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L’oppression patronale - et le renouveau syndical aux Etats-Unis
Pourquoi s’intéresser au
mouvement syndical aux Etats-Unis ? Pas seulement parce
qu’il est méconnu, occulté, interdit de
médiatisation, pas seulement parce que la
réalité de l’exploitation et de la
répression fait tomber le mythe d’un pays
fondé sur la liberté, mais surtout, parce
qu’il est peut-être porteur de pratiques,
d’expériences, d’alliances nouvelles qui
peuvent s’exporter sous une forme adaptée dans les
pays européens. Tout comme les capitaux
américains, les solidarités à
l’oeuvre là-bas peuvent, ici, inspirer de
puissante mouvements, réenchanter le monde social en
étant capables d’atteindre un extraordinaire
niveau de désintéressement et
d’identification collectives.
Mais, avant de rêver, ou
d’entrer dans le vif du sujet, il convient, en
introduction, de préciser les contours de
l’environnement idéologique,
profondément hostile, auquel est
confronté, depuis les années Reagan, le
mouvement social et syndical. Le mouvement syndical,
malgré son renouveau, est dépendant de sa
propre histoire, celle qui a abouti à annihiler
la combativité ouvrière, pour lui
substituer un syndicalisme gestionnaire,
bureaucratique, voire maffieux. Qui plus est, le
libéralisme triomphant a affaibli,
dramatiquement, ce syndicalisme d’agent
d’affaires syndicales. La survie d’un
syndicalisme renouvelé est devenue une question
centrale, pour le mouvement social qui se manifeste aux
USA.
Mais, celui-ci est
confronté au poids de l’idéologie
dominante sur les consciences. Au pays de la
liberté, les travailleurs, ça
n’existe pas comme référent,
n’existent que des clients, des consommateurs de
produits. Cette croyance dans le libre marché,
censé donner sa chance à tous, est
très prégnante, elle a réussi
à faire plus ou moins disparaître
l’ouvrier de l’imaginaire social.
Là-bas, seuls l’argent, la
production sont créateurs de richesses. Les bas
salaires sont encensés, comme la liberté
industrielle de licencier, car ils permettraient de
produire à bas pria des biens et des services
pour tous. Le développement des droits des
consommateurs et leur
juridicisation d’un côté, et de
l’autre, la dissolution des droits des
travailleurs, sont les deux faces d’un même
système. D’un côté, la
liberté formelle de choisir ses produits,
d’acheter à toute heure du jour et de la
nuit, y compris les dimanches, ou bien celle de vous
faire livrer, chez vous, sans délai, ce que bon
vous semble, ou encore la liberté
d’obtenir un crédit même lorsque
vous êtes déclaré en faillite. De
l’autre, la baisse des salaires, la surcharge de
travail, les heures supplémentaires
obligatoires, l’obligation alimentaire de tenir
deux, voire trois jobs pour vous en sortir, la
surveillance au travail, les licenciements sans motifs
avoués et sans indemnités, ainsi que
l’érosion du droit de grève qui,
paradoxalement, comme nous allons le voir, est devenu
une arme patronale.
Ces contraintes sont la
contrepartie d’une liberté
frelatée, celle d’une
société du risque maximum, du plongeon
pour le plus grand nombre et du rebond, pour une
minorité. Cette société de
consommation effrénée, c’est celle
où l’épargne des ménages est
tombée à néant, où les
faillites individuelles qui touchent surtout les
classes moyennes, sont dramatiques. Depuis 1980, les
faillites ont été multipliées par
7. On en recensait 200 000 en 1980, on en a
dénombré 1,4 million en 1998. II
n’empêche, les pressions pour acheter
toujours plus, se sont encore accrues. Les fabricants
de cartes de crédit dépensent 2,5
milliards $ par an pour déposer des prospectus
dans les boîtes aux lettres. L’endettement
moyen, uniquement par cartes de crédit par
famille et par an, est de 7 000 $ (45000 F/an ou 3 750
F/mois).
I - La réalité de
l’exploitation
capitaliste et du despotisme
patronal
Le renforcement de
l’exploitation des travailleurs s’est
développé dans un contexte (1) qui le
permettait : celui de l’abandon de toute
référence au fordisme ou au
keynésianisme, de la
domination idéologique du
libéralisme économique et de ses aspects
les plus néo-conservateurs. Pour la
clarté de l’exposé, on distinguera
ce qu’il en est, aujourd’hui, du salaire
direct perçu par les ouvriers, employés,
des maigres ressources du salaire indirect consenties,
pour l’essentiel, aux salariés
syndiqués.
La majorité des
salariés est sous payée, même dans
la Sillicon Valley. Pour prendre cet exemple et, mise
à part l’extrême minorité de
programmeurs et d’ingénieurs
informaticiens qui disposent de stocks options et de
millions de dollars, les assistants du service
clientèle, ceux qui passent leurs
journées dans des box minuscules et
répondent à un rythme
effréné aux clients solliciteurs, comme
tous ceux qui emballent les livres, les colis, qui les
postent, tous ceux-là, gagnent moins de 10 $ de
l’heure. Quant aux personnels d’entretien
des locaux ou de maintenance, il sont si mal
payés par les sous-traitants qui les emploient,
qu’ils possèdent à peine de quoi
payer leurs loyers, que nombre de familles à
trois, voire à quatre, se partagent la
même habitation et sont obligées ide
rechercher un deuxième, voire un
troisième emploi.
Le pays du libéralisme
triomphant, c’est bien sûr celui des
inégalités sociales incommensurables (2)
mais, c’est surtout et d’abord celui de la
baisse du salaire direct pour le plus grand nombre et
surtout et d’abord, pour les minorités
ethniques de plus en plus nombreuses.
Entre 1976 et 1995, les salaires,
hors inflation, ont connu une chute de 18 % pour 80 %
d’Américains. La hausse de 7 % de 95
à 99 n’a pas restauré cette perte
de revenus. Mais ces moyennes occultent d’autres
réalités plus dramatiques, celles qui
concernent la progression des franges de populations
vivant en dessous du seuil de pauvreté (3). Les
pourcentages sont éloquents.
Blancs Noirs Hispanique
1973 10, 7% 24, 8% 25,1 % 1999 16,1% 29,5%
40,3%
Autres indices du taux
d’exploitation, le nombre d’heures
travaillées dans l’année et
l’importance des heures
« supplémentaires ». Depuis 20 ans,
les Américains travaillent, en moyenne, 61
heures de plus dans l’année. Par
comparaison, le nombre d’heures
travaillées par an s’élève
en Suède à 1 551 h, à 1 634 h en
France et à 1 966 h aux USA, soit 332 h de plus
qu’en France, soit environ 2 mois de plus (!).
Quant aux heures « supplémentaires »,
elles ne connaissent pas de limite légale, elfes
ne sont ni plafonnées (48 h en Europe) ni, pour
la plupart, payées à un tarif plus
élevé, â moins qu’un accord
syndical ne le prévoit. II n’est pas rare,
par conséquent, que des travailleurs atteignent
le chiffre effarant de 70 h par semaine soit pour un,
soit pour deux, soit pour trois employeurs. En effet,
en 1999, 5,9 % de la main d’oeuvre soit 8
millions de salariés, travaillent à temps
partiel et sont dans l’obligation de rechercher
un deuxième, voire un troisième emploi.
Par ailleurs, les emplois
considérés comme permanents sont, tout
particulièrement dans la nouvelle
économie, une espèce en voie de
disparition. Du point de vue idéologique, le
risque étant élevé au rang de
vertu, la précarité est la règle :
1/3 de la main d’oeuvre soit 30 millions de
salariés la connaissent sous différentes
formes : les emplois temporaires, en leasing, en
sous-traitance, à temps partiel et même
à son propre compte pour une entreprise ou une
autre. Le développement de
l’intérim a explosé : en 1982, on
dénombrait 400000 intérimaires, en 1990,
1,2 million, en 2000, 2,9 millions. Quant aux temps
partiels, ils se sont d’autant plus
généralisés qu’aucune
législation ne définit le temps plein.
Tout dépend de la définition qu’en
donnent les entreprises. Pour Wal Mart [1ère
chaîne de grande distribution ndc], par exemple,
qui dispense des salaires très bas(4), 28 heures
de travail par semaine, c’est un temps complet,
ce qui permet à cette entreprise de
comptabiliser 70 % de temps complet CQFD.
Le salaire indirect se
définit, pour le moins, par 1a couverture des
risques chômage, maladie et les congés
payés. Qu’en est-il aux États-Unis
?
Mais, d’abord, qu’en
est-il du chômage ? II ne concernerait que 5,8
millions de travailleurs, soit un taux très
faible, 4,2%. Mais ce chiffre est très
contestable. D’une part, parce que dans cette
société inégalitaire, de lutte de
tous contre tous, la délinquance est importante :
2 millions de personnes sont
incarcérées, les prisons sont surtout
peuplées de pauvres, de jeunes appartenant aux
minorités raciales qui souffrent le plus de la
précarité et, qui plus est, parce que le
critère de la perte
d’emploi dans un environnement
précarisé et d’exclusion de toute
couverture sociale, la survie pousse à la
délinquance.
Si l’on comptait les
personnes incarcérées, sans travail,
l’on se retrouverait à 6,2 % de
chômeurs. Mais la définition du
chômage elle-même, reste à
interroger : en effet, toute personne ayant
travaillé, au moins une heure la semaine
précédent son non-emploi est
considérée comme une personne en
activité. En outre, hormis les personnels
syndiqués ou certaines catégories
d’enseignants et de fonctionnaires titulaires (il
en existe encore) et, mis à part les cadres
dirigeants qui ont pu négocier des parachutes en
or, le salarié dans l’entreprise peut
être licencié, à tout moment, sans
préavis et sans motif et sans indemnités
de licenciement. Le droit d’embauche et de
débauche est, sans conteste, une liberté
souveraine de l’employeur ! Il existe,
néanmoins, des indemnités de
chômage versées par l’Etat
fédéral. Elles sont égales
à 50 % du traitement pendant 6 mois. Par
comparaison, la moyenne européenne est
égale à 47% mais pendant 16 mois (5).
Les Etats-Unis se
caractérisent, en outre, par une absence de
protection sociale universelle. Maladie, accidents du
travail, retraites, pas de législation, tout
dépend, soit de la liberté de
l’individu de s’assurer auprès
d’organismes privés, soit du bon vouloir
de l’entreprise pour autant, évidemment,
que la présence syndicale l’oblige. Or,
pour la majorité des Américains,
l’assurance médicale, fournie par
!’entreprise, est une nécessité
vitale. Ces avantages se sont restreints dans la d e r
n i è r e période. Tous secteurs
confondus, il n’y a plus que 62 % des
salariés disposant d’une assurance
maladie ; ils étaient plus de 70 % en 1979. Quant
au secteur privé, 49% des employés et des
ouvriers en bénéficient. Par
conséquent, 44 millions de travailleurs, au
total, n’ont aucune assurance maladie.
Bien que les employeurs
n’aient aucune obligation en la matière,
les
Américains
bénéficient en moyenne de 16 jours de
congés annuels par an. Si la loi les contraint
à accorder 13 semaines de congés pour
maternité, c’est en fait un congé
sans solde, non payé. De même, il
n’existe pas d’allocations familiales.
Quant aux crèches et autres gardes
d’enfants, elles sont payantes, sans aides
publiques et gérées par des organismes
privés.
En fait, et c’est là
une spécificité étasunienne, les
avantages concédés aux salariés le
sont au seul bénéfice des
syndiqués. Seule la carte syndicale
délivre un passeport de citoyenneté
sociale. Mais, surtout, depuis les années 70,
elle doit être constamment défendue.
Avant de décrire, de
tracer les contours des spécificités
syndicales, il reste à décrire la
réalité du despotisme patronal car il
possède la liberté de s’exercer
presque sans entrave.
Les salariés, dans les
entreprises, sont constamment surveillés.
D’abord par un encadrement très important.
En 1980, il y avait en moyenne un cadre ou
contremaître pour 5,7 ouvriers. Par
comparaison, le rapport est de 1
à 17,9 en France.
Le développement de
l’informatique, de l’électronique a
renforcé cette surveillance, les caméras
sont partout, les courriers électroniques, les
consultations par internet sont surveillés.
Plus généralement,
règne, dans les entreprises, une ambiance de
guerre psychologique, de stress, de peur, les
salariés en concurrence sont dressés les
uns contre les autres, y compris par des
réunions d’endoctrinement contre les
méfaits du syndicalisme et les bienfaits du
libéralisme financier. La chasse aux fortes
têtes est bien organisée, notamment, par
le recours aux agences de détectives
privés qui, « clandestins » dans
l’entreprise, mouchardent, dénoncent,
poussent les salariés repérés
à la faute quand ils ne recourent pas à
des expédients plus musclés. Quant aux
cadres, ils sont enrôlés dans cette
croisade. Ceux qui refuseraient d’y participer
seraient, sans appel, licenciés pour
insubordination.
Face à cette
réalité contraire, ne serait-ce
qu’aux droits civiques, les syndicats, même
les plus combatifs, ne déposent plainte que dans
14 % des cas, et ce, pour au moins deux raisons
principales : ils sont confrontés aux
difficultés de rassembler des preuves toujours
contestées par l’armada des consultants
patronaux dont la mission est précisément
de les contester. Et, quand bien même sur ce
terrain, ils obtiendraient une victoire, elle serait
bien dérisoire. Ce type d’infractions
civiles ne tonnait pas de sanctions pénales. Si
sanction il y a, elle se résume la plus souvent
à l’obligation d’une promesse,
affichée, de ne plus recommencer... Pour les
patrons, il n’y a que des avantages à
violer les faibles lois qui reconnaissent quelques
droits aux travailleurs. C’est surtout lors de
licenciements massifs, pendant les campagnes
électorales reconduisant ou non
l’existence du syndicat que le recours à
la justice fait partie d’emblée de
l’arsenal de la mobilisation. Ceci nous
amène à décrire les
particularités d’un syndicalisme
américain, sans qu’il soit besoin
d’évoquer certains traits maffieux ou
réactionnaires.
II - Spécificités
du syndicalisme
américain
Elles trouvent leur origine,
leurs explications dans l’histoire du mouvement
ouvrier américain. II a été, avant
d’être écrasé, puis
aseptisé, l’un des plus combatif du monde
(6). Ce n’est pas le propos ici d’en
retracer les épisodes. Qu’il suffise de
dire qu’avec !a crise de 29/30, la 2 guerre
mondiale, dans un environnement marqué par la
guerre froide et l’anticommunisme, le
syndicalisme s’est bureaucratisé
jusqu’à la caricature, même si des
points de résistance ont toujours
survécu.
En fait, au sortir de la 2
guerre s’est imposé, pour plusieurs
raisons, un syndicalisme corporatiste, docile,
coupé de la
base. II concevait, pendant les
30 Glorieuses, sa fonction comme celle d’un
prestataire de services, pour ses adhérents. II
est par conséquent étranger à
toutes formes de contestation sociale ; il
décourage toutes formes de solidarité qui
pourraient être interprétées comme
une menace contre l’ordre public. Pendant la
période du maccartisme, il a collaboré
étroitement à la chasse aux communistes,
trotskistes et autres radicaux. Convertie aux bienfaits
du capitalisme, à la nécessité de
profits financiers, la direction très
réactionnaire qui s’est imposée
à la tête de AFL-CIO jusqu’en 1995,
a restreint le syndicalisme à une affaire
concernant d’abord et surtout des
spécialistes, des juristes, des
économistes, des professionnels des
procédures. Les travailleurs,
écartés des négociations, devaient
s’en remettre à ces spécialistes.
Pour les dirigeants, le contact avec la base est le
cadet de leurs soucis, d’autant que les
cotisations des adhérents sont automatiquement
prélevées sur le salaire, à charge
pour l’employeur de les transmettre au
siège du syndicat. II est
caractéristique, à cet égard, que
les permanents syndicaux se dénomment entre eux
« Agents d’affaire », « Business
Agents ». Ils connaissent leur business, le
détail des qualifications et le langage
mystérieux des contrats.
Les syndicats disposaient,
disposent encore, d’énormes moyens
financiers. Ce sont d’immenses organisations
bureaucratiques à la hiérarchie stricte,
rigide qui emploient plusieurs catégories de
salariés et gèrent pour leur propre
compte de multiples sociétés
privées.
Jusqu’en 1995, du moins au
sommet de AFL-CIO, et de la plupart des syndicats, le
profil des dirigeants est celui d’un
professionnel, la copie conforme ou l’image de
ceux avec lesquels ils négocient, à
savoir, les dirigeants d’entreprises.
Qualifiés « d’hommes
invisibles », très conformistes,
inoffensifs et très prévisibles, ils ont
adopté, pendant toute la période du
fordisme, une politique des plus prudentes
vis-à-vis des patrons. A l’encontre de
leurs propres adhérents, ils n’ont pas
adopté cette déférence car se
furent, se sont encore de grands féodaux,
entourés de fidèles serviteurs qui
pratiquent des méthodes aristocratiques de
direction et n’hésitent pas à
recourir à toutes les
manoeuvres coercitives pour consolider ou conserver
leurs pouvoirs. Ils disposent, à cet effet, de
réseaux de communication très
fermés qui leur sont exclusivement
réservés. Ils ont longtemps adopté
une idéologie de compétence
proclamée, affirmant leur seule
responsabilité qui ne saurait se partager avec
les initiatives de la base et condamnant de
manière agressive tout militantisme
bénévole et radical.
Rien, là, de très
nouveau par rapport à certains traits du
syndicalisme européen, si ce n’est
qu’ils sont poussés jusqu’à
la caricature. La spécificité du
syndicalisme nord-américain réside
essentiellement dans le fait que sa compétence
est limitée strictement à la
défense de ses adhérents. Les syndicats
ne possèdent pas de légitimité
morale pour prétendre défendre tous les
travailleurs. Ce modèle s’est
imposé après guerre pour éloigner
le militantisme des lieux de travail et pour
conférer un statut de
représentativité à la seule
bureaucratie syndicale. Par conséquent, les
avantages, la couverture sociale, la protection toute
relative contre les licenciements abusifs,
l’obtention de salaires plus élevés
ne sont délivrés que sur la base, et
uniquement sur la base, de l’appartenance
syndicale. Elle confère un statut que l’on
obtient et que l’on défend site par site,
entreprise par entreprise. Le système de
négociations collectives est totalement
décentralisé et individualisé. Les
représentants syndicaux, ces agents
d’affaires, lorsque l’on fait appel
à eux, négocient séparément
des milliers de contrats dans des milliers
d’entreprises. Il n’existe pas de
conventions collectives fédérales,
permettant d’étendre les avantages
obtenus, ici et là, et la loi n’intervient
pratiquement pas. II n y a pas de code du
travail valable pour tous les salariés,
qu’ils soient syndiqués ou non.
Pour mieux saisir cette
spécificité étasunienne, la
description du processus de création d’une
« section » syndicale
dans une entreprise est révélatrice. Il
faut d’abord que se manifeste la volonté
d’un groupe d’ouvriers de base qui se
mobilisent pour convaincre la majorité de leurs
collègues d’adhérer, tous, et
collectivement au syndicat. Ce n’est pas une
mince affaire... Ce groupe doit s’affilier, faire
appel, à l’une des 66 organisations
syndicales, selon la corporation dont il dépend.
Mais, il reste une étape décisive, les
élections. II faut qu’il y ait une
majorité qui vote pour adhérer
collectivement au syndicat, sinon il ne peut exister.
Qui plus est, selon les contrats conclus, cette
élection est périodiquement remise en
cause. Ces périodes de création ou de
remise en cause sont pour !es militants syndicaux de
base, celles de tous les dangers. Qui plus est, les
élections ne sont pas contrôlées
par les travailleurs mais par un organisme
fédéral acquis aux bonnes grâces
des milieux financiers et patronaux. Dès lors
que le syndicat est créé, il n’est
plus l’affaire des militants de base, mais celle
des spécialistes qui débarquent pour
négocier. Ce qui avait commencé par
conséquent par une étincelle
d’action collective dans les pires conditions est
rapidement étouffé, par une longue
procédure bureaucratique et de tergiversations
économiques et juridiques, avant que le contrat
soit conclu pour plusieurs années.
Ce type de syndicalisme a permis
de laisser penser que la société
américaine basée
« démocratiquement » sur le contrat
était une société sans classes,
composée d’individus libres de contracter,
ou non, avec les entrepreneurs, afin de
bénéficier, ou non, d’avantages
sociaux. Ce type de syndicalisme, admis pendant la
période du fordisme n’est plus de mise.
Avec !a guerre sociale que lui mène le
libéralisme triomphant, la question de sa survie
ou de son renouvellement est désormais
posée avec acuité. En 1960, le taux de
syndicalisation était de 50 %, en 1984 il tombe
à 23,4 %, aujourd’hui il n’est plus
que de 14 % en moyenne. Cette apparente
désaffection renvoie à l’offensive
anti-syndicale menée dès 1965, par les
milieux d’affaires, le patronat puis par
l’État fédéral
lui-même.
Gérard Deneux
[Texte initialement paru dans
à contre courant politique et syndical #157
août 2004]
L’essentiel des sources de
cet article reprend les analyses contenues dans le
livre « Des syndicats domestiqués.
Répression patronale et résistance
syndicale aux États-Unis » de Kim Voss et
Rick Fantasia Éditions Raisons d’agir
ainsi que l’article de Rick Fantasia écrit
dans la revue « Actes de !a recherche e »
sciences sociales « n 138.
1) Lire à ce sujet
« Le grand bond en arrière », Serge
Halimi, Editions Fayard
2) 1 % d Américains les
plus riches détiennent plus de 40 % de la
richesse nationale - in « Le grand bond en
arrière,
3) Aux USA, il correspond
à un salaire horaire de 8 $ pour faire vivre une
famille de 4 personnes.
4) Lire L’exception
américaine » Actes de la Recherche en
science sociales - n 138 et 139.
5) Avant l’entrée
des nouveaux pays dans l’Union Européenne.
Lire à ce sujet « Des
syndicats domestiqués. Répression
patronale et résistance syndicale aux
États-Unis » Rick Fantasia et Kim Voss (p.
43 à 52 ) Ed. Raisons d’agir, ainsi que
« Histoire populaire des États-Unis Howard
Zinn Edition Agone.
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