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AccueilJournalNuméros parus en 2003N°16 - Janvier 2003 > Les jouets, instruments du système de domination patriarcale

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Les jouets, instruments du système de domination patriarcale


En cette période de fin d’année, les jouets sont à l’honneur et occupent de manière quasi-totalitaire l’espace public que devraient être les murs de nos villes et les fentes de nos boîtes aux lettres. Ces dernières sont en effet envahies de catalogues vantant les mérites de la nouvelle poupée Barbie ou de la dernière voiture de police téléguidée.


A première vue, ces catalogues sont inoffensifs ; or les jouets qui y sont proposés et la manière avec laquelle ils s’imposent aux jeunes lecteurs contribuent à la reproduction de schémas sexistes non seulement dans la cellule familiale mais aussi dans la société.

Des poupées pour Salomé, des voitures pour Arthur



Les valeurs sexistes sont profondément ancrées dans les jouets pour enfants. Ainsi, tandis qu’aux filles on propose des jouets dits " d’imitation " (dînette, aspirateur " comme Maman "), aux garçons reviennent des jouets mettant en scène des personnages musclés, guerriers et dominateurs. Les jouets ne se mélangent pas : d’un côté, les pages des filles dans un univers rose et enchanté où seul le " paraître " semble compter et où l’espace est domestiqué, familier ; de l’autre, les pages des garçons dont les couleurs vives et l’environnement sauvage symbolisent l’action et la maîtrise sur le monde extérieur. Les jouets, loin d’être de simples objets anodins, véhiculent donc des valeurs très nettement différenciées quant aux normes de masculinité et de féminité, mais surtout ils participent à cette hiérarchisation qui est à la base de la domination masculine.

Les jouets : miroir de la société ou instruments de la construction sociale du genre ?



L’industrie du jouet semble se poser en tant qu’ordonnatrice des normes de la société : les jouets sont censés être le reflet en miniature d’une société idéale où les rôles seraient prédéfinis par le sexe et où la hiérarchisation entre les hommes et les femmes participerait à l’équilibre et à la pérennisation de l’ordre traditionnel patriarcal. Or, des recherches ont montré l’invalidité de ce présupposé naturaliste qui veut que le sexe biologique influence et même détermine nos comportements et nos traits de caractère. Un petit garçon ne serait donc pas " naturellement " plus turbulent qu’une fille comme le rappelle Nicole Mosconi : " [...] il n’y a pas de déterminisme biologique direct de l’agressivité chez les garçons. [...] certains éléments hormonaux rentrent en ligne de compte, mais s’ils ne sont pas relayés par la culture, ils ne s’expriment pas. " [1] Quant aux petites filles, faut-il le rappeler, elles n’ont évidemment pas le gène du ménage. Ainsi, l’anthropologue Margaret Mead a montré en 1935 qu’" il n’y a pas de comportements masculins et féminins innés : c’est la culture qui façonne les individus selon leur appartenance de sexe. " [2] La sociologue Christine Delphy va au-delà et postule que la division de l’humanité entre les hommes et les femmes est elle même socioculturelle. Ainsi, le genre précéderait le sexe, ce dernier étant simplement " un marqueur de la division sociale " qui servirait à " reconnaître et identifier les dominants des dominés. " [3] Le cloisonnement dont les jouets se font le relais s’appuie donc sur un principe de hiérarchisation dont l’objectif ultime est la domination de la classe des hommes sur la classe des femmes, et il produit ainsi de l’inégalité.

Les jouets : révélateurs du genre comme carcan social



Le jouet est un élément nécessaire à la construction identitaire de l’enfant, comme le précise le sociologue Serge Chaumier : " Même si le jeu peut paraître insignifiant aux yeux de l’adulte, il est fondamental pour l’enfant, puisqu’il participe à son éveil, à sa structuration psychique et par conséquent à la construction de sa personnalité. " [4] Il paraît donc important de s’interroger sur les conséquences psychiques, sociales et motrices qu’ont ces jouets sur les enfants. Offrir un jouet à son enfant participe donc de la construction de son identité de genre, et conditionne l’enfant à l’image à laquelle il ou elle doit se conformer, jusque dans les choix professionnels d’ailleurs : " Garçons et filles reçoivent ainsi une image miniaturisée de leurs futurs possibles rôles professionnels (aussi bien manuels qu’intellectuels) et de leur future probable position dans les rapports domestiques. " [5] Les enfants, quel que soit leur sexe, intériorisent les attentes collectives et participent ainsi de façon inconsciente à leur propre aliénation : " [...] les messages publicitaires reproduisent et amplifient les stéréotypes de sexes, comme si les jouets " programmaient " garçons et filles à d’évidentes fonctions sociales sexuellement différenciées. Rien d’étonnant dans ces conditions à ce que filles et garçons demandent et reçoivent les jouets qui leur ont été symboliquement suggérés. " [6] C’est pourquoi l’argument principal des parents et des fabricants de jouets est de dire que le jouet est le choix de l’enfant. Or, c’est un tout autre choix que nous revendiquons lorsque nous pointons du doigt le sexisme dans les jouets : offrons à nos enfants la liberté de choisir et de se construire en tant qu’êtres humains hors de tout carcan social, et proposons-leurs des jouets qui développeront en eux non pas l’opposition, mais la coopération, l’ouverture et la solidarité.

Laëtitia

[1] Nicole Mosconi, Femmes et savoirs, L’Harmattan, Paris, 2001.

[2] Margaret Mead, Sex and Temperamment in three primitive societies (1935) traduction française : MÏurs et sexualité en Océanie, Plon, " Terres humaines ", Paris, 1963.

[3] Christine Delphy, L’ennemi principal. T2, Penser le genre, Syllepse, Paris, 2001.

[4] Serge Chaumier, La production du " petit homme ", Alliage, 2002.

[5] Sandrine Vincent, Le jouet et ses usages sociaux, La Dispute/SNEDIT, Paris, 2001.

[6] Ibid.

Le dimanche 22 décembre 2002 se clôturait la Campagne Contre les Jouets Sexistes, dont ont été à l’initiative trois associations anti-sexistes : Mix-Cité, mouvement mixte pour l’égalité des sexes, les Sciences Potiches Se Rebellent, issues de la faculté des Sciences Po et dont le but est de sensibiliser aux problématiques féministes, et le Collectif Contre le Publisexisme, association dans laquelle est investie le réseau No Pasaran et qui vise à dénoncer les clichés sexistes dans la publicité. Commencée une semaine plus tôt, elle s’échelonnait sur quatre actions.

Le restaurant de soutien à la campagne du 14 décembre a connu un vif succès grâce notamment à sa soupe hollandaise dont le fumet contenait à lui seul toute la Hollande (selon les dires de sa conceptrice). " La Rôtisserie " s’est transformée le temps d’une soirée en resto-débat, les contre-catalogues de jouets réalisés pour l’occasion servant de base aux discussions animées et joyeuses des participant-es. Plus de 80 personnes ont eu la chance de manger un repas anti-sexiste entièrement préparé par les militant-es qui, vers minuit, ont fermé les portes du restaurant qui n’avait pas désempli un seul instant.

Le jeudi 19 décembre, le sociologue Serge Chaumier est venu à Sciences Po pour présenter devant un amphi moyennement rempli (mais ô combien réactif) ses analyses sur les catalogues de jouets qu’il collectionne depuis une quinzaine d’années. Des catalogues où le sexisme est prégnant et qui participent au conditionnement des enfants à des rôles sexués stéréotypés qui reproduisent le système patriarcal dans tout ce qu’il a de plus inégalitaire.
Le samedi 21 décembre, devant le magasin de la Samaritaine, un spectacle de marionnettes visait à dénoncer le cloisonnement des jouets genrés : des enfants décus par leurs cadeaux (une poupée pour la fille, une voiture pour le garçon) appellent la Fée Ministe à leur rescousse pour que celle-ci les délivre enfin des modèles stéréotypés dont ils sont victimes.

Enfin, la campagne s’est terminée sur une action festive dans le magasin de jouets Toy’R Us, temple de la surconsommation sexiste s’il en est. Les militant-es et sympathisant-es étaient plus de 40 et, arborant nez rouges et vêtements colorés, ils et elles ont interverti les jouets " filles " et les jouets " garçons " dans les rayons, avant de repartir en chansons... féministes, bien sûr.


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