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AccueilJournalNuméros parus en 2003N°16 - Janvier 2003 > Les nouveaux collabos

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Les nouveaux collabos


par Maurice Rasjfus


Le débat sur les « Nouveaux réactionnaires », ces héritiers de Mai 68, qui domineraient notre société, occulte une autre et préoccupante évolution : celle des philosophes issus d’une gauche donneuse de leçons qui finissent de choisir la litère de ceux qu’ils combattaient hier.



Lorsque l’ordre moral vient à la rescousse de l’ordre public, le temps est venu de se mettre au chaud pour les intellectuels frileux. Les bons esprits ne manquent pas pour effectuer ces virages à 180 degrés qui n’étonnent même plus tant ils deviennent coutumiers. Après le 21 avril 2002, après le premier tour des élections rpésidentielles, il y avait urgence. Il fallait sauver le soldat Chirac, et toutes nos têtes pensantes (ou presque) firent le maximum pour soutenir ce grand humaniste, garant d’une démocratie faisandée, face au porte-parole d’un pouvoir autoritaire qui n’avançait pas masqué. D’où les 83% de suffrages accordés à « l’escroc ».

En 1995, c’est un intellectuel de « gauche », repenti depuis, et dont nous tairons le nom par simple charité anticléricale, qui avait soufflé à Jacques Chirac le thème de la « Fracture sociale », en un temps où le président de la République s’offrait des vacances d’émir dans des Iles lointaines. En cette matière, l’homme à l’odorat fragile avait bien besoin d’une béquille, d’une véritable roue de secours. Et le maire de Paris, ployant sous le poids de ses valises de billets de banque fit son entrée à l’Elysée. Les bons Samaritains de la gauche nuisible qui l’avaient accompagné sur ce parcours ne s’indignèrent pas lorsque le nouvel élu pris comme première mesure la reprise des essais atomiques, en Polynésie. « C’est une décision irrévocable », avait alors proclamé, cet homme qui n’aime pas le bruit.

Depuis la « victoire de la démocratie sur le fascisme », confortée par les élections législatives du 16 juin 2002, les ralliés sont encore plus nombreux qu’en 1995. Parmi ceux-ci, d’anciens staliniens de choc comme Alexandre Adler qui, pour confirmer son nouvel engagment, a choisi Le Figaro comme tribune ? Celui que nous avions croisé au Forum antifasciste de Gardanne, en novembre 1997, ne risque pas de se sentir seul dans sa récente tannière idéologique car il y est accompagné par son épouse, Blandine Kriegel.

Comment ne pas utiliser immédiatement le mot Collaborateurs, au sens infâmant du terme ? De 1940 à 1944, de même, le clan des « Collabos » n’était pas seulement constitué de fachos traditionnels, bien dans leur rôle. A leurs côtés étaient arrivés la cohorte des biens pensants, des pacifistes bêlants, des penseurs sans principe. Ceux-là expliqueront plus tard qu’ils n’avaient pas envisagé la coopération active avec les nazis, la chasse aux Juifs et aux communistes. Ils avaient juste voulu sauver les débris de nos libertés en pratiquant l’utile politique moindre mal.

Bien entendu, il n’est pas possible de comparer les deux époques - pas d’amalgame hasardeux ! A la limite, il serait pourtant possible de dire que l’actuel engagement au service d’une droite dure, d’anciens compagnons de route de la gauche, représente une circonstance aggravante dans la mesure où les institutions démocratiques n’étaient pas menacées, comme en 1940, et que la survie des lâches n’était pas à l’ordre du jour.

C’est donc sans contrainte, et délibéremment, qu’une partie non négligeable de notre élite intellectuelle s’est rangée sous le drapeau d’une droite dure et revancharde. Ce qui signifie clairement un engagement idéologique tranquille. Très rapidement, nous avons assisté, au cours du mois de novembre 2002, aux premières gesticulations de ces ralliés, de ces « collabos » nouveau style. Particulièrement au travers d’un rapport de Blandine Kriegel, véritable machine infernale destinée à censurer la TV et le cinéma, sous prétexte de morale. Demain viendra peut-être le temps où la presse sera montrée du doigt, et pourquoi pas les programmes de l’Education nationale.

Comment se fait-il que ces philosophes sans concession, les Finkielkraut, les Glucksman, et autres, ces donneurs de leçons sans concession incorruptibles, aient succombé au chant des sirènes de la droite ? Est-ce par haine de cette gauche qui a trahi son camp ? Ce serait trop simple. Comment qualifier ces politiciens, estampillés de gauche, comme Daniel Vaillant ou Julien Dray, qui approuvent les lois Sarkozy car elles ne font que développer leur propre dérive ? Ceux-là n’ont pas rejoint idéologiquement la droite, est-ce vraiment nécessaire ? En matière répressive, ce sont de vrais cousins germains !

Revenons à Blandine Kriegel qui, à l’image d’Annie Kriegel, laquelle avait franchi le pas quelque quarante années plus tôt, réalise le même grand écart. Quittant le PCF, à la fin des années 1950, ce parti où elle s’était illustrée comme un remarquable procureure stalinienne, Annie Kriegel n’avait pas craint de devenir éditorialiste au Figaro. Blandine, elle, laisse le soin à Alexandre de chroniquer au Figaro - une affaire de famille, finalement. Notre philosophe se contente de jouer les moralistes outragées depuis qu’elle est devenue conseillère de Jacques Chirac sur les questions d’éthique. Excusez du peu.

Dans Libération, daté du 26 novembre 2002, le philosophe Jean-Claude Monod, se dit nâvré de voir sa collègue abandonner son ancien souci de protection sociale et économique, « au profit de la seule protection policière ». On ne peut, effectivement, qu’être très durs face à ces « nouveaux collabos » qui légitiment leur revirement par la nécessité de réprimer - particulièrement sur le plan culturel. Nous savons bien, en effet, que tous les régimes à tentation autoritaire, aiment s’entourer de ces intellectuels brillants mais fragiles, qui n’hésitent jamais à changer de trottoir pour se trouver un nouveau maître.

Par quel chemin intellectuel tortueux, ces donneurs de leçons, ces anciens marxistes ombrageux, sont-ils passés pour se retrouver dans les allées d’un pouvoir situé à l’opposé de leur engagement passé ? Bien évidement, ce reniement laisse orphelins ceux qui se retrouvaient dans les analyses anciennes de ces bons esprits désormais ralliés à la pensée libérale. Pourtant, ont-ils vraiment trahis ceux qui ont rejoint un pouvoir qui ne les satisfait que parce que le précédent les a déçus ? Nous avions déjà connu les dérives d’un François Furet ou les hallucinations d’un Jean-François Revel. C’était dans la nature des choses, le déchet habituel d’une pensée torturée.

L’arrivée des philosophes aux côtés de ces forcenés, anciens gaullistes « sociaux » pour certains d’entre eux, ayant pour unique ambition la destruction des acquis sociaux des décennies passées pose problème. Ils sont la caution indispensable, le cache-sexe des dictatures morales. Demain, si le pouvoir se durcit davantage encore, avec une tendance répressive propre à tous les régimes autoritaires, nous aurons, en France, de nouveaux Heidegger.

Les Lumières, du XVIIIe siècle avaient ouvert la voie à la Révolution française, à la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen induisant l’abolition des privilèges et l’égalité espérée. Nos philosophes modernes, qui filent le train à Chirac et sa clique, ceux qui prospèrent sur le fumier d’une classe politique avide de profits, n’envisagent qu’une pauvre revanche sur leurs espoirs déçus. Ces anciens maoistes, ces ex-staliniens, aujourd’hui conseillers, ou inspirateurs de la Chiraquie, s’apprêtent à devenir les complices actifs des bourreaux de demain. Cela ne tourmente pas la conscience de ces penseurs à la logique implacable, qui veulent ajuster l’Histoire à la tristesse de leurs délires.

Maurice Rajsfus


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