Retour accueil

AccueilJournalNuméros parus en 2005N°37 - Février 2005 > L’intelligence : un mythe au service - de la - ségrégation sociale

Rechercher
>
thème
> pays
> ville

Les autres articles :


L’intelligence : un mythe au service - de la - ségrégation sociale



L’école trie les élèves entre celles et ceux qui ont des capacités, c’est-à-dire qui s’adaptent au moule éducatif, et celles et ceux qui n’en auraient pas, qui s’ennuient, qui s’en foutent L’essentiel du tri se joue au collège, où la personne-élève est la plus fragilisée par son entrée dans l’adolescence Un des mythes social corollaire est celui de l’intelligence : il y aurait les élèves intelligents, à qui il sera beaucoup pardonné, et les autres, les bachoteurs invétérés qui ont besoin de 20 heures de travail personnel par semaine, ou qui décrochent purement et simplement.

Historiquement, les efforts de l’anthropologie pour tenter de quantifier l’intelligence ont coïncidé avec la colonisation (taille du crâne, etc.), tentant par là-même de la justifier. Une théorie comme celle de The Bell Curve (la courbe en cloche ), aux Etats-Unis, a de nouveau essayé d’asseoir la primauté des élites blanches dans les années 1990, niant toute construction sociale et résumant l’intelligence soit à l’absorption de connaissances, soit à l’adoption des schèmes de pensées du scientisme américain. Les tests de QI ne sont pas neutres en effet et sont construits selon ce que l’on cherche à démontrer : des aptitudes aux maths abstraites seront utiles dans une société scientiste, qui n’aura que faire de l’intelligence sociale par exemple.

De telles catégorisations, et Charles Murray, l’auteur de The Belle Curve, ne s’en cache guère, sert surtout à avaliser l’apartheid social : si les pauvres ne s’en sortent pas, c’est qu’ils sont bêtes (= n’ont pas pu s’inscrire à l’équivalent Maths Sup’ pour riches, et pour cause !)

Une simple question : l’intelligence existe-elle ? Comment pourrait-on la mesurer alors que les chercheurs n’y parviennent pas ? Trop de facteurs entrent en jeu : l’environnement dans lequel évolue l’individu, l’héritage social dont parlait Bourdieu, la capacité sensible. Les scientifiques parlent prudemment des intelligences : logique, sensible, abstraite, créative, sociale qui sont pour la plupart interdépendantes entre elles. Ces recherches d’ailleurs sont très intéressantes car elles aboutissent à une vision progressiste de l’individu. Plus le contexte social est favorable et plus nous acceptons de nous inscrire dans des identités collectives, plus nous comprenons car nous acceptons dès lors de nous appuyer sur l’intelligence collective, interdépendante de la nôtre. Ainsi ces recherches mettent en cause toute idée de niveau fixe et quantifiable de l’intelligence, hormis l’intelligence logique qui est un cas à part.

Dans l’institution scolaire, et même s’il s’agira souvent d’un non-dit, les élèves sont triés selon leurs capacités (novlangue diplomatique pour intelligence). La majorité des professeurs passeront du temps avec celles et ceux qui en ont, en écartant les autres, ce qui renforce la ségrégation. L’intelligence relève de la capacité à se mobiliser sur un objet donné. Si vous lisez un ouvrage sur un sujet qui ne vous intéresse pas, qui ne vous mobilise pas, vous ne chercherez pas à comprendre et l’inverse est vrai. Interroger cette capacité de mobilisation c’est interroger la vie globale d’un élève considéré comme incapable par exemple. Ayant travaillé dans une association de soutien scolaire, avec une grande latitude pour définir des projets pédagogiques, je ne me suis jamais lassé de découvrir qu’à chaque difficultés rencontrées par l’élève une solution peut être trouvée, avec lui, et non pas malgré lui.

Si des élèves, ou des personnes ne mobilisent pas leur capacité c’est parce que : leur environnement ne s’y prête pas : les parents ne le soutiennent pas ou ne l’aide pas, pour diverses raisons et parfois d’ailleurs des raisons très compréhensibles, notamment dans les familles monoparentales. On pense souvent aux situations de misère ou de galère, mais un enfant d’une famille bourgeoise pourra également se sentir rejeté parce qu’il est le canard boiteux de la famille et qu’il refuse certains carcans culturels etc. Le facteur socio-économique prime également : des parents au chômage, avec toutes les images sociales que cela renvoie à l’adolescent, ou les brimades qui en découlent, pourront être bien malgré eux un facteur de démobilisation. l’école fonctionne à la hussarde : il faut avancer dans la quête de savoir, avaler sans cesse de nouvelles connaissances Si des élèves trébuchent ou s’en foutent, on continue quand même. En sachant que pour un professeur s’occuper de 25 élèves en simultanées n’est évidemment pas la panacée.

L’élève copie sagement sa leçon, puis l’apprend, puis la recrache. L’Education nationale accorde sa priorité à l’assimilation, à la mémoire, sans que la personne-élève n’ait son mot à dire. Favoriser des formes d’intelligences ou de mobilisations c’est aussi poser des questions relative à ce savoir et obtenir d’autres réponses que si t’apprends pas tu redoubles, c’est pour ça que c’est important. Sinon on tombe dans le dressage de singe savant On peut prendre le problème à l’envers : pour moi la réaction de rejet de l’élève de 12/13 ans qui trouve inutile de savoir par cur les enjeux de l’époque cistercienne est une réaction intelligente. Effectivement ce n’est sans doute pas l’âge où l’on s’intéresse à ça, et tout ce savoir, tout ce bachotage abrutissant, sera oublié un an après.

Ce qu’il est convenu d’appeler intelligence n’est pas un élément gravé à jamais dans la vie de l’individu. Elle dépend des rencontres, des projets, des envies La capacité de compréhension peut augmenter à la lecture d’un texte qui ne poserait seulement des questions, sans apporter de réponses, parce qu’on essaierait d’y répondre soi-même. L’intelligence est également une fabrication culturelle et sociale : dans notre société les personnes considérées comme intelligentes seraient avant tout celles qui sont capables d’abstractions mathématiques et logiques de haut niveau. Les créateurs du TGV sont intelligents, tandis qu’une femme célibataire qui parvient à jongler entre ses gosses, son boulot et son budget sera tout simplement maline, futée, ou elle aura un esprit pratique etc. Mais pas intelligente, ça non. Quand on voit de quelles façons certaines personnes arrivent à se sortir de leurs difficultés quotidiennes, on peut se demander où se situe le plus l’intelligence. L’intelligence est éminemment politique : plus les enjeux sont importants, plus l’intelligence individuelle et collective devra se montrer à la hauteur de ces enjeux. Lors du mouvement des chômeurs en 1997/99, il était fréquent de rencontrer des personnes, de tout âge, de tout parcourt, qui se révélaient à elles-mêmes et aux autres. Il y avait enfin une pause où notamment les chômeurs longue durée n’avaient plus l’esprit dévoré par les soucis, ou n’était plus déstabilisés par le regard misérabiliste ou culpabilisateur que leur renvoie une bonne partie de la société. Au tout début ils se sentaient souvent incapables, hors caractères volcaniques, de participer aux débats, parce qu’ils ne se sentaient pas à la hauteur face aux étudiants qui parlent bien (bien que je n’ai jamais su qui était visé J). Et au fil du temps elles ont renoué avec tous les savoirs sociaux qu’elles ont accumulé, toutes leurs expériences de vie, lectures et tout ça. Jusqu’à se sentir plus intelligentes. Et malgré tout ça, il y a des personnes qui ont plus de capacité d’assimilation, de logique, que d’autres. D’autres personnes sont confrontées à diverses formes d’handicaps également. Oui, et alors ? Quelle importance cela a-t-il par exemple qu’une personne atteinte d’une lésion neurologique ait besoin de ses doigts pour compter ? Strictement aucune. Et ce n’est pas pour cela qu’elle sera bête pour autant Cette compétition ressemble un peu à la fameuse roue du hamster. Qu’une personne court le 100 mètres en 10 secondes ou soit capable de calculer 235,58 X 1871 de tête en 20 secondes ne rendra jamais personne plus heureux et ne sert pas à grand-chose à l’humanité. Ce qui compte c’est les raisons pour lesquelles on se mobilise, pas la mesure aléatoire de ces mêmes capacités. Que tant d’intelligence servent à concevoir des armes de plus en plus meurtrières ça nous fait une belle jambe, sans mauvais jeu de mot. Il n’y a pas de personnes plus intelligentes que d’autres. Seulement des personnes qui décident de l’être parce que la situation l’exige. C’est donc à chacun-e de trouver quels enjeux en valent la peine et de puiser au fond de soi.

Raphaël et Puck


No Pasaran 21ter rue Voltaire 75011 Paris - Tél. 06 11 29 02 15 - nopasaran@samizdat.net
Ce site est réalisé avec SPIP logiciel libre sous license GNU/GPL - Hébergé par Samizdat.net