Retour accueil

AccueilJournalNuméros parus en 2002N°7 - Mars 2002 > Porto Alegre : Interview de Julien

Rechercher
>
thème
> pays
> ville

Les autres articles :


Porto Alegre : Interview de Julien

Intervenant au Forum Social Mondial



1) Quels ont été d’après toi les moments forts de cette semaine ?

La semaine en soi était un "moment fort". Dès en arrivant on plonge dans une espèce de foire immense où l’on observe qu’il se passe quantité de choses un peu partout en ville et en dehors. Rencontres, séminaires, manifestations, occupations, activités diverses, fêtes, débats ; Plusieurs lieux étaient disposés dans la ville pour accueillir les différents événements, le camp de jeunes, le camp de paysans, la PUC (l’université catholique où se tenaient de nombreux débats et séminaires)... étaient envahis du matin au soir, dans une joyeuse cohue-bohue, par des milliers de personnes. Rien que ça constitue déjà un événement en soi.

Ensuite, tout dépend de ce qu’on considère être un moment fort. Les faits les plus marquants de la semaine auront certainement été la manifestation d’ouverture qui a rassemblé 40 à 50 000 personnes, dans une manifestation aux allures de spectacle ; la tenue du camp de jeunes qui a rassemblé près de 15 000 personnes. Les occupations du DAL avec le MNLN et le MST a été un moment important, d’autant plus qu’elle a permis le relogement des familles. La manifestation de soutien au peuple palestinien était impressionnante d’énergie... Je n’ai pas vu le séminaire de Chomsky, qui a réuni près de 6000 personnes. Il a incontestablement marqué ce FSM 2.

Les séminaires ont parfois permis d’exprimer des avancées dans les stratégies ou la réflexion et ont constitué, pour certains des avancées considérables. Le forum sur la ville par exemple a semble-t-il permis l’expression forte d’une gauche municipale qui jusqu’ici peinait à se faire entendre.

2) Quels sont les contradictions dans le mouvement anti-globalisation qui se sont exprimés lors de forum ?

image 221 x 315La plus forte est probablement celle de la marginalisation des mouvements de pauvres, d’exclus et de sans. La participation la plus forte fut celle de mouvements et organisations issus des couches moyennes, et ce sont celles-ci, avec leurs moyens, qui ont pu être le plus visible. C’est là un risque fondamental pour l’an prochain.

Mais au-delà, j’aurais plutôt tendance à inverser la question : de mon point de vue, c’est l’absence de contradictions qui est remarquable ! Je m’attendais à des débats sur le fond, sur les questions stratégiques, sur le sens de cet événement, sur les positionnements ; Il n’y en a pas eu, ou à peine. J’ai pu assister à un séminaire sur "relations partis politiques - mouvements sociaux", organisé par le Forum de Sao Paulo, un forum des partis "progressistes" latino (proches du PT brésilien). Il a débuté par une présentation générale d’un représentant du PT visiblement intéressé par l’événement et l’importance du " mouvement social ", mais dont le propos disait en gros " le mouvement social, le mouvement antimondialisation c’est intéressant, mais maintenant il faut passer aux choses sérieuses ! ". Comme si on n’avait pas à s’interroger sur les " nouvelles formes " de contestation, leur signification ; Le débat qui a suivi n’en était pas un, et chacun des orateurs s’est contenté de se situer pour ou contre le mouvement social et son autonomie.

Dans un autre atelier organisé sur le mouvement mondial et les alternatives, auquel Wallerstein participait, cette question stratégique a été évoquée, mais guère approfondie.

Mais peut-être que Porto Alegre n’était pas le lieu d’en discuter.

3) la déclaration finale de Porte Alegre est très floue et permet certes à tout le monde de s’y retrouver. N’est-ce pas déjà accepter de fait la fin d’un discours neuf en décalage avec le discours politicien très consensuel, mais vide de contenu ? N’y aurait-il pas plutôt intérêt à affirmer que le mouvement anti-globalisation est divers, voire divergent sur de nombreux points et de les exprimer plutôt que d’avoir ce type de déclaration finale ?

D’abord, la déclaration finale est celle des mouvements sociaux, et non celle de Porto Alegre ; le FSM proprement dit ne la reconnaît pas comme sienne. Ensuite, elle est certes insuffisante, il y manque des thèmes importants, mais je ne suis pas d’accord pour dire qu’elle est floue et que tout le monde s’y retrouve ! Elle est certes consensuelle, c’est vrai, mais elle n’exprime pas nécessairement la position de tous les mouvements et ONG présents ou non. Elle dénonce clairement la situation actuelle, elle reconnaît précisément la diversité du mouvement, elle affirme des points de vue qui ne sont pas partagés ni partageables en ce moment par tous, donc de ce point de vue, je doute qu’elle permette à tou-te-s de s’y retrouver. Le discours n’est peut-être plus neuf, mais il n’est pas éculé non plus, et il reste pour le moment en décalage avec le discours politicien, parce qu’il réaffirme un certain nombre de valeurs et de principes qui ne sont pas discutables, qu’aucun parti politique ne peut raisonnablement reprendre à son compte sans s’empêtrer dans ses propres contradictions.

Alors évidemment, c’est vrai, elle privilégie ce sur quoi tout le monde peut-être d’accord et non l’inverse, puisqu’elle se prétend une déclaration unitaire. Donc le problème n’est pas qu’elle ne fasse pas état des divergences, mais qu’il n’existe de toutes façons aucun espace contradictoire, au FSM ou ailleurs, pour débattre des questions stratégiques et des orientations politiques.

4) Au vue de tous les politiciens en mal de reconnaissance présents à Porto Alegre pendant une semaine, n’est-ce pas une contradiction avec l’affirmation d’ATTAC de vouloir construire un mouvement citoyen indépendant des partis politiques ?

D’abord, le FSM regroupait près de 60 000 personnes, venues de 131 pays différents et, si ma mémoire est bonne, de près de 14000 organisations. Donc Porto Alegre, c’est pas ATTAC ! Et c’est tant mieux ! Le mouvement citoyen et social mondial existe, c’était une évidence à Porto Alegre, et il se compose de groupes et de personnes diverses. Cette seconde édition a triplé le nombre de participants au FSM 2001, c’est un vrai succès qui a sonné le glas de la tentative de criminalisation et de marginalisation du mouvement après le 11 septembre. Alors évidemment, les politiciens en mal de reconnaissance, notamment ceux de la social-démocratie européenne, sont venus se faire mousser. L’approche des élections a toujours des effets surprenants ; Petite précision, ce n’est pas ATTAC ni une organisation française qui les a invités ! Le nationaliste Chevènement, venu déblatérer ses salades, était invité par le PT. Hollande, Mamère et cie sont venus de leur propre chef - pour des raisons purement électorales, c’est évident. Le gouvernement français a envoyé une délégation à PoA et une autre à New York, mais comme une personne présente à Porto Alegre l’a écrit, il y a là une contradiction majeure, et prétendre pouvoir être dans les deux est mensonger, tellement l’esprit de PoA est éloigné de celui de Davos.

Ceci dit, leur présence ne signifie pas que les mouvements sociaux et citoyens renoncent à leur " indépendance " ! D’ailleurs sur place, ce sont ces messieurs qui ont couru après les mouvements, et non l’inverse.

ATTAC s’affirme autonome des partis politiques et un contre-pouvoir. Son ambition n’est pas de prendre le pouvoir, mais de rappeler des grands principes et de lutter sur des propositions précises comme alternatives au modèle néolibéral dominant. Le problème, posé et reconnu lors de la dernière AG de Tours, est que des politiciens peuvent tenter de récupérer le mouvement, mais qu’il n’y a pas d’autres solutions que de leur mettre le nez dans leurs propres contradictions quand ils tentent de le faire. Ces principes ne signifient pas refuser le dialogue avec les partis politiques, mais la compromission.

5) les déclarations de Cassen ou D’Aguiton sur le fait que la présence des politiques permet de peser sur "les décideurs" n’est-il pas nous prendre pour des imbéciles quand on sait que les "promesses n’engagent que celles et ceux qui y croient". Cette présence n’est-elle pas le premier signe que le mouvement citoyen est incapable de s’autonomiser par rapport à la sphère politique ?

On peut toujours penser ou croire que la présence des décideurs permettra de peser sur eux. On peut aussi se rendre compte du contraire... Peu importe à la rigueur.

Ce qui importe, d’abord c’est de voir que tous les mouvements sociaux et réseaux de lutte s’inscrivent dans la sphère politique, No pasaran compris. Par contre ils ne s’inscrivent pas dans le champ de la politique politicienne, qui consiste à prétendre au - et à monopoliser - le pouvoir.

Ensuite, je ne considère pas pour ma part que la présence des hypocrites de la social-démocratie européenne à PoA signifie l’incapacité du mouvement citoyen de s’autonomiser. Tant que les mouvements sociaux maintiennent leurs positions, continuent d’affirmer leurs positions et d’agir en conséquence, pas de problème. Que Hollande nous fasse un discours sur l’annulation de la dette, très hypocrite compte-tenu des positions défendues récemment par son gouvernement dans l’annulation de la dette du Mozambique, n’engage que lui : pour ma part, je ne lui accorde aucun crédit ! S’il décide, pour se crédibiliser, de mettre en pratique son discours et annule effectivement les dettes publiques françaises en les liant au développement des pays pauvres, et bien tant mieux. Mais je ne me fais aucune illusion et je ne considérerai pas que cela aura réglé tous les problèmes !

Mais la question de l’autonomie par rapport à la sphère politicienne et de ses conditions fait partie des débats stratégiques que nous devrions approfondir, et que nous ne discutons que trop rarement.

6) on a le sentiment après Genes que ATTAC craint par dessus tout les manifestations de rue - on l’a vu avec leur faible présence à Bruxelles - et qu’il préfère se retourner vers les politiques plutôt que vers la construction d’un mouvement contestataire pluriel ?

ATTAC se définit comme un mouvement de contestation radicale du modèle néolibéral, sur une ligne de non-violence active. Elle a participé et continue de participer à des manifestations de rue, elle a été parmi les rares à défiler au moment de Doha qui était pourtant d’un enjeu capital !

Donc il n’y a pas de crainte des manifestations de rue, mais il y a des débats internes sur l’opportunité de manifester quand des débordements sont possibles de la part des pouvoirs en place, et quand la violence peut-être utilisée comme prétexte pour une répression féroce comme ce fut le cas à Gênes. A Gênes, finalement, le problème a été moins celui de la manipulation des groupes soi-disant violents que celui du discours sur la violence tenu par le pouvoir italien, qui a cherché à légitimer une violence qui venait de lui et de lui seul ! Mais cette question mérite en tous cas de vrais débats, et non des parodies où ça gueule dans tous les sens pour justifier ses propres positions.

Après le 11 septembre, il apparaissait clairement que la réaction attendait la moindre occasion pour réprimer. Dans ces conditions, la nature des manifestations de rue est importante à discuter, elle ne pose pas de la même manière à tout moment.

Maintenant, dans ATTAC, il y a aussi celles/ceux qui ne pensent le mouvement que par ATTAC, et celles/ceux qui pensent ATTAC comme une composante du mouvement parmi d’autres ; il y a aussi celles et ceux qui voient les politiciens comme un débouché " naturel " des revendications d’ATTAC, et celles et ceux qui les voient comme foncièrement distinct du mouvement mais qu’on ne peut nier. Au-delà des apparences, il y a un enjeu pour l’ensemble du mouvement social à répondre aux discours des politiciens, à s’engager dans la batailles des idées. ATTAC le fait régulièrement, même si elle ne fait pas que cela. ça ne signifie pas qu’il faille faire le lit de tel ou tel parti, mais c’est un risque ; Pour l’instant ATTAC l’a évité.

7) Lorsque l’on dit que ATTAC et les ONG du mouvement anti-globalisation luttent pour une nouvelle régulation du système capitaliste, mais sans changer les règles du jeu de celui-ci, n’est-ce pas contradictoire avec le slogan "le monde n’est pas une marchandise" qui pose des questions très profondes sur le besoin d’un autre futur ?

Si, si l’on dit cela, évidemment ça peut être contradictoire. Mais qui dit cela ? Le mouvement anti-globalisation dans son ensemble considère à juste titre que le monde n’est pas une marchandise car le modèle néolibéral tend à faire marchandise de tout, et c’est une nouveauté dans l’histoire humaine. On peut considérer que c’est inéluctable dans la dynamique du capitalisme, cela suscite de nombreux débats, mais en tout état de cause, c’est une nouveauté dans l’histoire de l’humanité. Dénoncer cela de la part du mouvement antimondialisation, et avancer des propositions qui permettent de délégitimer plus efficacement le discours des néolibéraux, c’est poser les bases d’une réflexion et d’une action vers un autre futur dont rien ne dit pour le moment qu’il ne sera pas radicalement différent. D’ailleurs, la preuve en est que cette interrogation d’un changement profond progresse en même temps que le mouvement s’enracine et s’élargit. On ne fera pas l’impasse là non-plus de vrais débats là-dessus. Comme on ne fera pas l’impasse d’une réflexion de fond sur ce que peuvent être de nouvelles règles du jeu et les conditions d’y parvenir.


No Pasaran 21ter rue Voltaire 75011 Paris - Tél. 06 11 29 02 15 - nopasaran@samizdat.net
Ce site est réalisé avec SPIP logiciel libre sous license GNU/GPL - Hébergé par Samizdat.net