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AccueilJournalNuméros parus en 2005N°37 - Février 2005 > Côte d’Ivoire, cote d’alerte dépassée

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Côte d’Ivoire, cote d’alerte dépassée


Voici une interview de Ardiouma Sirama. Membre du bureau de l’association Survie, il anime également le Collectif de France Affaire Norbert Zongo (COFANZO) qui est un réseau d’information et de sensibilisation sur les luttes populaires déclenchées au Burkina Faso au lendemain de l’assassinat du journaliste Norbert Zongo et ses trois compagnons d’infortune, le 13 décembre 1998. Il a accepté de répondre à nos questions et il revient donc dans cet entretien sur le conflit en Côte d’Ivoire.


Il semblerait que l’actuelle crise ivoirienne plonge ses racines très profondément dans la période coloniale. Cette période a-t-elle encore une quelconque influence sur les événements actuels ?

En effet, certaines des principales causes de la crise actuelle (notamment la question de la citoyenneté ivoirienne, la question de la terre, la question du pouvoir politique) trouvent leurs origines dans la manière dont la puissance coloniale française a occupé de force et géré ce pays au profit de ses seuls intérêts.

On se représente souvent la période coloniale comme une époque vide de tous conflits sociaux, une époque où les africains n’auraient pas lutté... Peut-on tordre le cou à cette vieille idée ?

Sans être spécialiste de l’histoire africaine, tout citoyen français lambda qui s’est un peu intéressé à l’histoire de la présence française en Afrique sait que la colonisation s’est d’abord et surtout faite à coups de canons et de massacres de masse. Des villages entiers ont été brûlés au Cameroun, en Côte d’Ivoire, etc. Dans le cas ivoirien, il faut savoir que les populations ivoiriennes, bien après la proclamation officielle de leur pays en 1893 comme colonie, ont continué à lutter farouchement contre l’envahisseur. Comme en témoignent la révolte de Zaranon en 1896, les révoltes de Tiassalé dès 1893, le soulèvement de tout le pays Baoulé en 1900 pour refuser les corvées de portage, etc.

A l’indépendance, la Côte d’Ivoire entre dans l’ère H. Boigny. Ce grand ami de la France porte une lourde responsabilité dans l’avénement de l’actuelle crise ivoirienne... Tout d’abord, qu’est ce que signifie la démocratie sous l’ère Boigny ?

Il faut souligner qu’avant de devenir l’agent docile de la France néocoloniale, Félix Houphouët Boigny s’est fait connaître dans son pays et dans toute l’afrique comme un résistant à la politique coloniale. Cet engagement lui a valu des menaces, un mandat de l’Administration coloniale qui l’a déclaré hors-la-loi. C’est suite à cette pression tous azimuts qu’il a fini par abdiquer, retourner sa veste pour se mettre au service de la Françafrique. Une fois qu’il a donné tous les gages de serviteur loyal, Foccart et De Gaulle vont l’aider à mettre en place un système qui lui garantisse le pouvoir à vie. La démocratie sous l’ère Boigny ce sont la répression des récalcitrants, l’assassinat de ses anciens compagnons de la lutte anticolonialiste, la création d’un parti unique, le Parti Démocratique de Côte d’Ivoire...

Boigny semble donc régner en seigneur sur la Côte d’Ivoire, mais comme tout seigneur, il est aussi le vassal d’un autre...

Houphouët Boigny était l’ami fidèle de Foccart , le principal vassal du système françafricain. L’histoire retiendra que c’est Houphouët qui a le premier utilisé le mot Françafrique pour signifier l’entente cordiale et absolue qui liait son pays à la France.

La Côte d’Ivoire tire une grande partie de ses ressources du cacao et du café. Comment sous le règne Boigny est gérée la terre ? Qui la possède ? La population qui exploite la terre est-elle uniquement d’origine ivoirienne ?

L’exploitation des richesses du pays et la gestion de la terre sous Houphouët s’inscrivent dans la suite logique du pillage colonial. Il faut rappeler que pour disposer d’une main d’oeuvre abondante, docile et corvéable à souhait, l’Administration coloniale a convoyé de force les bras valides des pays limitrophes de la Côte d’ivoire pour intensifier la culture du café et du cacao. Ces paysans déplacés se sont progressivement insérés dans le tissu socio-économique et nombre d’entre-eux ont pu disposer de lopins de terre dans les plantations ivoiriennes. Sans devenir propriétaires, ils sont devenususufruitiers de ces terres. On voit ainsi apparaître dans les campagnes ivoiriennes des millions d’étrangers dont la moitié sont burkinabé comme ouvriers agricoles et responsables de plantations. C’est là l’une des bases du conflit de la terre qui sévit actuellemnt...

Y-avait-il dès cette période la nécessité d’une réforme agraire ?

Cette nécessité devenait de plus en plus évidente mais Houphouët n’a eu ni le courage, ni la volonté politique de la faire...

Au début des années 90, sur la fin de son règne Boigny doit céder face à l’exigence de plus de démocratie, le multipartisme est introduit...

Sous la pression populaire, avec aux avant-postes du combat démocratique la FESCI (Fédération des Eudiants et Scolaires de Côte d’Ivoire, dont sont issues deux des protagonistes en vue de la crise : Guillaume Soro et Blé Goudé), Houphouët consent des réformettes tout en manoeuvrant pour garantir la réalité du pouvoir à son parti politique, le PDCI. Mais la poussée se fait forte, les bases de son régime sont ébranlées.

A sa mort en 93, Boigny n’a pas préparé sa succession et c’est le président de l’assemblée nationale Konan Bédier qui va assurer l’intérim. Il commmence à distiller le concept d’ivoirité aux relents xénophobes. Que cache cette appellation et comment ce thème est devenu consensuel chez tous les partis politiques du pays ?

C’est en effet Bédié qui systématise et utilise l’argument de l’ivoirité comme méthode de gouvernement. Cela transparaît nettement dans sa réforme agraire de décembre 98 va mettre le feu aux poudres. C’est le lancement officiel de la dépossession arbitraire des étrangers de leurs terres, les progroms qui font faire des milliers de victimes , etc. Beaucoup de partis politiques, en mal de programmes dignes de ce nom vont s’engouffrer dans cette brêche,y compris le FPI, le parti de Laurent Gbagbo, alors dans l’opposition. Seul le RDR, en tant que principal perdant de cette pratique xénophobe va se démarquer de l’ivoirité. Ce parti dont le chef n’est autre qu’Alassane Dramane Ouattara va devenir la bête à abattre par les tenants de l’ivoirité...

On assiste peu à peu à la mise en place et au renforcement de tout un arsenal xénophobe : apparition d’une carte de résidence pour la Côte d’Ivoire, renforcement des conditions pour se présenter à la présidence et, à partir de 1998 ne peuvent désormais posséder la terre que les ivoiriens de souche... Quelles sont les conséquences de toutes ces mesures ?

Il faut rappeler que même si le RDR va se mobiliser un bon moment presque seul contre tous contre la dérive ivoiritaire, l’histoire retient que c’est Alassane Dramane Ouattara lui même qui a ouvert la boîte à Pandore en instituant, alors qu’il était Premier Minsitre, la carte de résident...Tel est le paradoxe de cette histoire...

La guerre éclate donc... Quelles sont les force en présence et comment se déroule le conflit jusqu’aux accords de Marcoussis en janvier 2003 ? Quel rôle joue l’armée française au milieu de tout ça ?

Le déclenchement de la guerre civile en septembre 2002 fait suite à l’échec d’un coup d’Etat tenté par une regroupement assez hétéroclite. D’anciens officiers, sous-officiers et hommes du rang précédemment radiés ou ayant eu des problèmes avec la hiérarchie militaire sous le règne de Bédié et de Guéï, auxquels vont s’allier des civils en rupture de ban avec le FPI de Laurent Gbagbo. Ils se regroupent en différentes forces armées : le MPCI (Mouvement Patriotique de Côte d’Ivoire), le MPIGO (Mouvement Populaire Ivoirien du Grand Ouest) et le MJP (Mouvement de la Justice Populaire). En face de ces forces de la rébellion on trouve les FANCI (Forces Armées Nationales de Côte d’Ivoire) formées des militaires appelés Forces Loyalistes. Devant l’offensive des forces politico-militaires des rebelles, la France envoie des renforts militaires dont la première mission a consisté à s’interposé, empêchant ainsi une conflagration générale du conflit...

Comment se financent et s’arment les factions en place ? Avec la division du pays, assiste-on à la mise en place d’une économie de guerre ? Les diverses régions sont-elles utilisée afin d’enrichir le patrimoine de chaque camp ? En d’autres termes, assiste-t-on à une sorte de privatisation des régions de la Côte d’Ivoire ?

Sur le mode de financement et de ravitaillement en armes, en carburant, etc des protagonistes on attend avec impatience la publication, in extenso et sans édulcoration d’un Rapport d’Enquête établi par des experts indépendants sous mandat de l’ONU. A la lecture de quelques extraits de ce rapport, on sait désormais que les rebelles ont été soutenus de façon multiforme par des Etats (voisins ou non de la Côte d’Ivoire), que dans les zones tenues par les rebelles comme dans la partie sous le contrôle du pouvoir de Gbagbo il y a des violations massives des droits humains, que beaucoup de personnes (chefs rebelles et dignitaires du régime ivoirien) se sont constitués des fortunes de guerre colossales. Tous ces crimes doivent être portés au grand jour, jugés devant les tribunaux compétents et sanctionnés comme il se doit....

Pouvez-vous décrire le parcours de Laurent Gbagbo ?

Certains l’on connu lors de son exil en France dans les années 80 comme un progressiste...

On peut fixer le parcours de Laurent Gbagbo en trois grandes étapes : 1) l’opposant avant le tournant des années 90 : période de luttes clandestines où son action n’imprègne pas véritablement le cours de l’évolution politique du pays ; 2) après l’instauration du multipartisme (qui n’a pas favorisé le processus de démocratisation du pays, bien au contraire !), Laurent Gbabgo et ses camarades de la première heure qui lui sont restés fidèles vont créer le FPI. C’est la période de la lutte légale où on commence à mieux percevoir les visées de Laurent Gbabgo. Beaucoup de ses amis qui l’ont cotoyé lors de son séjour français trouvent que ses convictions socialistes du début commencent à se teinter d’un vernis nationaliste voire chauviniste. Dans le débat qui fait rage sur l’identité ivoiriennne, le FPI et Laurent Gbabgo vont combattre les pratiques du PDCI en s’agrippant eux aussi un argumentaire chauvin et ivoiritaire ; 3) Laurent Gbagbo à la conquête du pouvoir en octobre 2000 où il fait flèches de tous bois. Il reconnaîtra quelques mois après son élection à la présidence qu’il a été élu dans des conditions calamiteuses. C’est tout dire....

Quel est le contenu des accords de Marcoussis et pourquoi sont-ils jusqu’à maintenant un échec ?

Les accords de Marcoussis comportent deux volets : l’un concerne le mode de règlement politique des tensions nées autour de la politique de l’ivoirité, essentiellement en ce qui concerne l’accès à la nationalité ivoirienne, le statut des étrangers, les droits fonciers, les droits politiques et les conditions d’éligibilité à la Présidence de la République, l’autre aspect règle la répartition du pouvoir entre les protagonistes de la crise, en gros la mise en place d’un gouvernement d’unité nationale transitoire chargé de traduire en lois les questions litigeuses évoquées plus haut sous la conduite d’un Premier Ministre aux pouvoirs élargis... C’est sans doute là qu’ont commencé les problèmes. Laurent Gbagbo qui a vécu Marcoussis comme une défaite personnelle et celle de son clan n’a pas encore vraiment accepté ces accords, malgré les concessions récentes faites suite à la médiation du Président Sud-Africain Thabo Mbéki. Dans l’autre camp, nommé G7 (regroupement des partis signataires des accords de Marcoussis alliés aux rebelles) on n’est pas non plus prêt à accepter ces accords. En réalité, la situation actuelle de ni guerre-ni paix arrange chacun des camps qui bâtit sa stratégie de gestion du pouvoir ou de conquête du pouvoir sur des butins de guerre. Pour l’instant le retour à la paix ne va profiter aux factions en conflit. Au milieu de tout çà , c’est le peuple ivoirien qui continue de payer le plus lourd tribut.

De manière globale, quelles sont à vos yeux les mesures à mettre en place pour espérer une résolution du conflit ?

Il faut que le peuple ivoirien lutte indépendamment des camps en conflit pour faire valoir ses propres intérêts, c’est à dire la paix. Il doit bénéficier dans ce combat de l’appui de tous les peuples épris de paix et de justice, à commencer par les peuples africains, notamment des pays limitrophes à la Côte d’Ivoire...En France, battons nous pour exiger une politique française plus respectueuse des intérêts du peuple ivoirien dans cette crise. Pour l’heure on en est loin, avec la Chiraquie aux manettes de l’Etat français...

Actuellement, quelle est la situation humanitaire de la population ivoirienne ?

Elle est catastrophique dans l’ensemble du pays. Il faut se mobiliser contre ce tsunami social qui se prépare sous nos yeux !

Interview par Xavier


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