Retour accueil

AccueilJournalNuméros parus en 2003N°23 - Octobre 2003 > C’est la guerre !

Rechercher
>
thème
> pays
> ville

Les autres articles :


C’est la guerre !



Il y a beau temps que les forces de l’ordre françaises se sont conduites comme en pays conquis. Sans pouvoir apporter de pourcentage pour appuyer cette affirmation, nous savons que trop de nos policiers républicains ont un comportement de soudard rappelant les Grandes compagnies de la Guerre de cent ans : fort devant les faibles, veules devant les puissants.




Ce serait déjà assez dur à supporter mais, en fermant les yeux, et en restant sourd aux plaintes des victimes, il serait possible de survivre. Ce n’est pourtant pas suffisant, car les porteurs d’uniforme, qui interviennent au nom de la loi, donnent le sentiment d’être en guerre contre les soixante millions de citoyens dont ils sont censés assurer la sécurité.

Depuis l’été 2002, la France est en état de siège ! Avec la constitution des GIR (Groupes d’Intervention Régionaux) qui réunissent policiers, gendarmes, douaniers et agents du fisc sur des opérations communes, c’est effectivement l’équivalent de l’état de siège non décrété qui a déferlé sur la France. Un peu comme si le pays était sous occupation, mais sans qu’il soit nécessaire que l’on puisse voir les informes d’une armée étrangère…

Très rapidement, à Strasbourg, à Lyon, à Lille, etc. les habitants des cités ont vu débarquer des hordes constituées de plusieurs centaines d’hommes, armés jusqu’aux dents, pour traquer l’ennemi intérieur, et conforter ceux qui nous gouvernent.

Comme j’ai déjà pu le noter : " L’ordre public n’a pas de mémoire ! " * C’est ainsi que le 16 juillet 2002, à l’aube, à l’heure même où d’autres commémoraient le 60ème anniversaire de la rafle du Vel d’hiv (opération conduite par 7000 policiers parisiens prière de ne pas oublier cela, s’il vous plaît) environ 300 policiers et gendarmes investissaient la cité Pablo Picasso, à Nanterre quartier tranquille, cassant les portes des caves et d’un certain nombre d’appartements. Cette descente de la brigade sauvage avait été montée en présence des journalistes de la presse écrite et audiovisuelle, conviés à assister aux exploits des redresseurs de tort. Résultat : quelques barrettes de shit et des cagoules saisies dans une cave.

Il ne manquait que les chars pour mieux terroriser une population sous le choc. (Ce même jour, un policier de Montrouge faisait main basse, à lui seul, sur une quinzaine de kilos de résine de cannabis).
Peu importaient les quelques grammes d’herbe. Il était hautement nécessaire de montrer aux habitants de cette cité la capacité d’intervention rapide des forces de l’ordre. À noter que la présence de la presse avait pour fonction de démontrer la crédibilité de cette action ; ce que l ’on appelait sous Michel Poniatowski (ndc : ministre de l ’intérieur sous Giscard) les " opérations coups de poing ".

En moins de deux mois, la vingtaine d ’opérations montées par les GIR avaient pour volonté de rappeler à l’ordre une population pourtant plutôt soumise, puisque la majorité des Français avait envoyé à l’Assemblée nationale une large majorité de députés chiraco-godillots. De leur côté, les syndicalistes policiers se tapotaient doucement le menton quant à la fiabilité de ces descentes en force : " Bonne idée virtuelle ", pour le syndicat national des officiers de police (SNOP) et " La montagne a accouché d’une souris ", susurraient les responsables de l’UNSA-Police. Les mêmes, flattant pourtant Nicolas Sarkozy, assurant, la main sur le cœur, que jamais la police française n’avait eu un patron aussi digne d’éloges.

Depuis plus d’un an, on n’entend plus guère parler des GIR, qui n’étaient finalement qu’une sorte d’opération de relations publiques. Plus sélectifs, plus violents également, apparaissaient les coups de mains, particulièrement depuis le vote définitif de la loi sur la Sécurité intérieure de Nicolas Sarkozy (18 mars 2003). Plus la répression s’emballe, plus le ministre de l’Intérieur assure, la main sur le cœur, qu’il n’y a nullement atteinte à la démocratie avec ces textes de loi qui rétrécissent nos libertés, les réduisant à une peau de chagrin.

Nous savons que se retrouver en soirée devant la porte d’un immeuble est devenu un délit passible de prison ferme, avec une très forte amende à la clé. Quelques jeunes de Bagneux (92) interpellés dans la rue par des policiers zélés, le 8 juillet 2003, vont bientôt se retrouver sur les bancs du tribunal correctionnel des Hauts-de-Seine et comprendre que les lois Sarkozy sont faites pour être largement interprétées.

Toute aussi grave, et plus encore, la loi socialiste, suite à la proposition d’un député de droite, en 2001, réprimant les raves parties, avec confiscation du matériel sonore à la clé. On peut ne pas apprécier ces rassemblements bruyants, tout comme les tombereaux de déchets abandonnés par les " teufeurs ", peut-être même s’indigner de l’existence des trafics de drogues qui s’instaurent en ces occasions. Dans le pire des cas, cela pouvait relever de la simple interdiction pour diffusion excessive de décibels.

Mais, la loi c’est la loi, et le 19 juillet 2003, la préfète du Morbihan a cru nécessaire d’envoyer contre des " ravers " rebelles, un millier de gendarmes armés comme s’ils partaient pour le front, accompagnés de véhicules blindés. Cela se passait près de la commune du Faouët, en Bretagne, et ce qui devait arriver n’a pas manqué de se produire. Les affrontements entre jeunes et gendarmes ont atteint un niveau de violence inimaginable : les pandores, que l’on avait équipés à cet effet, se sont risqués à balancer des grenades offensives contre ces dangereux délinquants désireux de se déhancher au son de la musique techno. C’était effectivement la guerre, avec ses dégâts collatéraux, et un jeune homme âgé de 18 ans, pris de peur à la vue de l’une de ces grenades tombant à ses pieds, tentait de retourner l’objet à l’envoyeur, mais la grenade, perverse, explosait aussitôt, lui arrachant la main droite, et une partie de l’avant-bras, lui procurant légalement des brûlures au visage et aux jambes.

Réaction de la préfète : il fallait appliquer la loi, et faire respecter l’ordre (qui n’était pas vraiment menacé). Pas plus, en tout cas qu’au festival des Vieilles Charrues, qui se tenait non loin, dégageant tout autant de nuisances sonores et de sacs en plastique accrochés aux branches des arbres. Pas un mot de la préfète sur la vie perturbée, gâchée peut-être, de ce garçon brillant qui, en septembre 2003 devait entrer à l’université.

Il reste cet enseignement capital : l’ordre c’est l’ordre.

Aujourd’hui, les grenades offensives, demain les roquettes dissuasives, tirées depuis un véhicule blindé. Les gaz lacrymogènes étant désormais considérés comme une gentille punition relevant du romantisme répressif. Il est vrai, malgré tout, que les gendarmes dépendent du ministère de la Défense nationale, et il ne peut être question de considérer leur intervention comme hasardeuse, ou relevant simplement de la haine pure contre le pékin qui ne marche pas droit. Dans ce sens, il est impossible de passer sous silence les propose tenus " off the record " par quelques officiers supérieurs qui, après la mise au rancart de l’armée de conscription, n’ont pas craint d’affirmer que l’armée n’avait pas pour unique préoccupation de protéger les frontières. Ajoutant qu’à l’occasion, les militaires pourraient également se voir chargés de missions précises contre " l’ennemi intérieur "…

Il est un cas précis qu’il est impossible de passer sous silence : le 22 juin 2003, à l’aube, une centaine de gendarmes mobiles, accompagnés de chiens-pandores, venaient s’assurer de la personne de José Bové, dans sa ferme du Larzac, avec en renfort un hélicoptère et des engins blindés. Moins de six semaines plus tard, ce dangereux individu était remis en liberté.

La guerre intérieure a cette spécificité qu’il n’est pas nécessaire de la déclarer. C’est le conflit permanent et le pouvoir se réserve le choix des armes.

Il est bon de le savoir !


• In Introduction à la Police de Vichy (Le cherche midi éditeur, 1995).

Maurice Rajsfus


No Pasaran 21ter rue Voltaire 75011 Paris - Tél. 06 11 29 02 15 - nopasaran@samizdat.net
Ce site est réalisé avec SPIP logiciel libre sous license GNU/GPL - Hébergé par Samizdat.net