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AccueilJournalNuméros parus en 2004N°26 - Janvier 2004 > Entretien avec François Ruffin

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Entretien avec François Ruffin


François Ruffin est un journaliste atypique. Diplômé du CFJ (promotion 2002), il a créé le mensuel Fakir, pour une presse amiénoise alternative, et collabore régulièrement au Monde diplomatique. Il est également l’auteur de l’ouvrage « Les petits soldats du journalisme » dans lequel il revient sur ces deux années d’études dans la « grande école » qu’est le CFJ.


No Pasaran : Déjà, peux-tu te présenter ?

François Ruffin : j’ai 28 ans et je continue de faire le journal Fakir à Amiens, journal que je faisais déjà avant d’entrer au CFJ.


Tu as fait cette « grande école », enfin, chose qu’on savait déjà avec ton livre. Pourquoi avoir fait cette école ?

Il y a plusieurs raisons, d’abord, étant à Amiens j’avais lancé Fakir, et j’avais découvert que j’avais de relatives capacités d’écriture, mais en même temps je me suis rendu compte que je pouvais aller à la rencontre des gens, briser une certain timidité et que cela se passait plutôt bien, je me suis donc dit pourquoi pas faire du journalisme. De là, j’ai fait un stage à Libération durant un été et même à Libé, on me disait « c’est bon, tu travail bien mais faudrait passer les concours, faudrait que tu fasses une école ». Après, la question est plus « pourquoi j’y suis resté ? » plutôt que « pourquoi j’y suis entré ? » et là c’est simple, c’est par désir de sécurité sociale.


Du coup, tu as été jusqu’au bout malgré les nombreuses critiques qui apparaissent dans ton livre.

Oui, il y a cet aspect-là. Mais aussi, au fil des jours, même si j’avais le sentiment d’être dans un endroit où je ne devais pas être, où j’entendais des choses que je n’étais pas censé entendre comme « le journalisme, c’est une industrie où on vent du papier comme on vent du poireau » ou bien « vous vous devez d’être de bons petits soldats, les soldats du journalisme ». Quand tu entends des phrases comme cela, en même temps tu es navré, mais cela provoque un réel enthousiasme, et plus c’est pire, plus c’est mieux...


frPlus c’est pire, plus tu veux voir jusqu’où ils peuvent aller....

Oui. Pour moi, par exemple, la question de rester ou non s’est posée à Noël de la première année. Quand tu as passé les trois premiers mois, c’est que tu as choisi de rester ; tu ne peux plus faire marche arrière, tu as engagé ta première année de scolarité, tu as payé tes 15000fr de frais d’inscription...


Crois-tu être es une exception parmi les gens qui rentre au CFJ ?

Il y a quelques personnes dans chaque promotion qui se posent des questions, après pour beaucoup, les questions ne portent pas sur le contenu pédagogique de la formation et se limitent à la taille du foyer. Par ailleurs, la grande différence pour moi, c’est qu’avant de rentrer au CFJ j’ai travaillé à Libération alors que pour beaucoup c’est leur but et donc je rentrais dans la formation avec un certain nombre de connaissances, et une autre partie de la formation, je la trouvais inintéressante. Pour moi, apprendre à faire un sujet en 1 minute 15 pour une télé sur le retour du printemps, ça m’intéresse pas. Alors même si en rentrant, je ne savais pas le faire, je n’avais pas franchement envie d’apprendre à le faire.


Ton idée est donc de ne pas apprendre dans le format institutionnel, mais d’avoir ta « sécurité sociale », la carte de presse.

J’étais là pour faire du journalisme. Tout en apprenant à faire cela, qui a peu de chance de survivre et qui est assez étrange, je pensais que dans le cadre d’une école comme celle-là, on pourrait accepter que des choses non conformistes soient faites.


Tu nous dis que les gens que lescontestations viennent de la taille du foyer ; il y a eu une grève au CFJ, une première, par rapport au prix d’entrée, est-ce que la question du contenu s’est aussi posée ?

Oui, mais uniquement parce que deux ou trois personnes dont moi ont été au charbon pour la poser. La question de départ, c’était avant tout une logique de consommation : le prix d’inscription. fak Alors, c’est vrai que cela va sans doute avoir des conséquences dans le profil social des élèves qui y rentrent, mais le tri est déjà fait avant, avec les 15.000fr. Alors dans ce mouvement, je n’étais pas pour l’augmentation, mais ce n’était pas le problème fondamental de l’école. Notre travail a donc été d’œuvrer à traduire le mouvement différemment en faisant par exemple intervenir « les intellos précaires » ou bien Serge Halimi ou bien Laurent Bécariac qui étaient passés par le CFJ et qui l’avaient quitté au bout de deux mois, en échangeant sur ce qu’est le journalisme, en faisant aussi venir des journalistes syndicalistes et c’est le seul jour où un syndicaliste a pu franchir le seuil d’une salle de classe. On a donc essayer d’aller au-delà des frais d’inscription. Je crois que le résultat de cette journée, c’est que le directeur a compris que le rapport de force ne lui était plus aussi favorable qu’avant et depuis - ce mouvement est arrivé à la fin de ma formation - la partie « obéir » de mon livre n’est plus complètement d’actualité, mais je crois que c’est bien le seul truc qui ait évolué...


L’autre jour, une journaliste de F3 Iroise parlait de ton livre et elle disait qu’il manquait la parole de la direction du CFJ dans ton livre. L’as-tu contactée ?

Oui, j’ai cherché à le faire trois mois avant la publication du livre, j’ai téléphoné au directeur de l’école, je lui ai fait une lettre et demandé une interview à la directrice générale du CFJ ; ils ont tous les deux refusé, donc voilà... Après, cela ne me gêne pas du tout, je ne suis pas là pour leur donner la parole et ils l’ont déjà à longueur de colonne dans Le Monde, Le Figaro, c’est pas le point de vu de la direction qui m’intéresse.


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Beaucoup de journalistes considèrent qu’ils sont neutres, que penses-tu de la neutralité journalistique ?

Pour moi, cela n’existe pas. Déjà, quand tu choisi de faire un sujet, c’est que tu as une option. La neutralité, pour moi, c’est de se construire un filtre sans connaître la réalité. Au moins, celui qui assume sa subjectivité, il ne se voile pas, et peut expliquer en public. Par exemple, là on voit sur [France] Inter une personne qui, tous les matins, nous parle du foulard. Il y a un biais de subjectivité là dedans. Quand on nous parle du rapport et que le grand truc c’est que « ostentatoire » va être remplacé par « ostensible ». Actuellement, je travail sur le quartier d’Amiens, effectivement tous les jours, il se pose des problèmes de délinquance, de toxicomanie, mais il y a aussi des types qui sont engagés trois heures pour faire un inventaire, d’autres trois jours comme caristes puis plus rien durant trois mois et depuis un mois on a le droit à quoi, au voile... Alors, effectivement, c’est une manière de voir le monde et on peut dire que c’est neutre, mais ça ne l’est pas. Quand, en février, Bernard Loiseau se suicide, tous les médias font leur « une » sur ce thème et l’effet des guides Michelin, c’est pas neutre du tout. En France, chaque année il se produit 12.000 suicides, comment cela se fait-il que celui de Bernard Loiseau on en ait parlé beaucoup plus que les 11.999 autres ? Trois suicides quotidiens dans les prisons françaises, c’est pas ces suicides que l’on traite. Trois suicides après la fermeture de Moulinex, là aussi on n’en parle pas. Alors, on peut se retrancher derrière la neutralité... Le problème avec la neutralité, c’est que c’est devenu un mode de construction professionnel de l’actualité que le journaliste ne perçoit même plus. Il faut avant tout faire de l’audimat, qui devient l’actualité, faire les mêmes réponses que les confrères, mais c’est tout sauf des biais de neutralité. Après, derrière tout cela, il ne faut forcément chercher une idéologie politique, mais il y a une idéologie commerciale.


Que penses-tu de la notion du pouvoir des médias ?

FR : Je pense que c’est fondamentalement vrai, sinon la question ne m’intéresserait pas autant. En revanche je pense que la question est globalement mal posée : les gens pensent que les médias ont un pouvoir, notamment au moment des élections, et ils cherchent à imposer tel ou tel candidat et en générale, cela râte... Quand ils cherchent à imposer Balladur, c’est Chirac qui passe, quand ils cherchent à imposer Chirac, c’est Mitterrand qui repasse, enfin c’est ce qui est expliqué dans le livre TF1, un pouvoir, en revanche, les médias ont la capacité d’imposer des thèmes, par exemple, en ce moment, on parle du foulard et pas de l’intérim. Après, peut être que les médias n’ont pas la possibilité de faire penser aux gens s’il faut être pour ou contre le foulard, mais par contre c’est le foulard qui va se retrouver au coeur de l’actualité et par la même occasion au coeur de la problématique politique. Par contre, je ne suis pas sûr que les médias soient capable de nous faire penser blanc ou noir, par exemple, sur le traité de Maastricht, même avec le matraquage on voit qu’il y a eu une très forte résistance de l’opinion.


Qui dit pouvoir médiatique, dit aussi contre-pouvoir. Fakir en est un exemple...

Il faut bien voir qu’aujourd’hui les résistances aux médias sont le fait d’une résistance très individuelle et pas du tout institutionnalisées. Que se soit PLPL, Fakir, ou certains livres, c’est le fruit de quelques personnes qui tentent de maintenir quelque chose mais la puissance du pouvoir médiatique comparée à l’infime impuissance de son contre pouvoir, ça n’a rien à voir... C’est la pierre contre la plume.


interview Rico


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