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AccueilJournalNuméros parus en 2003N°18 - Mars 2003 > PORTO ALEGRE le POUVOIR comme ENJEU

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PORTO ALEGRE le POUVOIR comme ENJEU



100000 personnes se sont réunies au 3e Forum Social Mondial. Un évènement exceptionnel qui par son ampleur et aussi son fonctionnement politique attise plus que jamais les rapports de force, les luttes de pouvoir. Des tensions que l’on retrouve déjà dans l’organisation du Forum Social Européen qui se tiendra à Paris-Saint-Denis en novembre 2003.




Aborder un Forum social mondial (Fsm) comme Porto Alegre est une entreprise complexe. Impossible de résumer le Fsm à un courant, une tendance ou encore une organisation. Ce sont une multitude d’enjeux qui s’y mêlent. Les enjeux liées à l’arrivée de Lula au pouvoir, ceux propres à chaque pays ou organisations (la lutte, par exemple, au sein d’Attac entre les pro-Cassen et les pro-Aguiton), l’impact sur les milliers de personnes en lutte qui se sont rencontrées, les enjeux propres à l’événement en lui-même, etc.
Tout n’est donc pas si rose (ni rouge d’ailleurs) à Porto Alegre. Certes, le Forum social a été une réussite. 100000 personnes sont venues tisser des liens, apprendre des autres, partager des expériences. De grands moments sont venus jalonner l’événement : discours de Lula, manifestation contre la guerre, puis contre l’Alca et le Fmi, venue de Hugo Chavez, etc. Le Forum a réussi à mêler ces évènements à un programme riche. Des milliers de débats se sont tenus.
Au fur et à mesure que le Fsm gagne en notoriété, les rivalités internes sont plus grandes. Preuve en est la difficulté qu’à un le Conseil International - conseil chargé de l’organisation politique du sommet - à valider le choix de l’Inde pour l’organisation du prochain Fsm. « Chacun choisit en fonction de ses objectifs propres » explique Antonio Martins de Attac Brésil.

Le Forum est rentré dans une phase critique. La première édition avait été l’occasion de visibiliser la résistance, symbolisée par un José Bové menacé d’emprisonnement par les autorités brésiliennes. L’engouement massif, le sentiment que le projet pouvait gagner en puissance éteignait les divergences internes. Lors de la deuxième édition, le Fsm avait déjà acquis ses lettres de noblesses. Les politiques commençaient à se rapprocher du forum. Lula s’en servait pour légitimer sa candidature à la présidentielle. Les partis de la gauche française - Besançenot, Mamère, Hollande - venait s’afficher près du mouvement social (ce qui leur a moins réussi). Cette édition avait permis de lancer des Forums sociaux partout dans le monde - locaux, continentaux ou régionaux, qui seront une réussite. L’heure était à la proposition d’alternatives. Cette 3e édition était, comme l’explique Gus Massiah, vice-président d’Attac, un moment pour réfléchir à comment mettre en place concrètement nos alternatives. Qui pourrait se formuler aussi comment collaborer, faire pression sur les pouvoirs politiques pour qu’ils appliquent nos préceptes !

Le mouvement social face à l’institution



Indéniablement, le Fsm est devenu un organe légitime pour le pouvoir, les institutions. Preuve en est, la présence de trois membres du gouvernement français de droite. Mais, les deux continents les plus représentés sont dans des situations politiques radicalement différentes. D’un côté, les Européens voient s’imposer en Espagne, en France, en Italie une droite populiste. Les mouvements sociaux sont laminés par cette vague bleu-marine, et espèrent en le retour d’une gauche qui serait plus clémente. De l’autre côté de l’Atlantique, en Amérique du Sud, des présidents étiquetés à gauche arrivent au pouvoir : Venezuela, Brésil ou encore Equateur. L’échec de ces nouveaux gouvernants serait un peu celui du mouvement social.
« Si le gouvernement de Lula échoue, confiait Gus Massiah au journal Témoignage chrétien, ce sera un coup dur ». La situation politique brésilienne était largement au centre du Fsm, si ce n’est lors des milliers de conférences ou autres ateliers, mais au moins dans les discussions de couloir. Il ne faudrait pas oublier que le succès du Fsm et la présence de 100000 personnes est largement le fait d’une mobilisation brésilienne. Les enjeux propres à la politique du plus grand Etat d’Amérique du Sud était omniprésent. Le PT, le parti de Lula, était présent en masse, même si la charte officielle du Forum interdit les partis d’être présents (1). Les dizaines de stands du PT qui ont envahi les allées du Fsm ne laissent aucun doute sur leur omniprésence. Mais les autres composantes de la gauche brésilienne voulaient aussi se faire entendre. Ainsi, lors de la manifestation d’ouverture contre la guerre, le Parti Socialiste des Travailleurs Unifié - plus à gauche que le PT - a réclamé à Lula la rupture des accords avec le Fonds Monétaire International et ceux de la Zone de Libre-Echange Américaine. Un président brésilien qui a été tenu de s’expliquer face à ses électeurs lors de sa venue à Porto Alegre sur sa visite à Davos. D’ailleurs, au Forum Economique Mondial, il s’est retrouvé comme porte-parole d’un Fsm qui ne l’a pas choisi. Il a dû encore une fois manier la langue de bois pour satisfaire à la fois les investisseurs et les participants au Fsm : « Nous voulons la liberté de marché, mais elle ne peut pas passer devant la liberté des citoyens. » Le leader brésilien a même souhaité un rapprochement entre les deux Forums, ce qui a provoqué la colère de certains organisateurs de Porto Alegre.

Assemblée, réseau, forum : les stratégies s’affrontent



Pour Gus Massiah, il s’agit de « réinventer une nouvelle forme de politique qui mette l’accent sur l’autonomie des mouvements sociaux et civiques… ». Clairement, les relations entre pouvoirs locaux, nationaux ou régionaux et le Forum se font de plus en plus étroites. Tel Attac, le Fsm était né d’une volonté de sortir des chemins classiques de la militance, c’est-à-dire en dehors de la conquête du pouvoir. Mais, après trois ans d’une montée en puissance impressionnante, les organisateurs du Fsm attirent les pouvoirs politiques et sont de plus en plus attirés par ceux-ci.
Ainsi, un débat, une scission est née entre ceux qui veulent faire du Forum un espace de débat et ceux qui veulent lui donner une parole politique. Une partie des organisation ont lancé - en marge du forum mais quand même à Porto Alegre et durant les six jours - un appel pour « dépasser les relations épisodiques entre les mouvements, construire un débat politique plus profond et aider à l’établissement de structures horizontales […] qui permettront au mouvement d’étendre leurs actions au niveau international. » Nommée l’Assemblée des Mouvements Sociaux « repose sur l’idée qu’un regroupement permanent de mouvements sociaux et constituera une force politique internationale plus forte pour peser sur des situations d’oppression caractéristiques du néolibéralisme. » Bien sûr, déjà certains accusent l’Assemblée - comme certains la surnomme - de s’autoproclamer porte-parole du Forum et refusent de signer l’appel.

Derrière ces jolies déclarations se jouent bel et bien une bataille féroce pour récolter les fruits politiques du Fsm et représenter ces mouvements sociaux. On n’est pas surpris d’y retrouver les partis et organisations de la IVe Internationale, rassemblement des organisations trotskistes du monde entier. Face à ce détournement politique, la riposte politique a été réalisée par la création du Réseau social mondial. Plus large, il a moins l’ambition de constituer un pôle de pouvoir politique et plus de promouvoir le débat, " afin de constituer la mémoire de tous les Forums, diffuser les propositions formulées par eux, partager la connaissance des luttes sociales…"
S’il fallait être positif on pourrait arguer que ces luttes de pouvoir et envers le pouvoir sont constitutifs d’une dynamique. Mais, ils traduisent aussi la difficulté du Fsm de persister dans la création d’une nouvelle forme de politique, « de dépasser les logiques de domination et d’exclusion en vigueur dans notre société, logiques parfois présentes chez ceux qui aspirent à transformer notre monde « comme le précise le Réseau des mouvement sociaux.

(1) « Ne pourront participer au Forum en tant que tels les représentations de partis. » indique la charte. Pourront être invités à y participer, à titre personnel, les gouvernants et parlementaires qui assument les engagements de la présente Charte. »


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