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Note d’espoir

Le squat in der Au de francfort vient de fêter ses 25 ans !


Du 6 au 8 juin 2008, au squat de la rue « In der Au » s’est tenu comme chaque année le festival punk qui célèbre l’anniversaire de l’ouverture des lieux en 1983. In der Au, c’est « dans les prés ». Le squat porte le nom de sa rue : « dans les prés »...


Situé à Rödelheim, dans la banlieue ouest de Francfort (Frankfurt), c’est un petit paradis autogéré comprenant l’immense villa occupée dès la première heure et le camp de roulottes aménagé ensuite à l’arrière du jardin lorsque les candidats à la vie commune se sont multipliés. Pour ceux et celles qui écoutaient pousser leurs cheveux pendant les cours de géographie, je préciserai que Francfort-sur-le-Main se trouve à mi-chemin entre Paris et Berlin, au centre-ouest de l’Allemagne, dans le Land de Hesse. C’est le carrefour commercial de cette région industrielle. La ville abrite le siège de la Bourse allemande, la maison natale de Goethe et la foire internationale du livre. En arrivant par l’autoroute, ce qu’on remarque de Francfort, c’est les gratteciels de sa city. Enfin bon... on s’y est pas arrêtés puisqu’on savait que le bonheur est « dans les prés ».

Dès le portail, l’effet est saisissant. Une allée pavée donne l’impression d’entrer dans une ruelle. L’accueil aussi, est impressionnant. Il a suffi d’un texto pour arranger notre hébergement, et nous voilà accueillis comme des invités de marque dans une des cuisines. Pour nous remercier d’avoir fait le voyage, trois personnes se tiendront à notre entière disposition tout le week-end : Uwe, Erika et Laura1. Erika nous fait faire le tour du propriétaire, et en français s’il vous plaît. Elle nous guide jusqu’à un bungalow aménagé dans une petite série de roulottes accolées sous un noyer. Au lieu d’un cagibi matelassé, voilà un salon coquet, une vraie cuisine (voir photo), et une chambre avec un lit d’enfant à baldaquin. Un peu plus loin, une autre roulotte fait office de salle de bain collective pour les 6 ou 7 bungalows de l’allée. Deux lavabos, deux chiottes, une douche et même une machine à laver, le tout d’une propreté irréprochable. À côté de la réserve de PQ, un tableau annonce le planning hebdomadaire d’entretien qui semble scrupuleusement respecté.

Le lieu ressemble à peu de choses près à l’idée que je me faisais du paradis sur terre vers 6-7 ans. Il y a des arbres à escalader, des buts de foot dans l’herbe, un trampoline, une piscine gonflable, des jardinets d’herbes aromatiques, quelques chats... et dans les bungalows, il y des chambres d’enfants DIY dont on croirait qu’elles ont été conçues par une joyeuse bande de réalisateurs de films d’animation sous acide. Et des enfants, il y en a une bonne trentaine, dont une dizaine à temps plein. D’ailleurs, à l’heure où nous arrivons, un théâtre de plein air pour enfants est sur le point de commencer. Sur la grande pelouse du squat, les deux bars et le stand de sangria cohabitent avec les tables de presse des groupes, d’Infoladen (distro politique) et de Libertad (organisation de soutien aux détenus).

Le stand de la FAUD2 vend aussi des merguez. À côté, on admire les grands sourires et les couronnes en papier doré des vendeurs et des vendeuses du Veggie King, le roi de la bouffe végan, qui luimême voisine avec les döner et les pide de l’épicier turc. Le public du squat affiche la variété et la tolérance typique du mouvement punk allemand. On aperçoit plusieurs punks métis, des cinquantenaires, des punks gays qui se tiennent par l’épaule aux premiers rangs, des punksde- fin-de-semaine dont on devine qu’ils remettront leur tenue de travail dès lundi matin, et le tout se mélange sans heurts. J’ai déjà parlé des enfants : les plus petits jouent à la guerre ou pogottent à l’écart de la foule, les plus grands ramassent en équipe les consignes éparpillées. Le plus étonnant pour nous, ce sont deux punks en fauteuil roulant garés sur le côté gauche de la scène et qui jettent des cannettes vides sur le premier rang pour pouvoir voir les concerts. Kostra Orchestra (Espagne) lance le mouvement avec un ska-punk énergique et interprété en tenue de roller de combat. Noise Annoys prend la suite en allemand, et puis vient le tour de ceux qu’on est venus voir : Charge 69, très en forme. Ensuite, c’est Police Bastards de Birmingham, puis 1982, de la ville voisine de Bonn, qui chante « L’Allemagne doit mourir pour que nous puissions vivre ! » et la foule reprend en choeur pendant qu’on s’interroge sur l’opportunité de demander l’asile politique chez nos cousins germains. La pelouse est pleine, il y a un très gros millier de gens, grosse fête. La soirée s’achève avec un groupe de punk mélodique norvégien : Life but how to live it. Dès qu’on a la dalle et plus un rond, on se fait rapatrier à la cuisine où on nous sert un repas du soir à l’allemande (Abendbrot). Ça consiste à déballer deux ou trois sortes de pain et la moitié de ce qu’il y a dans le frigo, et à permettre aux invités de confectionner eux-mêmes leurs sandwiches. Royal. Erika commente : « C’est génial ici ! Moi, je venais d’Allemagne de l’Est, et là-bas les squats ont tous été offi - cialisés ou expulsés. Alors quand je suis venue ici, j’ai tout de suite demandé à m’installer. Ici, tout est encore complète - ment illégal. »

Le lendemain matin, Uwe vient nous chercher pour nous dire que le petit déj’ n’attend plus que nous. Le petit déjeuner à l’allemande, c’est consistant et organisé  : pain noir et pain complet, oeuf, fromage, pâte de sésame, crêpes végans aux pommes, purée d’avocat, quinoa à la tomate, et j’en passe. Et quand on se propose pour la vaisselle, tout ce qu’on gagne c’est un sourire désolé devant tant de naïveté : «  Non, merci, vous êtes gentils mais on est assez de monde... ». À ce moment là, on est prêt à contacter la SPA locale pour se faire adopter.

Maintenant qu’il y a moins d’agitation, Uwe nous montre aussi le caveau du squat, très utile en hiver. Un bar, une grande salle, la cuisine pour les VOKU3 organisées chaque jeudi soir (un repas complet pour trois euros et un bar à bas prix). On aperçoit aussi les systèmes de cloisons à poulies rabattables qui ont fait la célébrité du squat et qui le transforment en quelques minutes en un chateaufort imprenable, même par 200 flics. Le billard aussi est monté sur poulie. Enfin, mon coup de coeur, le baby-foot customisé (voir photo). Très impressionnés, on se procure du papier et un stylo et on commence à se faire expliquer un peu le fonctionnement des lieux. Laura s’est installée là à sa sortie de prison à la fin des années 1990. Le squat avait déjà ses habitudes et ses traditions, et pour y venir vivre, il fallait y être invité par l’AG plénière. Aujourd’hui, le fonctionnement en AG s’est assoupli (bien que celle-ci garde un droit de veto sur les admissions), et l’essentiel de l’organisation repose sur des bases affinitaires, à travers une dizaines d’« équipes de cuisine ». Une cuisine, c’est un groupe de gens (adultes et enfants, hommes et femmes, homos ou hétéros) qui se choisissent pour occuper ensemble quelques ch a m b r es autour d’une cuisine, organiser la vie quotidienne et proposer les événements du squat. L’une des équipes de cuisine est spécialisée dans la scène punk/oï, une autre s’occupe des VOKU, une troisième fait des soirées foot sur écran géant... Dans l’équipe de Laura, plusieurs personnes travaillaient déjà, bénévolement ou non, auprès des enfants du quartier, si bien que leur est venue l’idée d’organiser tous les mois des projections pour les maternelles, les primaires et les collèges des environs. Les écoles maternelles du quartier investissent désormais la cour squat pour leurs fêtes et les kermesses de fin d’année.

Malgré une excellente intégration dans le quartier et dans la ville, ce lieu est occupé dans l’illégalité la plus complète, si bien que les occupants souhaitent laisser le moins d’indices possibles quant à leur identité ou à leur nombre exact. Si à la lecture de cet article vous avez plus de questions que de réponses, si vous restez sur votre faim, alors le meilleur conseil que j’ai à vous donner, c’est d’aller voir par vous-mêmes. ■

Cat’s Eyes

1. Afin de préserver l’anonymat des habitants et de leurs invités, tous les noms ont été modifiés. 2. Freie Arbeiter und Arbeiterinnen Union Deutschland, Union des Travailleurs et Travailleuses Libres d’Allemagne 3. VOKU (prononcez « fokou ») c’est Volksküche, cuisine collective, ce qu’en français on commence à appeler CUICO.


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