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AccueilJournalNuméros parus en 2005N°42 - septembre 2005 > A l’heure des recompositions

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Dossier : Pour la diversité et l’interculturalité

A l’heure des recompositions


Les forces politiques ne sont pas figées : le monde évolue, avec lui les enjeux vis-à-vis desquels toutes doivent se positionner. Déjà le processus de construction européenne a fait éclater le clivage aussi traditionnel que réducteur entre droite et gauche - le récent référendum a mis en lumière l’existence d’une tripartition, allant de l’anticapitalisme de l’extrême gauche au nationalisme de la droite dure, en passant par le ventre mou du centre regroupant les principaux partis de gouvernement. Or est réapparu, après un premier soubresaut à la fin des années 1980, l’enjeu du “ communautarisme ”, qui à son tour fait éclater les clivages classiques, et entraîne une recomposition des alliances parfois étonnante.


“ Communautarisme ”, quesako ?

Le “ communautarisme ” désigne un projet de société plus ou moins explicite, une forme de société qui conçoit celle-ci comme un patchwork de groupes humains - définis sur des bases le plus souvent culturelles, mais parfois carrément ethnique, via recouvrement du culturel et du biologique. Une société, autrement dit, “ multiculturelle ”, dont l’homogénéité ne provient que du partage d’un Etat, c’est-à-dire à la fois un appareil politique et un territoire. Nuance importante : il ne s’agit pas seulement de la coexistence de plusieurs cultures au sein d’une population, mais de l’organisation institutionnelle de son encadrement en termes de groupes spécifiques, reconnus comme tels par l’Etat et auxquels sont habituellement reconnus des droits et/ou des devoirs eux aussi spécifiques. L’individu n’est plus appréhendé comme singularité, mais d’abord comme membre d’un groupe, exemplaire à la limite reproductible d’un modèle. Bien qu’il n’y ait là rien d’obligatoire, habituellement l’appartenance à tel ou tel groupe qui fonde la définition de l’individu est le produit d’une hérédité : dans un modèle achevé de communautarisme, même si l’individu change de groupe d’allégeance (par exemple, en changeant de religion), il est toujours “ issu de X ”, “ d’origine X ”.
On peut s’opposer au communautarisme pour des motifs libertaires, au nom de la liberté de tout individu à être, et à être considéré en lui-même - c’est-à-dire qu’il maîtrise son identité, dont le meilleur sinon le seul critère est la manifestation explicite sous forme de discours ou d’action. Mais le type d’opposition la plus fréquente est la critique de la fonction de “ masque ” du communautarisme, au sens où celui-ci masquerait la réalité d’autres oppositions de groupe plus fondamentales que les clivages culturels ou identitaires - critique selon les cas socialiste, étatiste ou nationaliste. Le discours nationaliste est bien connu, c’est la rhétorique classique actuellement propre à l’extrême droite de la défense de la suprématie d’une culture nationale, en l’occurrence française, supérieure par nature et qu’il faut défendre en tout et contre tous.
La critique socialiste n’est pas nouvelle non plus, mais contrairement au nationalisme elle n’est pas nécessairement hostile à la perspective libertaire : il s’agit de critiquer les luttes “ particulières ”, c’est-à-dire dont on ne voit pas dans quelle mesure elles pourraient déboucher sur une remise en cause globale du système. Elle ne s’adresse pas spécifiquement aux luttes concernant “ l’identité ”, elle fut par exemple également opposée aux luttes autour de la sexualité et des rapports de genre, accusées en leur temps de détourner l’énergie de la “ lutte principale ” - la lutte de classes limitée au champ économique. Débat qui traverse actuellement l’extrême gauche, comme l’ont récemment montré les réactions face à l’Appel des Indigènes : la critique socialiste fut exprimée par LO, et divisa la LCR : bureau national dénonçant, la commission chargée de l’immigration, au contraire, soutenant l’appel...

La critique étatiste

La critique étatiste est plus récente, et passe d’abord par le mouvement qui se proclame actuellement “ républicain ” - et qui amène une recomposition au sein du clivage droite - gauche. Il s’agit officiellement d’affirmer la nécessité d’une neutralité de l’Etat vis-à-vis de toutes les différences, la nécessité qu’existe un espace commun à tous les groupes. La réalité est plus sombre : la neutralité de l’Etat n’est en fait qu’une homogénéité, ou plus encore une homogénéisation de la population via intégration de tous les individus dans une des cultures, qui se trouve ainsi en position dominante. Cette critique confine au nationalisme, puisque c’est habituellement la culture nationale héritée des heureux jours d’une homogénéité mythique qui est promue, sans esprit critique quant aux enjeux de pouvoir et de domination que la question culturelle peut recouvrir. Elle s’en distingue cependant en cela que pour le nationalisme c’est l’Etat qui doit servir la culture alors qu’ici au contraire la culture est au service de l’Etat. A preuve, ce courant “ républicain ” s’est d’abord développé dans le but de garantir la souveraineté de l’Etat français - en particulier dans le cadre des débats relatifs à la construction européenne. Aujourd’hui, son front principal est la déstabilisation de l’Etat par l’intérieur - avec comme cibles l’individualisme et le communautarisme, entendu au sens large de tout ce qui remet en question l’héritage culturel national. Comment s’étonner alors que le lien n’ait jamais été aussi fort entre “ républicains ” et nationalistes ?

Un cas d’école

S’il est un exemple révélateur de ce phénomène, c’est bien le site au nom tellement pompeux qu’il en est “ pathétique mais presque ”, l’“ observatoire du communautarisme ”. Petite étude, à partir des trois dirigeants et cofondateurs de cette entreprise créée durant l’été 2003 dans le but, selon ses propres mots, de “ défendre la République ”.
Julien Landfried, 27 ans, a commencé à Génération République, un groupe créé en avril 2001 pour soutenir la candidature de J-P Chevènement aux présidentielles de 2002, qui a rejoint le PS le 20 juin 2004. Il y fut trésorier (janvier-février 2002) puis secrétaire général de janvier 2002 à octobre 2003. Il a lancé le 26 juin 2004 Impact élections 2007, collectif visant à réfléchir sur les enjeux des prochaines présidentielles où il côtoie Pierre-Marie Debreuille, trésorier de Génération République d’octobre 2003 à juin 2004. Les deux larrons animent également le collectif Alter-Europe, où se retrouvent de nombreux anciens de Génération République. Plus symptomatique, il est membre d’ATTAC, où il siège au conseil scientifique et participe au comité local Paris-centre. Le type même du souverainiste de gauche à la Chevènement. François Devoucoux du Buysson, 30 ans, est lui aussi passé par Génération République, dont il fut trésorier d’avril 2001 à janvier 2002 (remplacé par Landfried). Il fut également membre du bureau de la Fondation Marc Bloch (devenue en avril 2000 la Fondation du 2 mars), créée en 1998 comme contrepoids républicain à la Fondation Saint-Simon stigmatisée comme “ cercle de la pensée unique sociale libérale ”. Il y côtoya Pierre-André. Taguieff, ancien spécialiste autoproclamé du discours raciste et de la lutte de salon contre le FN, actuellement expert (toujours autoproclamé) ès amalgames entre antisémitisme et antisionisme, qui en est toujours le président. Il eut alors un certain succès d’estime avec un ouvrage intitulé Une Histoire d’Amour. Essai sur la République (L’Ecart, 2001). Il se trouva un nouvel ennemi dans le lobby gay et “ l’idéologie homosexuelle ” que dénonce son livre suivant, Les Khmers roses (Blanches, 2003). Cette lutte se prolongea (logiquement ?) par son opposition résolue à Delanoë, à laquelle il consacre un site internet, “ le perroquet libre ”, et un ouvrage : Pariscide : les gâchis de l’ère Delanoë, (La Table Ronde, 2004). Ce dernier ouvrage lui valut d’être reçu par de nombreux médias, de Radio France International à Radio Courtoisie, la radio qui n’a pas d’ennemis sur sa droite... Un militant plus franc-tireur, qui parti de la gauche souverainiste a actuellement une nette propension à virer à droit.
Frédéric Beck, enfin, 30 ans, qui contrairement à ses collègues est très officiellement très à droite. Il anime une revue internet, “ la revue républicaine ”, qui se réclame de l’héritage gaulliste, incarné aussi bien en Charles Pasqua ou Philippe Seguin que Jean-Pierre Chevènement, et aujourd’hui principalement Nicolas Dupont-Aignan. Il est idéologiquement très proche de ce dernier, député de l’Essonne et figure centrale du “ pôle souverainiste ” au sein de l’UMP, grand opposant à Sarkozy, ancien co-fondateur et secrétaire général adjoint du RPF de Pasqua / De Villiers. Il ne néglige d’ailleurs aucune amitié à droite - il fut par exemple un invité régulier de Radio Courtoisie durant la campagne anti-constitution européenne. L’affinité idéologique de Beck se concrétise par des collaborations matérielles : il a par exemple réalisé en 2003 la rénovation du site internet de la tendance UMP dirigée par Dupont-Aignan, “ debout la République ”. Bref, un vrai militant de droite dure, quelque part entre Pasqua et De Villiers... L’ “ observatoire du communautarisme ” est un bon révélateur de la transversalité de la thématique “ républicaine ”, mixte d’étatisme et de nationalisme, qui permet l’émergence d’un courant pour l’instant assez informel, regroupant des personnes appartenant à des camps politiques par ailleurs opposés. Un courant à surveiller tout particulièrement, car derrière une rhétorique assez classique se profile le spectre d’une remise en ordre autoritaire et nationaliste de la société - sous l’égide de personnalités qui à visage découvert seraient souvent, et à juste titre, clairement identifiées à la droite dure.

Alf


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