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AccueilJournalNuméros parus en 2004N°34 - Novembre 2004 > Le blues militant

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Le blues militant



ll était une fois, des militants qui militaient. Il militaient, ils militaient et ils militaient aussi souvent qu’ils le pouvaient. Ils participaient à des réunions, ils réfléchissaient, analysaient des situations et produisaient des idées qu’ils avaient envie de partager. Alors, ils militaient. Ils écrivaient des articles, des tracts qu’ils distribuaient ensuite, ils imaginaient des affiches qu’ils collaient sur les murs de leur ville, ils organisaient des rencontres, des débats, des discussions pour partager leurs idées et s’enrichir de celles des autres.

Ce n’était pas facile tous les jours, car ils n’étaient pas nombreux. Beaucoup de gens leur disaient c’est bien ce que vous faites, mais préféraient signer des pétitions que de manifester avec eux dans les rues ou même que de les aider à militer.

En plus, tout cela coûtait de l’argent. Et comme ils refusaient que les institutions contre lesquelles ils luttaient leur en donne (et de toute façon, elles n’auraient pas lâché un sou pour leurs ennemis), ils devaient trouver des solutions tous seuls. Alors, ils organisaient des journées qu’ils appelaient de soutien pour réfléchir avec d’autres et qui se terminaient par des
fêtes, parce qu’ils étaient quant même des êtres humains qui aimaient aussi boire des coups avec les copains, rire, danser et chanter. Ils voyaient dans ces fêtes l’occasion de rentrer un peu d’argent, pour pouvoir ensuite militer. Ils se disaient aussi qu’ils toucheraient d’autres gens, ceux qui ne lisent pas les tracts et les affiches. Parmi ces personnes, il y en avait une sorte qui s’appelait les jeunes. Bien sûr, ils étaient conscients que cette sorte de gens se divisait en différentes sous-catégories. Ils se disaient qu’il était important de rencontrer ces jeunes, parce qu’ils étaient l’avenir du monde et aussi parce que eux-mêmes avaient commencé à militer quand ils étaient jeunes. Ca voulait peut-être dire que quand on était jeune, on est plus ouvert et davantage capable d’écouter d’autres idées. Et puis, on a du temps quand on est jeune, on peut aller à des réunions le soir par exemple, on n’a pas de famille à charge, ni de travail lessivant. Alors, les militants allaient dans des fêtes, des concerts pour vendre des livres, discuter avec les gens, donner des informations qu’on ne voyait pas à la télévision. Ça leur prenait beaucoup de temps et d’énergie, mais ils le faisant de bon cur, parce qu’ils trouvaient que leurs idées étaient si belles, qu’ils
avaient envie d’en parler à tout le monde.

Et puis, un jour, ils durent bien se poser des questions. Pourquoi si peu de jeunes s’arrêtaient à leur table pour discuter, ou même pour regarder des livres ? Non, les jeunes passaient, jetaient à peine un coup d’il, n’étaient même pas curieux de les voir là. Ils ne faisaient que passer. Ah, si, certains venaient leur demander où étaient les toilettes ou bien si ils pouvaient garder leurs sacs ou leurs pulls pendant la fête. Peut-être que s’ils avaient été à des fêtes pour vieux, ces derniers leur auraient-ils confié leur dentier, pour pouvoir faire des bisous à leur amoureux. Ça, ils ne le savaient pas, car ils n’allaient jamais à des fêtes de vieux. D’ailleurs, ils ne savaient même pas si il y avait des fêtes de vieux.
Et non seulement les jeunes ne faisaient que passer, mais en plus parmi les rares qui s’arrêtaient, certains essayaient-ils de voler des livres ou des autocollants. Alors, les militants devaient surveiller leurs livres ! C’était incroyable pour eux qui savaient le temps, l’argent et l’énergie nécessaires à la parution d’un livre ! Et puis, ils n’avaient pas envie de devenir des policiers alors qu’ils passaient leur
temps à lutter contre eux  ! En plus, si quelqu’un était intéressé par un livre mais n’avait pas d’argent, ils le lui auraient donné, parce que le plus important, c’est que les idées soient diffusées. Mais là, il ne s’agissait pas de ça. Non, les jeunes qui essayaient de voler (aussi discrètement qu’un éléphant dans un supermarché) étaient vêtus d’habits très chers : des pulls avec des marques écrites dessus, des chaussures à 100 euros fabriquées par des enfants du bout du monde... Décidément, quelque chose n’allait pas. Ils ne comprenaient pas.

Finalement, est-ce que Monsieur Capitalisme aurait-il déjà gagné, puisque ceux qui étaient l’avenir du monde ne comprenaient même pas ce que signifiait une fête de soutien ? Est-ce qu’il fallait chercher d’autres catégories de jeunes ? Mais ça ils l’avaient déjà fait, les jeunes de la catégorie à crête ne discutaient pas beaucoup plus, et la catégories de jeunes à casquette, non plus, mais au moins avaient-ils déjà plusieurs idées communes, même si c’était pas les même suivant les catégories. Ils auraient bien aimé leur demander aux jeunes pourquoi ils se comportaient comme ça, mais ils ne voulaient pas discuter ! Déjà qu’ils allaient à leur fête, ils n’allaient quand même pas s’inviter chez eux ?!

Sans avoir trouvé de réponse, ils décidèrent en désespoir de cause, de demander à d’autres militants si ils avaient constaté la même chose et quelles solutions ils avaient. Ils se donnaient cette dernière chance, parce qu’ils étaient à deux doigts, mais alors vraiment à deux tout petits doigts de laisser tomber une bonne fois pour toutes ceux qu’on appelle les jeunes.
Sadia


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