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AccueilJournalNuméros parus en 2003N°16 - Janvier 2003 > Zones rouges en usine

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Zones rouges en usine


Cet article vous propose une rapide virée dans une usine high tech, dont l’aménagement aseptisé et déshumanisé, le souci de sécurité tout azimut ainsi que la gestion DRH forment une des nouvelles pratiques de management des centres de salariat, avec une gestion du personnel plus souple que celle des grandes surfaces par exemple...


La terminologie « usine » est ici utilisée dans son sens large, non pas seulement pour qualifier une unité de production de biens matériels, mais en tant que centre salarial qui maintient ou accroît les inégalités et les hiérarchies sociales. Dans cet ordre d’idée, les chantiers BTP (usine mobile), la restauration rapide, la téléphonie ou les ateliers de couture peuvent être considérés comme des usines - ce qui accro"trait le chiffre officiel (INSEE) de 5 millions d’ouvriers dans notre tout petit hexagone.

Le capitalisme ça ne conserve que les riches



L’usine en question, que nous appellerons la Boîte, est une fabrique high tech de boîtes de conserves, branche locale d’un groupe étasunien qui possède 36.000 salariés répartis dans 227 usines (donc des unités plutôt petites, d’à peine plus de 100 salariés) sur trois continents, et qui génère un chiffre d’affaire de 10 milliards d’euros. Toutes les unités sont construites sur un modèle identique, seule change les législations sociales de chaque pays d’accueil. Au niveau local, la Boîte est passée d’un effectif de 400 à celui de 70 en moins de 10 ans, soit une baisse de plus de 80%, en même temps que quintuplait le CA et s’ouvrait de nouvelles lignes de productions. Cette évolution est moins due à une révolution technologique (qui s’était produite les deux décennies précédentes) qu’à des politiques d’ajustement, les ouvriers sont moins nombreux pour plus de postes de travail et le turn over (interne et exterme) est également pratiqué... Les 35 heures n’ont pas réellement modifié la donne - seulement deux embauches de caristes pour compenser la toute relative baisse du volume total d’heures travaillées.

Les boîtes fabriquées sont destinées à des légumes frais pour une marque « réputée ». L’année de travail est donc découpée en deux saisons, la haute et la basse. A cause de la dose supplémentaire de flexibilité introduite par les 35 heures les ouvriers travaillent 48 heures par semaines durant les quatre mois de la haute, alors que durant les quatre mois de la basse saison, pendant l’hiver, seuls quatre jours sont travaillés. Quant aux salaires, ils ne dépassent que timidement la barre du SMIC pour les OS, et frisent les 1.300 euros pour les OQ. De nombreux intérimaires sont appelés en haute saison, entre autres pour surveiller le flux constant de boîtes et faire des prélèvements pour le contrôle qualité, ainsi que pour alimenter certaines machines en matière première.

Mise en boîte



Les nouveaux venus sont nécessairement intérimaires, il s’agit du premier sas d’entrée avant un éventuel CDD, qui pourra se prolonger ou bien déboucher, cas rare, sur un CDI. Enfin, à condition que la personne motivée ne dépérisse pas d’ennui d’ici là ! Les techniques DRH sont directement inspirées des dernières en vogue aux Etats-Unis, où l’ouvrier est considéré comme une unité productive autonome, mais où le cadre de production reste par contre le Taylorisme (travail à la chaîne) dans sa forme la plus primaire. Le même Taylorisme qui devait disparaître avec le progrès technique a encore de jours devant lui. Toujours d’après l’INSEE, il concernerait à peine 5% du salariat total en France, mais l’INSEE utilise une définition étroite et libérale (travail à poste fixe sur une cha"ne de production où l’on effectue une opération technique sur un objet qui circule), définition qui n’englobe pas, par exemple, la téléphonie, le travail au Mac Do ou à Arcade...

Revenons à nos îmoutons électriquesî. La première surprise que nous offre la Boîte, ce sont trois journées de formation, cas relativement rare en intérim. Ces trois jours ressemblent aux ex de l’armée française. Le premier jour, on nous explique notre environnement professionnel, ce qu’est la Grande boîte qui fait vivre tout ce joli monde. Une plaquette nous est remise, vantant le mérite séculaire des boîtes de conserve machin chose et donnant des consignes d’ordre général. Notre instructeur nous demande aussi nos motivations. Grimace quand je réponds par un seul mot, « l’argent », sur le même ton laconique et militaire histoire de respecter le plus sérieusement du monde la culture d’entreprise, et l’intérimaire suivant invente alors un baratin de portée co(s)mique (« depuis tout petit je rêvais de travailler chez vous... »), tactique choisie pour ne pas briser l’entente cordiale dès la première heure. Puis une formation rapide nous est accordée, mise en selle sur le cheval de bataille de la Boîte - la SECURITE (tiens donc...). La sécurité de la marchandise, bien sûr, mais aussi la nôtre. On teste ainsi notre adaptabilité dans un univers professionnel en se déplaçant dans l’usine avec notre instructeur : tenir les rampes, ne pas courir, ne pas se précipiter, ne pas avoir de gestes brusques mais seulement utiles et calculés et surtout monter correctement dans les escaliers. Auto-contrôle des postures corporelles pour notre plus grand bien et celui de la Marchandise... Bien entendu, moults rires étouffés par le vacarme ambiant ponctuent la démonstration, mais notre instructeur n’en a cure qu’on ait déjà travaillé en usine - il faut suivre les consignes, tenir la rampe ou prendre la porte ! OK chef, oui chef, c’est que le premier jour... La deuxième journée est consacrée à notre formation, effectuée par un-e ouvrier-e déjà mis-e en ligne. Nous apprenons que nous allons traquer les micro-porosités - regarder s’il n’y a pas de trous dans la boîte - et que nous serons totalement polyvalents et autonomes sur notre poste de travail. A part l’accumulation de la valeur financière, le capitalisme a tendance à dévaluer tôt ou tard tout ce qu’il touche et en premier lieu le sens et la force du langage. En fait de polyvalence et de travail technique, ma tutrice ne met pas plus d’un quart d’heure à m’apprendre la tâche : plonger les boîtes prélevées dans une solution aqueuse pour voir si ça fait des bulles, regarder si elles ne sont pas écrasées ou si elles ne bloquent pas le tapis, et... et c’est tout ! Interro le troisième jour, nous devons séparer les boîtes écrasées et abîmées des bonnes boîtes, tout le monde a vingt, vogue la galère on est pris...

Un espace lisse, aseptisé et déshumanisé



Grâce à la rotation des tâches, notre travail ne devrait pas être répétitif. En réalité cette rotation prête à rire : il s’agit de tourner chaque heure sur des lignes différentes mais à des postes identiques, seul le format de la boîte fabriquée varie ! Une fois toutes les cinq heures, néanmoins, l’ouvrier monte prudemment sur la Tourelle afin de surveiller simultanément les cinq lignes de production (ce qui est impossible, on fait semblant...).

Arrêtons-nous un instant sur la structuration des lieux de l’atelier principale. Imaginez un ovoïde avec deux pôles aux extrémités, l’un constitué des bureaux des cadres dont la grande baie vitrée permet à l’oeil de balayer l’ensemble des lignes (les cadres forment le service qualité du personnel) et un autre, la « Tourelle », où les boîtes sont propulsées sur des lignes magnétisées avant d’être palettisées. Jusqu’ici rien que de très banal, mais entre les deux pôles s’allongent les cinq lignes de production où sont pliées puis soudées les tôles qui formeront les boîtes... Mais pour le personnel il n’y a strictement aucun aménagement de cet espace-là, occupé par les machines envahissantes et espacées seulement par de minces allées. Nous circulons telle une goutte d’huile sur une lisse plaque métallique - la paroi des machines. Pour les opérateurs, nul endroit où poser son pull ou s’asseoir et nous devons nous glisser tant bien que mal entre deux machines lorsqu’on doit faire une quelconque intervention manuelle. Les régleurs, responsables quant à eux de la machine, disposent quand même d’une table pour écrire leurs observations, mais lorsqu’ils doivent faire des interventions sur la machine, pour débloquer une boîte, ils utilisent une échelle et se tiennent en équilibre très précaire. Signe de la culture libérale, les concepteurs ont oublié un « détail » lorsqu’ils ont conçu ces usines - la place de l’humain ! L’aménagement de l’espace et du travail tranche radicalement avec les anciens ateliers, où les ouvriers avaient souvent leur coin à eux dans l’usine même, un endroit où poser sa caisse à outils ou son carton personnel, un établi où il accrochait quelques photos ou un calendrier de l’équipe de foot locale... Ici rien de personnel ou d’humain ; tout est propre et lisse et les individus doivent l’être autant que les lieux, à tel point que les cadres considèrent comme signe d’incompétence la moindre tâche de graisse, que l’on doit utiliser avec parcimonie pour ne pas salir les machines ainsi que sa blouse (? !)... La propreté est une obsession de tous les instants, les sols doivent l’être, les lignes aussi, ainsi que les ouvriers dont la tenue, le rasage, l’aspect et la coiffure se doivent d’être impeccable, sans mèches rebelles, sans ongles trop longs, rien qui ne dépasse, qui ne traîne, rien de sauvage. Les aspérités ne se creusent que dans les rares coins d’ombre laissés vacants par la lumière crue qui s’impose dans ces lieux. Sous la tourelle, dans le coin d’une porte ou entre quelques cartons, dans ces rares espaces de liberté où l’on échappe à l’oeil, on peut discuter de ses conditions de travail, échafauder des tactiques offensives ou des fuites. La liberté croît au sein des ombres.

Autonomie aujourd’hui ?



La contrepartie de ce lissage, c’est l’autonomie de l’individu nous dit-on. Il ne s’agit malheureusement pas de l’autonomie politique et émancipatrice, qui permet à chacun de reconquérir des espaces mentaux et physiques afin de faire voler en éclat toutes les frontières - culturelles, sociales... Les techniques de management sont à la fois souples et rigides -l’individu travaille seul et ne doit rendre des comptes qu’à une feuille posée sur un pupitre, compte-rendu qui ne sera relevé qu’après notre départ. Dès les premiers jours les nouveaux venus circulent de poste en poste sans croiser au grand jamais un quelconque cadre ou chef, qui craignent et évitent tout contact lorsqu’ils se déplacent dans les grandes allées. Dans un même ordre d’idées, il n’existe pas d’aménagement de poste individuel, pas de nom sur la blouse (même celle des CDI), pas de discussions possibles avec un quelconque hiérarque ou même avec les collègues (à cause du bruit continuel et assourdissant). Dans l’absolu un ouvrier pourrait arriver au travail, pointer, se retrouver seul pendant huit heures sans le moindre signe de communications, pointer et rentrer chez lui. C’est ce que font certains intérimaires. D’autres ou bien sûr les CDI se parlent néanmoins pendant la pause de vingt minutes, puis par signes pendant le travail. Quant à la salle fumeur, elle est bloquée, cela distrayait trop les ouvriers... Pas possible non plus, sauf pour le personnel en journée (généralement cadre) d’aller prendre l’air ou fumer une cigarette dehors, même si une partie des ouvriers prend quand même ce droit... Le seul lieu de sociabilité c’est le self.

L’autonomie est un mot creux ; chacun reste concentré sur son poste de travail pendant huit heures et laisse un mémo derrière lui, les consignes ne sont même pas laissées verbalement à l’équipe suivante - juste une brève poignée de main comme signe du relais - chacun est sensé savoir lire après tout.

L’oeil du cyclone



Dans ce lieu le corps est presque totalement réifié - plus de membres, de cerveaux. Pour les opérateurs quatre des cinq sens sont inutiles : l’ouïe est inopérante à cause du bruit et des protections auditives ; ce même bruit élimine l’odorat et le goût (inopérants lorsqu’un sens -ici l’ouïe - est submergé de signaux) ; le toucher n’est guère utile - peu d’interventions manuelles - ou utilisable à cause des épais gants anti-coupures. Ne reste que la vue. Un oeil électronique sélectionnant les mauvaises boîtes, et situé au-dessus de l’entrelacs de lignes, de ce tourbillon métallique, pourrait éventuellement nous remplacer. Nous ne sommes rien d’autres qu’un oeil formaté pour une tâche précise, sur une paire de jambes se déplaçant en des lieux où le reste du corps est le malvenu, où les machines sont tellement envahissantes qu’un corps trop rond ne pourrait tout simplement pas effectuer une partie des tâches. Un détail m’a interpellé, tous les intérimaires sélectionnés par la boîte, quelque que soit leur âge ou leur sexe, sont minces, voir très minces pour la dizaine de postes qu’ils occupent dans l’atelier lui-même, alors que les caristes des stocks sont de tous types physiques. Au niveau pratique, seule une personne mince arrive à se glisser entre les lignes et les machines, ce qui est indispensable pour effectuer les tâches qui sont écrites sur notre feuille de route.

Les vies réduites



Cette réification du corps est mal vue par les ouvriers qui ont connu d’autres situations de travail, avec un bruit raisonnable, des discussions, des rires, des tâches manuelles... Pendant les discussions arrachées lors des rares moments de fuite, les anciens de la Boîte nie dans un premier temps leur souffrance (1), plus morale que physique dans ce cas-là.

Mais là où n’importe quelle autre espèce de mammifère périrait d’ennuis, enfermé dans une cage à tourner un rond, un être humain, social et d’un autre type d’intelligence construite à la fois avec et malgré les instincts, peut-il supporter sans coup férir cette situation ? Après les rounds d’observation, après les méfiances, les langues se délient : bien sûr que chacun souffre, principalement de l’ennui. Le travail est tellement répétitif, ennuyeux, y compris pour les régleurs/techniciens, que chacun accueille comme une bouffée d’oxygène le moindre ennuie électronique ou mécanique. C’est seulement quand la machine se grippe que l’intelligence (souvent collective) ou les mains ont une quelconque utilité, même si le haut degré de technicité exclue souvent l’inventivité dans les réparations. Bien souvent il faut suivre une série de procédures informatiques définies au préalable, excluant tout apport personnel.
L’ennui est le premier fléau, « l’occupation mentale », décrite par le sociologue du travail Yves Furet, en est une autre source. Selon ce sociologue, on ne travaille pas « seulement » 35, 40 voir 48 heures par semaine... On ramène aussi la journée de travail chez soi, ou dans ses déplacements, en ressassant ses problèmes souvent causés par la concurrence exacerbée entre les individus au nom du profit - jalousies, lutte pour un poste, rejet des fautes sur autrui pour se « protéger » du maton...

Bref, les ouvriers de la boîte mettent entre parenthèse, suivant les saisons, de 32 à 48 heures de leur existence chaque semaine. Beaucoup de temps volé en échange d’un peu d’argent... Ils se sentent totalement étranger à leur travail, un rouage anonyme d’une machine dont les buts et la finalité leur échappent. Parfois cette souffrance remonte tel un noir fiel à la surface ; alors soit on retourne sa haine et sa rancoeur contre les plus défavorisés (immigrés, sdf...), soit on fait la grève !

Changement de plateau, c’est la grève !



Le dernier jeudi de la haute saison, l’équipe A quitte son poste comme à l’accoutumée à 13 heures. Lorsqu’ils reviennent à 5 heures le lendemain les intérimaires ont la surprise de tomber sur des piquets de grève ! L’équipe de l’après-midi a voté et débuté une grève générale, et l’équipe de nuit l’a continuée. Alors que rien ne semblait pouvoir ébranler la tranquillité ambiante, un événement a précipité les rancoeurs dans une explosion de colère - un ouvrier s’est fait suspendre pendant une semaine, pour avoir seulement renversé une palette ! Le lendemain, le patron l’excluait et tous les ouvrier-e-s sauf un ont voté la grève ! Pendant la nuit une AG s’est tenue et les ouvrier-e-s ont collectivement dégagé leurs revendications : réintégration du collègue exclu, hausse des salaires, embauche des intérimaires en CDI (pourquoi tant de haine ?) et... demande de respect et de reconnaissance de la part de la direction (sic !).

Dans beaucoup de conflits c’est la conquête du centre (analogie martiale et non pas politique !) qui permet d’arracher la victoire et là comme ailleurs la position des cadres est souvent déterminante (2). Une majorité d’entre eux, ceux qui travaillent dans les bureaux de l’atelier principal (distance moindre vis-à-vis du reste du personnel), décident alors de basculer du coté des ouvriers. Après quatre jours de grève sans conditions, deux occupations des bureaux et une intervention avortée des cadres de la CGT pour faire stopper le conflit (ils ont été accueillis comme des flics par les ouvriers en colère !) le patron capitule partiellement. L’ouvrier « maladroit » n’est pas suspendu, une prime exceptionnelle pour toutes et tous est accordée, remboursements des jours (et nuits) de grève, quant au respect, la direction n’est pas contre - les mots ne leur coûtent rien ! Par contre pas d’augmentation de salaires...

Des perspectives et vite !



La majorité des ouvriers sont tenus en chaîne, plus ou moins longue, par leurs crédits, et prolonger une grève nécessite une création de solidarité... mais avec qui ? Sûrement pas les syndicats d’accompagnement (FO, CFDT et le « sommet » de la CGT) prompts aux coups de poignards dans le dos. (3)

Question sans réponse suffisamment forte pour l’instant... Néanmoins, durant les AG des dialogues ont pu être établis sur la place du salariat, la nécessité de ne pas se définir uniquement selon son « rôle » économique, les ouvertures politiques. A part la barrière, qui me paraît infranchissable (sauf échanges directs avec des personnes d’autres cultures) sur les questions de la liberté de circulation, les brèches peuvent se créer ailleurs, dans un premier temps. Mais pour que le mouvement social réussisse à convaincre, encore faudrait-il qu’il fasse émerger des pratiques et des paradigmes politiques alternatifs autre qu’un catalogue de revendications ou que le quasi-sadique « interdiction des licenciements » des partis d’extrême gauche.... C’est le revenu qui doit être garanti, pas l’exploitation !!

Si des forces syndicales et politiques aussi différentes (quoique...) que la CFDT, le MEDEF ou le Front National ont une influence prépondérante en Hexagonie c’est qu’en plus de leurs propositions politiques elles dégagent leur propre vision de ce qu’on appelle « société » par convention de langage. Une vision faite d’un ensemble d’images mentales (une France propre, ordonnée et tranquille pour le FN, véhiculées par la mise en avant de valeurs franchouillardes, phénomènes « culturels », d’affiches d’Epinal, de discours décrivant les conditions de vie « idéales »...), propres à nourrir l’imaginaire et le subconscient et donc à nous influencer en profondeur.

Nous ne devons pas nous contenter d’un catalogue de revendications politiques, cousues entre elles avec du fil blanc.

Ronny Bones

(1) Lire absolument Souffrance en France de Christophe Desjours (aux éditions Le Seuil). Ce dernier explique la dichotomie existante entre d’une part la réalité des dépressions, de la consommation de psychotropes, du harcèlement moral dus au travail, et d’autre part la négation de ces mêmes souffrances par les salarié-e-s, qui affirment qu’ils în’ont pas le choixî et qui sont obligés d’assurer chaque jour. Bien sûr, il faudra rentrer dans la complexité et nuancer les propos suivant le type de travail, suivant que l’on soit « créateur » ou non (création manuelle ou intellectuelle) - un plombier à son compte, qui résout des problèmes à l’aide de ses mains, ne subira pas directement les mêmes souffrances qu’une caissière, qui effectue des tâches non pas manuelles mais totalement mécaniques. Même si ce plombier peut souhaiter à un moment se former, souffler ou mener d’autres activités sous peine de vider ses tâches de toute substance et intérêts personnels. Si des droits inaliénables étaient garantis à l’individu tout le long de sa vie (gratuité des services sociaux, revenu garanti, libre accès à des formations de qualité, libertés publiques...) chacun pourrait choisir, en accord avec les besoins de la collectivité, la meilleur façon de s’investir dans celle-ci d’une part, et d’accroître son autonomie d’autre part... L’équilibre entre la satisfaction nécessaire des besoins collectifs et le désir d’autonomie individuelle serait-il un possible horizon politique ?

(2) un autre exemple : au Mac Do de Strasbourg St Denis c’est certainement la position des cadres qui a permis et la grève, et cette victoire syndicale. Ces quelques phrases peuvent choquer le lecteur le plus îidéologiqueî mais l’accroissement de l’encadrement, ainsi que ses conditions de travail qui ne sont pas forcément très éloignées des îsubalternesî, rend souvent leur position déterminante dans le cas d’un conflit syndical. Toute la difficulté viendra alors de la possibilité ou non de remettre en causes les hiérarchies sociales avec au sein d’une AG ou d’une lutte la présence des cadres d’entreprises, qui sont aussi un peu les îcadres du capitalismeî, dont la fonction est de maintenir les structures hiérarchiques en place... C’est aussi pour cela qu’on doit vivre et diffuser d’autres valeurs culturelles, afin de faire ressortir la fadeur et la tristesse de celles véhiculées par le capitalisme !

(3) Laissons la parole à un syndicaliste de FO, qui résume très bien la situation : « Je voudrais notamment instituer des rencontres périodiques entre la hiérarchie et les délégués pour évoquer les problèmes liés aux relations internes, ou concernant certains salariés en particulier, séparément des instances officielles ou des cadres de négociation. En somme, établir une relation moins formelle avec la hiérarchie pour faire un état des lieux des conflits potentiels.
Prévenir les conflits pour y porter remède plutôt que de les laisser éclater, n’est-ce pas en effet l’intérêt de tous ? »

STIE : une recherche novatrice pour les négociateurs FO, dans Le journal de FO Métaux n°409, octobre 2002.


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