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AccueilJournalNuméros parus en 2005N°44 - Novembre 2005 > Parcours et humiliations d’une famille de "primo-arrivants"

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Parcours et humiliations d’une famille de "primo-arrivants"


En parallèle de cette tranche de vie, les phrases en gras sont extraites de la dernières lettres de Nicolas Sarkozy aux préfets.


Jeudi 15 septembre, une femme d’origine russe et ses trois enfants se présentent à la porte de la structure CHRS (1) dans laquelle je travaille. Barrière des langues, ils ne parlent que russe, je ne parle que français. Peu importe la fatigue, la peur et la faim n’ont qu’une langue et elle s’appelle détresse. Quelques gestes réconfortants, une invitation à se poser dans le salon, un café chaud et le dialogue de l’international miséreuse peu commencer. Arrivés d’Ossétie du Nord (2) via Moscou, le passeur les a déposés voilà trois jours à Strasbourg, Kapitale européenne et des Droits de l’Homme.

"La lutte contre l’immigration irrégulière doit constituer le deuxième axe majeur de votre action. Lors de notre dernière rencontre, je vous ai fixé des objectifs chiffrés, en vous demandant de procéder, au minimum, à 23 000 éloignements d’étrangers en situation irrégulière cette année. Je constate qu’à la fin du mois d’août, 12 849 étrangers avaient fait l’objet d’une mesure effective d’éloignement : sur huit mois, 56 % des objectifs ont été atteints. Il vous reste donc cinq mois pour accentuer l’effort."

La consigne du passeur est simple, aller immédiatement à la préfecture pour demander l’asile politique. Le 12 septembre, la famille se rend dans les services préfectoraux qui les enregistrent et leur donnent une convocation pour le 20 septembre. Puis c’est l’orientation vers le dispositif CODA (3). Ces derniers appellent le numéro national d’aide aux sans-domicile fixe (115) qui évidemment est plein comme un œuf et ne peut pas prendre de nouvelles situations en compte surtout lorsqu’il y a des mineurs. Les trois enfants sont âgés de 11, 13 et 17 ans. Les 5000 euro nécessaire en voyage en mini-bus ont plumé la famille qui a épuisé ses derniers deniers dans une chambre d’hôtel. Comme ils payaient une piaule pour trois, mais qu’ils dormaient à quatre, le patron du bouge les a faits tricard. Première nuit à la fraîche. Insécurité et froid.

"Le décret portant création de la police de l’immigration est en cours de finalisation" "Pour faciliter les éloignements, j’ai également décidé d’accélérer encore le programme de rétention administrative"

Jeudi 15 septembre. Pendant que les enfants s’endorment sur le canapé du salon, l’urgence est à la recherche d’un repas chaud. Une association caritative dégotera des tickets pour un resto. Maintenant trouver un médecin qui veuille bien ausculter le petit dernier tout fiévreux et tremblant de sa nuit passée sur un banc public (un des dernier banc pas trafiqué en repousse miséreux). Aucun libéral n’accepte. Pas de carte vitale, pas de remboursement. Notre structure n’a pas de budget pour la bouffe et les soins. C’est "La Boussole", un service social au sein de l’hôpital civil, qui va les prendre en charge. On connaît bien l’assistante sociale, on se démerde. Pas de budget pour faire bosser un traducteur, on se démerde. Une ancienne hébergée tchétchène jointe par téléphone se propose de passer traduire et réconforter la famille. Quel plaisir de voir les visage s’illuminer lorsque les premiers mots de leur langue natale claquent dans le salon. Les premières larmes contenues jusqu’alors, par politesse, perlent sur les joues de la maman.
Pas le temps de s’apitoyer, le plus dure reste à faire - trouver un toit. A ce niveau du parcours, je suis obligé de faire un aparté pour expliquer les dispositifs existants : les demandeurs d’asiles, lorsqu’ils sont reconnus comme tel par l’OFPRA (4) peuvent bénéficier d’un hébergement en CADA ou en pré-CADA, centres d’hébergement pour demandeurs d’asile. Ca, c’est la théorie. En pratique, ces dispositifs sont tellement peu nombreux et saturés qu’ils sont une minorité à en bénéficier. "A cet égard, je sais que l’efficacité accrue de l’OFPRA et de la Commission des recours a pour effet d’augmenter le nombre des déboutés du droit d’asile et de leurs familles, qui pourrait atteindre plusieurs dizaines de milliers dans les mois à venir". De plus, la famille ne pourra être inscrite sur la liste d’attente de CADA que lorsqu’elle aura été vue par la préfecture. Soit huit jours après son arrivé sur le sol national. Dans l’attente : démerde-toi.
En cet après midi du 15 septembre, le foyer a déjà reçu une douzaine de demandes d’hébergement de partenaires sociaux qui ont essayé de trouver des places dans les structures existantes. Rien, plus aucune place disponible à Strasbourg et environ. Sachant cela et étant en présence de trois mineurs, je contact la DSSS (Direction des Services Sanitaires et Sociaux). Au sein de cette direction il y a l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) et le Service de Protection des Mineurs (SPM). Explication, négociation, justification auprès du standard. Explication, négociation, justification auprès de la secrétaire. Explication, négociation, justification auprès de l’assistante sociale de permanence et enfin, explication, négociation, justification auprès de la chef de service. C’est comme une petite victoire contre la bureaucratie et la hiérarchie lorsque l’accord pour une mise à l’abri d’une semaine est accordé.
Maintenant il faut trouver un hôtel qui accepte de les accueillir et qui accepte un paiement différé. Il faut speeder, il est 16h45 et la DSSS boucle à 17....Un annuaire et 16 coups de file plus tard c’est OK. Rappeler la DSSS, filer les coordonnées et zou. Un plan de Stras, trois mots de russe et la famille part avec mille Spasiba de remerciements.
Le deale avec la DSSS était une mise à l’abri jusqu’au RDV avec la préfecture. La DSSS estime qu’après ce sont les services de la CODA (3) qui doivent prendre le relais. Lors de ce rendez-vous, une APS (5) sera donnée à la famille. C’est ce qui passe le 20 septembre, huit jours après leur arrivé en France terre d’accueil. Les voilà avec un nouveau papier, valable un mois, faisant d’eux autre chose que des clandestins, mais des nouveaux "sans logement".
La famille vient refrapper à la porte du foyer en début d’après midi. Appel à la CODA : "Vous prenez en charge ?" "Non, nous faisons de l’orientation pas de la recherche de logement."
"Mais prenez au moins contact avec la DSSS, ils ont déjà fait une prise en charge d’une semaine... peut être peuvent-ils la prolonger ?"
"Nous sommes habilités à leur envoyer des signalement d’enfants à la rue mais pas de prendre contact téléphoniquement avec ce service !"
Fin de non recevoir. C’est pas grave on se démerde. Explication, négociation, justification auprès du standard. Explication, négociation, justification auprès de la secrétaire. Explication, négociation, justification auprès de l’assistante sociale de permanence et enfin, explication, négociation, justification auprès de la chef de service du SPM. Attente. Relance. Attente. Surtout ne pas trop insister pour ne pas braquer les gens. Attente. C’est comme une petite victoire contre la bureaucratie et la hiérarchie lorsque l’accord pour une mise à l’abri d’une semaine est donné.
Vite chercher un hôtel pour les accueillir sachant que celui dans lequel la famille était ne souhaite plus les reprendre.
Voilà la famille de nouveau à l’abri pour une semaine. 28 septembre, au matin la famille et ses baguages sont sur le trottoir. L’automne est bien là avec sa bise glaciale. Le plan hivernal qui ouvrira des lits d’urgences ne débutera, suivant le temps, qu’en novembre. Si on ne savait pas déjà qu’il sera insuffisant en terme de place, on en viendrait presque à souhaiter du moins 10 en septembre pour que le préfet, soucieux de ne pas avoir de cadavre congelés dans ses rues, décrète l’application du plan d’urgence.

Toc-toc, c’est nous.
Et rebelotte : CODA, CADA, DSSS, CODA, DSSS....Rien. Pas d’ouverture. Pas de budget pas de place.
Finalement, la standardiste, la secrétaire, l’assistante sociale et la chef de service n’ont plus besoin de justificatif, de négociation et de tout le toutime. Voilà qu’au bout de 50 coups de fil à discuter, on a humanisé un peu les rouages. Ok, la DSSS reprend en charge pour une semaine. Comme d’hab, vous cherchez l’hôtel et on paie. Merde, cette semaine c’est session parlementaire à Strasbourg. L’immense bâtiment européen, s’il n’accueillera certainement pas plus d’une cinquantaine de parlementaires (surtout si le thème de la semaine concerne le social...) fera se déplacer plusieurs milliers de secrétaires, traducteurs, flics, experts et journalistes, staffs de parlementaires qui occuperont l’ensemble des hôtels du département.
Aussi, les travailleurs sociaux mais aussi et surtout les personnes sans domicile, savent qu’en semaine de session parlementaire, les hôteliers strasbourgeois, si prompt à accepter les gens dans la merde le reste du mois, les foutent à la porte pour accueillir des clients "normaux". "Je vous demande aussi d’être attentifs aux situations de séjour irrégulier que les marchands de sommeil protègent." C’est l ‘échec. Pas de place. On entasse la famille de 4 dans une chambre de 2, seule disponible pour deux jours dans notre foyer. Après c’est l’inconnue. Il faudra recommencer. Chercher, s’énerver, négocier des trucs comme si cette famille était un paquet de marchandise que l’on promène d’un lieu à un autre. Dans l’indifférence. Lorsque la famille, aidé par une association, aura réussi a faire son dossier OFPRA, elle devra attendre de recevoir un récépissé. Ce papier lui permettra de retourner à la préfecture et de demander à toucher l’allocation d’insertion versée par les ASSEDIC - 290 euro par mois. L’équivalent de 4 nuitées et demi dans un hôtel pouilleux de Strasbourg. La famille est 44ème sur la liste d’attente en CADA. Autant dire qu’elle aura le temps d’être expulsée 30 fois avant d’en bénéficier.

"Je ne sous-estime pas, en particulier, vos préoccupations concernant l’accueil des demandeurs d’asile. Aussi, j’ai décidé que le dispositif d’accueil serait piloté par les préfets de région, qui pourront proposer à tout demandeur un hébergement dans un département autre que celui où il aura déposé sa demande. Il importe de savoir où résident les demandeurs d’asile et le versement des allocations dépendra du respect du lieu de vie désigné. De nouveaux instruments de gestion des centres seront mis à votre disposition et 2 000 places nouvelles seront créées l’an prochain. Le régime de l’allocation d’insertion sera aussi modifié, par la loi, pour vous permettre de refuser son bénéfice aux demandeurs qui auront décliné votre proposition d’hébergement. J’ajoute que, évidemment, les déboutés du droit d’asile n’ont aucun droit à être hébergés dans les centres d’accueil des demandeurs d’asile. Leur vocation est de quitter le territoire." Ibex Ibex

(1) CHRS : Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale. Financés par l’Etat, donc les Directions Départementales de l’Action Sociale DDASS, ces foyers ont pour mission, dans le cadre du code social, d’accueillir toute personne en difficulté sociale. Le travail ne se fait pas dans l’urgence mais avec des projets à long terme, sur plusieurs mois voir plusieurs années.
(2) L’Ossétie du Nord, ancienne république soviétique est en conflit larvé avec celle du Sud, coincé entre Géorgie et Tchétchénie.
(3) CODA : Coordination d’Aide aux Demandeurs d’Asile. Service local a vocation d’orientation et d’aide (logement et nourriture) des demandeurs d’asiles. Quelques travailleurs sociaux pour des centaines de demandeurs, sans budget conséquent et aux marges de manœuvres extrêmement étroites. Des vigiles sont postés à l’entrée du service.
(4) OFPRA : Office Français pour la Protection des Rapatrié et Apatrides.
(5) APS : Attestation Provisoire de Séjour. Ce document valable 1 mois est le sésame permettant à la famille de déposer un dossier de demande de statut de réfugier politique à l’OFPRA. Bien que le document soit valable un mois, la famille ne dispose légalement que d’un délai de 21 jours pour constituer le dossier et l’envoyer.


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