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Brève sur l’utopie
Sortir des
sentiers battus est souvent associé à une
utopie au sens péjoratif du terme. Dans le
langage courant actuel, le terme « utopie »
désigne toute idée, tout projet
considéré comme irréalisable,
chimérique. Du grec « ou » = non et
« topos » = lieu, l’utopie signifie
étymologiquement un lieu inexistant. Imaginaire
ou fictif ne veut pas dire impossible. L’utopie a
pour vocation de projeter un idéal social. En
1516, Thomas More invente le genre littéraire
avec son « court traité sur la meilleure
forme de gouvernement » situé sur
l’île d’Utopie. Au 18ème siècle, le mot devient nom commun ;
il désigne alors le plan d’un gouvernement
imaginaire à l’image de la
république de Platon. Au 19ème siècle le sens courant actuel
s’impose. Le sociologue Jean Servier1 établit un parallèle entre les
sociétés traditionnelles et celles
auxquelles aspire l’imagination utopique.
Malgré la répétition des rites, la
société traditionnelle tend à
s’altérer et cherche à se
rapprocher de la perfection des origines. Deux voies
s’offrent aux aspirations utopiques : soit
l’engagement politique, soit
l’expérience communautaire. L’utopie
en acte peut contribuer au changement social. Ce
dernier peut se définir par une transformation
sociale, repérable dans le temps, concernant
l’ensemble du système social et aux
conséquences durables. Plus qu’un
changement dans la société, c’est
un changement de société. Après le
milieu du 19ème siècle, la vision de
l’histoire est dominée par les rapports de
classe. Les marxistes proposent
l’avènement du communisme par la
conquête du pouvoir d’Etat, au
besoin par la violence. Les
anarchistes anti-autoritaires, de Proudhon à
Bakounine, imaginent des collectifs d’individus
librement associés. « Il apparaît
finalement que la rêverie alternative
procède d’un travail de
réintégration de la représentation
proudhonienne de la vie sociale. »2 La valeur fondamentale est celle de
l’existence d’individus libres et
autonomes, ce qui apparaît d’autant plus
important que l’accomplissement utopique contient
une face radieuse : ciment de la volonté
collective et une face sombre : un modèle de
rêve totalitaire. Le souci de tout
contrôler peut aboutir à la
tragédie. Le mouvement alternatif peut
apparaître minoritaire : les communautés,
les habitats groupés et les collectifs
autogérés sont peu nombreux mais les
effets diffusés par les expériences sont
d’une importance majeure dans le changement
social et culturel. Dans la société, les
murs peuvent être considérées
comme des normes. On distingue « ce qui se fait »
de « ce qui ne se fait pas ». Rester dans
les limites de la morale reviendrait à rester en
conformité avec les murs. Quand la
tradition et la religion perdent leur caractère
autoritaire, les Hommes se réfèrent
à la loi. Mais il existe une différence
entre ce qui est légal et moral. L’exemple
des « grands hommes » fournit des
modèles de rectitude du comportement à
l’égard de ce qui est bien ou mal.
Non-conformiste, Louis Lecoin a obtenu après 22
jours de jeûne l’adoption du texte
concernant l’objection de conscience. Le message
et l’action de Gandhi ont laissé une trace
profonde. L’utopie peut contredire son
étymologie et naître quelque part.
Elise Delaunay
1 SERVIER Jean, L’utopie,
PUF, Que Sais-je, 1993.
2 PESSIN Alain, L’imaginaire
utopique aujourd’hui,
PUF, p.204.
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