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AccueilJournalNuméros parus en 2004N°27 - Février 2004 > Un lieu anarchiste qui n’est pas pour les anarchistes...

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Un lieu anarchiste qui n’est pas pour les anarchistes...


El Paso est une chouette grosse baraque à Turin dans le nord de l’Italie. C’est l’un des plus vieux squat d’Europe. Sa longue histoire permet donc d’envisager s’il est possible dans la durée de d’éviter certains écueils : sclérose, ghettoïsation, division du travail, etc. Voici donc une longue interview de Mario Spesso, investi depuis longue date dans le squat. Il y a sans doute des traduction approximatives mais comme Mario le rappelle : nous ne sommes pas de professionels !


paso
Peux-tu nous expliquer comment est né El Paso ? Dans quel contexte il a été ouvert, la situation du mouvement squatteur en Italie à l’époque… Y-avait-il des squats à Turin auparavant ?

El Paso Occupato est le premier endroit, la première maison squattée à Turin. Après près de dix tentatives d’ouvertures depuis 1982, le 5 décembre 1987 un collectif (Punks Anarchistes & Anarchistes) a réussi à obtenir un lieu. Turin est comme Manchester ou Détroit, une ville industrielle où absolument tout (travail, sport, médias, police, mairie, temps libre, culture) est basé sur le travail, sur la Fiat. Donc, les pouvoirs locaux ont essayé de nous éliminer par des attaques policières, de lourdes amendes, la prison pendant que les médias nous décrivaient, selon les époques, comme des junkies, des hooligans, du folklore, des terroristes…


Quel était l’objectif que s’étaient fixé les personnes qui ont ouvert El Paso ?

La motivation principale pour squatter était d’avoir un lieu où nous pourrions nous rencontrer, jouer de la musique, discuter, vivre…


A propos, y-a-t-il toujours des personnes investies dans le lieu qui ont vécu ces "temps préhistoriques" ?

Ouais, nous sommes toujours quatre dans ce cas et beaucoup de gens investis au début de l’histoire continuent de venir ou viennent passer ici quelques mois de temps en temps…


Pour des français, c’est très impressionnant de découvrir qu’en Italie presque chaque ville (en particulier dans le nord) jouit d’un lieu "alternatif" : squats, centre sociaux… Pour toi y-a-t-il une différence entre un squat comme El Paso et un centre social ? Est-ce juste une appelation différente qui recouvre la même réalité ?

papA la différence de la plupart des Centri Sociali ("squats sociaux") tenus par la gauche, nous ne considérons pas El Paso comme un "centre" politique tout simplement parce que nous ne nous considérons pas nous-mêmes comme des politiciens, ni comme une avant-garde pour conduire les masses au pouvoir. Nous ne nous voyons pas plus comme un club alternatif pour groupes underground. El Paso c’est une maison, un endroit où tu peux jouer de la musique, organiser des actions "politiques", rencontrer des gens, boire, faire l’amour, rire, débattre…

Nous avons investi cet endroit pour nous, en essayant non pas de vivre de manière alternative au système mais CONTRE celui-ci. Nous tentons donc de développer de nombreuse manières de vivre qui ne reproduisent pas les règles du monde qui nous entoure. Pas de business ici, personne n’est payé, à la différence d’autres gros lieux en Italie. Tout l’argent que nous retirons des concerts, du bar et de la distribution est dépensé pour entretenir le lieu, pour soutenir d’autres squats en Italie ou à l’étranger, pour des prisonniers ou pour des collectifs anarchistes, pour soutenir la radio alternative locale (Radio Blackout) avec laquelle nous émettons. Nous publions également des livres, des affiches, des T-shirts, des cassettes qui sont diffusés dans des squats sociaux ou par des distros non-profit et Do It Yourself (nous avons publié environs 40 disques et 6 livres, pas un seul autre squat ou centre social, même plus vieux, ne l’a fait).

Nous ne sommes pas intéressés par des luttes corporatistes, nous ne croyons pas aux combats séparés (travailleurs, étudiants, femmes, noirs…) comme beaucoup de lieux et de collectifs. Nous recherchons simplement des contacts avec des affinitaires. Nous ne croyons pas aux luttes de masses, dans ce monde show-business nous refusons la fragmentation (pas de séparation marxiste pré-définie entre les intellectuels et les travailleurs, entre la pensée et l’action : tout le monde peut être cuisinier, écrivain, peintre, mécano, etc.) Ce que nous sommes pas capables de faire nous pouvons l’apprendre. El Paso a été reconstruit de nos propres mains en refusant une quelconque aide des institutions.


A propos, El Paso est-il toujours un squat ou avez-vous un accord, quelque chose comme un bail ?

Pas du tout, nous sommes toujours un squat parce que nous l’avons choisi.


Est-ce que les différents squats italiens entretiennent des liens ?

Et bien en ce moment nous ne sommes en relation qu’avec quelques autres lieux, surtout parce que la plupart des lieux anarchistes ne sont pas actifs et que les soi-disants centres sociaux sont juste investis dans le business ou la politique institutionelle… Par contre nous avons de nombreux contacts individuels partout…


Peux-tu nous expliquer ce que sont le "Comitato Difesa Anarchici" et de celui de "Canenero" (chien noir ?) ? Ce collectif (?) semble représenter un grosse part de l’activité politique du squat… Vous avez l’air également très investis dans des campagnes contre les élections…

C’est terminé depuis 6 ans maintenant, mais le CDA a été un des plus importants collectifs d’action de soutien aux anarchistes des années 90 et celui de Canenero une des expériences les plus représentatives… Le CDA collectait de l’argent pour les avocats et des prisonniers, il diffusait de l’info aux radios, aux journaux, il tentait d’organiser une défense commune pour les procès, d’être présents à de très très nombreux procès, il organisait des actions, des débats publics…

Canenero était l’œuvre des très nombreuses personnes de toute l’Italie qui écrivaient et se rencontraient souvent à Firenze où l’hebdomadaire était rédigé, imprimé et expédié partout… Et c’était gratuit… Canenero a sans doute été le journal le plus radical qui ait été jamais vu en Italie et aussi une énorme expérience d’autogestion.


Quels sont les autres thèmes politiques abordés par El Paso ?

Ils sont de toutes sortes, mais nous utilisons principalement Internet que ce soit par notre site et quelques mailing lists (400 personnes sont inscrites à la nôtre - "Pasica").


Quelles relations entretenez-vous avec le voisinage ?

Bonnes. La dernière fois que quelqu’un du quartier a lancé une pétition pour nous faire expulser, il a récolté 11 signatures…


Et avec les pouvoirs locaux ? Y-a-t’il eu des tentatives de fermer le lieu ? En usant de moyens légaux un squat peut-il éviter une expulsion ? En Italie existe-t-il des lois pour "protéger" les squats/centre sociaux ?

Aucuns contacts avec des politiciens. Ils nous ont expulsé-e-s 14 jours après l’ouverture du lieu (et nous sommes revenu-e-s), il ont alors rééssayé et nous avons organisé une grosse manifestation… De toutes manières nous les haïssons et il nous détestent. ILS NE PEUVENT PAS GAGNER…et pas moyen d’utiliser la loi. Personne n’est protégé du gouvernement, s’il promettent quelque-chose tu peux être sûr que s’il comprennent que tu n’es plus dangereux la fin est proche…si tu ne changes pas d’idées…


Comment sont prises les décisions concernant la vie du lieu ? Y-a-t-il une réunion spéciale, des commissions pour des sujets particuliers ?

Au bout de 16 ans, nous faisons une réunion juste tous les 2 mois, le reste du temps nous nous parlons tous les jours. Parfois, quand il y a un problème. Mais des personnes autres que nous viennent discuter pour organiser des actions, des événements…


Cela fait plus de 15 ans que le squat existe, c’est peut-être même le plus vieux d’Europe (monde ? !)… Souvent quand un lieu est bien installé, cela peut se transformer en une sorte de " ghetto "… Comment tâchez-vous d’éviter ce risque de sclérose ?

bankCe n’est pas le plus vieux, mais un des plus vieux. Il y a le danger de devenir un ghetto. Quelquefois des gens peuvent tomber dans un état de survie et tu peux avoir à faire face à ce risque d’ouvrir le lieu seulement à des gens avec lesquels tu trouve des affinités.

Je suis convaincu qu’un endroit comme El Paso demande énormément d’énergie et d’investissement. Dans le lieu où je suis investi, il est souvent très dur d’éviter une spécialisation, une division des tâches. Il est parfois difficile de partager les savoirs. Si c’est votre vision de l’autogestion, comment faites-vous pour éviter que ne se reconstitue une "division du travail" : une spécialiste du son, un cuisinier, etc. ?

Nous avons parfois le même problème. Il n’y a que peu de personnes qui peuvent gérer la sono par exemple, mais généralement nous essayons au moins que chacun sache vraiment ce que nécessite chaque tâche, ses tenants et ses aboutissants. Donc même si tu n’es pas directement concerné par une tâche tu peux comprendre ce qu’implique exactement cuisiner, faire les balances, manifester…


Comment voyez-vous le futur d’El Paso ?

Nous devons simplement continuer de choisir nos objectifs et la manière de terminer cette expérience : tout a une fin et si tu ne la choisis pas d’autres le feront pour toi…


Avez-vous de nouveaux projets ?

Un comité régional contre les Jeux Olympiques d’hiver de 2006, une rencontre des labels indépendants Do It Yourself, de nouveaux disques et livres, continuer de soutenir la radio, la scène, et la réalité anarchiste un peu partout. Par dessus tout nous voulons trouver d’autres gens partout dans le monde, anarchistes ou pas, en affinité avec nous. De manière simple, El Paso est un lieu anarchiste qui n’est pas pour les anarchistes…


Quelque chose de spécial à dire ?

Quelques extraits d’un de nos tracts :

Dans le sillage d’El Paso, d’autres lieux ont été squattés dans la ville : le premier en 91 et de nombreux autres les années suivantes. Tout ça parce que nous préférons 1000 squats différents plutôt qu’un gros et célèbre. Nous cherchons l’attention de cette société de fantômes donc nous refusons le rôle de braves garçons/filles que les médias attachent aux squatteurs en ce moment. Nous sommes contre cet état d’esprit. Pas de business (y compris celui de la drogue, même si nous aimons toutes sortes de drogues, pas d’incitation ici), pas de partis politiques, pas de religions à El Paso. Nous agissons politiquement pour détruire les politiciens.

Nous sommes contre le contrôle social, le militarisme, le travail, les élections, les partis politiques, le business du football (certains d’entre nous aiment le foot mais en Italie c’est devenu une autre religion…), contre le show business, la gangrène médiatique, les banques.

Donc, pas de professionnels ici, même si notre activité publique principale est la musique (nous avons organisé plus de 1900 concerts) nous ne voulons pas payer "l’art". Les groupes qui demandent beaucoup d’argent (beaucoup plus que le défraiement), l’hôtel, le restaurant, sont refusés. Pas d’agences de management, même chose pour la distribution (la plus grande en Italie dans un squat), pas de magasins et de distributeurs "classiques". Musique : punk rock (du garage au crust, du hardcore à la noise), ska, Oï !, rarement d’autres trucs.

Bien sûr tout n’est pas parfait, nous aimons boire du Coca et fumer des Camels, nous demandons de l’argent aux entrées (mais toujours des prix "politiques", jamais plus de 4 euros l’entrée et si les activités intéressent des personnes sans argent elles peuvent venir sans problèmes). Nous vendons aussi des disques qui ne sont pas produits par des labels indépendants mais à des tarifs moindres que dans les magasins. Pas de "majors".

L’Anarchie pour nous (et peu d’entre nous se déclarent anarchistes) est une méthode, une manière, un choix, nous faisons de notre mieux. Et…c’est épanouissant !

Il y a mille autres choses à dire mais c’est assez pour des visiteurs, si vous voulez en savoir plus : demandez.
Pour les groupes : juste quelques suggestions : tant que vous êtes ici considérez-vous comme des squatters et pas simplement comme des artistes, toute aide est la bienvenue. Par dessus tout ne nous considerez pas comme des roadies (et nettoyez votre chambre).

Contactez-nous pour votre prochaine tournée, disque, émeutes, infos, etc.


CIAO !



El paso Ocupato, via Paso Buole

47, 10127 Torino, Italie

elpaso@ecn.org


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