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ÉLECTIONS : SORTONS DE L’ISOLOIR !


Que dire sur ces élections ou plutôt sur cette campagne électorale ? Pas grand chose. Des candidats éligibles prisonniers de leur image médiatique, les autres ne servant que de faire valoir à un jeu qui se veut démocratique. Vraiment tout cela n’est pas de bonne augure ! L’américanisation de la vie politique suit son bonhomme de chemin.


Les deux partis majeurs n’ont guère de différences sur le fond. Certes Sarkozy fait peur (il y a de quoi) par son discours musclé, ses délires sécuritaires, sa politique xénophobe, son libéralisme (qui en fait l’oeil de Washington). D’ailleurs au début de cette campagne, il partait avec un certain nombre d’handicaps. Le premier, et le plus important, est l’importance du vote Le Pen. Bien qu’il ait essayé de chasser sur ses terres électorales, il n’est pas du tout évident que le ministre de l’intérieur puisse récupérer un grand nombre d’électeurs frontistes. Sarkozy suscite une très grande peur dans de multiples milieux, sentiment émanant non seulement de ses prises de positions spectaculaires sur fond sécuritaire, xénophobe, mais aussi concernant sa conception ultralibérale. Bon nombre de petits patrons, par exemple, ne souhaitent pas être mangés à la sauce de Bush. En troisième lieu, des corps constitués ont manifesté leur opposition à l’encontre du président de l’UMP, comme par exemple la police (qui a voté majoritairement UNSA lors des dernières élections professionnelles, signifiant par là que les flics en avaient assez et lançaient un appel du pied vers le PS), mais aussi les magistrats qui à travers leur syndicat de droite (USM) ont critiqué très sévèrement le ministre sur ces différentes prises de position comme celle demandant de traduire devant des cours d’assises les personnes organisant des “ guet-apens ” contre les flics dans les cités. En fin le quatrième handicap est les chiraquiens eux mêmes. La haine entre ces derniers et les sarkozistes n’est plus à démontrer. Il semblerait que celle-ci se soit estompée par pragmatisme. Il faut bien que les cadres du parti conservent leurs emplois et fassent donc allégeance au nouveau souverain s’ils ne veulent pas se retrouver à coller des affiches. Mais rien ne dit que ce conflit ait totalement disparu et que des traquenards ne soient pas en gestation pour les années à venir.

Du côté du PS, le premier handicap c’est tout simplement Royal. Sa candidature a été principalement le fruit des médias. A tel point qu’on pourrait se demander si cela ne participerait d’une stratégie mise en place par le camp adverse, permettant ainsi d’évincer Fabius et Strauss-kahn. Il est évident que se poser ce genre de questions est en soi absurde, mais on est dans un tel délire médiatique et de jeu de personnes, qu’à la limite pourquoi pas. Passons sur ses 100 propositions (Mitterand en avait 110 en 1981) qui font appel à des logiques sécuritaires (par exemple elle maintient sa proposition de faire appel à l’armée pour encadrer les délinquants), xénophobes (la politique anti-immigrés poursuivra son cours) et libérales (il n’y a aucune remise en cause du capitalisme).

Sur le fond, ces deux candidats ne sont guère différents. Le premier sera plus hard dans la forme que la seconde. Tous les deux continueront les politiques conduisant au développement de la précarité et de la misère , de chasse aux immigrés, sécuritaire, etc. La peste ou le choléra : à vous de choisir !

Plus fondamentalement, le système politique est dans une crise profonde. La démocratie bourgeoise ne peut plus fonctionner. Rappelons quelques principes. Il faut confier le pouvoir à des professionnels de la politique qui seront le mieux à même d’agir en fonction de l’intérêt général. Cela passe par la démocratie représentative, la souveraineté de l’Etat sur un territoire national.

Déjà en 1848, après les émeutes de juin, il fallut bien se rendre compte que les idéaux de la Révolution française ne pouvaient satisfaire les aspirations sociales. La Deuxième république, née le 25 février 1848, ne put répondre aux aspirations populaires. Alors qu’en février, le mouvement eut le soutien d’une partie de la bourgeoisie, en juin l’ensemble de la classe dominante se ligua pour préserver l’organisation sociale. La répression du mouvement de juin fut terrible. Mais une partie de cette bourgeoisie dut convenir que l’émancipation politique (en février 1848, la France connut pour la première fois le suffrage universel masculin) n’allait pas de pair avec l’émancipation sociale, comme le pensaient bon nombre de révolutionnaires à la fin du XVIIIéme siècle. “J’adore la propriété, s’exclame Lamartine,et je n’ai que mépris pour ces hommes qui ont essayé de faire passer la propriété pour un vol et le fusil pour une idée. Mais comment, ajoute-t-il, comment maintenir la propriété dans la société si une large partie de celle-ci se trouve dépourvue de tout bien, menacée dans sa subsistance même, privée donc des protections les plus élémentaires ? La propriété ne peut se défendre et se justifier que si elle entre dans un certain rapport avec le travail, si elle apparaît à tous, et surtout à ceux qui en sont dépourvus, comme une récompense, réellement accessible par l’effort. Or, ceux qui n’ont aucune propriété sont aussi les exposés à ne pas trouver de travail. C’est là une anomalie dont la République ne s’aurait aisément s’accommoder, d’autant moins que les sans-travail ne sont pas absolument dépourvus de tout titre de propriété : ne possèdent-ils pas, en commun avec tous, des biens communaux et, de façon générale, les biens de l’Etat ?” [1]

Cela allait conduire bien des années plus tard à l’invention de l’Etat social, dont Bismark,en Allemagne, fut un des initiateurs. En France, ce sera à la charnière du XIXème et XXéme siècles que fut réellement déployée cette politique, conduisant à la création de l’Etat providence, qui connut de beaux jours pendant les "Trente Glorieuses".

La réalité montre qu’il ne peut y avoir d’intérêt général dans une société de classes. La lutte de ces dernières fait, qu’en fonction des rapports de forces, la bourgeoisie fait plus ou moins de concessions. Dans l’après Seconde guerre mondiale, elle a été obligée de partager les richesses autrement. Cela a donné les Trente Glorieuses, période historique anachronique dans l’histoire du capitalisme. Depuis la fin des années 60, la bourgeoisie veut reprendre ce qu’elle a concédé et retrouver des formes d’exploitation normales, en faisant en sorte que le partage des richesses soit de plus en plus inégalitaire, à son profit (non pas qu’il eut été pendant les Trente Glorieuses, mais la classe dominante a été obligée de faire quelques concessions). Cela se traduit par la dégradation des conditions de vie, l’insécurité sociale avec comme pendant la croissance des politiques et des moyens répressifs, en passant bien évidemment par la crise de l’Etat providence.

En fait c’est ce qu’on a appelé le “compromis fordiste" qui est remis en cause. Il se caractérise tout d’abord par l’organisation taylorienne du travail, c’est à dire une très forte hiérarchisation entre le patron qui décide, les cadres qui conçoivent,les bureaux d’étude qui mettent au point, les techniciens mettent en oeuvrent et les O.S. exécutent ; mais aussi par une progression régulière du pouvoir d’achat des salaires et l’acquisition d’un statut social par les salariés.

En résumé, “quatre types de facteurs expliquent la crise de ce modèle :
— l’extension du modèle taylorien d’organisation du travail devient contre productive pour deux raisons :
— la complexité croissante du processus productif incite à une plus grande souplesse dans l’utilisation de la main-d’oeuvre. Cela remet donc en cause la structure hiérarchisée des grandes unités de production ;
— le rapport de force lié à cette organisation du travail est devenu trop favorable aux salariés  ; ils peuvent ainsi imposer de fortes augmentations salariales qui vont à l’encontre du ralentissement des gains de productivité ; cela conduit à un processus inflationniste.
— La production de masse appelle des marchés de taille mondiale. La recherche de nouveaux marchés, l’intensification de la concurrence imposent une recherche de gains de productivité et une plus grande souplesse de réorientation de la production, plutôt qu’un accroissement quantitatif de cette dernière ;
— Le fordisme suscite des coûts sociaux croissant car sa finalité n’est autre que d’insérer durablement les salariés en tant que producteurs,mais aussi en tant que consommateurs. Cela implique un accroissement des dépenses collectives dont la pression devient insupportable lorsque la croissance se réduit ;
— Les normes de consommation se sont modifiées ; les techniques de production doivent s’adapter à une demande qualitative plutôt que quantitative.

D’autres facteurs participent à la crise du système démocratique bourgeois. A quoi sert d’élire des gens qui ne détiennent plus le pouvoir réel ?

Le rôle de l’Etat s’est affaibli ; il n’a plus guère de capacité d’intervention dans cette nouvelle variante du capitalisme : ne déterminant plus les politiques industrielle,monétaire, budgétaire, sociale..., il ne peut plus garantir une adéquation nationale entre la sphère de production et celle de la consommation. "On assiste à l’émergence d’une finance mondiale toute-puissante, que personne ne contrôle mais qui dessaisit progressivement les Etats de leurs prérogatives politiques et, bien sûr, de leur souveraineté." [2]

L’objectif est toujours d’offrir des conditions d’exploitation de la force de travail les plus profitables pour les capitalistes. Mais maintenant cela passe principalement par une déréglementation des conditions de travail (développement du travail précaire et flexibilité) et par une réduction drastique des coûts d’entretien et de reproduction de la force de travail (réduction des budgets sociaux - par exemple la santé -, d’éducation...).

Les Etats deviennent donc de gros ministères de l’intérieur chargés de réduire les coûts de la force de travail, d’en durcir les modes d’exploitation et de se doter des moyens de répressions suffisants pour parer à toutes éventualités si les exploités et les opprimés en viennent à remettre en cause cet ordre mondial.

En raison de ce déplacement du pouvoir au profit des marchés et des multinationales, la démocratie bourgeoise - ou parlementaire
- n’est qu’une notion vide de réalité concrète. Les Etats démocratiques ont en fait de moins en moins de possibilité de “ contrôler l’usage qui est fait de la richesse ”... “ La souveraineté nationale appartient-elle encore au peuple, à ses représentants élus et gouvernements chargés de l’exprimer et de la mettre en oeuvre ? Insidieusement, par pans entiers, n’estelle pas en train de passer sous la tutelle d’un nouveau détenteur, co-souverain illégitime : le marché ? ” [...] “... l’avènement du marché laisse les démocraties sans voix ; il apparaît comme un fondement de l’ordre naturel des choses... ” [3]

Ainsi vouloir conquérir l’Etat ne peut répondre à nos aspirations dans la mesure où celui-ci n’a plus les moyens de lutter contre la mondialisation. "Quelques centaines d’opérateurs puissants finissent par substituer leurs anticipations plus ou moins clairvoyantes aux votes des citoyens et décident, dans les faits, des taux de croissance et de l’emploi d’une bonne partie du monde." [4]

Dans ce contexte, le clivage droite/gauche n’a plus guère de sens ; il se situe bien plus entre les uns défendant l’Europe de Maastricht,militant pour la mondialisation, et les autres s’y opposant. Ce clivage traverse l’ensemble de la caste politique faisant fi des frontières entre les partis. Les anti-maastrichtiens sont pour la plupart réactionnaires voulant reconstruire un Etat-nation fort  ; cette “perspective” se fonde sur un retour vers une économie autocentrée reposant sur le nationalisme et, pour certains, s’affirmant progressistes,il n’y aurait point de salut sans retour aux valeurs républicaines. Cela conduit à des impasses car les uns comme les autres ne pourront jamais lutter contre la puissance des marchés et des multinationales  ; ceux-ci ont les moyens de détruire tous projets contraire à leurs intérêts.

La plupart des textes votés au parlement sont des mises en conformité avec les directives européennes. On le voit particulièrement à propos de l’immigration. Sarkosy, lorsqu’il fait voter son texte sur l’immigration choisie, ne fait que répondre aux directives européennes. D’ailleurs, il y a quelques années la Gôche prônait la politique des quotas, qui est une autre appellation, mais qui consiste toujours à choisir les immigrés autorisés à venir vivre en Europe et donc en France. Depuis le 1er janvier 2002, plus aucun Etat européen ne contrôle sa monnaie, etc.

En outre,la grande majorité des électeurs ne votent plus pour tel ou tel candidat , mais contre celui-ci ou celui-là.Comment un vote par défaut peut-il être porteur d’aspirations ? Une partie significative de la population a compris grosso modo à quelle sauce libérale elle est mangée. Le référendum sur la constitution européenne a été à ce propos très éclairant. En fait depuis 1992, lors du référendum sur le traité de Maastricht,on sait qu’il y a une opposition de plus en plus forte contre la construction européenne et contre le libéralisme (il est encore difficile pour beaucoup de personnes de considérer que le libéralisme et capitalisme sont quasiment des synonymes ; ATTAC porte une grande responsabilité dans cet état de fait). Malgré une très forte opposition, et ce à l’échelle européenne, les gouvernants et les décideurs économiques n’en continuent pas moins la mise en oeuvre de leur choix de société.Tout cela contribue à renforcer la crise de légitimité du pouvoir. Il ne tient également que par défaut, faute d’alternatives, d’utopies créatrices pouvant être partagées et suffisamment fortes pour qu’elles deviennent des enjeux reposant sur des réalités de classes opprimées, ayant les capacités politiques de prendre leurs affaires en mains.

Dans ce contexte, il paraît bien vain d’appeler à voter pour qui que ce soit. Laissons le PC dans son agonie. Plutôt il sera mort, plutôt l’espace social sera dégagé. Ce parti a toujours joué la carte du maintien de l’ordre lors des crises sociales importantes : 1936, 1945, 1968. De toute manière, il est pieds et poings liés au PS. Le montant des subventions, alloué par l’Etat, perçues par les organisations politiques est proportionnel au nombre d’élus. Par exemple, en 1993, après la déroute électorale aux législatives, le PS a dû licencier de multiples permanents. Le PC dépend essentiellement du bon vouloir des socialistes. Vouloir remettre en cause ce lien entre lui et le PS, comme l’espérait Bové, signifierait que la bureaucratie stalinienne accepte de se saborder ; ce qui est impensable.

Ne pas comprendre cela conduira toujours à l’échec de démarches unitaires, comme celle proposée par les collectifs antilibéraux. La réapparition de la candidature Bové, après une démission spectaculaire, laisse songeur. L’appel pour que Bové revienne sur sa décision donne froid dans le dos.On est dans la logique du sauveur, avec une personnalisation - pour ne pas dire une starisation - ne peut qu’inquiéter. Comment construire des mouvements autonomes, si l’on a besoin d’une star, de plus en plus dépendante des médias ?

Cette élection présidentielle et les suivantes (législatives et municipales) ne vont pas permettre d’aborder réellement et concrètement les problèmes de fond renforçant la crise de la société. La remise en cause du productivisme devient de plus en plus urgente. Les signes d’alerte de la planète sont de plus en plus forts : dérèglements climatiques, terres inondées ou avancées du désert conduisant des millions de personnes à se déplacer. Les climatologues crient de plus en plus fort qu’on ne peut plus continuer l’exploitation de la Terre, qu’on va droit le mur !

De même on ne peut penser qu’on pourra contenir les flux migratoires. Il faut en finir avec l’opposition entre réfugiés politiques et immigrations économiques. Les personnes victimes de la situation économique que connait leur pays, sont victimes des choix politiques que leur imposent les gouvernements occidentaux en collaboration avec leur gouvernement local. Le libéralisme, l’économie de marché sont des choix de société ; ils ne sont pas inéluctables. Ainsi, l’introduction de force du concept de développent dans les pays africains après leur indépendance, a conduit à rendre leurs économies de plus en plus dépendantes des marchés internationaux, qu’ils ne contrôlent pas. Le FMI et la Banque Mondiale imposent, par exemple, aux paysans locaux de produire des marchandises d’exportation, comme le coton, le café..., au détriment des cultures vivrières. La famine endémique que connaît le continent africain depuis la fin de la Seconde guerre mondiale provient en grande partie de là.

"Le coton est une culture qui rapporte des devises au Mali mais c’est une douleur pour les paysans. Imposée brutalement par la colonisation puis aujourd’hui par le marché et les organismes internationaux, cette culture abîme le sol, demande beaucoup de pesticides et d’engrais, et est vendue à un prix si indécent que les paysans maliens ne peuvent en vivre et n’ont plus de quoi manger. Et les devises que rapporte le coton au Mali servent à acheter du riz à l’Asie pour nourrir les Maliens. C’est une aberration !" [5]

Ainsi, prôner l’aide au développement dans le cadre capitaliste ne conduit qu’à des catastrophes humaines, écologiques et en tout cas renforcer le partage inégalitaire de richesses. La précarité ne fera que s’accroître avec son lot de misère, de morts, de taulards.

Abstenons nous d’entrer dans le bourbier politico- médiatique. Prenons nos affaires en mains  : connaissons et maîtrisons nos conditions d’existence.Le candidat Patate,le seul qui ne se présente pas, peut offrir une autre perspective si avec la dérision on participe à la construction de mouvements posant la rupture d’avec le capitalisme.

JC


[1] Citation extraite de L’invention du social, J.DONZELOT, Fayard 1984, page 40

[2] L’Homme mondial, P. Hengelbard,Arléa 1996

[3] Lois du marché contre droit des peuples, des démocraties sans voix, C. de Brie, in le Monde Diplomatique décembre 1992.

[4] L’Homme mondial, opus cité.

[5] Ibrahim Coulibaly, organisateur au Mali du Forum qui s’ouvre aujourd’hui.“La souveraineté alimentaire doit être reconnue par l’ONU” Par Eliane PATRIARCA, Libération, vendredi 23 février 2007.


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