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AccueilJournalNuméros parus en 2003N°18 - Mars 2003 > Résistances à l’écran

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Résistances à l’écran


Comme tous les mois, voici une sélection partielle (et partiale) de quelques films, plus ou moins récents, jugés intéressants au vu des thèmes sur lesquels lutte le réseau No Pasaran...

Pirouli (Paris)


The Magdalene Sisters



Film anglo-irlandais de Peter Mullan - 2002 - 120 min.

Au début des années 60, Margaret, Rose et Bernadette sont envoyées chez les Magdalene Sisters pour avoir péché. Margaret a été violée par son cousin, Rose a eu un enfant hors mariage et Bernadette se montre trop complaisante avec les hommes. Le décors est planté : le couvent des sœurs Magdalene est un lieu d’enfermement pour les femmes qui troublent l’ordre moral et patriarcal de l’Irlande catholique. On y exploite des femmes (le couvent blanchit des vêtements contre rémunération, mais ne paie pas les sœurs qui y travaillent) pour le compte de l’Eglise qui s’enrichit sur leur dos.

L’intérêt principal du film n’est pourtant pas la dénonciation humanitaire d’une barbarie contemporaine survivante d’un passé encore trop présent, comme le sous-entend le générique de fin, qui signale la fermeture du dernier couvent de ce type en 1996. Même s’il est important de savoir que 30000 femmes ont vu leur vie brisée et anéantie par ces lieux, The Magdalene Sisters nous enseigne principalement les mécanismes de coercition à l’œuvre dans toute structure disciplinaire.

Les mécanismes que nous dévoile Mullan sont exactement ceux que Foucault analysait dans Surveiller et Punir : toute l’horreur de ces lieux, si elle est bien réelle, réside surtout dans la place qu’ils occupent par rapport aux dispositifs de pouvoir. Ces endroits où l’on apprend la discipline dans sa chair même, où l’on est redressé tel un arbre tordu par un tuteur, où le pouvoir même est incorporé dans le moindre comportement et le moindre geste, où le plus vicieux maton n’est autre que son être propre formaté par la coercition, sont des lieux révélateurs et indispensables au fonctionnement normatif de notre société disciplinaire. Et c’est ce que les Magdalene Sisters nous font entr’apercevoir. Margaret refuse de s’échapper car, lors de l’une de ses tentatives, elle rencontre un homme qui lui rappelle la réalité extérieure : une femme seule doit être disponible pour les hommes. L’horreur du couvent ne prend son sens qu’en relation à un monde extérieur dont il est le fervent organisateur, et non une excroissance monstrueuse.

On ne peut alors que citer Foucault : « Dans cette humanité centrale et centralisée, effet et instrument des relations de pouvoir complexes, corps et forces assujettis par des dispositifs d’« incarcération » multiples, objets pour des discours qui sont eux-mêmes des éléments de cette stratégie, il faut entendre le grondement de la bataille ». Bataille que mènent Bernadette et Rose, et qu’il nous faut plus que jamais livrer aujourd’hui.

Black Panthers



Film documentaire franco-étasunien d’Agnès Varda - 1968 - 28 min.

Agnès Varda, réalisatrice aujourd’hui bien connue (Sans toit ni loi, Les glaneurs et la glaneuse…), a réalisé Black Panthers en 1968. Elle dévoile, en moins d’une demie-heure, de nombreuses facettes du mouvement d’émancipation noir afro-américain Black Panthers Party. Le tournage s’est effectué en grande partie lors d’un grand meeting réalisé en soutien à leur ministre de la défense, Huey Newton, alors incarcéré.

La caméra, loin des préjugés journalistiques classiques qui veulent toujours expliquer mieux que les acteur-rices même de la lutte la raison de leur révolte, laisse le soin aux panthers de nous raconter le pourquoi et le comment de leur mobilisation.

On assiste alors à plusieurs discours, décrivant les discriminations et violences quotidiennes, la guerre de basse intensité que mène le gouvernement américain contre les populations noires - guerre jamais déclarée (comme alors au Vietnam) mais toujours ouverte - et justifiant le recours aux armes comme légitime défense dans une perspective révolutionnaire. Aux défilés bien connus et martiaux des panthers, fusils à la main, apparaît en contrepoint le travail social quotidien qu’ils et elles organisaient (nourriture, logement…), afin de réussir à exister dans un monde qui le leur refusait. Les femmes aussi prennent la parole pour expliquer la teneur de leur oppression, et leur refus de se soumettre à une « beauté » mâle et blanche qu’on voulait leur imposer. Enfin, Varda, ayant réussi à s’introduire en prison pour interviewer Newton, nous livre ici le témoignage incroyable de cet homme qui, depuis son parloir, s’adresse à nous de façon claire et lucide, expliquant l’arbitraire (stratégique pour l’état américain) de sa condamnation.

Black Panthers est donc un témoignage inestimable d’un mouvement d’émancipation qui a bouleversé les rapports de domination, à une époque où des opprimé-es (la seconde vague du mouvement féministe est d’ailleurs contemporaine des Black Panthers), pour la première fois, théorisaient et luttaient contre leur oppression. Black Panthers est aussi le témoignage d’une époque où les discours politiques étaient bien moins édulcorés et l’ensemble de l’Occident moins individualisé, moins lobotomisé.

S21, ou la machine de mort khmère rouge



Film documentaire franco-cambodgien de Rithy Panh - 2002 - 101 min.

S21 est un film exceptionnel. Il nous raconte, notamment au travers de la parole même d’anciens tortionnaires, le fonctionnement minutieux du génocide cambodgien (2 millions de personnes tuées dans un pays qui en comptait 8). Le centre S21 était une prison d’où l’on ne sortait que pour être exécuté, à genoux, à coups de bâton dans la nuque.

Rithy Panh a pris plus de trois ans pour réaliser ce film, trois années durant lesquelles il a côtoyé d’anciens khmers rouges, d’ancien-nes rescapé-es, des parents des victimes et des bourreaux… C’est à partir de ces centaines d’heures d’entretiens que le documentaire a pu émerger. Tourné sur les lieux mêmes du camp de mort, aujourd’hui désaffecté et vidé, mais laissé en l’état, le film permet de voir les anciens bourreaux mimer, décrire leurs actes et parler de leurs motivations d’alors. Ce dispositif filmique particulier permet, sans jamais minimiser l’horreur du génocide, de ne pas sombrer dans le voyeurisme ou la morbidité audiovisuelle, et d’inciter véritablement à la réflexion. La grandeur du film est de faire comprendre la force d’un système totalitaire, l’imprégnation de l’idéologie dans l’esprit des bourreaux, et la puissance structurelle déshumanisée nécessaire à la mise en place d’un génocide. S21 permet de comprendre en décrivant après-coup, mais de l’intérieur, le fonctionnement de la machine de mort khmère rouge.

Rithy Panh, réalisateur cambodgien de grand talent, avait déjà exploré brillamment plusieurs facettes du Cambodge contemporain. « La terre des âmes errantes », qui montrait l’exploitation d’ouvrier-es dans la pose d’une ligne internet (en fibre optique) pour le compte d’Alcatel, était déjà un film très fort. S21, qui plonge dans l’histoire sanglante d’un pays voulant aujourd’hui l’oblitérer pour mieux s’ouvrir au tourisme, n’est à manquer sous aucun prétexte.

Il sera diffusé en avant première au festival du Cinéma du Réel à Paris (le 12 mars à 16H30 et le 14 mars à 20H30), et sur Arte le 28 avril (aux alentours de 22H, horaire à confirmer).

Le quart de siècle du festival de films de femmes



Du 21 au 30 mars 2003 aura lieu à Créteil la 25ème édition du festival international de films de femmes. Cinquante films réalisés par des femmes seront donc en compétition cette année, projetés au cours des dix jours du festival.

Contact : AFIFF - Maison des Arts de Créteil - Place Salvador Allende, 94000 Créteil, France - 01.49.80.38.98 - filmsfemmes@wanadoo.fr


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