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AccueilJournalNuméros parus en 2004N°34 - Novembre 2004 > Les « manifestations du lundi » contre Hartz, vues par un antifasciste allemand - le peuple allemand

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Les « manifestations du lundi » contre Hartz, vues par un antifasciste allemand - le peuple allemand




La vague de protestations qui s’est élevée en Allemagne contre le quatrième volet des réformes antisociales du ministre Hartz et qui est à l’origine des fameuses « manifestations du lundi »1 a surpris la république fédérale en plein repos estival. En un temps record, ce mouvement a contraint le gouvernement de coalition social-démocrate et écologiste à quelques petites reculades. Les professionnels de la politique n’ont pas été les seuls à être pris au dépourvu  ; des militants d’expérience habitués des manifs qui s’opposent aux réformes néo-libérales ont également l’air d’avoir été surpris par la nature et l’ampleur de ce mouvement.
On trouve, à l’initiative de ces manifs, tout ce qui existe en terme d’organisations politiques ou issues de la société civile : des individus, des militants de groupuscules de droite ou de gauche, des syndicats, des initiatives de citoyens, attac ou même parfois le PDS2. À Magdebourg par exemple, le mouvement a commencé dès la fin juillet. Andreas Ehrhold, simple individu, avait déposé une demande d’autorisation de manifester, et 200 personnes se sont jointes à lui. Il y en a eu ensuite 600, puis 6000 et enfin 15 000. Cela s’est passé de la même façon dans d’autres villes, et en particulier dans des villes de l’Est de l’Allemagne. Entre temps, on a recensé début septembre plus de 120 manifestations qui se sont déroulées simultanément aussi bien dans l’Est que dans l’Ouest de l’Allemagne ; le nombre global de participants atteint 150 000 chaque lundi.

Qui est « le peuple »  ?
Ceux qui participent au mouvement anti-Hartz et qui s’y sont ralliés, pour la plupart de façon spontanée au départ, y ont été poussés par la perspective de la disparition de leurs acquis sociaux. C’est ce qui est apparu à la lecture des sondages effectués par l’agence fédérale pour l’emploi. Les objectifs que se fixent les manifestants n’en demeurent pas moins assez simplistes : les réformes vont contre ce qui est social, elles doivent disparaître. « Hartz doit s’en aller - Nous voulons travailler »3  : tel est le slogan qui fait l’unanimité. Le mouvement est clairement dirigé contre « les politiques de l’establishment »  ; Schröder doit s’en aller, Fischer aussi. À cause de cette rancur à l’égard des « politiques », il y a certains endroits où les syndicalistes n’osent pas sortir leurs drapeaux pendant les manifs, et même le PDS n’a pas réussi à faire son trou partout. Avec le temps et la fin des vacances d’été, de plus en plus de professionnels de la poli
tique sont venus mettre leur nez dans les « manifestations du lundi » : le mouvement a subi ainsi ses premières divisions internes4. Deux rencontres de délégués concurrentes ont eu lieu : elles ont pris différentes décisions, dont celle de faire une marche en étoile sur Berlin aux alentours du 3 octobre, jour de la fête nationale allemande5.
L’adhésion que rencontrent les actions du mouvement anti-Hartz réunit les adversaires de ces réformes par delà les familles politiques et fait ainsi la démonstration de la dimension politique de l’attaque néo-libérale contre l’État-providence. Les néo-nazis pronostiquent une insurrection populaire et tentent donc de se faire leur place dans les manifs et dans les débats. Norbert Blüm et d’autres personnalités de la droite chrétienne y ont vu l’aubaine de s’opposer à la personnalité dominante de la CDU, Angela Merkel. De façon inespérée, le MLPD a réussi à se faire sa place et marque les points à chaque slogan marxiste-léniniste. Attac et les différents syndicats qui n’appartiennent à aucune confédération mobilisent leurs membres. Quant au soutien que reçoivent les manifestants au sein de la population allemande, il est optimal dans les régions de l’Est, avec plus de 95%.

Et les fachos ?
La participation de néo-nazis aux manifestations a très vite attiré l’attention. Les têtes de manifestations ont dû s’expliquer, certains cortèges ont pris position, la police est intervenue, parfois seulement contre la participation des néo-nazis, et trop souvent pour. La personne qui avait officiellement demandé l’autorisation de la manifestation à Köthen dit ne plus connaître de partis, « seulement des Allemands ». Les manifs
de Freital ont été abandonnées, au profit de celles qui avaient lieu à Dresde, parce la femme qui avait officiellement demandé l’autorisation de manifester trouvait qu’il y avait trop de fachos à Freital. À Magdebourg, la police a ouvert le chemin aux néo-nazis jusqu’à la manif, tandis qu’à Gera, les organisateurs courtisent les néo-nazis, tout comme à Gotha où le Thüringer Heimatschutz6 a pris la tête d’une manif de 500 personnes avec ses 15 militants.
Dans le même temps cependant, les manifestants bruns rencontrent la contradiction, même si cette dernière ne parvient pas toujours à s’imposer. Tout cela est en effet presque entièrement passé sous silence par les médias, dans les compte rendus raccoleurs qu’ils font des manifestations. Ils aiment par dessus tout faire le tableau d’Allemands de l’Est au bord de la
NPDmontag- .tif
Présence du NPD aux « lundis » allemands
révolte, envoûtés par les sirènes de l’extrême droite ou de l’extrême gauche. Le pompon revient à Gerhard Schröder, qui a vilipendé les critiques issues de la CDU ou du PDS en les accusant de former un front populaire uni.
Quand les néo-nazis ne sont pas isolés au niveau régional, quand les contreparties de la société civile sont absentes ou bien quand la société civile a complètement démissionné, la tâche de l’extrême droite est grandement facilitée. Les Kameradschaften7 néo-nazies font partie, dans quelques régions, des rares regroupements politiques actifs qui continuent d’exister. Ainsi, l’apparition de 80 néo-nazis bien soudés à Magdebourg n’est pas un problème à imputer directement aux protestations anti-Hartz. La ville de Magdebourg est confrontée à ce problème depuis bien longtemps, elle répugne cependant à l’évoquer, c’est tout.
Il ne faut pas s’étonner du rôle que jouent les Kameradschaften et le NPD du fait de leur implantation régionale : les membres des Kameradschaften s’imposent parfois en cortèges dans les manifestations, font partie du cercle de ceux qui préparent les manifestations (et c’est là un signe concret de leur normalisation) ou organisent même parfois, de façon isolée, le service d’ordre. Cela fait déjà longtemps que nous avons pu constater à l’extrême droite une appropriation de thèmes tels que les questions sociales, le néo-libéralisme et la mondialisation. En tant qu’antifascistes, nous devons nous efforcer de démasquer l’extrême droite dans ses discours prétendûment sociaux et l’éloigner de nos mouvements sociaux.

Comment faire ?
Dans le mouvement actuel, l’extrême droite est plutôt bien placé. Cela ne signifie pas qu’elle puisse dominer le discours ou les manifestations sans problème (sauf exceptions). Sa capacité à s’imposer se mesurera à notre vigilance et à notre aptitude à nous opposer à elle pas à pas. Cette vigilance doit malheureusement être ravivée chez presque tous les acteurs politiques, que ce soit lors d’actions contre les réformes Hartz IV, contre la guerre ou contre toutes celles qui s’opposent à la « mondialisation  ». Les actions menées par l’apabiz, sous l’intitulé « Bunt und Braun  », ont
essayé de sensibiliser les gens dans ce sens.
Malgré tout, le travail d’information et la discussion n’atteignent pas l’objectif souhaité dans toutes les situations ni dans toutes les régions. On voit ainsi parfois des signes de sympathie à l’égard des néo-nazis quand on en arrive au conflit. Ce qui a pu se produire autour des « manifestations du lundi » montrent clairement qu’il y a des régions où la politique d’émancipation est bien mal partie.

Des perspectives prudentes
Que signifie alors la remise en cause des acquis sociaux dans ce contexte ? À long terme, l’agenda 2010 et les réformes Hartz qui s’y trouvent signifient que l’État dit adieu au consensus social de l’après-guerre. La responsabilité des assurances sociales se reporte de plus en plus sur l’individu, la famille ou d’autres collectivités, sur des « auxiliaires  » privés ou d’intérêts communs. Cela ouvre des espaces et des perspectives pour l’engagement citoyen tout autant que pour le travail des Kameradschaften néo-nazies, comme on a pu le constater déjà dans certaines communes est-allemandes avec le travail social en direction de la jeunesse. Si les néo-nazis parviennent, au cours de ce processus de transformation sociale, à se débarrasser de leur réputation sulfurense (à moins qu’ils n’aient jamais été vraiment exclus à certains endroits), alors ils pourront s’établir de façon encore plus solide dans le quotidien des Allemands. Si on devait assister à de tels développement, une mobilisation antifasciste qui se limiterait à l’exclusion des néo-nazis, ne suffirait pas, à coup sûr. Il ne suffit pas d’empêcher les néo-nazis d’atteindre le micro pendant les manifestations du lundi. Les antifascistes doivent dire clairement pourquoi la politique des néo-nazis ne résoud aucun problème. Cela ne réussira pas partout, mais cela n’en reste pas moins nécessaire.
De nombreux manifestants ont réagi aux critiques des médias par des mots d’ordre appelant à ne pas se laisser diviser entre Allemands de l’Est ou de l’Ouest, ou entre Allemands et étrangers. Les antifascistes doivent tout mettre en uvre pour que dans ce mouvement, personne ne joue la carte du racisme. H

Ulli Jentsch
Tiré de Monitor n17, septembre 2004, journal de l’apabiz, antifaschistisches pressearchiv und bildungszentrum (Centre d’archives et de formation antifascistes), membre du réseau Antifanet

1. En référence aux « manifestations du lundi » qui, à Leipzig par exemple, précédèrent la chute du Mur de Berlin en novembre 1989.
2. Parti communiste allemand, ex-SED, parti unique en RDA de 1949 à 1989.
3. Ou encore : « Hartz, tu te tailles - Par ici le travail ! », ndt
4. La plus notable concerne le MLPD (Marxistisch-Leninistische Partei Deutschlands, Parti marxiste-léniniste allemand), qui a réussi à avoir une position étonamment bonne dans le mouvement.
5. ou Jour de l’unité allemande (Tag der deutschen Einheit).
6. Protection de la patrie de Thuringe : Heimat signifie en allemand l’endroit où l’on est né et auquel on est attaché.
7. Structures d’organisation souples des néo-nazis construites sur le modèle de l’organisation des SA.


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