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AccueilJournalNuméros parus en 2009Janvier-Février 2009 Numéro 72 > Pour des quotidiens qui chantent !

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Face à la crise, nous devons compter sur nos propres forces !

Pour des quotidiens qui chantent !

La question de l’engagement dans le contexte actuel


Derrière l’assassinat d’un jeune par les forces de police, les émeutes en Grèce révèlent le malaise d’une jeunesse dont l’ébullition a fait sauter le couvercle. La « génération à 600 euros » en a assez de faire les frais d’une soit-disante crise du capitalisme. Qui est en fait son essence même : les richesses se concentrent entre des mains de plus en plus réduites. Le système capitaliste ne peut pas permettre à bientôt 7 milliards de personnes de coexister sur la planète. Si nous laissons faire nous irons soit vers des explosions (guerres, razzias) soit vers des implosions (dépressions, replis communautaires durables).


On en voit passer, des sympathisants qui ne demandent qu’à s’engager. Généralement cela se passe en quelques étapes : 1) un sympathisant prend contact avec nous ; 2) on se rencontre, « qu’est ce que je peux faire ? » : généralement le sympathisant vient dans l’idée de donner un « coup de main » et non pas de prendre en charge, sur le plan décisionnel également ; 3) puis le sympathisant se refait happer par le quotidien, jusqu’au prochain mouvement social.

Nul jugement derrière, nous devons tous jongler avec des nécessités quotidiennes qui aspirent l’essentiel de nos énergies. En 20 ans la société a énormément changé. Exemple parmi d’autres, un nouveau-né était autrefois pris en charge par l’ensemble de la famille au sens large, aujourd’hui de jeunes parents peuvent se retrouver isolés avec leur bambin... Combien de mères isolées voit-on circuler, chaque jour, dans les services sociaux ?

Nous travaillons plus, en dehors de l’emploi, car le rapport à autrui et le rapport au collectif se sont effilochés et les 50% des personnes « valides » doivent prendre en charge les 50% de la population qui souffre le plus ou qui ont une forme de dépendance... Je ne suis pas sûr que j’exagère, entre la dépendance du 4ème âge, les enfants de famille monoparentale ou les formes de dépression. L’ennui c’est que ces formes de prise en charge se font de manière isolée...1 Pas de jugement donc, mais essayons de nous comprendre et de surmonter ces difficultés... Par des réseaux locaux de solidarité par exemple2 L’ennui c’est que les sympathisants, militants, croient toujours en un moment « X » où ils vont, cette fois c’est sûr, s’engager. Alors qu’avant dans leur esprit, ils ne faisaient « rien » sur le plan social et politique. L’autre problématique consiste à croire, encore, aux vieilles lunes révolutionnaires. Comme dans la chanson de variétoche « Il suffira d’un signe » on passerait de l’ennui du matin, à la révolution au soir. Comme par magie. Aussi incongrue soit-elle, cette pensée a encore de beaux restes devant elle. Le mouvement s’enfonce ainsi dans une temporalité unique : il ne se passe « rien » jusqu’aux prochains soulèvements et grèves où là, il se passera « quelque chose ». Au dernier moment, nous sommes sommés de tout révolutionner : nos manières de penser, d’agir, de se comporter avec autrui, et tant qu’on y est de prendre en charge la totalité du fonctionnement de la société. 100 balles et un 22 mars, mais bien sûr ! Penser en termes de situation et d’action restreinte, comme nous y invite des penseurs (d’Emile Pouget à Miguel Benasayag en passant par Deleuze...) renverse la problématique. Le souci n’est plus de savoir ce qu’on fera peut être demain, mais ce que l’on fait de sûr, aujourd’hui. Tout revêt une certaine importance : ce que l’on fait sur son lieu de travail, dans son quartier, dans une association ou un réseau social, etc. Quelque chose se joue dans la situation que l’on vit dans l’instant même.

Evidemment, ce que l’on fait dans ces situations n’a pas d’importance « cosmique » mais cela en a une. Difficilement quantifiable, non jugeable, au moment « t » où l’acte se produit. Défendre un salarié, un étudiant... Refuser le racisme sur son lieu de travail... La résistance prend ses racines dans ce quotidien-là. Elles servent d’arrièreplan, de lignes de tensions aux mouvements sociaux d’ampleurs qui viendront. En posant des liens et des relais, qui peuvent être utiles par la suite pour peu qu’on veuille les activer. Les petits ruisseaux font les grandes rivières, est une image qui parait moins éculée quand on étudie l’histoire des mouvements récents : RESF s’est en partie construit grâce aux liens de résistances nés du mouvement contre la réforme des retraites en 2003, et d’autres liens plus anciens. Rien ne se perd, quand on en décide ainsi.

La perception du mouvement, est intrinsèquement liée à sa propre position politique. Il est... absurde de penser qu’on peut mener une vie égoïste et frileuse au jour le jour, et que de cette position là naîtra de meilleurs lendemains. Les résistances se cultivent. Chacun d’entre nous peut être happé par le « gris rêve », le morne quotidien, chacun décide s’il résiste à cela, ou non. La valeur de l’acte est difficilement quantifiable dans un cours laps de temps - pour peu qu’elle puisse l’être un jour vu le manque de référents, de cadres externes à chaque situation. Si une entreprise se bat pour éviter un licenciement, les fortes solidarités que cela entraîne peuvent se répercuter des années durant, par la suite. Le résultat des résistances des « Lu » en 1999 ont eu un écho des années après au travers d’une troupe de théâtre qui dénonçait les déplorables conditions de travail... Au travers de liens dont la portée peut se répercuter pour peu qu’on les entretienne.

Néanmoins, la pensée en situation et l’action restreinte ont malheureusement leurs limites. Limites politiques. Il faut un mouvement revendicatif et conscient, de transformation sociale, sous peine que toutes ces résistances tombent dans l’oubli au fil du temps. Le militantisme politique a encore une raison d’être, c’est son effacement, dans la « gauche radicale », qui ouvre une porte durable aux solutions autoritaires et libérales. Tout ce qui est conscient, durable, réfléchi est encore nécessaire car le quotidien, « individualisé » happe vite les énergies.

SE PROJETER DANS LE LONG TERME...

Les dynamiques collectives ont ceci de complexe qu’il faut agir sur plusieurs niveaux en même temps :
- partager des bases politiques communes et donc se rencontrer, à gauche du PS disons, pour parler de ce qui nous rapproche, nous éloigne les uns des autres ;
- décider de moyens d’actions communs : une partie de la population et de la jeunesse ne se retrouve pas dans les jeux politiciens et la multiplicité de partis qui disent la même chose (à gauche du PS) aux services d’ambitions individuelles. Comment faire de la politique lorsqu’on n’est pas dans un parti ? (ou lorsqu’on considère un parti comme un point de rencontre, et non pas une cage dorée)
- comment agir ensemble, sur un mode horizontale (sans hiérarchie) et en pratiquant l’autogestion et l’auto-organisation des luttes et/ou initiatives ; Or, ce long terme est systématiquement mis de côté à chaque fois qu’un événement nouveau apparait. Impulsé par « Sarkozy n’Co » le plus souvent... Les mouvements font ainsi une lourde erreur en se callant, uniquement, sur le calendrier de l’UMP. L’une des conditions primordiales pour l’essor d’une dynamique, c’est de décider et de se tenir à son propre emploi du temps au lieu de subir celui des autres.

POUR UNE AUTRE ORGANISATION POLITIQUE

Les revendications ne peuvent servir que de ponts intermédiaires en attendant que nous mettions en place une autre organisation de la société. La diminution du temps de travail pouvant libérer du temps pour réfléchir et s’organiser différemment. Il est évidemment hors de question d’en rester à ce bas étage revendicatif mais rien que les petits progrès énoncés plus haut pourraient redonner confiance et permettre à un prolétariat exténué de reprendre son souffle pour la suite. La suite... Voilà quelques amorces possibles de réflexions : Réfléchir au « vivre ensemble » : comment concilier réellement l’égalité et la liberté. Cette question traverse tous les champs sociaux (et de la vie) de l’éducation jusqu’aux mouroirs inhumains que sont la majeure partie des maisons de retraite dites « médicalisées ». Cette amorce là est indispensable, voire, c’est la base incontournable. Réfléchir au vivre ensemble c’est réfléchir à :
- la personnalité humaine dans son ambivalence (pulsion de vie / de mort etc.) et dans sa complexité ;
- réfléchir au lien social en partant des liens interindividuels (devenir possible du féminisme > question des genres) jusqu’à la nécessaire organisation sociale ;
- une nouvelle réflexion sur « les droits et devoirs » : réflexion aussi, sur ce qu’est l’égalité.
- la question des cycles : à des moments vous avez envie d’être peinard en famille (en couple etc.), à d’autres de partir à l’aventure en larguant les amarres. En fait, c’est « normal  » que nous soyons nombreux à ressentir cela. Et finalement, comment vivre cela ?

Pourquoi ne serions-nous pas encore plus offensifs, en partant de nos désirs collectifs ou « individuels » ? (3) Il ne faut pas en rester à une vision unidimensionnelle de l’être humain et dégager des projets qui tiennent compte de toutes les facettes... A ce sujet, pour reprendre une formule d’Edgar Morin, nous en sommes encore « à la préhistoire de la pensée »...

• Les circuits courts : plus précis et concrets, il s’agit de produire et consommer une partie fixe de la production locale (par exemple 30 à 60%). Ce qui relocaliserait l’économie et permettrait de rationnaliser la production agricole en tenant compte du ratio de population à nourrir. Evidemment, cela implique de relancer la coordination du travail en passant par la reprise en main du destin des petits producteurs via des coopératives agricoles qui seraient gérées par eux et à leur service.

Les circuits courts sont une solution tant pour le Nord, que pour le Sud du globe. Déjà, les agriculteurs sénégalais ont dit « basta ! » à l’agro-business chinois et se sont remis à produire du riz localement... Ces nouvelles ne sont pas assez sombres pour nourrir les pulsions de mort et l’état morbide tant « désiré », mais il faut aussi s’intéresser à ces points lumineux. • Des réseaux de solidarités urbains à l’économie sociale et solidaire (l’ESS) : il existe toute une myriade d’expérience qui peut semer des graines émancipatrices. Evidemment, l’ESS peut finir par foirer en reproduisant les schémas classiques, inégalitaires voire aliénants du salariat (les précaires aux ordre du patron pseudohumaniste) mais d’autres expériences portent leur fruit, d’Ambiance bois en Corrèze au mouvement d’auto-construction en Midi Pyrénées en passant par des Systèmes d’échanges locaux tenaces ou des réseaux d’échanges de savoir... Ces expériences contiennent les segments du génome d’une autre société, encore faut-il s’y rendre, les interroger, croiser les expériences, apporter un grain de sel ou de la poudre politique... Bouger !

Un facteur X...

Il n’y a pas de point G unique pour l’orgasme social. Encore faut-il commencer par exciter le corps, régulièrement, faire naître des sensations. On en revient par boucle à la question de l’engagement - mais la répétition est parfois nécessaire.

Finalement, ce qui pourrait faire bouger les choses, sera peut être moins qu’une finesse érotique dans l’art et la manière de chauffer le corps social, qu’une générosité brutale et sincère. Abandonnons l’imagerie sexuelle un peu facile (et sortons de la boucle) : peut-être que le facteur X c’est la générosité. Générosité, au sens le plus large et profond du terme. La capacité à aller vers autrui, à dépasser les situations parfois très noires dans lesquelles certains d’entre nous sommes plongés. A oublier les rancoeurs passées pour renouer avec des forces nécessaires. Et à trouver ces mêmes forces en nous, et chez les autres. Il n’y aura rien sans de puissants gestes de solidarités, pas simplement symbolisés en manif mais aussi dans nos lieux de travail, de quartier... Générosité aussi, dans le sens de se dépasser nous-mêmes, de changer nos façons d’être.

Par rapport aux injustices sociales, à la guerre permanente contre les 4 et 5 milliards de pauvres et d’exploités dans le monde, nous sommes plus que limites dans nos réactions. Nous ne sommes pas extrémistes contrairement à ce que disent les médias des capitalistes et de l’Etat, mais vraiment, bien au contraire, des minimalistes lorsqu’on voit l’arrogance tranquille des possédants qui ne cessent de nous narguer et qui continuent leur même train de vie pendant la crise. On nous prend vraiment pour des cons ! Et, finalement, nous le sommes car nos réactions ne sont pas à la hauteur des injustices sociales, de l’exploitation permanente, de la souffrance sur les lieux de travail ou celle des boat people qui tentent d’arriver au Paradis perdu.

Nous sommes au pied du mur, devant des nécessités sociales et écologiques qui sont incontournables. A nous de nous dépasser et à nous de retrouver une hargne à la hauteur des attaques qui nous sont portées chaque jour. Ce qui se jouera dans les prochains mois de crise, c’est une certaine idée de la dignité humaine.

Raphaël M.


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