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AccueilJournalNuméros parus en 2003N°18 - Mars 2003 > Liberté, égalité, police

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Liberté, égalité, police


Par Maurice Rajsfus

Jusqu’au 21 avril 2002, la police de ce pays s’octroyait, simplement le pouvoir de déraper. Depuis, elle a tous les droits, en attendant de s’arroger tous les pouvoirs. C’est du moins ce que Nicolas Sarkozy suggère chaque jour aux policiers.
Un regard de travers, un mot de trop, un geste de refus, et le citoyen ordinaire est bon pour la garde à vue. Avec interdiction de garder le silence, comme le signifie la loi sur la Sécurité Intérieure, adoptée par les députés en janvier 2003.

Tous les droits ? Ce n’est peut-être pas suffisant. Et si l’on rétablissait la torture ? Interrogation dépassée. Il y a beau temps, en effet, que l’on tabasse dans les commissriats de police de la France républicaine. Et si l’on établissait la peine de mort ? Inutile. Les policiers nerveux de la gâchette ne se privent pas, à l’occasion, de faire l’impasse de l’autorité judiciaire, tout en oubliant que la peine de mort a été abolie en octobre 1981. (*)

Notre démocratie repose sur un superbe tryptique : « Liberté, Egalité, Fraternité ». Excellente plaisanterie ou vœux pieux ? triple alibi brandi avec véhémence par ceux qui pensent plutôt à « Travail, Famille, Patrie » de la France de Vichy, de 1940 à 1944. Ce qui se vérifie de plus en plus, dans les faits, depuis près d’un an. Reprenons dans le détail cette superbe devise :

Liberté pour les truands en col blanc, dont certains nous gouvernent. Libertés conditionnelles pour les veaux, lesquels n’ont pas bien compris que, de plus en plus, ils seront privés de la faculté de penser ou d’agir librement. Comment peut-on accorder la liberté pleine et entière aux indociles, aux insubordonnés ou aux insoumis ? Il reste la liberté surveillée, qui permet encore d’éditer des journaux ou de prendre la parole en public - ce qui n’est pas négligeable. Mais de quelle liberté dispose encore le pékin ordinaire lorsque, d’après la nouvelle loi, la police peut fouiller sans raison le coffre de sa voiture ou venir perquisitionner chez lui, en pleine nuit, sans même qu’il soit nécessaire, dans certains cas, de justifier d’une Commission rogatoire. Disparue la notion d’inviolabilité du domicile.

En guise de liberté, il ne restera bientôt qu’une vague tolérance laissant croire que le libre-arbitre existe toujours. En fait la liberté pleine et entière est en congé.
Egalité pour les nantis qui, pleins de morgue, affichent cette satisfaction qui sied à ceux qui méprisent leurs contemporains. Dès leur retour au pouvoir, nos éminences décidaient, dans le même temps, de bloquer les salaires, tout en préparant la suppression de l’impôt sur la fortune. il ne subsiste plus que l’égalité entre ceux qui sont plus égaux que les autres, tandis que l’égalité - par le bas - des précaires est de plus en plus visible. Tous égaux devant la loi, ce qui peut signifier que ceux qui se hasardent à prendre le métro sans titre de transport peuvent se retrouver sur la paille humide des cachots de la république.

Fraternité. Voilà un mot qui n’a plus guère de sens. Il reste la police, pour ceux qui n’auraient pas compris l’ardente obligation faite à Nicolas Sarkozy et ses amis (socialistes à l’occasion) de faire régner l’ordre au pays des Droits de l’homme. Dénominateur commun de notre société, l’ordre absolu et la toélrance zéro, règlent désormais tous les instants de notre vie. Autorité et rigueur : la toute puissance des forces de l’ordre est devenue le symbole d’une démocratie qui a changé de visage.

Le pauvre niais d’électeur qui a voté Chirac pour sauver ses libertés reçoit la monnaie de son bulletin de vote. En partage, il s’est mis sous tutelle d’une droite dure qui fait du le Pen en toute tranquillité - sans que cela paraîsse subversif. Pour cette droite, que l’on pourrait qualifier de bonapartiste, le temps de la revanche est venu. L’heure est à la mise au pas de la « canaille ». En 1968, De gaulle parlait plus simplement de la « Chienlit ».

Le masque de la droite républicaine ne trompait que les idiots. Lesquels étaient rassurés par la couleur du drapeau et les mâles accents de la chansonnette nationale, que l’on ne peut plus moquer, sauf à outrager Sarkozy, et même nos socialistes qui ont voté l’immonde article de loi - les communistes et les Verts se contentant, en guise de protestation de ne pas prendre part au scrutin.
Ceux qui sont au pouvoir, par la grâce d’une gauche poubelle qui leur ont préparé patiemment la place durant cinq ans, en expliquant que « la sécurité est une valeur de gauche », ne sont pas décidés à lâcher ce pays qu’ils considèrent comme une propriété privée - plus jamais. C’est du moins ce qu’ils ambitionnent.

Justice et police à la botte d’un parti majoritaire. C’est le nouveau panorama de la France républicaine. Jean-Pierre Chevénement, puis Daniel Vaillant, nous avaient vanté les mérites de leur police de proximité. Perben et Sarkozy s’apprêtent à nous gratifier d’une justice de proximité rendue par des militaires et des policiers à la retraite. Tous égaux devant cette justice, sauf les requins de la finance et les gredins du patronat qui traîtent leurs salariés comme du bétail. Comme si les lois sociales n’existaient plus.

Tous ensemble, droite et gauche, ont toujours tenu à rassurer le bon peuple. Il y avait bien désaccord sur quelques sujets, mais il n’était pas question de remettre en cause « notre » fond commun, hérité de la Révolution de 1789 : Liberté-Egalité-Fraternité. Tous se mettaient même d’accord pour ajouter « Sécurité », pour compléter le crédo.

La gauche convenable, enfin en miettes, la grande alliance entre le pouvoir et le patronat pouvait devenir visible. Il n’était plus nécessaire de prendre le minimum de précautions. « Il est temps de siffler la fin de la récréation » proclamait récemment le baron Seillère, patron des entrepreneurs. Ce qui signifie très simplement qu’il faut en finir avec les conquêtes d’un siècle de luttes ouvrières : la journée de huit heures, acquise au début du XXe siècle, les 40 heures, grande victoire de juin 1936, les congés payés, les conventions collectives, les sections syndicales d’entreprises, etc. Quant aux 35 heures...

Cette volonté d’un retour aux conditions de travail du XIXe siècle correspond aux vœux d’un pouvoir qui ne craint plus de remettre en cause les libertés fondamentales. Il suffit de se rappeler le dernier congrès du MEDEF, en janvier dernier, où l’on a pu voir Sérafin et Seillère se congratuler à la tribune, tels deux larrons satisfaits. Reste la fraternité patronale et la grandebouffe de ministres qui, dès le mois de juin 2002, se faisaient augmenter leurs traitement de 70%. Cette égalité des privilèges pour la France qui gouverne d’en haut correspond d’ailleurs aux superprofits engrangés par les sociétés qui voient leurs cours monter en Bourse lorsqu’elles licencient massivement - avec délit d’initiés à la clef.

Combien de temps nous reste-t-il pour protéger ce qu’il nous reste de libertés ? Jusqu’à quand ceux qui s’affirment de gauche resteront-ils prostrés, n’ayant toujours pas compris la portée de leurs défaites du 21 avril et 16 juin 2002 ? Il y a fort à parier que les donneurs de leçons vont rester muets très longtemps encore. Pour certains d’entre eux, Sérafin et Sarkozy font ce qu’ils n’ont pas osé faire eux-mêmes, et ils attendent leur tour pour reprendre la tâche inachevée. Comment les socialistes parisiens ont-ils osé faire appel à une police plus brutale que conviviale, dans la nuit du 9 au 10 février pour déloger les sans-papiers qui occupaient le gymnase Japy ? Pour ceux qui l’ignoraient, des centaines de juifs étrangers, arrêtés le 14 mai 1941, avaient été enfermés dans ce même lieu, avant d’être internés, puis déportés...

Se reporter à La police et la peine de mort, de Maurice Rajsfus (L’Esprit Frappeur, 2002).

Maurice Rajsfus


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