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AccueilJournalNuméros parus en 2006N°50 - Été 2006Psychanalyse & mouvement social > Il aurait fallu être utile

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Réflexion

Il aurait fallu être utile


Que ce soit l’attaque contre la psychanalyse au travers du livre noir, et du développement du comportementalisme, ou les questions de l’urgence sociale dans les « mouvements politiques », l’injonction de rapidité a envahi tout le champ social. Dans plusieurs textes, Marx parlait de la conquête du temps par le capitalisme, ce qui aujourd’hui donne une rationalisation du flux tendu dans la majorité des secteurs de l’industrie. Les stocks doivent disparaître, tout comme le rôle de l’inconscient est minoré : nous devons être coupé de notre histoire dans notre travail comme dans l’ensemble de notre vie. Disponibles à tout moment sans des bagages trop lourds à déplacer.


Dans le mouvement social, cette étiquette commode pour cet agrégat poreux d’organisation qui va de SUD à AC ! en passant par les lambeaux du drapeau noir, l’urgence dicte l’engagement. Les militants s’appartiennent rarement, dans leur militance, qui est coupée du reste de leur vie. Il y a les vacances de Francis le salarié, comme les vacances de Francis le militant qui pendant deux mois s’interdira toute réunion, tout déplacement « limitant » ou militant. Dans ce contexte, tout recul, toute réflexion concernant les pratiques est refusée : il faut aider, agir, éventuellement faire un compte-rendu. A la question « comment agit-on aujourd’hui » ; « comment fait-on de la politique » (ou du syndicalisme) un refus forcené, une esquive perpétuelle est opposée : toute réunion sera annulée ou déplacée sur ce sujet-là, comme toute forme de travail collectif ajourné. Le fait même de critiquer ce pli attire des critiques virulentes - il n’y aurait pas de problèmes, en fait. On se retrouve face à une aporie : les projets libéraux passent sans réponse alternative lisible et commune. On est contre, mais nous ne prendrons pas de temps pour définir ce que l’on souhaite.

J’appellerais presque ça, vu les réactions parfois violentes, une résistance à l’analyse. Pourtant, il ne s’agit pas de donner des leçons, mais de se rendre compte que nous sommes toutes et tous sur le même bateau, dans un « mouvement social » qui apparaît « illisible à lui-même ». Les questions traditionnelles de la psychanalyse : « qui sommes-nous ? » et « que voulons-nous ? » engendrent des réactions de rejets totalement disproportionnés, ce qui compte plutôt c’est de faire une manifestation du non, sans proposer d’alternatives dans nos manières d’être et de faire. Et ceci est valable pour les mouvements sociaux traditionnels, la ligue du « contre » et du « non ». De la division entretenue par la moindre différence, car il ne faudrait pas mourir... D’autres surprises plus agréables existent, dans la mouvance écologiste au sens large. En juillet 2004, des centaines de personnes se sont réunies à Verdun-sur-Garonne durant un week-end. Il s’agissait d’aller faucher, le dimanche, un champ d’OGM... Le samedi, c’était des débats, des rencontres... Du classique militant français, a priori... Sauf que dans le parc où nous étions réunis, il n’y avait pas de drapeaux militants, pas de banderoles, pas de tables de presses, pas de tee-shirts militants à vendre. Première bonne impression. Nous nous retrouvâmes alors tous dans de curieux débats avec des paysans espagnols, qui ont donné le ton : pas de coupure de parole, pas de hurlements quand nous n’étions pas d’accord avec une phrase d’intervenants, on devait laisser parler chaque intervenant jusqu’au bout. Tout d’un coup j’eus l’impression qu’on passait de l’adolescence à l’âge adulte. Il y eut pas mal de débats, et de discussions en AG sur l’action du lendemain, qui s’est passée le plus « solidairement possible ».

Ce qui m’a le plus marqué, c’est l’abandon d’elles-mêmes de la plupart des personnes. La capacité à donner son nom au flic, à réclamer une part de responsabilités pour ne pas laisser certaines personnes seules aux mains de la justice. En parlant avec certaines d’entre elles, je me suis rendu compte que les choses étaient assez complexes. D’une part, il y a une méconnaissance de ce qu’est la prison (« je pourrais enfin lire peinard » ou « faire du sport » etc.), genre club med’ pendant 2 ans aux frais de l’entreprise France, qui m’a beaucoup étonné, tout comme une sorte de confiance aveugle et naïve dans l’Etat, qui confine au déni de réalité mais qui s’explique par le fait que la plupart des personnes sont issues des classes moyennes bien intégrées, et pensaient impossibles d’aller en prison. Elles seraient trop « importantes », peut-être est-ce vrai dans un sens, lorsqu’on n’est pas « surnuméraire ». On ne va tout de même pas enfermer la moitié d’un village - qui torcherait, éduquerait les gosses, nourrirait ou soignerait les élus et autres représentants de la magistrature ? La puissance de la désobéissance civile se trouve là.

D’un autre côté, d’autres personnes avaient réellement peur mais inscrivaient quand même leur nom sur des listes, transmises dès les premières poursuites aux forces de l’ordre... Ainsi, à une AG, une jeune femme assises à côté de moi s’inquiétait pour sa fille : mais qui va s’occuper d’elle ? Je lui dis qu’elle pouvait faire l’action sans donner son nom, ce qu’elle refusa tout net : elle préférait assumer ce risque que de subir une politique de multinationale. Tout en se rongeant les ongles. Je trouvai cette femme plus courageuse que bons nombres de radicaux qui jouent un rôle - elle me semblait dans le réel. J’eus l’impression à ce moment-là de quitter le monde des représentations militantes, pour entre dans celui des résistances, qui admettent ou reconnaissent nos fragilités.

« Il ne se passe rien » - qu’est-ce qui nous pousse à nous engager ?

Pulsions sexuelles, libido, expliquent-elles tout ? Je suis loin de le penser. Quitte à paraître fleur bleue, je pense que les « gestes gratuits » existent, ou tout du moins je suis certains d’en avoir vu. Des psychanalystes diraient que cela correspond aux sur-moi individuels, il faut toujours casser l’ambiance, mais dans les sous-sols des « sans » rien n’oblige parfois à être solidaires, pas même le souci de son image qui n’existe plus guère, par exemple, lorsqu’on a à faire avec des personnes qui sont depuis 20 ou 30 ans au « chômage », ou qui n’ont pas eu de travail salarié, car on « travaille » toujours...

Dans quoi et pourquoi s’engage-t-on ? Quelle est la part de conscient et d’inconscient ? Doit-on rendre lisible certains de ces engagements, en les chroniquant ? (j’en suis pas sûr) Je pense (aussi) que cette question est essentielle, qu’on n’est pas du tout dans un rapport « 300 personnes militent et tout le reste s’en fout ». Pour des raisons que je n’ai pas choisies, mais que je n’ai pas subies non plus, je suivais pendant mon enfance des courses caritatives pour telle ou telle cause et je me suis vite rendu compte que les coureurs ne font pas 20 km et des poussières pour se donner bonne conscience (ou « uniquement » pour), ou parce que la télé dit de le faire. Ce sont d’autres résistances qui se jouent au sein des individus et du collectif d’individu. Dans des épreuves choisies comme celles-là l’individu ferait moins si le collectif ne portait pas : l’interindividualité dans des sports extrêmes est à l’œuvre.

Est-ce que ces études sont « utiles », malgré tout ? Je me demande, ou vous demande d’ailleurs, si un trop grand repli individuel est réversible dans un contexte de précarisation généralisée et de réduction de la vie ou de sa perception. Quelles violences permettent de le dépasser ? Quels outils pour rendre lisible ses propres engagements et renouer avec des temps de vie et des temps de luttes ?

La psychanalyse, de par ses présupposés de vivre avec, me semble l’une des voies pour concilier la liberté et la nécessaire coexistence des individus ou des conflits de conscience.

Doriane

Quelques questions :
Ce refus du commun repose-t-il sur notre définition même de la conscience ? A quel point, aujourd’hui, le refus de toute conscience collective se manifeste-il ? D’ailleurs, comment une forme de conscience collective se manifesterait-elle ?
Lorsque qu’un syndicaliste agit, ce n’est pas que « pour lui », sinon il irait demander une augmentation dans le bureau de son patron. _ Mais à quel point est-ce lui qui s’exprime en tant que syndicaliste ? Simondon parlait d’interindividualité et ce que je trouverais intéressant c’est de se pencher sur la notion de conscience collective et interindividuelle, « l’esprit de ruche » ...


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