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AccueilJournalNuméros parus en 2003N°23 - Octobre 2003 > On ne va pas se laisser abattre comme ça !

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On ne va pas se laisser abattre comme ça !


Dès le 1er janvier 2004 plus de 850.000 chômeurs vont au fil des mois connaître la suppression pure et simple de leurs droits. La sacralisation de la valeur travail, l’axiome "une place pour chacun, chacun à sa place", un des fondements de la droite, du patronat et de la CFDT, prend ainsi toute sa valeur. Alors que près d’un million de personnes sont physiquement menacées le gouvernement Raffarin a dans son frigo des projets pour "enfin" en finir avec le CDI et nous faire travailler demain à n’importe quel prix, sous n’importe quelle condition de travail.


Le 20 décembre 2002 les partenaires antisociaux, Médef et CFDT main dans la main, avec la CGE-CGC et CFTC qui tiennent les chandelles, ont signé une nouvelle convention UNEDIC. Ainsi les durées d’indemnisation des chômeurs ont été réduites de 7 à 24 mois selon les filières (correspondantes à la durée d’emploi effectuée) et une catégorie entière a été supprimée, celle qui correspondait aux travaux saisonniers s’étendant sur 4 mois (sous prétexte que les étudiants en profitaient, sic !) Sentant que le sujet pouvait devenir sensible, l’UNEDIC et l’Etat se sont bien gardés d’informer les allocataires à part une lettre floue envoyée par la première - sans préciser la nature exacte des changements. Ces mesures concernent plus de 850.000 personnes dès le 1er janvier 2004. La CFDT et le MEDEF ont justifié cette mesure par la volonté d’accélérer le retour à l’emploi, alors que l’Europe est dans un contexte de licenciements économique et de ralentissement de la production capitaliste.

Restent aux personnes sans allocations chômages la possibilité de recourir à l’ASS (Allocation de solidarité spécifique) dont le montant maximum est de 406,80 euros par mois. Au passage la plupart des chômeurs perdront ainsi quelques centaines d’euros, suivant leurs salaires lorsqu’ils étaient employés. Pour vous faire une idée, plus de 50% des allocataires de l’ASS étaient ouvriers auparavant, 61% de ses bénéficiaires ont plus de 45 ans et 90% n’ont pas d’emploi depuis deux ans. Ces allocataires sont actuellement au nombre de 420.000.


Plus de 200.000 personnes sans ressources dès janvier


Et c’est là où le gouvernement Raffarin a fait très fort, encore une fois : Fillon, Ministre de l’emploi fictif, a annoncé le 17 septembre dernier que la durée maximale de l’ASS allait être montée à deux ans, ou trois pour ceux qui en sont déjà bénéficiaires, et que cette mesure était rétroactive. En janvier 2004, de 180.000 à 250.000 personnes (suivant les sources) vont se retrouver sans aucune ressource. Elles pourraient bien demander le RMI (env. 360 euros) le gros problème étant que les départements, qui le reversent, ont été pris de cours et n’ont pas budgétisés de dépenses supplémentaires, et qu’en plus le RMI est versé avec au minimum un mois de décalage. Plus de 200.000 personnes vont très certainement se retrouver à la rue. Le gouvernement le sait ; il s’en fout royalement et le gros con de Fillon ne compte pas lever le petit doigt pour donner une rallonge aux départements - ce sont les cadeaux pour les riches qui coûtent le plus cher et l’Etat n’a rien à donner à celles et ceux qui "ne servent à rien". (+)

Mais tout au long de l’année et des deux suivantes la situation va s’aggraver et toucher tous les anciens allocataires Assedics. Une bonne descente aux enfers en perspective : allocations chômages en moyenne pendant un an, puis ASS pendant deux ans, puis RMI pendant deux années maximum, puis signature d’un RMA pour bosser pour maximum 410 euros par mois, alors que le SMIC est à 1000 euros. Bien sûr, un peu comme un savant fou de série B Fillon a laissé aux chômeurs des chances de s’en sortir et leur suivi sera plus musclé, en sachant qu’avec le PARE on peut refuser une fois une offre d’emploi, mais pas deux, sinon les droits sont coupés (air connu).

Quant à la CFDT elle applaudit à deux mains, c’est la société qu’elle souhaite et espérons que les 15.000 personnels du rail ou des routes qui l’ont quittée en septembre seront bientôt suivis par d’autres. Par rapport à l’entreprise de destruction des droits qu’elle a accompli durant toutes ces dernières années (retraites, signature du PARE, convention UNEDIC, lâchage en 95, alliance avec le MEDEF) la moindre des choses serait d’occuper tous les locaux de la CFDT (un bon abris pour les chômeurs) et de l’exclure de tout type de manifestations, donc le prochain 1er mai… et les suivants.

Vers la fin du CDI

Aux journées parlementaires de L’UMP, à Nancy, Fillon a levé un voile suggestif sur un des projets du gouvernement, un nouveau contrat de travail qui correspondrait à une durée de projet. Ce type de "contrat projet" ne porterait donc plus sur un poste de travail particulier mais sur une tâche précise à accomplir, la personne étant "lourdée" à la fin de la mission, ou renouvelée si elle a fait preuve d’excellence (épuisée à la tâche). Ca ne vous rappelle rien ? L’intérim, bien sûr ! Mais l’intérim dans le Code du travail doit rester une exception alors que le CDI est la norme juridique, et les entreprises ne peuvent faire appellent à des intérimaires que dans des cas précis : le remplacement ponctuel d’un salarié, le travail saisonniers ou l’accroissement temporaire de production, notions floues qui peuvent être détournée facilement par les patrons. Visiblement ça ne suffit pas aux molosses libéraux de la majorité qui souhaiteraient rendre franchement flexible le marché du travail, créer de nouvelles normes juridiques alors que les intérimaires hésitent moins en moins à s’emparer des prud’hommes pour attaquer leurs employeurs (voir le cas récent de Peugeot-Citroën qui a perdu plusieurs procès). Mais en fouillant dans notre mémoire le "contrat projet" de Fillon nous rappelle également autre chose : Denis Kessler, ex porte flingue du desperado Seillière au Médef, avait en son temps préconisé la création de CD"I" renouvelable tous les 5 ans, après que le salarié ait subit une évaluation. Utile pour maintenir la compétition dans son entreprise et pressurer encore plus les intoxiqués de l’emploi.

La philosophie qui préside ce "contrat projet" est sous-entendue dans l’évolution du capitalisme dans la partie Nord du globe. Alors que les entreprises, notamment celles d’industries lourdes (métallurgie…) se délocalisent vers le Sud afin de trouver de la main d’œuvre à coût très faible, le Nord a tendance à développer des unités de productions de plus en plus petites qui sont obligées d’être de plus en plus innovantes et productives pour faire face à la concurrence et à la déréglementation des marchés. L’innovation passe par l’externalisation des risques, la sous-traitance, et le contrat projet permettrait aux entreprises de contractualiser avec des individus, ou des groupements d’individus qui pourraient être renouvelés en cas de "faiblesse". La presse commerciale, partout dans le monde, fonctionne de plus en plus ainsi : de moins en moins de salariés permanents mais une multiplication de pigistes qui sont autant de micro entreprises autonomes vendant leurs services.

La culture du projet est même transversale à la société et que les apôtres du dogme libéral cherchent à tendre vers cette culture prouve aussi un "rattrapage culturel". Les milieux militants sont aussi porteurs de cette culture : on ne s’engage plus "pour la vie" dans un parti, comme dans les ex-PC, mais on s’associe le temps d’un village alternatif ou d’une campagne politique. La même analogie pourrait être faite pour la conjugalité bien entendue. Pourquoi ne pas adhérer à cette culture en fait ? Les contrats projets pourraient être valables pour avoir une vie plus riche et épanouie, changer d’activités si et lorsqu’on le souhaite ; la fracture irréductible et essentielle avec les libéraux étant que dans ce cas là les droit sociaux, l’accès gratuit aux services collectifs ainsi que le revenu doivent être permanents, pour toutes et tous [une première étape avant le contrôle collectif des moyens de production]. Ce que les libéraux ne souhaiteront jamais bien entendu.


Formatage professionnel : le nouveau CIP est signé

Les discussions autour de la suppression du jour férié sont pour l’instant au point mort, sans que le projet ait été abandonné. L’attaque contre ce jour sans don de soi au Capitalisme pourrait bel et bien être un Cheval de Troie pour le gouvernement. En effet pour supprimer un jour férié, et donc augmenter le nombre d’heures travaillées durant l’année il faut toucher aux deux lois Aubry sur les 35 heures, ce qui permettrait au gouvernement de faire de nouveaux cadeaux au patronat. On peut imaginer le pire, et comme nous sommes toujours en deçà de la réalité : augmentation du contingent des heures supplémentaires et non majoration de celles-ci, augmentation de la durée maximum de travail par semaine, etc. Au-delà de ces spéculations, qui ne sont malheureusement pas très hasardeuses, l’Etat UMP multiplie ses déclarations sur la valeur travail, le goût de l’effort etc. et les Sarkozy, Raffarin, Chirac n’ont de cesse de porter l’emploi aux nues.

Autre attaque contre les 35 heures : la signature le samedi 20 décembre, entre le Médef et les "syndicats" (FO, CGE-CGC, CFTC et… CDFT) d’un accord sur la formation professionnelle. Un texte quasi-illisible tant qu’il a fallu louvoyer et marchander mais qui aboutit sur un nouveau dispositif - le DIF (Droit individuel à la formation). Il s’agit de permettre aux salariés de "capitaliser" des heures de formation, au minimum 20 annuelles, s’ajoutant à celles prévues par la loi et qui s’effectueront hors du temps de travail. Elles seront payées 50% du salaire net. Quel est le problème ? Premio, la formation est à discrétion de l’entreprise et donc les ouvriers, les employés seront formés sur leurs outils en dehors de leurs heures de travail ; ce qui est un formidable recul. Plus grave encore que ces petites vingt heures (minimales) cela ouvre la porte à un vieux rêve caressé par le Médef : que la formation entière soit effectuée en dehors de l’entreprise à la charge du salarié, pour diminuer bien entendu les coûts sur notre dos. Ce texte en ouvre timidement la porte mais le Médef et la CFDT ont résolument fait savoir qu’elles comptaient s’attaquer à ces droits dans les prochains mois…

Peut-on descendre plus bas ? Mais oui, bien sûr qu’on peut faire pire… Vous vous souvenez du CIP (Contrat d’insertion professionnelle) de Balladur, du SMIC jeune à 80% dès la sortie du Bac. Nous l’avions repoussé en 1994. Et bien les partenaires l’ont signé le 20 septembre !!! ça s’appelle le CIF (Contrat individuel de formation) et ça forcera les jeunes entre 16 et 21 ans à travailler pour 55% du SMIC (65% avec le bac), et entre 21 et 26 ans pour 70% du Smic (80% avec le bac). C’est signé dans notre dos, en silence, dans cet accord Médef et syndicats antisalariés du 20 septembre…


Chaos debout !

Le plus surprenant dans la tactique de l’Etat UMP, du Médef et de la CFDT c’est qu’il semble compter sur une réaction amorphe de la part des chômeurs et des salariés. Au sujet des droits des premiers (qui concernent aussi les salariés, chômeurs en puissance), l’Unedic a expédié des courriers internes à ses agents, consciente du fait que des chômeurs apprenant la suppression de leur droit pourraient avoir des réactions violentes contre eux.

Mais ce ne sont pas aux agents de l’Unedic qu’il faut s’attaquer, mais bel et bien à ceux qui ont signé et couvert cet accord. D’ailleurs les mobilisations commencent :

- Le jeudi 25 septembre une centaine de chômeurs ont occupé le siège de l’UNEDIC à Paris, contrariant une réunion opaque des partenaires antisociaux à cette occasion. Les questions posées au directeur n’ont rien donné et menacés par les flics les chômeurs ont dû partir vers 17 heures. Par contre l’action avait réuni 200 personnes ce qui est un plus par rapport aux précédentes.

- Le mercredi 8 octobre est prévu une première journée de mobilisation contre le "recalcule" des durées d’indemnisation, la précarité, le nouveau statut des intermittents.

- Fin octobre, la journée européenne du revenu. (2)



Néanmoins s’organiser entre précaires et chômeurs va être une rude tâche à mener :

- à part les convaincus, et les associatifs, la plupart des chômeurs sont aussi individualistes qu’une bonne part de la population ; sauf que cet individualisme est exacerbé par le manque de liens sociaux, tels qu’on peut en développer sur un lieu de travail. La volonté d’agir collectivement n’est pas voulue par tous et il est souvent dur de dépasser le stade des "coups de gueule".

- le gouvernement va choisir, comme pour le mouvement des intermittents ou pour la défense des retraites, la politique de l’indifférence. Il va donc falloir porter nos actions à un point où l’Etat en soit gêné et donc se frotter aux répressions policières. Par exemple les occupations sont de moins en moins tolérées et de plus en plus vite évacuées, du moins dans les grandes villes. Mais continuons-les ! A nous d’être suffisamment pugnaces, imaginatifs et solidaires pour contourner la répression et multiplier les foyer de luttes !


Ces difficultés peuvent être surmontables. Finalement, je suis surpris par tous les risques que prend le gouvernement, en poussant près d’un million de personnes au désespoir alors qu’il n’ y gagne pas grand-chose - les économies sont ridicules pour un budget d’Etat. Si toutes les personnes poussées au désespoir canalisent leur rage contre lui, il pourrait bel et bien y avoir du très sérieux grabuge d’ici peu.


Raphaël


(1) "[La baisse de l’impôt sur le revenu] n’est pas injuste, elle est normale, mécanique." Explication : "Ceux qui payent beaucoup d’impôts, c’est qu’ils gagnent beaucoup d’argent" et, "entre nous, s’ils gagnent beaucoup d’argent, c’est qu’ils le méritent. [...] Cela veut dire qu’ils apportent à la société une valeur supérieure à ceux qui gagnent moins d’argent."
Francis Mer, Ministre de l’économie et des finances le lundi 15 septembre, à "Mots croisés" (France 2)


(2) N’hésitez pas à vous tenir au courant des mobilisations en consultant le site d’AC ! : www.ac.eu.org


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