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Les « manifestations du lundi » contre Hartz, vues par un antifasciste allemand - le peuple allemand
La vague de protestations qui s’est
élevée en Allemagne contre le quatrième volet des
réformes antisociales du ministre Hartz et qui est à
l’origine des fameuses « manifestations du lundi »1 a surpris la
république fédérale en plein repos estival. En un
temps record, ce mouvement a contraint le gouvernement de coalition
social-démocrate et écologiste à quelques petites
reculades. Les professionnels de la politique n’ont pas
été les seuls à être pris au dépourvu
; des militants d’expérience habitués des manifs
qui s’opposent aux réformes néo-libérales
ont également l’air d’avoir été
surpris par la nature et l’ampleur de ce mouvement.
On trouve,
à l’initiative de ces manifs, tout ce qui
existe en terme d’organisations politiques ou
issues de la société civile : des
individus, des militants de groupuscules de droite ou
de gauche, des syndicats, des initiatives de citoyens,
attac ou même parfois le PDS2. À
Magdebourg par exemple, le mouvement a commencé
dès la fin juillet. Andreas Ehrhold, simple
individu, avait déposé une demande
d’autorisation de manifester, et 200 personnes se
sont jointes à lui. Il y en a eu ensuite 600,
puis 6000 et enfin 15 000. Cela s’est
passé de la même façon dans
d’autres villes, et en particulier dans des
villes de l’Est de l’Allemagne. Entre
temps, on a recensé début septembre plus
de 120 manifestations qui se sont
déroulées simultanément aussi bien
dans l’Est que dans l’Ouest de
l’Allemagne ; le nombre global de participants
atteint 150 000 chaque lundi.
Qui est « le peuple »
?
Ceux qui participent au mouvement
anti-Hartz et qui s’y sont ralliés, pour
la plupart de façon spontanée au
départ, y ont été poussés
par la perspective de la disparition de leurs acquis
sociaux. C’est ce qui est apparu à la
lecture des sondages effectués par
l’agence fédérale pour
l’emploi. Les objectifs que se fixent les
manifestants n’en demeurent pas moins assez
simplistes : les réformes vont contre ce qui est
social, elles doivent disparaître. « Hartz
doit s’en aller - Nous voulons travailler »3
: tel est le slogan qui fait l’unanimité.
Le mouvement est clairement dirigé contre
« les politiques de l’establishment »
; Schröder doit s’en aller, Fischer aussi.
À cause de cette rancur à
l’égard des « politiques », il
y a certains endroits où les syndicalistes
n’osent pas sortir leurs drapeaux pendant les
manifs, et même le PDS n’a pas
réussi à faire son trou partout. Avec le
temps et la fin des vacances d’été,
de plus en plus de professionnels de la poli
tique sont venus mettre leur nez
dans les « manifestations du lundi » : le
mouvement a subi ainsi ses premières divisions
internes4. Deux rencontres de
délégués concurrentes ont eu lieu :
elles ont pris différentes décisions,
dont celle de faire une marche en étoile sur
Berlin aux alentours du 3 octobre, jour de la
fête nationale allemande5.
L’adhésion que
rencontrent les actions du mouvement anti-Hartz
réunit les adversaires de ces réformes
par delà les familles politiques et fait ainsi
la démonstration de la dimension politique de
l’attaque néo-libérale contre
l’État-providence. Les néo-nazis
pronostiquent une insurrection populaire et tentent
donc de se faire leur place dans les manifs et dans les
débats. Norbert Blüm et d’autres
personnalités de la droite chrétienne y
ont vu l’aubaine de s’opposer à la
personnalité dominante de la CDU, Angela Merkel.
De façon inespérée, le MLPD a
réussi à se faire sa place et marque les
points à chaque slogan
marxiste-léniniste. Attac et les
différents syndicats qui n’appartiennent
à aucune confédération mobilisent
leurs membres. Quant au soutien que reçoivent
les manifestants au sein de la population allemande, il
est optimal dans les régions de l’Est,
avec plus de 95%.
Et les fachos ?
La participation de
néo-nazis aux manifestations a très vite
attiré l’attention. Les têtes de
manifestations ont dû s’expliquer, certains
cortèges ont pris position, la police est
intervenue, parfois seulement contre la participation
des néo-nazis, et trop souvent pour. La personne
qui avait officiellement demandé
l’autorisation de la manifestation à
Köthen dit ne plus connaître de partis,
« seulement des Allemands ». Les manifs
de Freital ont été
abandonnées, au profit de celles qui avaient
lieu à Dresde, parce la femme qui avait
officiellement demandé l’autorisation de
manifester trouvait qu’il y avait trop de fachos
à Freital. À Magdebourg, la police a
ouvert le chemin aux néo-nazis
jusqu’à la manif, tandis qu’à
Gera, les organisateurs courtisent les
néo-nazis, tout comme à Gotha où
le Thüringer Heimatschutz6 a pris la
tête d’une manif de 500 personnes avec ses
15 militants.
Dans le même temps
cependant, les manifestants bruns rencontrent la
contradiction, même si cette dernière ne
parvient pas toujours à s’imposer. Tout
cela est en effet presque entièrement
passé sous silence par les médias, dans
les compte rendus raccoleurs qu’ils font des
manifestations. Ils aiment par dessus tout faire le
tableau d’Allemands de l’Est au bord de la
révolte,
envoûtés par les sirènes de
l’extrême droite ou de
l’extrême gauche. Le pompon revient
à Gerhard Schröder, qui a vilipendé
les critiques issues de la CDU ou du PDS en les
accusant de former un front populaire uni.
Quand les néo-nazis ne
sont pas isolés au niveau régional, quand
les contreparties de la société civile
sont absentes ou bien quand la société
civile a complètement démissionné,
la tâche de l’extrême droite est
grandement facilitée. Les Kameradschaften7 néo-nazies
font partie, dans quelques régions, des rares
regroupements politiques actifs qui continuent
d’exister. Ainsi, l’apparition de 80
néo-nazis bien soudés à Magdebourg
n’est pas un problème à imputer
directement aux protestations anti-Hartz. La ville de
Magdebourg est confrontée à ce
problème depuis bien longtemps, elle
répugne cependant à
l’évoquer, c’est tout.
Il ne faut pas
s’étonner du rôle que jouent les
Kameradschaften et le NPD du fait de leur implantation
régionale : les membres des
Kameradschaften s’imposent parfois en
cortèges dans les manifestations, font partie du
cercle de ceux qui préparent les manifestations
(et c’est là un signe concret de leur
normalisation) ou organisent même parfois, de
façon isolée, le service d’ordre.
Cela fait déjà longtemps que nous avons
pu constater à l’extrême droite une
appropriation de thèmes tels que les questions
sociales, le néo-libéralisme et la
mondialisation. En tant qu’antifascistes, nous
devons nous efforcer de démasquer
l’extrême droite dans ses discours
prétendûment sociaux et
l’éloigner de nos mouvements sociaux.
Comment faire ?
Dans le mouvement actuel,
l’extrême droite est plutôt bien
placé. Cela ne signifie pas qu’elle puisse
dominer le discours ou les manifestations sans
problème (sauf exceptions). Sa capacité
à s’imposer se mesurera à notre
vigilance et à notre aptitude à nous
opposer à elle pas à pas. Cette vigilance
doit malheureusement être ravivée chez
presque tous les acteurs politiques, que ce soit lors
d’actions contre les réformes Hartz IV,
contre la guerre ou contre toutes celles qui
s’opposent à la « mondialisation
». Les actions menées par l’apabiz,
sous l’intitulé « Bunt und Braun
», ont
essayé de sensibiliser les
gens dans ce sens.
Malgré tout, le travail
d’information et la discussion n’atteignent
pas l’objectif souhaité dans toutes les
situations ni dans toutes les régions. On voit
ainsi parfois des signes de sympathie à
l’égard des néo-nazis quand on en
arrive au conflit. Ce qui a pu se produire autour des
« manifestations du lundi » montrent
clairement qu’il y a des régions où
la politique d’émancipation est bien mal
partie.
Des perspectives prudentes
Que signifie alors la remise en
cause des acquis sociaux dans ce contexte ? À
long terme, l’agenda 2010 et les réformes
Hartz qui s’y trouvent signifient que
l’État dit adieu au consensus social de
l’après-guerre. La responsabilité
des assurances sociales se reporte de plus en plus sur
l’individu, la famille ou d’autres
collectivités, sur des « auxiliaires
» privés ou d’intérêts
communs. Cela ouvre des espaces et des perspectives
pour l’engagement citoyen tout autant que pour le
travail des Kameradschaften néo-nazies, comme on
a pu le constater déjà dans certaines
communes est-allemandes avec le travail social en
direction de la jeunesse. Si les néo-nazis
parviennent, au cours de ce processus de transformation
sociale, à se débarrasser de leur
réputation sulfurense (à moins
qu’ils n’aient jamais été
vraiment exclus à certains endroits), alors ils
pourront s’établir de façon encore
plus solide dans le quotidien des Allemands. Si on
devait assister à de tels développement,
une mobilisation antifasciste qui se limiterait
à l’exclusion des néo-nazis, ne
suffirait pas, à coup sûr. Il ne suffit
pas d’empêcher les néo-nazis
d’atteindre le micro pendant les manifestations
du lundi. Les antifascistes doivent dire clairement
pourquoi la politique des néo-nazis ne
résoud aucun problème. Cela ne
réussira pas partout, mais cela n’en reste
pas moins nécessaire.
De nombreux manifestants ont
réagi aux critiques des médias par des
mots d’ordre appelant à ne pas se laisser
diviser entre Allemands de l’Est ou de
l’Ouest, ou entre Allemands et étrangers.
Les antifascistes doivent tout mettre en uvre
pour que dans ce mouvement, personne ne joue la carte
du racisme. H
Ulli Jentsch
Tiré de Monitor n17,
septembre 2004, journal de l’apabiz,
antifaschistisches pressearchiv und bildungszentrum
(Centre d’archives et de formation
antifascistes), membre du réseau Antifanet
1. En référence aux
« manifestations du lundi » qui,
à Leipzig par exemple,
précédèrent la chute du Mur de
Berlin en novembre 1989.
2. Parti communiste allemand,
ex-SED, parti unique en RDA de 1949 à 1989.
3. Ou encore : « Hartz, tu
te tailles - Par ici le travail ! », ndt
4. La plus notable concerne le
MLPD (Marxistisch-Leninistische Partei Deutschlands,
Parti marxiste-léniniste allemand), qui a
réussi à avoir une position
étonamment bonne dans le mouvement.
5. ou Jour de l’unité
allemande (Tag der deutschen Einheit).
6. Protection de la patrie de
Thuringe : Heimat signifie en allemand l’endroit
où l’on est né et auquel on est
attaché.
7. Structures d’organisation
souples des néo-nazis construites sur le
modèle de l’organisation des SA.
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