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AccueilJournalNuméros parus en 2004N°34 - Novembre 2004 > Syndicats et collectifs face à la précarité

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Syndicats et collectifs face à la précarité



Après l’analyse des syndicats confrontés aux précaires, publiée dans la première partie de l’article le mois dernier, Evelyne Perrin aborde les luttes des précaires qui ont percé à Paris ou dans les régions de l’hexagone ces dernières années. A nous toutes et tous de les soutenir, de les élargir et de les faire vivre.
DEUXIEME PARTIE : LES NOUVEAUX OUTILS D’ORGANISATION QUE SE DONNENT LES PRECAIRES,
, COORDINATIONS ET COMITES DE SOUTIEN
Les années 2000 à 2003 ont vu naître et se développer plusieurs luttes de salariés dans la restauration rapide et le commerce, en majorité de jeunes précaires, ainsi que dans le nettoyage. Pour n’en citer que quelques-unes :
grève de 15 jours en décembre 2000 au Mc Do du boulevard St Germain pour des augmentations de salaires et une prime de fin d’année ;
grève de 32 jours en février 2001 au Pizza Hut Opéra pour les mêmes revendications, débouchant sur des primes ;
grève historique de 112 jours d’octobre 2001 à Février 2002 au Mc Do de Strasbourg St-Denis pour la réintégration de cinq salariés licenciés, victorieuse ;
grève d’un mois avec occupation, en février 2002, de la FNAC des Champs-Élysées pour des augmentations de salaires, grève s’étendant à d’autres FNAC de région parisienne et de province, victorieuse, car elle aboutit à un réajustement des salaires de la FNAC Champs-Élysées par rapport aux autres FNAC ;
grèves sporadiques au printemps 2002 dans plusieurs Mc Do parisiens en solidarité avec les salariés de Strasbourg St-Denis ou pour des augmentations de salaires et un 13ème mois ;
grèves chez Go Sport pour des augmentations de
salaires, chez Virgin contre le travail du dimanche et pour un 13ème mois ;
grève d’un an, de mars 2002 à février 2003, de 32 femmes de ménage des hôtels du groupe Accor employées par son sous-traitant Arcade, aboutissant à une réduction des cadences et à une meilleure prise en compte des heures effectuées, mais suivie en juin 2004 du licenciement de la déléguée syndicale SUD leader de la grève ;
grève avec occupation de mars 2003 à mars 2004 à nouveau du Mc Do de Strasbourg St-Denis pour la réintégration d’un délégué licencié et contre les manuvres de coulage du gérant, débouchant sur une réintégration et sur le paiement d’une partie des jours de grève ;
grève de plusieurs mois des cuisiniers sri-lankais des pubs Frog pour une amélioration de leurs conditions de travail, malheureusement non victorieuse
Dans le secteur de la restauration rapide, ce sont essentiellement de jeunes délégués CGT ainsi que des délégués SUD et parfois FO qui mènent ces luttes, certains d’entre eux déjà dotés d’une certaine expérience, d’autres tout frais promus délégués pour se protéger de la répression syndicale. Durant les années 2000 et 2001, ces délégués utilisent le Collectif
CGT de la restauration rapide pour se coordonner entre enseignes telles que Mac Do, Quick, Pizza Hut, EuroDisney et les restaurants du Louvre, mais éprouvent rapidement le besoin de sortir des limites syndicales classiques et s’élargissent à des délégués CNT et FO. Puis certains d’entre eux créent le Réseau Stop Précarité qui regroupe des délégués CGT de Pizza Hut, Disneyland, Extrapole, Maxi-Livres, BHV, restaurants du Louvre, des militants de SUD-Etudiants, SUD-Ceritex, AC !, AARRG, ATTAC-Sorbonne, CNT, UNEF, du Collectif des Emplois-Jeunes de Seine Saint-Denis et des chercheurs.
Le Collectif CGT de la restauration rapide, puis le réseau Stop Précarité, organisent en 2001 et 2002 plusieurs opérations coup de poing et manifestations qui se distinguent des formes de lutte syndicale traditionnelles par leur volonté d’investir l’espace public de la rue et des centres commerciaux (Belle Epine en juin 2001 et La Défense en décembre), par leur appel à la solidarité des consommateurs et au boycott de la marque, par leur autonomie vis-à-vis des structures syndicales.
Lors de la grève de 112 jours du Mac Do de Strasbourg St-Denis, des formes originales de mobilisation sont inventées avec la constitution d’un vaste comité de soutien regroupant plus d’une trentaine d’organisations syndicales, associatives et politiques, qui se réunit une fois par semaine sous la houlette d’une Fédération du Commerce CGT passablement débordée. Grévistes et comité de soutien mettent en uvre des occupations de Mc Do parisiens tous les samedi et parfois le dimanche, y compris Noël et jour de l’an, sensibilisant les passants et effectuant des collectes. Ces actions de
harcèlement et la popularisation du conflit ne sont pas pour rien dans la capitulation finale de Mc Do et la réintégration des grévistes en février 2002. Une manifestation de soutien aux grévistes de Mc Do rassemble 2000 personnes le 2 février 2002, précaires de différentes entreprises et militants syndicaux, associatifs et politiques.
Ces formes de lutte des jeunes précaires se différencient nettement des luttes syndicales classiques :
elles sont lancées à la base et non à partir de mots d’ordre des centrales syndicales ; elles se construisent à partir d’agrégats d’individualités, sur la base de la confiance réciproque et de l’interconnaissance, en évitant la discipline et la hiérarchie bureaucratiques mais en privilégiant l’autonomie et une forte implication personnelle.Les tracts d’ailleurs, même à en-tête syndical, se concluent par des prénoms et des numéros de portables. Les centrales syndicales impliquées peinent à garder le contrôle de ces mouvements de lutte et se voient souvent débordées, contestées.
Les luttes sortent de l’entreprise pour déborder sur la rue, l’espace public, par accrochage de banderoles sur des rubans de scotch tendus entre les arbres, distribution de tracts aux passants et consommateurs, appel au boycott des produits, ce qui permet de relier une lutte ponctuelle à des thèmes plus généraux comme la « malbouffe » et à d’autres mouvements comme la Confédération Paysanne ou les mouvements pour une autre mondialisation, ou le mouvement des « sans papiers » dans le cas de la lutte des salariées d’Arcade, emblématique de
Manif antifa Getembre 2004.jpg
la surexploitation des immigrés.
Les luttes sortent également du carcan syndical en faisant appel à des soutiens diversifiés de l’extérieur, autres syndicats, associations de lutte contre le chômage et la précarité, mouvement étudiant dans toutes ses composantes
Ces luttes s’en prennent aussi au talon d’Achille de ces multinationales, leur image de marque dans le public, en développant des campagnes de boycott de la marque sous forme de cartes postales, en diffusant la contestation dans les divers établissements du groupe, restaurants Mc Do, hôtels du groupe Accor, en perturbant l’assemblée des actionnaires de ce groupe dont Arcade est l’un des sous-traitants
Ces jeunes délégués maintiennent une attitude souvent assez distanciée vis-à-vis de leur syndicat qu’ils ont tendance à instrumentaliser dans ce sens qu’ils en perçoivent de façon aiguë les limites et les rigidités et y suppléent en déployant entre eux une grande solidarité, en se donnant des « coups de main » pour pallier les carences syndicales.
L’expérience collective du comité de soutien à une lutte est facilement « transférée » à une autre lutte, avec des recompositions de participants. Ainsi le collectif de soutien au Mc Do Strasbourg St-Denis se transforme-t-il après quelques défections ou apports nouveaux en un comité de soutien à la lutte des femmes de ménage africaines d’Arcade, puis renaît pour soutenir la deuxième grève du Mc Do de Strasbourg St-Denis, puis s’étend au soutien aux cuisiniers des Frog. Des jonctions sporadiques se font entre luttes, lorsque les femmes d’Arcade soutiennent des occupations de Mc Do et que des salariés de Mc Do en grève participent aux occupations d’hôtels du groupe Accor, même si cela reste l’exception.
Malgré l’originalité et le renouvellement des formes de lutte des salariés précaires de divers secteurs dans le début des années 2000, il faut toutefois constater que ces grèves restent malgré tout dispersées et fragmentées, et qu’elles ne se prêtent pas à un travail collectif d’élaboration de revendications communes ou de
propositions convergentes pour lutter contre la précarité de l’emploi et du revenu ou pour créer de nouvelles garanties collectives. Ce sont des mouvements qui restent centrés sur des augmentations de salaires, l’obtention de primes ou d’un treizième mois, ou en réaction à la répression syndicale.

La lutte des emplois-jeunes en 2002 et 2003

La lutte des emplois-jeunes est un exemple de mouvement né de coordinations locales intercatégorielles qui ne rencontre qu’un très faible soutien des syndicats, et doit compter principalement sur ses propres forces.
Lorsqu’à l’été 2002 le gouvernement Raffarin annonce la non-reconduction des emplois-jeunes, ceux-ci s’organisent en collectifs et se mobilisent fortement dès l’automne 2002, multipliant les assemblées générales et essayant d’unir les emplois-jeunes de divers secteurs, ceux de l’Education Nationale, des collectivités territoriales et des associations, pour déposer des revendications spécifiques à chacun d’eux et au-delà, unitaires. Ces revendications vont du maintien du statut d’étudiant-surveillant à la titularisation sans concours ni condition de nationalité pour les emplois-jeunes des divers services publics, à l’accès à des formations qualifiantes et/ou diplômantes, à la revalorisation des salaires, à la validation des acquis professionnels, à la transformation des CDD en CDI pour les
emplois-jeunes des associations.
Il se crée une Coordination nationales des emplois-jeunes et surveillants en lutte, qui appelle à des journées nationales d’action et à des grèves reconductibles en décembre 2002 et janvier 2003. Des collectifs se créent ainsi un peu partout en province, et des grèves reconductibles sont déclenchées en Corse, à Nantes, Rennes, Brest, Toulouse, Angers et dans de nombreuses autres villes. Le mouvement culmine en juin 2003 avec l’approche des premiers non-renouvellements de contrats par une occupation de la Bourse du travail à Paris et une forte participation aux manifestations des enseignants et salariés du secteur public contre la réforme des retraites et la décentralisation à l’Education nationale, au risque pour la lutte des emplois-jeunes de se retrouver un peu diluée dans le mouvement social de mai-juin 2003.
Or, quelle est la position des syndicats vis-à-vis de la lutte des emplois-jeunes, menacés du plus grand « plan social » de l’année 2003 ?
La plupart du temps, c’est l’absence de soutien syndical qui prévaut, à l’exception de SUD. Le SNES-FSU et le SGEN-CFDT refusant de participer à la journée d’action du 17 janvier 2003 dans de nombreuses villes, le SNES-FSU appelant dès décembre à la reprise du travail. SNES et SGEN ne reprennent pas à leur compte la plate-forme de revendications élaborée par la Coordination nationale et
Seillière contre Anarchy.jpg
validée par toutes les assemblées générales d’académie. Ils sont d’ailleurs opposés à la titularisation sans concours, que SUD est le seul syndicat à défendre. La Coordination nationale appelle en vain les syndicats majoritaires à lancer un grand mouvement de grève pour faire fléchir un gouvernement très déterminé. De fait, chaque fois qu’Amel Dahmani, leader de la Coordination nationale, syndiquée CGT à l’époque, demande à la CGT de déposer un préavis de grève pour les journées de mobilisation des emplois-jeunes, cela n’est pas fait. Seul SUD dépose des préavis. L’information sur les mouvements de lutte des intermittents n’est pas répercutée par la CGT qui en fait, tout en paraissant soutenir le mouvement, souhaite le cantonner car elle ne veut pas gêner le gouvernement de la gauche plurielle auquel participe la Parti Communiste. La CGT ne met pas les emplois-jeunes en réseau et n’a pas de stratégie pour élargir la lutte ou l’organiser. C’est par Internet que les collectifs se coordonnent et par des AG régulières à Paris ou en province.
En fait, toute la lutte des emplois-jeunes est portée par des collectifs locaux de syndiqués et de non syndiqués et par la Coordination Nationale sur la base de la démocratie directe, de l’envoi de représentants mandatés aux réunions régulières, quasi hebdomadaires, de la Coordination Natonale à Paris, et le seul soutien syndical émane de SUD-Education et de SUD-Etudiant, ainsi que de la CNT-Education et de la CGT-Education. Mais ce ne sont pas les syndicats qui pilotent la lutte, celle-ci est étroitement contrôlée par la base et menée de façon intercatégorielle et intersyndicale. Cette lutte se veut étroitement articulée à une lutte plus générale contre la précarité, car les emplois-jeunes, même s’ils disposent de CDD de cinq ans, sont la poursuite du développement de la précarité dans le secteur public : aujourd’hui la majorité des emplois créés dans le secteur public sont des emplois précaires. Une autre particularité et une force de la lutte des emplois-jeunes, c’est qu’elle se veut d’emblée interprofessionnelle, car les emplois-jeunes des collectivités locales n’auraient pu
lutter seuls, ni ceux de l’Education Nationale. Les emplois-jeunes sont à l’interprofessionnalité des métiers, porteurs de convergences. Leur lutte s’ouvre sur celle des autres précaires, à qui ils apportent leur soutien lorsqu’ éclatent des grèves. Ce n’est pas un hasard si les leaders de la Coordination nationale des emplois-jeunes se retrouvent en 2003-2004 dans le collectif « Convergence des luttes » qui essaie de relier les réseaux de militants.
La lutte des emplois-jeunes enfonce également un coin dans les positions et dans l’idéologie des syndicats majoritaires, car la revendication principale de titularisation sans concours des emplois-jeunes prend à revers toute l’idéologie syndicale de recrutement sur concours. Or d’autres épisodes de titularisation sans concours existent dans l’histoire. Ce qui est innovant dans la revendication des emplois-jeunes, c’est qu’ils revendiquent la transformation des CDD en CDI également pour les emplois-jeunes des associations.
En conclusion, face à ce qu’on peut considérer comme le plus grand plan social des années 2000 (dès juin 2003, ce sont 20 000 emplois-jeunes qui se retrouvent aux portes de l’ANPE), les syndicats majoritaires sont restés curieusement silencieux et relativement inactifs, au lieu d’aider à la mobilisation et à l’émergence de revendications, qui par leur nature interprofessionnelle les gênaient et dérangeaient leurs certitudes et leur organisation pyramidale et catégorielle.

La lutte des intermittents du spectacle durant l’été 2003

La lutte des intermittents du spectacle contre la réforme de leur statut durant le printemps et l’été 2003 et jusqu’à présent est l’exemple même d’un mouvement organisé en dehors des syndicats en collectifs locaux de syndiqués et de non syndiqués, même si la CGT a exercé une influence certaine dans l’expression du refus de la réforme.

Il faut souligner que des coordinations ont existé chez les intermittents du spectacle dès 1992, notamment la coordination lyonnaise, qui fut très forte même si elle est moins présente aujourd’hui. Lorsque
le gouvernement annonce la réforme des annexes VIII et X de l’UNEDIC qui régissent le régime d’assurance chômage des intermittents, le collectif « Précaires et Associés de Paris » (PAP) se crée en décembre 2002, et organise, pendant l’hiver et le printemps 2003, les premières actions contre le projet de réforme. A cette époque, le Collectif existe plutôt en réaction contre la CGT-Spectacle car ses membres ne supportent plus le ronron des assemblées générales creuses qu’elle organise. Quant à la Coordination des Intermittents et Précaires d’Île-de-France, comme le rappelle Jérôme, l’un des fondateurs du PAP1, elle se crée en juin 2003 pour répondre à une demande des professionnels concernés, pour remplir un vide et réfléchir en matière de droits sociaux. Au départ il y a une occupation du Théâtre de la Colline par une centaine d’intermittents ; puis lors de la signature du protocole par le gouvernement et quelques syndicats non majoritaires dont la CFDT, dans la nuit du 26 au 27 juin, Précaires et Associés de Paris, ainsi que quelques militants de la CNT, appellent à une assemblée générale, où arrivent 1000 à 1200 personnes, qui décident alors d’occuper la Villette. Le travail collectif commence tout de suite en commissions ouvertes à tous, avec compte-rendu dans des AG régulières de 500 à 1000 personnes. Un vrai travail de commissions s’effectue, avec une diversité de participants, des vedettes aux personnes les plus précaires et les plus fragiles, représentatifs donc de la diversité des situations professionnelles qui caractérise le secteur. C’est ce travail collectif associant des individualités professionnelles très diverses qui va permettre une mise à plat des conditions concrètes d’exercice de ces professions et une réflexion sur les dysfonctionnements du régime d’assurance chômage et sur les alternatives à lui opposer pour assurer aux personnes concernées une continuité de droits et de revenu.

Des collectifs locaux naissent un peu partout, comme Culture en danger à Montpellier, le collectif du 25 février à Avignon, etc. Comme l’écrivent Fabienne Darge et Diane Ducamp dans « Le Monde » du 7 juillet 2003, « les membres des collectifs sont jeunes, en
mac do
général entre 25 et 40 ans. Ce sont les plus concernés par la précarité, et donc les plus touchés par la réforme. () Ils viennent du spectacle vivant (théâtre, danse, spectacle de rue), où ils sont artistes ou techniciens, plus que de l’audiovisuel (). Pour beaucoup, rejoindre une coordination constitue une première expérience d’ordre politique. () Mais un nombre non négligeable d’entre eux ont déjà eu des expériences d’ »engagement ». () Dans la coordination des intermittents et précaires d’Île-de-France se côtoient des gens venus d’horizons divers », de la CGT, de la CNT, du collectif des Précaires Associés de Paris, d’AC ! « Ceux venus de la CGT, par exemple, ne renient pas leur affiliation à la centrale syndicale, mais trouvent que la coordination permet d’agir de manière plus directe et rapide, sans passer par des processus bureaucratiques et technocratiques. » () « Expérimentés ou non, les membres des coordinations tentent de réinventer une forme de démocratie directe. Le collectif parisien, installé salle Olympe de Gouges, rue Merlin, dans le 11ème Arrondissement, convoque une assemblée générale tous les jours et a institué le principe des commissions (« action », « interprofessionnelle », « Europe », « presse ») auxquelles peuvent participer tous ceux qui le désirent. Pas de représentants permanents, pas de leaders. »
A ce stade-là, comme le souligne Jérôme, « on ne se posait même pas la question de la CGT-Spectacle », elle venait, on lui donnait la parole en fin de réunion, mais ils étaient plus ou moins dépassés » ; c’est la Coordination qui a élaboré, au sein de la commission propositions-revendications, le nouveau modèle d’indemnisation des intermittents, par un travail de création collective, non pyramidal, tout au long de l’été et de l’automne 2003 pour être enfin adopté sous sa forme définitive (bien qu’il reste bien sûr perfectible) en coordination nationale à Lille le 7 décembre 2003.Tout le mois de juillet 2003 à Olympe de Gouges étaient organisés de manière hebdomadaire des forums ouverts de la commission propositions et revendications, avec environ 200 personnes, FO, la CGT, le PS y venaient et soumettaient les animateurs de la coordination à la question, en
contestant leurs propositions. Il était parfois tenu compte de leurs objections. Certains délégués syndicaux étaient furieux, d’autres, comme le SNTR (secteur audiovisuel au sein de la CGT-Spectacle), participaient de manière constructive au débat.
Quelle a été la position de la CGT-Spectacle par rapport au nouveau modèle ? Elle a repris l’abandon du SJR (salaire journalier de référence), que contestait la Coordination car c’est la source de toutes les magouilles (chaque intermittent, dans ce système, a intérêt à avoir le maximum de salaire sur le minimum de jours pour bénéficier d’une allocation de chômage plus élevée). La Coordination a opté pour un salaire annuel de référence, avec un plancher, le SMIC, et un plafond, fixé assez bas, pour éviter que certains intermittents cumulent cachets et indemnités les plus élevés. La CGT a contesté le plafond proposé par la Coordination, qu’elle jugeait trop bas, mais le Syndicat des Employeurs du Spectacle Vivant (association des directeurs de scènes nationales) a repris les plafonds proposés par la Coordination. A l’automne 2003, la CGT-Spectacle a fait paraître un énoncé de principes, qui s’inspirait du nouveau modèle, mais ce fut tout quant à la publicisation de sa doctrine en la matière.
La position des autres syndicats fut très diverse. FO venait aux AG mais ils étaient très mécontents. La CFDT a soutenu le gouvernement en signant le protocole d’accord, et propose aujourd’hui la création d’une caisse professionnelle pour absorber le déficit du régime des intermittents, ce qui reviendrait à désolidariser les intermittents du reste des salariés et à rétrécir leur base de financement. Mais il faut savoir que la CFDT regroupe un nombre dérisoire d’adhérents au sein des intermittents, par contre elle a beaucoup de permanents dans les institutions. SUD-Spectacle et SUD-Culture ont totalement soutenu le travail collectif, avec leurs faibles moyens, et ont repris les propositions de la Coordination.
Ensuite la Coordination a forcé un passage au niveau politique grâce à une conférence de presse qui a abouti à la création d’un comité de suivi parlementaire, avec le soutien de Noël Mamère, puis de Marie-Christine Blandin, des Verts, de
Patrick Bloch, du PS, d’Etienne Pinte, député-maire UMP de Versailles, un vieux gaulliste qui défend le nouveau modèle car il est généreux et sensible, un UDF, etc. Ce comité de suivi s’est ouvert à des parlementaires de tout bord, certains plus prosaïquement animés par le désir de sauver leur festival, source de prestige et de rentrées financières locales. Les syndicats non signataires y participent aussi, même si la CGT était au départ furieuse de cette initiative qui lui enlevait sa place.
Il faut bien voir que le nouveau modèle, qui revient à assurer une garantie de revenu pour tenir compte du caractère discontinu de l’emploi, est mieux compris par certains représentants de la droite ou du centre droit, qui prennent acte de la flexibilité de l’emploi mais veulent l’assortir de garanties (à la différence du MEDEF) que par les représentants de la gauche, en majorité englués dans une idéologie de la croissance et du retour au plein emploi. Ce qui caractérise le travail de la Coordination à cet égard, c’est qu’elle n’est pas partie de positions idéologiques sur la nécessité d’un revenu garanti universel (position défendue par les « Négristes », Laurent Guilloteau, Antonella Corsani, Maurizio Lazzarato, Yann Moulier-Boutang, qui ont activement participé à la réflexion), mais d’une analyse concrète de la situation professionnelle des intéressés, dans sa diversité, dans la droite ligne d’un combat syndical ; ainsi le revenu garanti n’a quasiment jamais été débattu dans la Coordination, la revendication l’incluait mais en portant sur le temps nécessaire à la création.
En conclusion, à la différence de nombre de coordinations antérieures, qui présentaient des points communs mais implosaient sur la question de la place des syndicats2, la Coordination des Intermittents a évité la récupération et le laminage par les syndicats et a
résisté. Ceci traduit l’émergence de nouvelles formes d’organisation chez les salariés de secteurs entiers du monde du travail de plus en plus confrontés à la précarité. A ce titre, elle est riche d’enseignements pour les autres mouvements, et augure de nouvelles formes de lutte et de proposition collective concernant le travail et l’emploi sous leurs formes contemporaines.
Conclusion

Même si certains d’entre eux sont syndiqués, notamment à la CGT, à SUD ou à la CNT, les précaires qui s’investissent aujourd’hui dans des luttes, par-delà la diversité de leurs statuts et le morcellement de leurs situations, se dotent le plus souvent de formes nouvelles d’organisation , collectifs, coordinations, comités de soutien ad hoc, qui privilégient la démocratie directe et le contrôle des décisions par la base, la souplesse et la rapidité, la mixité des appartenances syndicales, associatives et politiques, le caractère interclassiste ou interprofessionnel des revendications. Ce sont des formes d’organisation par affinités sélectives, par agrégation apparemment éphémère mais dont les liens tissés à l’occasion des luttes sont durables et peuvent se recomposer à tout moment. Ces formes d’organisation ne se substituent pas aux syndicats, elles les accompagnent et s’élaborent en parallèle, le recours aux syndicats restant fondamental dans les actions juridiques et pour la protection des salariés délégués.
Dans ces luttes, les syndicats peinent à garder le contrôle de l’action et sont mis en quelque sorte sous surveillance, instrumentalisés et jaugés à la hauteur de leur capacité à aider la lutte et à en porter les revendications. Ils sont partagés entre la tentative de récupération de la lutte et celle du repli. Ils peinent également à faire place au sein de leurs structures décisionnelles à ces jeunes militants très combatifs, souvent issus de l’immigration, exigeants et à l’indépendance d’esprit développée.
Le modèle du fonctionnement syndical traditionnel, basé sur la section d’entreprise, l’organisation par branche, se trouve bousculé et peu adapté au développement de la mobilité des travailleurs précaires d’un emploi à un autre et de l’emploi au chômage. Ne faudrait-il pas donner plus d’importance aux unions locales interprofessionnelles, aux bourses du travail ?
Plus fondamentalement, la montée de l’individualisme et de la volonté de choisir ses engagements de façon sélective et réversible, le développement de formes d’engagement plus subjectives, privilégiant les relations interpersonnelles de confiance et par affinités, le refus de plus en plus généralisé de la délégation de pouvoir et de ce qui peut apparaître comme des processus bureaucratiques et rigides, peuvent expliquer la crise de la forme d’organisation syndicale classique et le développement des collectifs et coordinations ad hoc reposant sur la démocratie directe.
A ces difficultés liées à la forme syndicale s’ajoute la relative incapacité des syndicats, du moins la plupart, à inventer un socle de revendications apte à contrer le développement de la précarité et de la flexibilité, celui de la sous-traitance, et la dégradation des conditions de travail qui en résulte pour une frange croissante du salariat. Il est tout de même notable que la principale ligne de proposition collective à la hauteur du développement de la précarité de l’emploi et du revenu, le nouveau modèle d’indemnisation des intermittents du spectacle, qui peut faire figure de modèle pour une grande majorité des précaires, ait été élaborée par la Coordination des intermittents en dehors des syndicats. La précarité appelle un aggiornamento syndical. Les syndicats sauront-ils relever ce défi ?

Evelyne PERRIN
(AC !, Stop Précarité)
(evelyne.perrin@equipement.gouv.fr)

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Voir aussi les Numéros successifs du journal de la Coordination, Interluttants.
Jean-Michel DENIS, Les coordinations, Recherche désespérée d’une citoyenneté ,Préf. De Cornélius Castoriadis, Paris, Syllepse, 1996.


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