec la SIL ? (Solidarité Internationale Libertaire)

César : Pour le moment, nous avons déjà été invités plusieurs fois et nous sommes en train de discuter et de réfléchir sur notre rapprochement avec la SIL.

Carmen, es-tu de la première génération de femmes à te battre pour tes droits ?

Carmen : Non, car avant moi, d’autres femmes avaient déjà commencé à faire évoluer les mentalités. C’est grâce à elles qu’aujourd’hui nous avons effectivement droit à la parole ; par exemple, dans la nouvelle équipe de coordination de notre communauté, il y a seize femmes et quatorze hommes.

Où en est la lutte des femmes à l’intérieur des communautés ?

Carmen : Avant, les femmes ne participaient ni aux assemblées, ni aux luttes, ni même aux manifestations. Le rôle des femmes était de grandir, se marier et faire des enfants. Les modifications apportées à notre éducation ainsi que les nouvelles méthodes de répression finissent par avoir des répercutions dans notre vie quotidienne.

Lorsqu’un homme est incarcéré ou a disparu, la femme ne peut plus tenir son rôle traditionnel. C’est là que l’on voit que notre lutte appartient effectivement à ceux qui la vivent et qu’elle repose véritablement sur le principe de notre auto-organisation. Dans son essence même, le CIPO se nourrit de la vie quotidienne de notre communauté. Ce qui fait que dès le début, dès la mise en place du CIPO, la question des femmes a été abordée, puisqu’elles apparaissaient maintenant dans la réalité quotidienne avec un statut différent de celui auquel elles étaient jusqu’alors assignées. Nous avons déjà réussi à organiser trois rencontres de femmes indigènes inter-communautés et à mettre en place des coopératives pour écouler nos produits.

Le jour de la fête des mères, nous avons manifesté contre la répression et pour exiger que des poursuites soient engagées auprès des responsables des assassinats et des disparitions. Encore une fois, comme nous subissons la même situation, on retrouve l’équité hommes-femmes au sein de notre mouvement. Ce sont nos premiers pas dans un processus qui se développe, non sans rencontrer une certaine résistance masculine qui se sent dépossédée de son statut. Il nous faut donc imaginer de nouvelles méthodes pour élever nos enfants. D’où l’utilité des différentes rencontres entre femmes indigènes pour essayer de résoudre ces problèmes auxquels nous sommes confrontées. Malheureusement, il n’est pas toujours facile de faire prendre conscience de leur place aux compañeras, ni de les mobiliser pour ces rencontres.

Quels sont les projets dans lesquels vous êtes engagés ?

César : Nous travaillons à la construction de deux écoles autonomes, mais elles ont du mal à se mettre en place. Une bibliothèque, développer une production de miel, des élevages de vaches, de moutons et aussi de poissons, et puis, nous devons nous protéger des contaminations OGM et conserver la culture organique de nos potagers.

Comment vous organisez-vous pour les questions médicales ?

Carmen : Nous avons organisé des ateliers pour transmettre le savoir de nos ancêtres et conserver notre médecine traditionnelle.

Où en est la radio ? (cf. No Pasaran de décembre 2002)

César : Nous, nous sommes pour que les moyens de communication soient entre les mains des gens et non entre celles des groupes financiers. On arrive à émettre, mais la répression continue. On essaie de s’exprimer dans les quatre langues de nos communautés. Nous revendiquons le droit à émettre dans nos langues. On dispose d’un peu de matériel mais toujours pas d’émetteur, ce qui nous oblige à devoir en emprunter à chaque fois. L’image que l’on donne de nous dans les radios officielles ne correspond pas à la réalité. Elles mentent. Une radio pour nous, c’est un moyen de contre-information.

Un dernier mot ?

Carmen : Je voudrais ajouter à ce sujet combien la répression est systématique envers les membres du CIPO et par tous les moyens possibles. Harcèlement, intimidations, interpellations et même, plus récemment, tentative de meurtre. Le 26 mai dernier, notre compagnon Raùl Gatica a échappé de peu à un attentat perpétré à son domicile à San Isidro Monjas, dans l’Etat de Oaxaca, où des individus se sont rendus avec l’intention manifeste de le tuer ; les traces qu’ils ont laissées après avoir tout détruit étaient sans équivoque : "la prochaine fois tu ne nous échapperas pas". Même coller une affiche est devenu dangereux pour nous. Mais les médias ne parlent jamais de ces choses là.

César : J’en profite pour rappeler que tous ceux qui veulent nous donner un coup de main sont les bienvenus. Chacun peut venir nous voir, nous rencontrer, au moins sur notre site Internet. La porte est ouverte, prévenez un peu à l’avance et les communautés vous accueilleront les bras ouverts.

ciporfm@yahoo.com.mx

www.nodo50.org/cipo

Propos recueillis par Pascal et Sébastien

PS : Carmen et César souhaitent qu’un errata mentionne que le CIPO-RFM se trouve dans l’Etat de Oaxaca et non dans celui du Chiapas comme cela était indiqué dans le numéro du No Pa de décembre 2002.


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