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AccueilJournalNuméros parus en 2006N°50 - Été 2006Psychanalyse & mouvement social > Raconte moi ton enfance...

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Raconte moi ton enfance...

des démarches analytiques alternatives


Entre la discussion amicale autour d’un problème et la psychanalyse, il existe un no (wo)man’s land difficile à cerner. Des démarches analytiques alternatives peuvent aider à mieux vivre. Poussons le bouchon plus loin : elles peuvent aussi permettre de lutter contre les oppressions. Poussons-le encore plus loin, nous émettons l’hypothèse qu’elles permettront d’appuyer une démarche pluraliste et constructive pour une transformation radicale de la société. Il s’agit d’être le plus impétueux possible...


Démarche analytique ? C’est ce que nous faisons par exemple lors de réunions politiques. Là où la théorie psychanalytique peut approfondir cette démarche, c’est dans la recherche des causes premières de certains types de problèmes. Par exemple, dans la mise en place d’oppressions sexistes, ou d’une structuration de groupe qui tendrait vers l’autoritarisme.

Pour autant, la démarche analytique ne peut pas remplacer la psychanalyse en tant que telle. Cette dernière nécessite plusieurs éléments qui la démarquent d’autres formes alternatives :
- la distance entre l’analysant et l’analysé-e, nécessaire pour l’objectivité et une certaine mise en confiance. Le psychanalyste est un intervenant extérieur qui (habituellement) ne « participe » pas à la vie de la personne en analyse ; cette distance permet une mise en confiance et de lever plus facilement les résistances rencontrées ;
- les compétences réelles : être psychanalyste ne s’improvise pas : il y a d’une part un corpus de connaissance à acquérir et de l’autre la nécessité d’avoir suivi soi-même une analyse, qualifiée de didactique, pour comprendre en profondeur les mécanismes de résistance, de refoulement et de transfert. D’autre part, dans cette discipline, plus les personnes ont des connaissances, plus elles apprennent à douter et à être prudentes dans une analyse qui de toute façon est menée par la personne en analyse en priorité. Le psychisme humain est complexe, ce que Freud appelait l’ambivalence (pulsions contradictoires, instances psychiques -moi, ça, surmoi- en conflits) et si vous tombez sur une personne prétendant en avoir fait le tour en 2, 3 séances, vous pouvez changer de crémerie...
- le cadre : l’analyse classique est, doit rester confidentielle (secret professionnel), elle se situe à l’écart, sans public ou oreille indiscrète. (habituellement). Les démarches analytiques alternatives sont plus libres mais elles ne permettent pas de connaître les causes en profondeur. Néanmoins, certaines d’entre elles permettent de lutter contre les oppressions ou les autoritarismes. Voyons voir ça.

L’enjeu global des démarches alternatives : appuyer un mouvement social pluriel et dynamique

Enjeu global, car de plus en plus de personnes participent, en Europe ou ailleurs, à des démarches analytiques collectives telles que les espaces non-mixtes ou le théâtre de l’opprimée, pour mieux vivre, pour trouver des solutions à leurs « problèmes » tout en aidant les autres personnes présentes. La politique étant la question du commun qui nous unit, elle n’est pas divisible des rapports interindividuels ce qu’on voit par exemple dans le lien entre racisme et lois sécuritaires / xénophobes qui s’alimentent l’un l’autre, l’existence de lois anti-immigrés légitimant un racisme qui ne s’exprime plus par les mots mais par l’exclusion invisibilisée et déléguée au service d’ordre du capitalisme. L’espace de discussion alternatif devient dès lors un endroit où l’on démonte des oppressions qui nous concernent, pour les comprendre, et pour rapporter ensuite ses savoirs sociaux dans le reste de la société (du moins, pour les militant-e-s inscrit-e-s dans une démarche de transformation sociale.) Ces savoirs peuvent permettre de se prémunir et de lutter contre le racisme, le sexisme ou le harcèlement moral au sein d’une entreprise capitaliste.

Car, s’il y a bien des victimes et des oppresseurs, les oppressions restent en place d’une part parce que les victimes sont partie prenante, lorsqu’elles ne sont pas complices, et parce que, d’autre part, créer les liens permettant de renverser la vapeur est plus douloureux, plus risqué, pour une partie de la population, que d’oublier tout ça grâce à une distraction. Staline et Hitler sont restés en place grâce à l’appui, ou à la complicité passive, de la majorité de leur population. Les oppressé-e-s doivent donc, aussi, se libérer d’eux-mêmes, s’affirmer pour se dresser contre leurs oppresseurs. Les démarches analytiques permettent de prendre le temps de démonter certains mécanismes.

Enjeu particulier : comprendre les phénomènes d’exclusion politique

Enjeu important pour les mouvements sociaux. De nombreuses scissions ou exclusions ont en effet eu lieu dans les mouvements sociaux ces dernières années, des syndicats au mouvement des chômeurs en passant par les libertaires, chacun-e trouvera facilement des exemples. Ces scissions ou exclusions se déroulent souvent sous un mode passionnel, pressé et aussi sans cadre tiers qui permettrait d’avoir une distance ou des référents susceptibles de calmer le jeu qui s’emballe. Tentons en premier lieu de faire une synthèse des raisons des exclusions :
- de véritables raisons politiques, tant au niveau stratégique que théorique ou pratique : ce rationalisme-là existe, il est important, parfois on ne peut plus suivre le même chemin. Dans ce cas-là, on peut néanmoins se demander pourquoi les exclusions ou scissions sont aussi passionnelles.
- nos difficultés à appréhender de manière pratique et théorique un mouvement pluraliste, qui ne soit pas seulement fondé sur la lutte « anti » mais aussi sur la création et l’admission d’une évidence : nous sommes tous interdépendants et nous avons besoin des uns des autres. Ainsi, les syndicalistes excluront les chômeurs qui excluront les écologistes qui excluront les libertaires qui s’excluront eux-mêmes, etc. Des démarches analytiques peuvent et doivent permettre de mieux comprendre l’enjeu de ces pulsions d’autodestruction, d’avoir le recul nécessaire pour que les choses se passent mieux ou bien. Ce qui nécessite d’autres temporalités que l’urgence, et d’autres espaces que les assemblées plénières où se déroulent la majeure partie des foires à empoigne.

Tiens, un sujet tabou...

Comprendre l’autoritarisme grâce à l’apport psychanalytique sert aussi grandement. Ainsi, dans la majorité des groupes de plus de 5 personnes, il y a un rôle de papa, un(e) autre de maman, un enfant qui cherche à faire ses preuves, un autre qui est jaloux et qui cherchera à le renverser, etc. La question des référent-e-s, son analyse, est assez centrale dans les organisations humaines. Exemple : les AG où les intervenants, à tour de rôle, regardent souvent les mêmes personnes.

Face à ce problème de référence, il serait assez confortable d’opposer une forme de nihilisme niant toute différence entre les rôles sociaux. Enfouir le problème sous le tapis n’est pas faire disparaître le « problème », qui n’en ait pas forcément un. Si un tout nouveau militant a envie / besoin d’un référent, en sachant que les rôles sont mouvants, échangeables, ce n’est pas nécessairement qu’il a un grave problème, c’est tout simplement qu’on a tous et toutes besoins de repères et de retours dans ce qu’on fait. Nier tout particularisme, toute forme d’attirance (Eros parfois, pulsion de connaissance le plus souvent, sans doute), devient dès lors dangereux, la question serait plutôt que ces pulsions (ces poussées) débouchent sur des actes concrets et des activités communes émancipatrices. Sous couvert d’égalitarisme, mettre en place des instances d’oppressions contre les personnes référentes peut devenir une répression contre tous - plus personne n’osant s’affirmer, parler, tenter de convaincre. L’enjeu est moins de rabaisser les référents, que de s’élever ensemble vers des objectifs communs et de rendre les rapports les plus multilatéraux possibles.

Ainsi, les groupes de discussions, théâtre de l’opprimé et espaces non-mixtes peuvent également devenir un lieu de contre-pouvoir, un cadre extérieur et distant de toute forme de plénière et de contrôle social bureaucratique, au sein même du mouvement social, afin d’éviter la mise en place d’autoritarisme. Cela peut permettre d’enrichir et de pluraliser des mouvements sociaux souvent sclérosés sur des acquis passés et cherchant à étouffer la moindre dissidence, la moindre voix nouvelle émergeant notamment de la jeunesse. Voyons quelques exemples de ces groupes.

Les groupes de discussion

Aux Etats-Unis, les groupes de discussion sont très répandus afin de s’entraider mutuellement durant des périodes particulièrement difficiles (alcoolisme...) L’intérêt majeur de ces groupes réside dans leur capacité à rompre l’isolement, de créer un réseau pour se soutenir et faire face collectivement plutôt que de manière individuelle à une situation. Les groupes sont également composés de personnes qui ont réussi à rompre avec « le cercle vicieux » en question (dépendance à une drogue, par exemple) ce qui permet aux autres personnes du groupe de discuter sur les difficultés auxquelles la personne a du faire face mais de montrer également les alternatives possibles et de les faire savoir.

Aborder collectivement ces questions « personnelles » et les traiter dans la sphère dite publique (ailleurs que dans son foyer) permet de concevoir ces problèmes comme des problèmes sociaux et d’être traités comme tels. En deux mots, ça permet de remettre dans un contexte social, au sens large, des questions que l’on tente trop souvent de médicaliser et d’individualiser (comme évoquer le gène de l’obésité par exemple ). Ainsi, il s’agit de rompre avec la culpabilité, les tabous, sortir du silence et parler enfin entre personnes qui souhaitent résoudre une situation.

Apres, il y a autant de formes de groupes de discussion qu’il y a de groupes de discussion. Ils peuvent être plus ou moins moralisateur (ce que l’on fait c’est mal donc il faut suivre le bon chemin) et plus ou moins militant (lutter contre l’homo et la lesbophobie ambiante sur une fac par exemple). Tout le monde a entendu parler de l’histoire de Bush qui suivait un groupe de discussion contre l’alcoolisme avec un groupe de prière. Bon, on a vu le résultat... Il ne boit peut être plus, mais le coté « born again christian », ça devient un peu fatiguant à la longue.

Les groupes non-mixtes

Il ne faut pas négliger non plus la non-mixité comme forme de groupe de discussion militante. Encore une fois, il y a autant de forme de non-mixité qu’il y a de groupes non-mixtes. On peut parler de non-mixité LGBT (Lesbian, gay, bi- et trans-), non-mixité de genre... Les objectifs sont multiples et dépendent fortement du groupe qui le constitue : sortir de l’isolement, du sentiment de culpabilité, rompre les tabous, libérer la parole pour se rendre compte par exemple, que l’on n’est pas seule, au contraire, à faire face, au sexisme ou à l’homo/lesbophobie au quotidien (au travail, dans la rue, ...) Parce que les personnes qui vivent ces situations sont plus à même de les dénoncer, de les exprimer et à lutter contre, il s’agit donc pour les groupes non-mixtes, de se prendre en charge dans leur lutte, d’être les protagonistes de leur propre lutte et de ne pas attendre que les autres le fassent pour eux/elles.

Il est d’ailleurs intéressant de voir quelle agressivité « extérieure » soulève toute tentative de non-mixité. Que ce soit dans les lieux associatifs permanents, ou les rencontres alternatives types No Border, VAAAG... lorsque les femmes veulent se réunir entre elles pour parler des oppressions qu’elles subissent, cela entraîne souvent des incidents (intrusion, violences verbales voire physiques). Alors que personne n’aurait idée d’emmerder un collectif de sans papiers qui se réunit en interne, ou d’interrompre des musicos qui se mettent à l’écart pour répéter, le fait de lâcher prise pour les hommes, qui ne savent pas de quoi discutent les femmes, est souvent plus compliqué, ce qui démontre d’ailleurs, d’après certaines féministes qui y sont impliquées, la pertinence de ces formes de réunion...

Le théâtre de l’opprimé et les théâtres forums

Dans ces deux formes théâtrales, des oppressions de la vie courante sont mises en scène (sexisme, racisme, harcèlement au travail), puis le public est invité à réagir, soit en montant sur la scène, soit en donnant simplement un avis sur la façon dont le conflit pourrait être résolu. De l’avis des habitué-e-s, cette forme d’expression permet de trouver les armes (volonté, énergie / feedback, élaboration d’un discours) pour s’émanciper au quotidien en refusant toute forme de domination. Certaines formes, comme les stages arc-en-ciel, peuvent déboucher sur de véritables thérapies de groupes. La mise en scène comporte souvent des finesses qui amènent le public à s’interroger sur une réaction. Par exemple, dans le cadre d’une agression verbale entre un flic et un sans-domicile, une troisième personne passe sur la scène en détournant le regard pourra être la cible de huées ou de quolibets, jusqu’à ce que l’on se demande si nous-mêmes nous prendrions le temps de réagir, si nous ne nous sommes pas habitué-e-s à cet état de fait...

Il peut s’agir également d’une forme de catharsis (régénération psychique) concernant par exemple les agressions sexistes. Comprenant mieux comment et pourquoi elles se mettent en place, les personnes prennent le recul nécessaire pour intervenir.

Développer un rapport non-excluant pour une activité politique centrale

Toutes ces formes d’analyses forment des soubassements, des explorations différentes de l’inconscient, plus superficielle que la psychanalyse mais plus collective. Elles permettent ainsi d’explorer un champ qui reste peu connu : celui de l’interindividualité et de la conscience / inconscience collective. En plus de son intérêt propre, qui se conjugue avec l’intérêt porté à autrui, le temps passé à ces expériences permet, pour être prosaïque, d’éviter des problèmes qui ne se poseront pas, ou peu, parce qu’on connaît suffisamment autrui et certaines interactions pour éviter au moins le passionnel si d’éventuels problèmes se présentent.

Pour autant, il ne s’agit pas de passer tout son temps à explorer la psyché, aussi passionnante ou addictive que puisse être cette odyssée des profondeurs. Il s’agit aussi, en fait, de révolutionner la société, de combattre un système et de développer les alternatives sociales, économiques et politiques qui le remplaceront les moments venus. L’activité de transformation sociale reste centrale au sein de campagnes politiques (contre la précarité, le racisme, le sexisme ou pour la gratuité des transports) ou d’alternatives (voir les autres articles du mensuel). Seulement, pour éviter le développement de formes d’autoritarisme ou d’oppression au sein des mouvements sociaux, prendre le temps des démarches analytiques nous semble nécessaire.

Raphaël (Apports de Puck, Aurélia et Julien)


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