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AccueilJournalNuméros parus en 2003N°20 - Mai 2003 > En finir avec les prisons

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En finir avec les prisons


Pour faire face à leur volonté d’enfermer les pauvres, les pouvoirs publics et les gouvernements poursuivent des années des programmes de construction de nouvelles prisons. 13.000 dans les 5 ans à venir dont 800 pour les mineurs, dont une partie confiée à la gestion privée. Sachant que le remède - l’emprisonnement - produit plus de délinquants à la sortie qu’il ne réinsère, c’est bien la transposition du modèle américain qui se poursuit. Pendant ce temps, les suicides dans les prisons n’ont jamais été aussi nombreux...



"J’accepte c’est vrai mais pour de la bouffe et une chemise volée c’est dur trois mois."

Lettre de Mohamed à Caroline, 31 Juin 2002.

Le Décès de Mohamed Habel à la prison des Baumettes, le 2 Août 2002.

Mohamed Habel a été retrouvé pendu dans sa cellule du Centre Pénitentiaire des Baumettes, le 2 Août 2002. Depuis, comme toutes les familles et proches confrontés à un décès en prison, nous nous heurtons à l’opacité du milieu carcéral et à l’impossibilité de savoir ce qui s’est réellement passé.

Mohamed avait déjà effectué deux courtes peines (en tout deux mois et demie) en prison au cours des dix dernières années. Suite à son premier séjour à Bois d’Arcy en 1992, il avait commencé à consommer des drogues dures. Depuis 5 ans, il était sous traîtement de substitution. Depuis un an, Mohamed souffrait de dépression. Il avait affirmé à ses amis qu’il ne supporterait pas un nouveau séjour en prison. Suite à un petit vol à l’étalage et à sa non-réception des courriers recommandés du tribunal (qui ont été retournés à l’envoyeur par la poste sans tenir compte du délai réglementaire de 15 jours), la police s’est présentée à son domicile de Marseille le 24 Juin à 7h 30 du matin. En apercevant les policiers, il se précipite sur son balcon (il vit au 5° étage) et enjambe la balustrade afin de se jeter par dessus bord. Mais les policiers lui assurent qu’il ne s’agit que d’une simple audition devant le juge, et qu’il ne doit pas s’attendre à de la prison. Il suit alors les policiers, qui réaffirment devant son amie Natacha qu’il ne peut s’attendre à l’incarcération vu son état psychologique. Cependant, le juge le condamne à 3 mois fermes à la prison des Baumettes. Là, malgré les conditions de détention précaires accentuées par la chaleur estivale ainsi que la suspension des activités socio-éducatives durant cette période, Mohamed semble garder le moral. Ses écrits témoignent d’un profond travail sur lui-même, et d’une volonté définitive d’en finir avec son traîtement de substitution afin de pouvoir aller de l’avant. Il adopte une conduite exemplaire en espérant bénéficier d’une remise de peine. Cependant, le traîtement deshumanisant infligé aux détenus des Baumettes n’aide pas à ce processus de reprise de confiance. Tout d’abord, les membres de sa famille et les proches qui appellent à la prison pour lui rendre visite se voient opposer un refus catégorique sous prétextes divers, et notament en raison de la courte durée de sa peine ou du fait de ne pas être membre de la famille. Ces derniers veillent à rappeler aux services d’accompagnement social de la prison l’état dépressif de Mohamed. On leur confirme cet état de grande fragilité et leur assure que Mohamed bénéficie d’un soutien psychologique et qu’il sortira très bientôt. Nous apprendrons en réalité que le bâtiment B, où a été placé Mohamed, est réservé aux courtes peines, et que pour cette raison c’est le plus négligé par l’administration. On apprend aussi que les services de soutien psychologique de la prison sont fermés durant l’été... Le 10 Juillet, une nouvelle condamnation d’un mois tombe. Pourtant, Mohamed ne se laisse pas abattre : en vertu des 14 jours de remise de peine présidentielle et de sa bonne conduite, on lui affirme de plusieurs sources au sein de l’administration des Baumettes qu’il sera libéré début Août, fort probablement le 3. Dans son journal intîme, il confie que cette date lui plaît, car c’est également celle prévue pour la naissance de son premier petit neveu. Le 2 Août, il a rendez vous à 14h 30 avec Mme Mounier, une assistante sociale de la prison, afin de préparer cette libération. Son co-détenu le voit sortir de bonne humeur. Juste avant de sortir, il écrit sur son journal intîme : "Je suis d’une humeur joyeuse." Pourtant, ce que lui annonce l’assistante sociale le déçoit fatalement : sa remise de peine a été révoquée une demi heure avant l’entretien. Il ne sera libérable que fin Août. Il entre dans une colère noire, et refuse la promenade. Il est alors laissé seul dans sa cellule. Il est retrouvé à 16h55 pendu à sa fenêtre à l’aide de draps déchirés. Selon le Dr Glezer, responsable des services médicaux de la prison, il a fait un "Raptus" : un accès extrême d’angoisse aboutissant à un acte incontrôlé.

Le 3 Août, le suicide est reporté dans l’édition du matin de "La Provence", dont le journaliste a été informé la veille au soir. La dépêche de l’AFP tombe quant à elle à 9h22, affirmant que "le détenu ne présentait pas de "signe particulier" de dépression au cours de la détention". Habile formulation mensongère ! Manipulation ! Monsieur Alamane, le directeur de la prison (qui dit avoir le soir même appelé France Info pour communiquer la dépêche) fuit ses responsabilités. Il attend le lendemain vers 11 heures pour prévenir Caroline (alors qu’on lui avait refusé la visite sous prétexte qu’elle ne fait pas partie de la famille...) et lui assure avoir eu conscience de l’état fragile de Mohamed dès leur entretien à son entrée aux Baumettes. Il assure aussi avoir donné la consigne de ne pas laisser Mohamed seul dans sa cellule, ainsi que de le soumettre à des visites régulières dans un centre de soutien psychologique de la prison. Ce centre était fermé. De qui se moque-t-il ?

Le 5 Août, la famille Habel arrivée de Metz, de région Parisienne et d’Algérie dans l’urgence, est reçue dans des conditions indignes par les responsables de la prison des Baumettes. Le plus choquant, si l’on passe l’attitude méprisante et l’absence totale de volonté de divulguer quelque information à la famille, est que l’assistante sociale (Mme Mounier) qui a été la dernière à parler à Mohamed avant sa mort, n’ait pas été présente à cet entretien. Le sous-directeur affirme qu’elle "n’a rien à faire dans cet entretien". Avec un ton ironique, Mr Glezer (le responsable des services médicaux) affirme que tout ce qu’il dira sera confirmé ultérieurement par Mme Mounier... C’est un langage de déni et de refuge derrière des alibis juridiques que trouve la famille, mais certainement pas des réponses aux questions qu’elle se pose afin de pouvoir entamer son deuil. Seul le Dr Glezer avoue qu’"il y aurait peut-être eu une erreur administrative" dans le fait qu’il ait été affirmé à Mohamed qu’il allait sortir le 3. (Le Dr Glezer lui-même avait fait les démarches pour que son traîtement et les clés de son appartement lui soient délivrés à l’extérieur le jour de sa sortie.) Ces révélations lui attirent cependant les foudres du regard du directeur et de son adjoint.

Après l’entretien, Caroline Auzas, Mme Habel et sa belle soeur sont invitées à suivre Mme Walouga, la responsable du bâtiment où se trouvait Mohamed, afin de récupérer ses effets personnels. Elle leur dit avoir trouvé Mohamed pendu à son lit superposé avec un torchon de cuisine, ce qui est en contradiction avec la version oéricaines, c’est qu’elles sont chaque jour criminogènes de leur existence. Ce n’est pas notre cas. Notre vie quotidienne, largement hors sol, s’accommode assez bien de ces multinationales. Prétendre le contraire est profondément hypocrite. Et pour les combattre, par compassion avec les colombiens, dans une résistance hors sol, nous avons besoin de réduire les enjeux à de simples figures, d’en faire des icônes, de nous inscrire dans une confrontation idéale, sans réalité.

Les trois sommets


Se retrouver à Evian, dans cette seule définition, est le rouage bien huilé d’une démocratie médiatique, en aucun cas le grain de sable qu’espèrent certains. Outre le sommet du G8, on y trouvera donc le contre-sommet in, celui d’ATTAC et des grandes ONG, des réformistes, des verts et des communistes lorsqu’ils sont dans l’opposition. Ce sera celui des propositionnels, que le véritable sommet commence à écouter dans ses requêtes les plus acceptables, c’est-à-dire les plus inoffensives. Il est certain qu’une grande porosité existe entre le sommet et le contre-sommet in, permettant aux uns d’apprendre le vocabulaire nécessaire à la soumission ultérieure de l’opinion, permettant aux autres d’approcher les antichambres du pouvoir, de se préparer à la cogestion.

On trouvera également à Evian le contre-sommet off, celui des radicaux, des vrais gauchistes, des anarchistes, des autonomes. Le sommet leur laissera un bac à sable, pour jouer. Ils feront un village, ou même des villages, pendant trois jours ou une semaine pour montrer que l’on peut vivre autrement. Il n’y aura pourtant aucune réalité à Evian. Ce sera pour beaucoup une projection artificielle pendant trois jours de ce qui restera toute l’année un fantasme. Ce sera pour quelques uns la reproduction artificielle - parce que face aux G8 et autres propositionnels, sourds à ce témoignage - d’un équilibre de vie attaché à d’autres lieux qu’Evian. La plupart manifesteront leur opposition, radicale et non-violente. Ils montreront malgré eux que la démocratie fonctionne, qu’elle accepte la présence des opposants, même les plus turbulents, et qu’elle sait aussi les réprimer lorsque les limites, communément admises, sont dépassées. Ils seront utilisés comme caution médiatique d’un système démocratique, que le G8 représente, qui a besoin d’opposants fussent-ils énervés dans un bac à sable, pour valider complètement ses décisions.

Anticipant sur les manifestations du 15 février contre la guerre en Irak, Tony Blair annonçait le 14 qu’elles seraient preuve d’une véritable démocratie, libre et juste jusque dans sa décision de faire la guerre ! Il précisait que les manifestants pouvaient être un million, ils seraient toujours moins nombreux que les victimes de Saddam. Il a tristement raison. C’est une profonde erreur d’attendre une quelconque légitimité du nombre de personnes rassemblées dans un cortège ou un village de trois jours. C’est reprendre à son compte les règles d’un système politique versé dans la manipulation médiatique, le contrôle de l’opinion et le progrès des intérêts militaro-industriels.

Je n’irai pas au sommet du G8 d’Evian, parce que je n’y suis pas invitée. Je n’irai pas au contre-sommet in - je n’y suis pas invitée non plus - parce que je me méfie presque autant de celui-ci que du premier tant il travaille à l’accompagnement de la catastrophe et donc à son acceptation. Je n’irai pas enfin au contre-sommet off, même si je suis sûre d’y retrouver une forte illusion de liberté, de combat juste et de fraternité. J’aurais participé au village, qui reste à ce jour pour moi un fantasme, pour essayer qu’il ne devienne un folklore bio éthique alternatives et bignou.

Lorsque la fête est finie


Si je devais réagir à la tenue du G8 à Evian - mais dois-je vraiment répondre au G8 - si je devais répondre à la violence inouïe des membres de ce sommet, je quitterai ma famille, ma maison, j’irai brûler Evian ou plus précisément le G8. Je ferais le choix de l’action directe, certainement violente. Je n’ai pas ce courage, je n’ai pas non plus le désespoir des vraies victimes qui m’amènerait à prendre les armes, non par choix mais par survie.
Mais je ne participerai pas pour autant à un rassemblement qui se fonde sur le rituel et la nostalgie de résistances passées. La non-violence de Gandhi, les rassemblements contre la guerre du Vietnam, le blocus de Seattle, sont utilisés en vrac et parmi d’autres pour légitimer les mobilisations actuelles. Est-ce pourtant possible de comprendre les différences et les spécificités entre chacune de ces résistances et qu’elles répondaient précisément à des oppressions et des situations distinctes ?

Les rassemblements sont clonés les uns derrière les autres et lorsque la fête est finie chacun reprend ses habitudes. C’est quelque chose de traverser la France, brûler du pétrole, prendre tout un week end, pour aller crier "tous ensemble", agiter des masques, à gaz ou pas, sous le nez des flics, pendant trois jours. Pourquoi aller à Evian ? Pour réclamer d’être entendu du G8 et intégré aux inflexions sociales, ou pour retrouver le plaisir romantique d’une résistance non-violente et radicale, debout face aux puissants ? Le sommet du G8 ne tombera pas face au village anticapitaliste, il sait désormais jouer de cette opposition pour renforcer son argumentaire démocratique. Tomberait-il qu’il serait remodelé en une institution plus fine, plus présentable, un G8 durable. L’évolution de ces institutions et de leur vocabulaire depuis cinq ans, depuis la reproduction régulière des contre-sommets anti-globalisation devient significative de souplesse et d’adaptation. Cela indique que le G8 est aussi une cape rouge qui s’agite sous nos yeux, remplaçable au besoin. Mais surtout, s’il devait réellement être la cible, le G8 ne pourrait tomber que sous les coups de personnes déjà, ou encore, prêtes à vivre sans ce système, et pour qui il constitue véritablement un obstacle. Je ne crois pas que cela soit profondément notre cas. Avant d’aller sur le gazon d’Evian, posons-nous la question de savoir ce que le G8 détruit de si indispensable dans nos vies, aujourd’hui. Cela supposerait de savoir répondre à une autre question : Que voudrions-nous conserver de ce monde-ci ?

Nous prétendons nous opposer à la dissémination des OGM, la fermeture d’une petite maternité en milieu rural, le déclenchement des grandes manœuvres en Irak, mais nous sommes fondamentalement déjà prêts à vivre avec ces événements. Comment revendiquer que nous nous approprions la gestion de l’eau quand nous avons accepté depuis longtemps qu’elle soit un bien de consommation, traitée, conditionnée et distribuée ? En se satisfaisant d’une revendication réduite à un plaisir intellectuel, à moins qu’il ne s’agisse seulement de substituer les gestionnaires, façon lutte des classes ? Nous nous satisferons évidemment du prochain label OGM Bio, et du projet de voie rapide pour rejoindre la plate-forme médicale régionale - nous l’emprunterons, bien sûr, pour aller manifester. Nous nous sommes déjà satisfaits d’une guerre ininterrompue depuis douze ans, via un embargo et des bombardements quotidiens, contre les populations irakiennes. Plus d’un million de morts, annonce-t-on. Comme partout ailleurs notre opposition ne s’est exprimée qu’en réponse au spectacle : elle fut donc tout à fait discrète et mesurée. Et chaque jour depuis douze ans nos vies ont construit la légitimité d’une prise de contrôle de l’Irak par les occidentaux. Les communistes, si loquaces après avoir quitté la collaboration gouvernementale, ont récemment produit et affiché une figure symbolique : une pompe à essence pointant comme une arme le front d’un enfant [d’Irak]. Une image forte, mobilisatrice. Ils se sont bien gardés d’identifier la main qui tient la pompe, laissant à chacun le soin d’y mettre un autre que soi. Plutôt que le slogan révélateur et dérisoire de la LCR qui annonce "nos vies valent plus que leur pétrole", mieux vaudrait comprendre et travailler à ce que leur vies valent plus que notre pétrole. Et maintenant faisons un jeu : retrouvons qui est derrière leur, et qui est derrière notre.

Enrayer la catastrophe


Bien sûr, la réponse à apporter à Evian est de se soustraire à l’emprise de la catastrophe, et pas seulement durant trois jours. Cela demande d’en comprendre la nature même, de comprendre notre rôle fondamental dans sa progression. Cette catastrophe, technologique, industrielle, se nourrit de notre acceptation quotidienne bien plus qu’elle ne freine face à notre opposition rituelle. Si nous avons un rôle à jouer pour enrayer l’artificialisation du monde, cela ne peut être en jouant au chat et à la souris avec les membres du G8, mais en comprenant combien notre quotidien nourrit cette artificialisation, en commençant par enrayer ce lien. Chaque action, si action il doit y avoir, menée directement contre les piliers de la catastrophe ne sera alors qu’une conséquence, un geste logique dans une survie quotidienne. Ces actions auront alors un sens.

Si nous travaillons chacun sur l’état du monde, sur le hors-champ, sur ce qui fonde la catastrophe, si nous ré-ancrons profondément nos vies dans le sol, si nous savons retrouver ce qui partout dans les pays en développement disparaît chaque jour, produire et échanger localement notre nourriture, nos vêtements, nos maisons, nous reconnecter avec les autres et notre environnement, ré-apprendre des gestes et des métiers nécessaires à notre survie, à notre autonomie, nous réorganiser politiquement, casser localement les institutions, alors je ne doute pas que des actions quotidiennes harcèleront le G8 et consorts qui ne seront plus des icônes mais de véritables menaces. Nous ne répondrons plus alors au spectacle, au jeu des sommets et contres-sommets. Nous agirons directement là où la catastrophe progresse contre nous, où elle détruit nos vies. Evian est une scène, un théâtre, certainement pas un de ces lieux de lutte.

Zoé Wasc


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