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> Syndicats et collectifs face à la précarité
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Syndicats et collectifs face à la précarité
Après l’analyse des syndicats
confrontés aux précaires, publiée dans la
première partie de l’article le mois dernier,
Evelyne Perrin aborde les luttes des précaires qui ont
percé à Paris ou dans les régions de
l’hexagone ces dernières années. A nous
toutes et tous de les soutenir, de les élargir et de les
faire vivre.
DEUXIEME PARTIE : LES NOUVEAUX OUTILS
D’ORGANISATION QUE SE DONNENT LES PRECAIRES,
, COORDINATIONS ET COMITES DE SOUTIEN
Les années 2000 à
2003 ont vu naître et se développer
plusieurs luttes de salariés dans la
restauration rapide et le commerce, en majorité
de jeunes précaires, ainsi que dans le
nettoyage. Pour n’en citer que quelques-unes :
grève de 15 jours en
décembre 2000 au Mc Do du boulevard St Germain
pour des augmentations de salaires et une prime de fin
d’année ;
grève de 32 jours en
février 2001 au Pizza Hut Opéra pour les
mêmes revendications, débouchant sur des
primes ;
grève historique de
112 jours d’octobre 2001 à Février
2002 au Mc Do de Strasbourg St-Denis pour la
réintégration de cinq salariés
licenciés, victorieuse ;
grève d’un
mois avec occupation, en février 2002, de la
FNAC des Champs-Élysées pour des
augmentations de salaires, grève
s’étendant à d’autres FNAC de
région parisienne et de province, victorieuse,
car elle aboutit à un réajustement des
salaires de la FNAC Champs-Élysées par
rapport aux autres FNAC ;
grèves sporadiques
au printemps 2002 dans plusieurs Mc Do parisiens en
solidarité avec les salariés de
Strasbourg St-Denis ou pour des augmentations de
salaires et un 13ème mois ;
grèves chez Go Sport
pour des augmentations de
salaires, chez Virgin contre le
travail du dimanche et pour un 13ème mois ;
grève d’un an,
de mars 2002 à février 2003, de 32 femmes
de ménage des hôtels du groupe Accor
employées par son sous-traitant Arcade,
aboutissant à une réduction des cadences
et à une meilleure prise en compte des heures
effectuées, mais suivie en juin 2004 du
licenciement de la déléguée
syndicale SUD leader de la grève ;
grève avec
occupation de mars 2003 à mars 2004 à
nouveau du Mc Do de Strasbourg St-Denis pour la
réintégration d’un
délégué licencié et contre
les manuvres de coulage du gérant,
débouchant sur une réintégration
et sur le paiement d’une partie des jours de
grève ;
grève de plusieurs
mois des cuisiniers sri-lankais des pubs Frog pour une
amélioration de leurs conditions de travail,
malheureusement non victorieuse
Dans le secteur de la
restauration rapide, ce sont essentiellement de jeunes
délégués CGT ainsi que des
délégués SUD et parfois FO
qui mènent ces luttes, certains d’entre
eux déjà dotés d’une
certaine expérience, d’autres tout frais
promus délégués pour se
protéger de la répression syndicale.
Durant les années 2000 et 2001, ces
délégués utilisent le Collectif
CGT de la restauration rapide
pour se coordonner entre enseignes telles que Mac Do,
Quick, Pizza Hut, EuroDisney et les restaurants du
Louvre, mais éprouvent rapidement le besoin de
sortir des limites syndicales classiques et
s’élargissent à des
délégués CNT et FO. Puis certains
d’entre eux créent le Réseau Stop
Précarité qui regroupe des
délégués CGT de Pizza Hut,
Disneyland, Extrapole, Maxi-Livres, BHV, restaurants du
Louvre, des militants de SUD-Etudiants, SUD-Ceritex,
AC !, AARRG, ATTAC-Sorbonne, CNT, UNEF, du Collectif
des Emplois-Jeunes de Seine Saint-Denis et des
chercheurs.
Le Collectif CGT de la
restauration rapide, puis le réseau Stop
Précarité, organisent en 2001 et 2002
plusieurs opérations coup de poing et
manifestations qui se distinguent des formes de lutte
syndicale traditionnelles par leur volonté
d’investir l’espace public de la rue et des
centres commerciaux (Belle Epine en juin 2001 et La
Défense en décembre), par leur appel
à la solidarité des consommateurs et au
boycott de la marque, par leur autonomie
vis-à-vis des structures syndicales.
Lors de la grève de 112
jours du Mac Do de Strasbourg St-Denis, des formes
originales de mobilisation sont inventées avec
la constitution d’un vaste comité de
soutien regroupant plus d’une trentaine
d’organisations syndicales, associatives et
politiques, qui se réunit une fois par semaine
sous la houlette d’une Fédération
du Commerce CGT passablement débordée. Grévistes et comité de
soutien mettent en uvre des occupations de Mc Do
parisiens tous les samedi et parfois le dimanche, y
compris Noël et jour de l’an, sensibilisant
les passants et effectuant des collectes. Ces actions
de
harcèlement et la
popularisation du conflit ne sont pas pour rien dans la
capitulation finale de Mc Do et la
réintégration des grévistes en
février 2002. Une manifestation de soutien aux
grévistes de Mc Do rassemble 2000 personnes le 2
février 2002, précaires de
différentes entreprises et militants syndicaux,
associatifs et politiques.
Ces formes de lutte des jeunes
précaires se différencient nettement des
luttes syndicales classiques :
elles sont lancées
à la base et non à partir de mots
d’ordre des centrales syndicales ; elles se construisent à partir
d’agrégats d’individualités,
sur la base de la confiance réciproque et de
l’interconnaissance, en évitant la
discipline et la hiérarchie bureaucratiques mais
en privilégiant l’autonomie et une forte
implication personnelle.Les tracts d’ailleurs, même
à en-tête syndical, se concluent par des
prénoms et des numéros de portables. Les
centrales syndicales impliquées peinent à
garder le contrôle de ces mouvements de lutte et
se voient souvent débordées,
contestées.
Les luttes sortent de
l’entreprise pour déborder sur la rue,
l’espace public, par
accrochage de banderoles sur des rubans de scotch
tendus entre les arbres, distribution de tracts aux
passants et consommateurs, appel au boycott des
produits, ce qui permet de relier une lutte ponctuelle
à des thèmes plus généraux
comme la « malbouffe » et à
d’autres mouvements comme la
Confédération Paysanne ou les mouvements
pour une autre mondialisation, ou le mouvement des
« sans papiers » dans le cas de la lutte des
salariées d’Arcade, emblématique de
la surexploitation des
immigrés.
Les luttes sortent
également du carcan syndical en faisant appel
à des soutiens diversifiés de
l’extérieur, autres
syndicats, associations de lutte contre le
chômage et la précarité, mouvement
étudiant dans toutes ses
composantes
Ces luttes s’en prennent
aussi au talon d’Achille de ces multinationales,
leur image de marque dans le public, en développant des campagnes de
boycott de la marque sous forme de cartes postales, en
diffusant la contestation dans les divers
établissements du groupe, restaurants Mc Do,
hôtels du groupe Accor, en perturbant
l’assemblée des actionnaires de ce groupe
dont Arcade est l’un des
sous-traitants
Ces jeunes
délégués maintiennent une attitude
souvent assez distanciée vis-à-vis de
leur syndicat qu’ils
ont tendance à instrumentaliser dans ce sens
qu’ils en perçoivent de façon
aiguë les limites et les rigidités et y
suppléent en déployant entre eux une
grande solidarité, en se donnant des
« coups de main » pour pallier les carences
syndicales.
L’expérience
collective du comité de soutien à une
lutte est facilement
« transférée » à une
autre lutte, avec des recompositions de participants. Ainsi le collectif de soutien au
Mc Do Strasbourg St-Denis se transforme-t-il
après quelques défections ou apports
nouveaux en un comité de soutien à la
lutte des femmes de ménage africaines
d’Arcade, puis renaît pour soutenir la
deuxième grève du Mc Do de Strasbourg
St-Denis, puis s’étend au soutien aux
cuisiniers des Frog. Des jonctions sporadiques se font
entre luttes, lorsque les femmes d’Arcade
soutiennent des occupations de Mc Do et que des
salariés de Mc Do en grève participent
aux occupations d’hôtels du groupe Accor,
même si cela reste l’exception.
Malgré
l’originalité et le renouvellement des
formes de lutte des salariés précaires de
divers secteurs dans le début des années
2000, il faut toutefois constater que ces grèves
restent malgré tout dispersées et
fragmentées, et qu’elles ne se
prêtent pas à un travail collectif
d’élaboration de revendications communes
ou de
propositions convergentes pour
lutter contre la précarité de
l’emploi et du revenu ou pour créer de
nouvelles garanties collectives. Ce sont des mouvements
qui restent centrés sur des augmentations de
salaires, l’obtention de primes ou d’un
treizième mois, ou en réaction à
la répression syndicale.
La lutte des emplois-jeunes en
2002 et 2003
La lutte des emplois-jeunes est
un exemple de mouvement né de coordinations
locales intercatégorielles qui ne rencontre
qu’un très faible soutien des syndicats,
et doit compter principalement sur ses propres forces.
Lorsqu’à
l’été 2002 le gouvernement Raffarin
annonce la non-reconduction des emplois-jeunes, ceux-ci
s’organisent en collectifs et se mobilisent
fortement dès l’automne 2002, multipliant
les assemblées générales et
essayant d’unir les emplois-jeunes de divers
secteurs, ceux de l’Education Nationale, des
collectivités territoriales et des associations,
pour déposer des revendications
spécifiques à chacun d’eux et
au-delà, unitaires. Ces revendications vont du
maintien du statut d’étudiant-surveillant
à la titularisation sans concours ni condition
de nationalité pour les emplois-jeunes des
divers services publics, à l’accès
à des formations qualifiantes et/ou
diplômantes, à la revalorisation des
salaires, à la validation des acquis
professionnels, à la transformation des CDD en
CDI pour les
emplois-jeunes des associations.
Il se crée une
Coordination nationales des emplois-jeunes et
surveillants en lutte, qui appelle à des
journées nationales d’action et à
des grèves reconductibles en décembre
2002 et janvier 2003. Des collectifs se créent
ainsi un peu partout en province, et des grèves
reconductibles sont déclenchées en Corse,
à Nantes, Rennes, Brest, Toulouse, Angers et
dans de nombreuses autres villes. Le mouvement culmine
en juin 2003 avec l’approche des premiers
non-renouvellements de contrats par une occupation de
la Bourse du travail à Paris et une forte
participation aux manifestations des enseignants et
salariés du secteur public contre la
réforme des retraites et la
décentralisation à l’Education
nationale, au risque pour la lutte des emplois-jeunes
de se retrouver un peu diluée dans le mouvement
social de mai-juin 2003.
Or, quelle est la position des
syndicats vis-à-vis de la lutte des
emplois-jeunes, menacés du plus grand
« plan social » de l’année
2003 ?
La plupart du temps, c’est
l’absence de soutien syndical qui prévaut,
à l’exception de SUD. Le SNES-FSU et le
SGEN-CFDT refusant de participer à la
journée d’action du 17 janvier 2003 dans
de nombreuses villes, le SNES-FSU appelant dès
décembre à la reprise du travail. SNES et
SGEN ne reprennent pas à leur compte la
plate-forme de revendications élaborée
par la Coordination nationale et
validée par toutes les
assemblées générales
d’académie. Ils sont d’ailleurs
opposés à la titularisation sans
concours, que SUD est le seul syndicat à
défendre. La Coordination nationale appelle en
vain les syndicats majoritaires à lancer un
grand mouvement de grève pour faire
fléchir un gouvernement très
déterminé. De fait, chaque fois
qu’Amel Dahmani, leader de la Coordination
nationale, syndiquée CGT à
l’époque, demande à la CGT de
déposer un préavis de grève pour
les journées de mobilisation des emplois-jeunes,
cela n’est pas fait. Seul SUD dépose des
préavis. L’information
sur les mouvements de lutte des intermittents
n’est pas répercutée par la CGT qui
en fait, tout en paraissant soutenir le mouvement,
souhaite le cantonner car elle ne veut pas gêner
le gouvernement de la gauche plurielle auquel participe
la Parti Communiste. La CGT ne met pas les
emplois-jeunes en réseau et n’a pas de
stratégie pour élargir la lutte ou
l’organiser. C’est
par Internet que les collectifs se coordonnent et par
des AG régulières à Paris ou en
province.
En fait, toute la lutte des
emplois-jeunes est portée par des collectifs
locaux de syndiqués et de non syndiqués
et par la Coordination Nationale sur la base de la
démocratie directe, de l’envoi de
représentants mandatés aux
réunions régulières, quasi
hebdomadaires, de la Coordination Natonale à
Paris, et le seul soutien syndical émane de
SUD-Education et de SUD-Etudiant, ainsi que de la
CNT-Education et de la CGT-Education. Mais ce ne sont pas les syndicats qui
pilotent la lutte, celle-ci est étroitement
contrôlée par la base et menée de
façon intercatégorielle et
intersyndicale. Cette
lutte se veut étroitement articulée
à une lutte plus générale contre
la précarité, car les emplois-jeunes,
même s’ils disposent de CDD de cinq ans,
sont la poursuite du développement de la
précarité dans le secteur public :
aujourd’hui la majorité des emplois
créés dans le secteur public sont des
emplois précaires. Une autre
particularité et une force de la lutte des
emplois-jeunes, c’est qu’elle se veut
d’emblée interprofessionnelle, car les
emplois-jeunes des collectivités locales
n’auraient pu
lutter seuls, ni ceux de
l’Education Nationale. Les emplois-jeunes sont
à l’interprofessionnalité des
métiers, porteurs de convergences. Leur lutte
s’ouvre sur celle des autres précaires,
à qui ils apportent leur soutien lorsqu’
éclatent des grèves. Ce n’est pas
un hasard si les leaders de la Coordination nationale
des emplois-jeunes se retrouvent en 2003-2004 dans le
collectif « Convergence des luttes » qui
essaie de relier les réseaux de militants.
La lutte des emplois-jeunes
enfonce également un coin dans les positions et
dans l’idéologie des syndicats
majoritaires, car la revendication principale de
titularisation sans concours des emplois-jeunes prend
à revers toute l’idéologie
syndicale de recrutement sur concours. Or
d’autres épisodes de titularisation sans
concours existent dans l’histoire. Ce qui est
innovant dans la revendication des emplois-jeunes,
c’est qu’ils revendiquent la transformation
des CDD en CDI également pour les emplois-jeunes
des associations.
En conclusion, face à ce
qu’on peut considérer comme le plus grand
plan social des années 2000 (dès juin
2003, ce sont 20 000 emplois-jeunes qui se retrouvent
aux portes de l’ANPE), les syndicats majoritaires
sont restés curieusement silencieux et
relativement inactifs, au lieu d’aider à
la mobilisation et à l’émergence de
revendications, qui par leur nature
interprofessionnelle les gênaient et
dérangeaient leurs certitudes et leur
organisation pyramidale et catégorielle.
La lutte des intermittents du
spectacle durant l’été 2003
La lutte des intermittents du
spectacle contre la réforme de leur statut
durant le printemps et l’été 2003
et jusqu’à présent est
l’exemple même d’un mouvement
organisé en dehors des syndicats en collectifs
locaux de syndiqués et de non syndiqués,
même si la CGT a exercé une influence
certaine dans l’expression du refus de la
réforme.
Il faut souligner que des
coordinations ont existé chez les intermittents
du spectacle dès 1992, notamment la coordination
lyonnaise, qui fut très forte même si elle
est moins présente aujourd’hui. Lorsque
le gouvernement annonce la
réforme des annexes VIII et X de l’UNEDIC
qui régissent le régime d’assurance
chômage des intermittents, le collectif
« Précaires et Associés de
Paris » (PAP) se crée en décembre
2002, et organise, pendant l’hiver et le
printemps 2003, les premières actions contre le
projet de réforme. A cette époque, le
Collectif existe plutôt en réaction contre
la CGT-Spectacle car ses membres ne supportent plus le
ronron des assemblées générales
creuses qu’elle organise. Quant à la
Coordination des Intermittents et Précaires
d’Île-de-France, comme le rappelle
Jérôme, l’un des fondateurs du PAP1, elle se crée en juin 2003 pour
répondre à une demande des professionnels
concernés, pour remplir un vide et
réfléchir en matière de droits
sociaux. Au départ il y a une occupation du
Théâtre de la Colline par une centaine
d’intermittents ; puis lors de la signature du
protocole par le gouvernement et quelques syndicats non
majoritaires dont la CFDT, dans la nuit du 26 au 27
juin, Précaires et Associés de Paris,
ainsi que quelques militants de la CNT, appellent
à une assemblée générale,
où arrivent 1000 à 1200 personnes, qui
décident alors d’occuper la Villette. Le
travail collectif commence tout de suite en commissions
ouvertes à tous, avec compte-rendu dans des AG
régulières de 500 à 1000
personnes. Un vrai travail de commissions
s’effectue, avec une diversité de
participants, des vedettes aux personnes les plus
précaires et les plus fragiles,
représentatifs donc de la diversité des
situations professionnelles qui caractérise le
secteur. C’est ce travail collectif associant des
individualités professionnelles très
diverses qui va permettre une mise à plat des
conditions concrètes d’exercice de ces
professions et une réflexion sur les
dysfonctionnements du régime d’assurance
chômage et sur les alternatives à lui
opposer pour assurer aux personnes concernées
une continuité de droits et de revenu.
Des collectifs locaux naissent un
peu partout, comme Culture en danger à
Montpellier, le collectif du 25 février à
Avignon, etc. Comme l’écrivent Fabienne
Darge et Diane Ducamp dans « Le Monde » du 7
juillet 2003, « les membres des collectifs sont
jeunes, en
général entre 25 et
40 ans. Ce sont les plus concernés par la
précarité, et donc les plus
touchés par la réforme. () Ils
viennent du spectacle vivant (théâtre,
danse, spectacle de rue), où ils sont
artistes ou techniciens, plus que de
l’audiovisuel (). Pour beaucoup, rejoindre
une coordination constitue une première
expérience d’ordre politique. ()
Mais un nombre non négligeable d’entre eux
ont déjà eu des expériences
d’ »engagement ». () Dans la
coordination des intermittents et précaires
d’Île-de-France se côtoient des gens
venus d’horizons divers », de la CGT, de la
CNT, du collectif des Précaires Associés
de Paris, d’AC ! « Ceux venus de la
CGT, par exemple, ne renient pas leur affiliation
à la centrale syndicale, mais trouvent que la
coordination permet d’agir de manière plus
directe et rapide, sans passer par des processus
bureaucratiques et technocratiques. » ()
« Expérimentés ou non, les membres
des coordinations tentent de réinventer une
forme de démocratie directe. Le collectif
parisien, installé salle Olympe de Gouges, rue
Merlin, dans le 11ème Arrondissement, convoque une
assemblée générale tous les jours
et a institué le principe des commissions
(« action »,
« interprofessionnelle »,
« Europe », « presse »)
auxquelles peuvent participer tous ceux qui le
désirent. Pas de représentants
permanents, pas de leaders. »
A ce stade-là, comme le
souligne Jérôme, « on ne se posait
même pas la question de la CGT-Spectacle »,
elle venait, on lui donnait la parole en fin de
réunion, mais ils étaient plus ou moins
dépassés » ; c’est la Coordination qui a
élaboré, au sein de la commission
propositions-revendications, le nouveau modèle
d’indemnisation des intermittents, par un travail
de création collective, non pyramidal, tout au
long de l’été et de l’automne
2003 pour être enfin adopté sous sa forme
définitive (bien qu’il reste bien
sûr perfectible) en coordination nationale
à Lille le 7 décembre 2003.Tout le
mois de juillet 2003 à Olympe de Gouges
étaient organisés de manière
hebdomadaire des forums ouverts de la commission
propositions et revendications, avec environ 200
personnes, FO, la CGT, le PS y venaient et soumettaient
les animateurs de la coordination à la question,
en
contestant leurs propositions. Il
était parfois tenu compte de leurs objections.
Certains délégués syndicaux
étaient furieux, d’autres, comme le SNTR
(secteur audiovisuel au sein de la CGT-Spectacle),
participaient de manière constructive au
débat.
Quelle a été la
position de la CGT-Spectacle par rapport au nouveau
modèle ? Elle a repris l’abandon du SJR
(salaire journalier de référence), que
contestait la Coordination car c’est la source de
toutes les magouilles (chaque intermittent, dans ce
système, a intérêt à avoir
le maximum de salaire sur le minimum de jours pour
bénéficier d’une allocation de
chômage plus élevée). La
Coordination a opté pour un salaire annuel de
référence, avec un plancher, le SMIC, et
un plafond, fixé assez bas, pour éviter
que certains intermittents cumulent cachets et
indemnités les plus élevés. La CGT
a contesté le plafond proposé par la
Coordination, qu’elle jugeait trop bas, mais le
Syndicat des Employeurs du Spectacle Vivant
(association des directeurs de scènes
nationales) a repris les plafonds proposés par
la Coordination. A l’automne 2003, la
CGT-Spectacle a fait paraître un
énoncé de principes, qui
s’inspirait du nouveau modèle, mais ce fut
tout quant à la publicisation de sa doctrine en
la matière.
La position des autres syndicats
fut très diverse. FO venait aux AG mais ils
étaient très mécontents. La CFDT a
soutenu le gouvernement en signant le protocole
d’accord, et propose aujourd’hui la
création d’une caisse professionnelle pour
absorber le déficit du régime des
intermittents, ce qui reviendrait à
désolidariser les intermittents du reste des
salariés et à rétrécir leur
base de financement. Mais il faut savoir que la CFDT
regroupe un nombre dérisoire
d’adhérents au sein des intermittents, par
contre elle a beaucoup de permanents dans les
institutions. SUD-Spectacle et SUD-Culture ont
totalement soutenu le travail collectif, avec leurs
faibles moyens, et ont repris les propositions de la
Coordination.
Ensuite la Coordination a
forcé un passage au niveau politique grâce
à une conférence de presse qui a abouti
à la création d’un comité de
suivi parlementaire, avec le soutien de Noël
Mamère, puis de Marie-Christine Blandin, des
Verts, de
Patrick Bloch, du PS,
d’Etienne Pinte, député-maire UMP
de Versailles, un vieux gaulliste qui défend le
nouveau modèle car il est généreux
et sensible, un UDF, etc. Ce comité de suivi
s’est ouvert à des parlementaires de tout
bord, certains plus prosaïquement animés
par le désir de sauver leur festival, source de
prestige et de rentrées financières
locales. Les syndicats non signataires y participent
aussi, même si la CGT était au
départ furieuse de cette initiative qui lui
enlevait sa place.
Il faut bien voir que le nouveau
modèle, qui revient à assurer une
garantie de revenu pour tenir compte du
caractère discontinu de l’emploi, est
mieux compris par certains représentants de la
droite ou du centre droit, qui prennent acte de la
flexibilité de l’emploi mais veulent
l’assortir de garanties (à la
différence du MEDEF) que par les
représentants de la gauche, en majorité
englués dans une idéologie de la
croissance et du retour au plein emploi. Ce qui
caractérise le travail de la Coordination
à cet égard, c’est qu’elle
n’est pas partie de positions idéologiques
sur la nécessité d’un revenu
garanti universel (position défendue par les
« Négristes », Laurent Guilloteau,
Antonella Corsani, Maurizio Lazzarato, Yann
Moulier-Boutang, qui ont activement participé
à la réflexion), mais d’une analyse
concrète de la situation professionnelle des
intéressés, dans sa diversité,
dans la droite ligne d’un combat syndical ; ainsi le revenu garanti n’a
quasiment jamais été débattu dans
la Coordination, la revendication l’incluait mais
en portant sur le temps nécessaire à la
création.
En conclusion, à la
différence de nombre de coordinations
antérieures, qui présentaient des points
communs mais implosaient sur la question de la place
des syndicats2, la Coordination des Intermittents a
évité la récupération et le
laminage par les syndicats et a
résisté. Ceci traduit l’émergence
de nouvelles formes d’organisation chez les
salariés de secteurs entiers du monde du travail
de plus en plus confrontés à la
précarité. A ce titre, elle est riche
d’enseignements pour les autres mouvements, et
augure de nouvelles formes de lutte et de proposition
collective concernant le travail et l’emploi sous
leurs formes contemporaines.
Conclusion
Même si certains
d’entre eux sont syndiqués, notamment
à la CGT, à SUD ou à la CNT, les
précaires qui s’investissent
aujourd’hui dans des luttes, par-delà la
diversité de leurs statuts et le morcellement de
leurs situations, se dotent le plus souvent de formes
nouvelles d’organisation , collectifs,
coordinations, comités de soutien ad hoc, qui
privilégient la démocratie directe et le
contrôle des décisions par la base, la
souplesse et la rapidité, la mixité des
appartenances syndicales, associatives et politiques,
le caractère interclassiste ou
interprofessionnel des revendications. Ce sont des
formes d’organisation par affinités
sélectives, par agrégation apparemment
éphémère mais dont les liens
tissés à l’occasion des luttes sont
durables et peuvent se recomposer à tout moment.
Ces formes d’organisation ne se substituent pas
aux syndicats, elles les accompagnent et
s’élaborent en parallèle, le
recours aux syndicats restant fondamental dans les
actions juridiques et pour la protection des
salariés délégués.
Dans ces luttes, les syndicats
peinent à garder le contrôle de
l’action et sont mis en quelque sorte sous
surveillance, instrumentalisés et jaugés
à la hauteur de leur capacité à
aider la lutte et à en porter les
revendications. Ils sont partagés entre la
tentative de récupération de la lutte et
celle du repli. Ils peinent également à
faire place au sein de leurs structures
décisionnelles à ces jeunes militants
très combatifs, souvent issus de
l’immigration, exigeants et à
l’indépendance d’esprit
développée.
Le modèle du
fonctionnement syndical traditionnel, basé sur
la section d’entreprise, l’organisation par
branche, se trouve bousculé et peu adapté
au développement de la mobilité des
travailleurs précaires d’un emploi
à un autre et de l’emploi au
chômage. Ne faudrait-il pas donner plus
d’importance aux unions locales
interprofessionnelles, aux bourses du travail ?
Plus fondamentalement, la
montée de l’individualisme et de la
volonté de choisir ses engagements de
façon sélective et réversible, le
développement de formes d’engagement plus
subjectives, privilégiant les relations
interpersonnelles de confiance et par affinités,
le refus de plus en plus
généralisé de la
délégation de pouvoir et de ce qui peut
apparaître comme des processus bureaucratiques et
rigides, peuvent expliquer la crise de la forme
d’organisation syndicale classique et le
développement des collectifs et coordinations ad
hoc reposant sur la démocratie directe.
A ces difficultés
liées à la forme syndicale s’ajoute
la relative incapacité des syndicats, du moins
la plupart, à inventer un socle de
revendications apte à contrer le
développement de la précarité et
de la flexibilité, celui de la sous-traitance,
et la dégradation des conditions de travail qui
en résulte pour une frange croissante du
salariat. Il est tout de même notable que la
principale ligne de proposition collective à la
hauteur du développement de la
précarité de l’emploi et du revenu,
le nouveau modèle d’indemnisation des
intermittents du spectacle, qui peut faire figure de
modèle pour une grande majorité des
précaires, ait été
élaborée par la Coordination des
intermittents en dehors des syndicats. La
précarité appelle un aggiornamento
syndical. Les syndicats sauront-ils relever ce
défi ?
Evelyne PERRIN
(AC !, Stop
Précarité)
(evelyne.perrin@equipement.gouv.fr)
N’hésitez pas
à la contacter pour toute réaction
concernant cet article, qui peut aussi appeler des
réponses dans le mensuel, à envoyer
à :
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Coordination, Interluttants.
Jean-Michel DENIS, Les
coordinations, Recherche
désespérée d’une
citoyenneté ,Préf. De Cornélius
Castoriadis, Paris, Syllepse, 1996.
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