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AccueilJournalNuméros parus en 2005N°36 - Janvier 2005 > UNE (VIEILLE ?) HISTOIRE DE CHOIX

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UNE (VIEILLE ?) HISTOIRE DE CHOIX



Pour les 30 ans de la loi Veil, pourquoi ne pas se payer une petite réflexion sur la question du choix, du choix de la défense de l’avortement ou non, pas celle du choix individuel (il est évident que ce n’est pas dans No Pasaran qu’on trouvera un avis prescriptif) ? Se dire pro-choix concernant l’avortement, est-ce que cela n’impliquerait pas de mener une réflexion de fond sur ce que c’est que choisir ? Et cela pour voir si choisir est toujours un acte libre, et aussi afin de comprendre ce que signifie ne pas avoir le droit de choisir pour ceux qui, contre nous, se disent pro-vie (comme si le choix, c’était à l’inverse la mort).
moncorps
Dans la question du choix, on peut séparer deux champs à analyser : le premier est le sens irréductiblement individuel, il concerne la question de la liberté. Le deuxième, c’est le sens du choix dans une culture / société donnée et de l’interaction qui existe entre le choix personnel et le choix prescrit par le modèle social.

Le choix, qu’est-ce que c’est ?

Tout d’abord, le choix, qu’est ce que c’est ? Un acte ? Un état intérieur ? Un sentiment ? Une sensation ? C’est où ? C’est quand ? C’est un terme simple, et globalement tout le monde comprend quand on dit j’ai choisit un tee-shirt noir plutôt que rouge . Mais si on veut cerner précisément ce qu’est le choix, on va alors très vite tomber dans l’indéterminé. Une chose si évidente est tout d’un coup floue et imprécise.
On peut dire que le choix, c’est le passage à l’acte après la décision : le choix, c’est ce qui se voit.
On peut dire aussi que le choix c’est un ensemble de choses : analyse des circonstances, goût, pesée du pour et du contre, action. C’est de cette manière qu’on a longtemps expliquer le phénomène du choix, les procédés de la volition (Thomas d’Aquin, Somme théologique). Pendant des siècles les philosophes se sont acharnés à catégoriser le choix, à en cerner les limites, en donner une belle définition rationnelle. Mais pourtant, quelque chose résiste à ces belles théories : tout cela ne nous dit pas ce qu’est le choix mais qu’en penser a posteriori. C’est une grille de lecture arbitraire. Et ayant inscrit l’homme
dans un projet intangible (celui de dieu), toute manifestation de l’homme pour sortir de ce projet (c’est à dire tout choix assumé sans référence à la volonté de Dieu) est pour ce modèle inacceptable, irrationnelle. A partir de cela, le mauvais choix est celui de l’homme qui est incapable de voir ou d’entendre le projet de Dieu. Il est alors soit un pécheur, soit un fou.

Illusion de la liberté, l’idéologie moderne du choix

Ce prisme chrétien n’est pas forcément celui dont on se réclame habituellement : la modernité s’est fondée sur l’illusion d’une absolue liberté de l’individu. Cette liberté mythifièe (au point de devenir l’étendard des libéraux) est une liberté théorique qui ne s’applique pas. L’individu moderne se pense comme libre de ses choix tout en faisant rarement usage de cette liberté. De plus, on peut parler d’une illusion de liberté pour des individus que le système social façonne pour en faire des esclaves (de la consommation, de différentes formes d’autorité politiques, économiques ou culturelles). Si certains s’opposent à la vision chrétienne du choix, ils peuvent le faire en pensant que pour eux, le choix est l’expression naturelle d’une liberté qui existe et serait apportée par le contexte politique (des Etats Démocratiques Européens, par exemple). Mais on ne peut que s’étonner devant la naïveté du propos ;est-ce bien de la naïveté, ne serait-ce pas plutôt la plus pure forme du cynisme ?

En effet concernant la dimension socia
le du choix, des choix anodins peuvent être expliqués par le contexte social et les déterminations observables d’une culture particulière (ça c’est le boulot de la sociologie). La conception du choix que nous utilisons est une conception à la base fixée par le prisme de la chrétienté, à mi chemin entre la basse condition de la créature, et l’immense champ de détermination (le monde) ouvert à notre liberté, mais en tout cas un prisme centré sur l’individu. Esclaves déterminés au malheur (version chrétienne), maîtres malgré tout de nommer et de connaître le monde (illusion moderne). A la fois déterminé et indéterminé. Le cul entre deux chaises. Et le plus, important, là dedans, c’est que notre conception du choix provient de ce contexte : la culture occidentale s’est construite sur la représentation du choix comme misère (de soi) et comme pouvoir (sur les autres).

Et nous, là dedans ?

Choisir , d’un point de vue libertaire, ne peut être que la volonté d’affirmer la liberté de l’individu face à l’oppression sociale qui cantonne la femme dans un rôle de mère (Marie) ou dans un rôle de pute (Marie-Madeleine, Eve, Lilith) ; et l’homme dans un rôle de bon fils- bon père (Joseph, Jésus, les martyrs, Abel) ou de traître (Judas, Caïn, le pécheur). Le manichéisme est ici un moyen de l’oppression sociale et culturelle sur les individus. Simplifier l’horizon du choix, avec d’une part un bien quasi absolu et d’autre part un mal qui l’est tout autant, c’est enlever à chacun la liberté de se comprendre autrement,
de se projeter dans un autre modèle.
A l’opposé, faire un choix se serait alors une articulation entre le donné extérieur social (s’apercevoir de l’oppression) et notre capacité à l’autodétermination (lutter contre l’oppression). Le positionnement se fait donc d’une part face au manichéisme des pro-choix , et d’autre part face à ceux qui considèrent que le choix est possible et acquis.

Revenons un peu sur nos chers cathos

Pourquoi fait -on du choix d’avorter ou non une démonstration centrale du choix aujourd’hui ? En effet, peu de choix sont autant nommés et pris en compte comme tels : comme si c’était là la seule pertinence publique ou commune de cette capacité éminemment privée. Il me semble qu’en nous disant pro-choix, nous mettons en avant cette faculté individuelle d’autodétermination.
A l’inverse, les anti-IVG catholiques pensent que la valeur spirituelle de l’individu en formation est au moins aussi importante que celle de celle qui le porte. Leur discours se fonde sur un donné transcendant, supérieur, qui est
la vérité religieuse révélée. Dans l’argumentation pro-vie , la question du choix individuel est présente mais fermée : le seul bon choix est le choix de la vie.
Pour les pro-choix, le lieu crucial du problème, c’est la possibilité de déterminer soi même ce qu’est le bon choix.
D’une part, on a l’obéissance à l’impératif d’une loi morale transcendante, que l’individu ne peut remettre en cause car il lui est forcément inférieur (créature du péché et faillible, l’homme n’a pour eux rien à dire face à ce qu’ils considèrent comme des ordres divins).
D’autre part, on place la détermination de la règle en connaissance des circonstances particulières : l’individu est capable de générer sa propre légitimité, et donc sa propre éthique comportementale. Cela veut dire que s’opposer radicalement à l’idéologie des pro-vie, c’est d’abord prôner une indépendance morale possible pour les individus, et pas seulement un ensemble de valeurs opposées.
Que nous disent les cathos hystériques d’SOS Tous Petits (pour parler d’un discours en particulier et particulièrement bien barré dans son style) ?
Que la vie humaine est à respecter en tant qu’elle est sacrée (= susceptible de devenir chrétienne), donc celle de l’embryon.
Que l’innocence de l’embryon en fait une créature encore plus sacrée que les autres (l’innocence étant l’absence de péché, forcément l’embryon l’est). Notons que dans cette perspective, ce qui est pur (et donc bon) c’est ce qui n’a pas le choix , c’est donc logique que pour eux des gens prônant l’autonomie leur paraissent les derniers suppôts de Satan (nous !).
Que le caractère mortifère de l’avortement et de la contraception est le signe de la décadence des murs et de l’individualisme forcené et a-spirituel de la modernité. Leur discours se fonde donc non pas sur le statut du choix mais sur la nécessité de respecter un ordre du monde qui est censé être meilleur car révélé. La valeur de la vie, le respect de l’Innocence (pas l’innocence juridique, l’innocence morale, la blancheur imma
culée de l’âme), la détermination d’une culture de mort (Encyclique Pro vitae de Jean Paul II, reprise des problématiques pauliniennes et augustiniennes), tout cela se combine dans une conception figée de ce que doit être la vie des hommes et des femmes. Ce qui entraîne la condamnation sociale de tous ceux qui dévient de cette représentation de l’ordre du monde .
Le choix, cette éternelle source d’emmerdes pour l’humanité selon les chrétien, c’est la possibilité du mal (nous, c’est irréductiblement l’inverse). Donc, forcément dans leur discours, le choix n’est pas ce qui doit être mis en avant.
En effet, on ne choisit pas sa sexualité dans un monde où cette sexualité est marquée du fer rouge de la luxure. On ne choisit pas de donner la vie ou non quand on est une pauvre créature pécheresse, cause de la ruine du bonheur humain (= une femme), à peine capable de cerner les contours complexes du bien et du mal. Combien de saintes pour racheter la multitude des pécheresses qui de part le monde n’en finissent plus de salir la douce, blanche, pure évocation de la Vierge (toute cette blancheur, cette pureté, ça donne envie d’être charbonnier et suppôt de Satan, vous trouvez pas  ?) ?

Tout ça pour quoi ?

Les théories de l’ordre transcendant, de l’ordre moral supérieur, ne font la plupart du temps qu entériner les valeurs sociales les plus réactionnaires. Placer l’idée d’un Bien ou d’un Vrai au dessus de sa tête, c’est rentrer dans la construction d’un ordre de valeurs qui finira par se prétendre naturel , et qui empêchera au maximum l’individu de s’autodéterminer. Entre faire appel à une réalité immuable pour justifier sa conduite et limiter la morale à la construction individuelle, on trouve une immense différence de projet. L’un est imposé au nom d’une nature , l’autre implique une construction constante, une véritable autonomie (voilà enfin le mot).
Mais toute personne pro-choix ne se fait pas forcément le héraut de l’autonomie. Pour beaucoup, cela reste une position de principes. Alors, à ce moment là, l’opposition entre pro-choix et pro-vie devient une opposition nom de nature mais de point de vue. Seulement, à un ordre de valeur présenté comme immuable, on ne fait qu’en substituer un autre. On peut donc dire que si nous nous disons pro-choix, c’est au sens radical : il ne s’agit pas de dire que nos valeurs sont incommensurables, mais que c’est le principe même de valeurs supérieures et indiscutables qui nous pose problème. Ce que nous voulons signifier par : Ni dieu, ni maître, ni ordre moral ! .

Kanine


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