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AccueilJournalNuméros parus en 2005N°44 - Novembre 2005Les espaces non-mixtes en question > Japon : un métro nommé non mixité

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Japon : un métro nommé non mixité


Au pays des jardins zen, du soleil levant et de la bombe atomique, fleurissent d’étranges choses (hormis les gâteaux aux haricots rouges et au thé vert)...Après les grèves où on continue de travailler, la création des love-hotel, les espaces fumeur en pleine rue, voici une merveilleuse innovation en matière de transports en commun.


Si au détour d’une station de métro vous croisez une bonbonnière rose fluo accrochée aux autres wagons, ne pensez pas avoir consommé trop d’herbe à chat : il s’agit tout simplement d’un wagon non-mixte. Et oui, sur certaines lignes appartenant à des compagnies privées on rencontre ce type d’espace. Les trains ne sont pas en reste : on retrouve la non-mixité sur certaines lignes du Japan Rail, équivalent des TER. Les bonbonnières tapent d’autant plus dans l’œil que les autres wagons sont d’un grisâtre tout ce qu’il y a de plus habituellement urbain. Concernant les lignes de train, on a plus tablé sur la discrétion extérieure, rien ne les distingue vraiment des autres. Bien entendu, sur les quais, on vous indique gentiment ces wagons par d’énormes marquages au sol : “ women only boarding point ” (point d’embarquement pour les femmes seulement), tout cela est très international, évidemment écrit aussi en japonais. A proximité un planton surveille l’accès aux wagons (ce qui d’ailleurs n’est pas spécifique à la non mixité, puisque ces charmantes gens sont une population indissociable du métro japonais). Les femmes ne sont pas obligées de ne fréquenter que ces wagons (évidemment les hommes n’ont eux pas droit d’y aller). De même, ces wagons ne sont réservés aux femmes qu’aux heures de pointe : du début du service jusqu’à 9h, puis de 17h à 21h. En dehors de ces horaires, ils sont mixtes mais fréquentés finalement par une majorité de femmes. Voilà pour le décor.

D’où viennent ces wagons non-mixtes dans les transports en communs ? C’est la réponse de l’Etat et des compagnies de trains suite à de nombreuses plaintes pour attouchements, harcèlements sexuels et viols dans les foules des heures de pointes. Ceci pour assurer plus de tranquillité aux femmes, bien entendu “ incapables de se défendre ” face à des hommes forcément “ figés dans leurs comportements dominateurs ”. La plupart des japonais dont certains militants analysent cette oppression en la reliant à la multiplication des violences envers les femmes dans la pornographie et certains mangas ; comme beaucoup en Europe (et ailleurs) ils réduisent la question des violences sexuelles à celle de la large diffusion de la pornographie. Ce type de réflexion, en plus de son côté moralisateur, évite toute remise en cause de la construction sociale des genres et du patriarcat en général. La domination de l’homme sur la femme ne se limite évidemment pas aux questions de violences sexuelles.

Dans un pays fortement attaché aux traditions, où les hiérarchies familiales et sociales sont prégnantes, la place des femmes s’envisage au sein de la famille en tant que mère et socialement en tant qu’épouse. Elles ne peuvent quasiment pas vivre seules, de façon indépendante, elles sont le plus souvent insérées dans le foyer parental, ou bien dans le foyer marital. Les futurs époux sont fort souvent présentés par arrangements familiaux interposés. D’ailleurs, quand une femme se marie, la plupart du temps, elle quitte son travail. Les mouvements féministes existant ne sont guère écoutés. La pilule n’a été légalisée que depuis fort peu de temps (quelques années). Ce ne sont ici que quelques informations qui ne rendent pas précisément compte de la situation quotidienne des japonaises, mais qui donnent le ton des rapports sociaux. On n’insistera pas ici sur les question de pression sociale pesant sur les hommes actifs, dues au milieu du travail et au poids de la hiérarchie.

D’ailleurs, que se passe t-il si un homme rentre dans un wagon non-mixte ? Trois possibilités se présentent : 1- les femmes à l’intérieur du wagon lui disent de sortir du wagon (possibilité active où les femmes font quelque chose), 2- un agent du métro signale à l’homme son erreur et le fait sortir (possibilité de délégation, qu’il est gentil le petit monsieur du métro du bien vouloir aider les pauv’ ch’tites femmes sans défense bien respectueuses de l’ordre établi), 3- si le wagon n’est pas trop plein il peut être toléré jusqu’à la prochaine station (possibilité dite du statu quo, deux interprétations possibles : le mec flippe tellement de se retrouver en miettes qu’il ne pipe pas un mot, ou alors dans sa certitude d’homme il considère que son erreur se fonde sur une certaine légitimité et limite s’il ne pisse pas tout autour du wagon pour marquer son territoire).

Cette utilisation de la non-mixité ne résout rien, elle amène même des situations stigmatisantes : lorsque les femmes rentrent en heures de pointe dans un wagon mixte, il est possible qu’elles soient identifiées comme “ volontaires au pelotage ” dans la foule. L’homme est lui aussi stigmatisé mais comme potentiel agresseur, comme chez nous certain-es pensent que tout homme est un potentiel violeur. D’ailleurs certains hommes pour éviter ce préjugé proposeraient des wagons non-mixtes hommes. La situation en devient schizophrène puisque les individus sont partagés entre une tradition de domination patriarcale et une morale simpliste et dogmatique.

Ici, la non-mixité est gestionnaire d’une situation de “ crise ” dans les rapport sociaux, sorte de placebo qui, ne remettant rien en cause, ne parvient qu’à une situation au mieux ubuesque, au pire renforçant les individus dans leurs identités genrées. La non-mixité n’est ici à aucun moment un espace de réflexion, une possibilité de retour sur soi pour l’action, un dialogue entre personnes pour construire une réflexion en partageant des expériences, un tremplin pour l’évolution des rapports sociaux. C’est la non-mixité utile et lisse, outil de la sécurisation de l’espace publique, permettant une nouvelle maîtrise des agissements et des mouvements de tous et toutes dans les transports. Le problème des violences sexuelles ne se résoudra pas par la ségrégation des genres, mais par la remise en cause du genre lui même et des schémas sociaux qui l’entourent.

Epycène, Hawkgirl, Kanine


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