Retour accueil

AccueilJournalNuméros parus en 2006N°53 - Novembre 200620 ans de mesures sécuritaires - 20 ans de galères sociales > Interview de l’association "A toutes les victimes"

Rechercher
>
thème
> pays
> ville

Les autres articles :


Témoignage

Interview de l’association "A toutes les victimes"


Cette association est née pendant les révoltes des banlieues de l’année passée. La désagrégation du tissu associatif et militant au cours de ces dix dernières années est une donnée essentielle pour comprendre les difficultés à structurer un mouvement revendicatif dans les quartiers populaires. Alors que dans les années 80, l’engagement associatif avait marqué l’irruption de la seconde et troisième génération sur la scène politique, on ne peut que mesurer tout le fossé qui nous sépare des Marches de 83 et 84 pour l’Egalité [1] quand on voit que le mercredi 25 octobre, moins de 500 personnes ont répondu à l’appel de l’association AC le feu. Cette dernière a recueilli plus de 20.000 témoignages qu’elle a consigné dans des Cahiers de doléance.


1) Comment est né votre association "A toutes les victimes" ?

Nous ne sommes pas une association mais un collectif. Il s’est créé dans l’urgence courant novembre 2005, au moment ou les révoltes ne s’étaient pas encore éteintes. L’idée de base c’était que ce qui se passait était un événement important, grave, et il n’y avait personne pour dire du bien de nous qui habitons dans les quartiers. Notre motivation vient de là, puisque personne ne dit rien et ne fait rien, on va faire ce qu’on peut avec les moyens du bord. Il faut resituer dans le contexte de l’an dernier : pas une association ou organisation politique n’a parlé pour dire " on comprend ", la condamnation était unanime. On était quatre au départ, puis au fur et à mesure on s’est retrouvé à une quinzaine. On a lancé les planches à la flotte et puis on a construit le bateau en cours de route. La plupart des personnes qui sont dans le collectif n’ont pas d’expérience " militante " au sens militantisme politique du terme. On n’est pas d’accord sur tout, mais au moins sur l’essentiel. Et puis on se complète dans l’action. On forme une équipe, un an après ça tient toujours bon.

2) Quelles ont été vos activités ?

Les objectifs de base sont ceux de la page de présentation du site (qui sommes nous etc). On a réussi à faire passer largement un autre message que celui véhiculé par les médias par le biais de notre petit site sans pour autant " être un média alternatif (on n’écrit pas nos articles), parce que notre site a été vraiment beaucoup visité. Surtout par deux types de public : un public jeune issu des quartiers populaires et un public international qui cherchait à comprendre ce qui se passe sur le territoire français (là ça va du particulier jusqu’à des médias Al Jazeera ou NHK, en passant par des groupes politiques).

On a collecté des données sur la répression auprès des tribunaux, mais ça a été difficile, il a fallu ruser parce que la plupart des tribunaux ne veulent rien donner comme info là-dessus. Parfois on s’est rendu compte qu’à quelques mois d’écart les données variaient. Bref, pas simple à décortiquer. Mais on a quand une idée de ce qui s’est passé à ce moment là. On a fait un petit boulot de " mémoire " là dessus.

Sinon, on a mis en connexion les gens qui nous appelaient avec des groupes de " soutien ". On servait un peu de centralisation d’information pour des gens qui se sont bougés là-dessus. On s’est rendu compte aussi que les réseaux de soutien étaient pour la plupart issu de groupes politiques et pas des quartiers (sauf sur Lyon où une structure comme Divercité peut faire le lien) et que ces groupes étaient divisés entre eux et que bien souvent qu’après avoir assisté aux audiences de tribunaux ils n’arrivaient à maintenir un lien avec les familles. Y a un fossé énorme. Parfois on a réussi à rendre des petit services en faisant le lien. On s’est battu pour qu’Aubin [2] ne soit pas victime de la double peine, on a bossé avec son comité de soutien (on a aidé un petit peu à sa création) Expérience dure et amère parce qu’Aubin a été expulsé pour rien du tout.

On a réussi à mettre un réseau en place sur une bonne partie des coins où ça avait pété. On a lancé une campagne de soutien pour demander l’amnistie des révoltés de novembre 2005, on a envoyé des invitations à pas mal de gens et au final on s’est retrouvé seul, soit parce que ça n’intéressait pas, soit on s’est fait lâcher en cours de route pour des raisons plus que douteuses.

Le point fort a été l’organisation d’un concert au bataclan le 23 avril dernier avec une beau plateau artistique. Le tout financé par nos découverts. Peu de public, mais le public qui s’est déplacé n’était pas un public " parisien " ou militant. Rien que pour ça c’est une petite victoire. On a rien pu ratisser comme fric, si on avait fait des bénéfices on les auraient refilé à l’assos " Au delà des mots " de Clichy et "Divercité " parce que ces assos ont supporté un grand nombre de personnes qui ont mangé la répression de ces révoltes.

On a aussi un tas d’autres projets en cours. Le collectif n’a pas encore un an !

3) Y-a t’il eu des liens lors du mouvement anti-CPE ?

Oui et non. Les liens se sont faits naturellement quand les flics empêchaient les petits d’aller en manif en les bloquant dans les gares ou en les chargeant lorsqu’ils occupaient les lycées ou manifestaient en banlieue.

Le contact s’est plus fait quand les lycéens sont entrés dans la danse. Il y a eu comme un parfum de novembre. Au début le CPE c’était les " bons étudiants " qui revendiquaient comme on doit le faire comme le montraient les médias. Attention, nous on comprend la rage des étudiants après le CPE, on était d’accord avec pas mal de mots d’ordre (surtout quand ça parlait de supprimer l’ensemble de loi sur l’égalité des chances). Le gouvernement a essayé de divisé les gens en faisant croire qu’être contre le CPE c’était être contre les banlieues. Mais personne ne s’est planté là-dessus. C’est quand les lycées ont commencé à bouger dans toutes les banlieues que la situation s’est radicalisée. Et durcit. Après y a eu aussi des trucs pas chouettes comme aux invalides, mais ça, c’est pas nouveau. C’est pas non plus une généralité.

Le lien on l’a tous fait, quand de Villepin a dit que sa loi c’était la réponse aux révoltes de novembre on a tous senti dans les quartiers qu’il nous prenaient pour des billes.

Là ou ça se sépare, c’est que les peine de novembre on tété lourdes comparé à celle du CPE. Pourtant ça a été super sévère avec les étudiants. L’autre truc ça été le distinguo fait par les médias entre " les étudiants ", "les lycéens " et " les jeunes de banlieue " qui allaient manifesté ? Zarma les " jeunes de banlieue " ne sont pas scolarisés. Tout ça pour diviser. Et ça marche, parce que même avant les incidents des Invalides ça se voyait que certains étudiants flippe des petits pour rien. Et ça c’est vraiment dommage.

4) Comment analysez-vous la situation actuelle ?

Rien n’a changé. Le feu couve sous les braises. Le chômage est là. La précarité aussi. Les logements sont toujours aussi difficilement accessibles. Le racisme est aujourd’hui un truc avouable et compréhensible. Depuis ces histoires sur la polygamie et l’islamisme au moment des révoltes et de l’état d’urgence c’est resté à la mode. En plus si les ministres parlent mal, tout le monde peut le faire. On avait pas la côte, maintenant c’est pire que tout. On va célébrer la tragique disparition de deux gamins innocents, mort pour rien, Zied Benna et Bouna Traore et on nous bassine aujourd’hui des violence que subit la police. Voilà où on en est.

5) Avez-vous des liens avec d’autres associations comme la vôtre sur Paris et dans l’hexagone ?

On a croisé plein de gens en un an . Pas vraiment des gens qui ont eu la même démarche que nous. Mais on a des liens avec pas mal de gens dans le nord de la France, en région parisienne, la banlieue lyonnaise, Toulouse. Y a de la vie dans les quartiers, les gens se bougent. Il y a eu prise conscience sur le fait que si ça a pété partout, c’est qu’on vit partout la même chose, qu’on était nombreux. Et puis forcément on a croisé le MIB sur notre chemin. C’est avec eux qu’on fini par être le plus proche, parce que ce sont des gens bien.

6) Le 28 octobre, différentes initiatives se dérouleront par rapport aux débuts des émeutes dans les quartiers populaires, y participerez-vous ?

On sera à Clichy-sous-Bois pour soutenir les familles Traore et Benna ainsi que Muhittin, aux côtés de " Au delà des Mots " le 27 octobre 2006.

Pour les autres initiatives, on fera du mieux qu’on peut, en fonction de nos possibilités (le boulot ou la recherche d’un taf ne laissent pas toujours le temps). Au minimum on fera circuler les infos.

7) Quels discours face aux mesures sécuritaires ?

Que dire ? Que c’est pas en cognant ton môme et en l’enfermant dans un placard en lui répétant que tu veux pas de lui que tu te construit un bel avenir. Tôt ou tard ça explose. Les prisons sont pleines, et on sait très bien que c’est pas ça qui rend les gens meilleurs. On a de plus en plus de flics qui patrouillent dans nos quartiers, ils sont de plus en plus équipés, et ça dégénère de plus en plus.

Le discours sécuritaire c’est un truc qui est fait pour diviser les gens : taper publiquement sur les mêmes pour que les autres se sentent moins mal. Après, tout ça on le sait, les rappeurs le disent mieux que nous depuis près de 20 ans.

Il va surtout falloir agir pour qu’on se fasse entendre. Ce sont des faits et du concret qui peuvent enrayer la machine. Parce que le discours que l’on peut avoir, même s’il est juste personne ne l’entend, on est pas TF1.

Il faut que nous qui habitons les quartiers fassions valoir nos droits et nos intérêts. On a compris qu’on était une force en novembre, maintenant on doit se donner les moyens de changer la donne.

Fraternellement, le collectif "A Toutes Les Victimes".


[1] En 1983 et 1984 deux marches pour l’égalité avait rassemblé à Paris plusieurs dizaines de milliers de personnes. Voir le livre J’y suis, j’y reste. Mogniss Abdallah et le Réseau No Pasaran.

[2] Aubin est un jeune étudiant de la région de Reims qui a été expulsé suite aux événements de novembre où il avait été condamné à 2 mois d’emprisonnement dont 15 jorus fermes assortis de 45 jours de sursis.


No Pasaran 21ter rue Voltaire 75011 Paris - Tél. 06 11 29 02 15 - nopasaran@samizdat.net
Ce site est réalisé avec SPIP logiciel libre sous license GNU/GPL - Hébergé par Samizdat.net