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Le Front National : fascisme et réaction ?


Article paru en 1992...

"F comme fasciste, N comme nazi”, “halte au fascisme”… Le Front National est-il une organisation fasciste ? Mais qu’est-ce que le fascisme ? Qu’elles sont les différences entre un parti fasciste et une organisation réactionnaire ? Il paraît important de répondre à ces questions car la propagande, les moyens de mobilisation utilisés par ces différentes structures, ne sont pas les mêmes fondamentalement. Il s’en suit que les stratégies, les tactiques pour y faire face ne peuvent être identiques. Se tromper sur qui on a en face ne peut amener, à terme, qu’à des impasses.


DEFINITION DU FASCISME

Pour tenter de définir le fascisme, on ne peut se fonder sur les seuls critères idéologiques ; le fascisme en tant que doctrine, est essentiellement une théorisation à posteriori, en fait une théorisation volontairement floue, faite d’emprunts glanés d’une part dans le catalogue anti-positiviste du XIX° siècle et, d’autre part dans celui des idéologies de troisième voie. Si l’on veut être capable d’élaborer une définition du fascisme, nous nous devons faire un détour historique en examinant le fascisme réel : le “fascisme mouvement”et le “fascisme régime”.
Dans l’Europe de l’immédiat après-guerre, dans un contexte de crises, de mutations accélérées, apparaît un type nouveau d’organisations politiques : parti de masse, hiérarchisé, militarisé, placé sous l’autorité d’un chef charismatique et aspirant, par la violence, à un régime politique fa« onné à son image. Les groupuscules allemands et les groupes italiens, dans un premier temps (premier fascisme) se mobilisent contre l’ordre ou le désordre existant ; ils aspirent au bouleversement des hiérarchies sociales, déclarent la guerre au capitalisme et aux élites en place. Ce premier fascisme comporte une forte dose d’esprit révolutionnaire ou contestataire.
Dans un deuxième temps, ces groupes se transforment en organisations de défense des possédants, et sont très liés avec la fraction la plus réactionnaire de l’établissement. Cela suppose donc une propagande, certes populiste, mais qui est essentiellement tournée vers les différentes strates de la bourgeoisie. Cette étape correspond au second fascisme. Il faut trois conditions pour qu’une fraction importante de la bourgeoisie se décide à soutenir le fascisme :
- un blocage quasi complet du système libéral ; ce n’est qu’après avoir épuisé toutes les solutions qui peuvent s’offrir à elle, que la classe dominante politiquement et économiquement se ralie à la solution fasciste ;
- une situation économique catastrophique qui impose à la classe dominante de faire appel à une forme d’Etat “providentiel” pour elle. Celui-ci doit sauver les entreprises de la faillite et assurer, par tous les moyens, la relance économique ;
- une menace révolutionnaire grave. Mais l’alliance de la bourgeoisie avec des organisations fascistes ne s’oppère, en fait, que lorsque le danger révolutionnaire est écarté ; autrement dit ce n’est qu’après la défaite du prolétariat que la solution fasciste est réellement envisagée. Le but est d’écarter tout risque d’une nouvelle offensive ouvrière par une contre-révolution préventive.
Le troisième stade du fascisme, le troisième fascisme, est la prise du pouvoir qui ne se traduit pas immédiatement par la mobilisation totalitaire de la nation. Pendant la période qui précéde la dictature unique du parti, les représentants des classes économiquement dominantes continuent d’occuper des places privilégiées. L’Etat fasciste leurs permet de renforcer leur domination économique, en désamor« ant, par le biais du corporatisme et de la répression, les renvendications ouvrières. Cet Etat tolère donc l’influence persistante des magistères (Eglise, élite bourgeoise ...) et négocie des compromis d’ordre institutionnel. Mais il doit aussi satisfaire la petite bourgeoisie qui est sa base sociologique, bien que celle-ci ait été économiquement la principale victime du fascisme. Cela implique que cet Etat lui offre des compensations dans d’autres domaines :
- mise en place d’une politique étrangère de prestige ;
- lui “assurer” une promotion sociale par le parti et ses dépendances.
En résumé, au cours du troisième fascisme, il y a en quelque sorte un partage du pouvoir entre, d’un coté la haute bourgeoisie qui renforce sa puissance matérielle et inspire, dans un premier temps, les grandes options économiques ; de l’autre les fractions des classes moyennes qu’incarne le fascisme et qui assurent la gestion du régime sous l’autorité du guide arbitre tout puissant. Il va sans dire que les tensions sont très vives entre ces deux composantes, on assiste à une véritable guerre d’usure entre les deux.
Le stade ultime du fascisme, le quatrième fascisme, est le totalitarisme, c’est-à-dire la soumission absolue de l’individu au pouvoir et à l’idéologie qu’il incarne, non seulement au niveau politique et social, mais encore dans toutes les manifestations de la vie individuelle : familiale, professionnelle, artistique, spirituelle. Des concessions sont octroyées aux classes populaires afin de les rallier au régime, et ce au moindre coûts envers les classes possédantes. Les masses (agrégats d’individus isolés et nivelés) sont enrégimentées dans des organisations corporatistes et paramilitaires, qui sont encadrées par le parti unique. Les individus, que comptent ces organisations, doivent être “moulés” sur un modèle conforme aux souhaits du pouvoir, et ce grâce au monopole qu’a l’Etat sur tous les moyens de formation, d’information et de connaissance. L’Etat doit avoir aussi le contrôle et la direction de l’économie dans un cadre capitaliste. La terreur physique et psychologique sont employées et développées de manière systématique. Enfin il y a une volonté de substituer un “ordre nouveau” et un “homme nouveau” à l’ordre et à l’individu fa« onnés par le libéralisme décadent.

BREF HISTORIQUE

La naissance du fascisme est due à trois phénomènes principaux.
Tout d’abord, avant la première guerre mondiale, l’évolution de la société ne se fait pas sans difficultés. L’industrialisation déstructure la société : exode rurale, gonflement des populations urbaines et effritement des cadres sociaux traditionnels, à savoir la famille classique, la communauté villageoise ou de quartier, les liens corporatifs,etc..
Ensuite la crise, qu’engendre la Première guerre mondiale, aggrave de manière brutale tous les déséquilibres dont l’industrialisation est porteuse :
- accélération de la déstructuration du corps social ;
- départ des hommes au front ;
- développement de l’inflation, qui participe au processus de prolétarisation d’une partie des classes moyennes et au brassage des différentes catégories sociales, engage une nouvelle redistribution des richesses.
La guerre a montré que la science et la technique pouvaient être mises au service du “mal” absolu et devenir des instruments de tueries. De plus les démocraties n’ont pû triompher du militarisme et de l’autocratie qui se donnaient des pouvoirs forts et transgressaient les principes et valeurs pour lesquels elles combattaient. Elle a aussi durablement attaché à l’institution militaire et à ses pratiques une fraction relativement importante de la société civile : d’une part les déclassés, les laissés pour compte de la révolution industrielle, auxquels l’aventure guerrière a apporté de fortes compensations psychologiques ; d’autre part nombre de représentants des classes moyennes montantes jusque là écartées des lieux du pouvoir. Les années de guerre ont, ainsi, aiguisé les appétits de promotion sociale et politique.
Enfin la déliquescence de la démocratie libérale, qui devait affronter une situation de crise et une situation révolutionnaire, semblait bien impuissante face à ces deux phénomènes ; cette incapacité servit de terreau sur lequel allait s’épanouir le premier fascisme.

DIFFERENCES ENTRE PARTI FASCISTE ET ORGANISATION REACTIONNAIRE

Même s’ils partagent divers thèmes idéologiques et que les organisations réactionnaires et autoritaires adoptent des signes extérieurs et des méthodes inspirés des partis fascistes, ils n’ont pas les mêmes buts. Les premières aspirent à restaurer l’ordre ancien, à maintenir, ou à remettre en place la classe dirigeante traditionnelle. Par contre les seconds souhaitent voir naître une nouvelle société et une humanité nouvelle ; ils recherchent, donc, à faire émerger une élite de remplacement, une aristocratie renouvelée, fondée sur des valeurs guerrières. “Fascisme mouvement” ou “fascisme régime” paraissent liés étroitement à l’impérialisme et aux faits guerriers ; totalitarisme et éthique de guerre vont ici de pair pour créer une communauté soudée, militarisée tout entière tendue vers une entreprise de domination que porte en lui le fascisme.
Pour résumé, les organisations réactionnaires oeuvrent pour un retour à la tradition(par exemple FRANCO en Espagne), ce qui n’enlève rien quant à la dureté du régime politique et social lorsqu’elles sont au pouvoir ; l’idéologie des seconds comporte un discours qui, à la base, se veut révolutionnaire, dans le sens où le fascisme milite pour un ordre nouveau. En outre leurs conceptions de l’être humain ainsi que des rapports sociaux sont différentes, pour ne pas dire opposées.

LE FRONT NATIONAL : DANS LA TRADITION DE VICHY !

Il y a déjà eu maintes travaux sur le programme du Front National, son histoire, la base de son électorat … pour reprendre, dans le cadre de cet article, tous ces éléments ; voyons donc quelques points qui différencient le Front National des partis fascistes de l’entre-deux-guerres . Tout d’abord le FN n’est pas un parti de masse ni un parti-armée, encore moins organisé militairement, ni fanatiquement dévoué à son chef . Le FN s’affirme être ancré à droite, alors que le fascisme se veut une solution de troisième voie, située entre le libéralisme et le socialisme. En fait son but est de rassembler le peuple autour de la nation, ce qui le conduit à gommer toute les différences entre les individus et catégories sociales ; cela le conduit à “vouloir aligner la nation toute entière sur un même modèle, donc à devenir un totalitarisme” .Le Pen par contre, souhaite l’épanouissement de l’individu (bien que se référant à Maurras, l’individu en fin de compte, doit se subordonner au corps social) et l’Etat doit permettre le développement harmonieux des cellules naturelles du corps social (famille, communautés religieuses, entreprises …). Le FN ne prône pas un discours guerrier qui est l’apanage des organisations fascistes et son nationalisme est défensif ; de même si parfois Le Pen se déclare impérialiste, celui n’a d’autre fonction que de promouvoir un passé colonial ou exprime une position de repli par rapport à la constitution de l’Europe.
En fait le FN s’inscrit dans la tradition de l’extrême droite fran« aise ; Le Pen n’est pas fasciste au sens où Mussolini et Hitler pouvaient l’être, mais il est l’héritier direct du vichyisme. “Il l’est surtout par le syncrétisme de la formation dont il est le leader et du corpus idéologique que lui-même et ses amis ont peu à peu constitué. Y coexistent, non sans contradictions, le vieux fond contre-révolutionnaire et maurrassien — dont se réclame d’ailleurs la fraction intégriste du mouvement, groupée autour de R. Marie et du journal Présent — et la tradition du « national-populisme » … Au premier, le courant lepéniste emprunte sa conception d’un Etat fort mais réduit à ses fonctions régaliennes, l’idée d’un ordre politique calqué sur l’"ordre naturel", sa recherche d’un compromis entre l’autorité et les libertés( distinctes de la Liberté qui n’est qu’un "principe métaphysique", son souci de restaurer les « communautés naturelles » que sont la famille, la région, le métier…”
De la seconde, héritière à la fois de la droite « révolutionnaire », du nationalisme ligueur et aussi d’un « fascisme » qui a, chez nous, sa spécificité et ses limites, il tire son obsession de la décadence — avec les symboles pathologiques qui s’y rattachent, hier l’alcoolisme et la syphilis, aujourd’hui le Sida —, sa propension à en dénoncer les « coupables » (les étrangers, désignés de manière explicite ou elliptique, mais aussi les « rouges » et tout ceux qui ont introduit dans notre société le « laxisme » et ont ainsi concouru à l’affaiblissement de la nation), son appel, un peu plus discret qu’autrefois mais toujours vibrant … au héros, au guide charismatique, à l’homme providentiel qui doit nous arracher au déclin et rendre la parole au peuple.”

Force est donc de constater que le FN n’est pas un parti fasciste, au sens historique du terme, car il n’a pas pour vocation de proposer un “ordre nouveau”, ayant des finalités totalitaires, motivé par des penchants révolutionnaires ; au contraire il œuvre plutôt vers un retour des”valeurs traditionnelles”, et ce pour endiguer la décadence dans laquelle évoluerait actuellement la société fran« aise ; il est donc un parti réactionnaire ou ultra-réactionnaire. Le FN n’a pas pour objectif de fa« onné un “homme nouveau”. Sa conception de l’Etat fort ne se traduit pas par une volonté de contrôler et de diriger l’économie ni d’avoir le monopole sur les moyens de formation, d’information et de connaissance, ce qui est le cas pour le fascisme. L’action de l’Etat doit se cantonner essentiellement au niveau de la défense, de la sécurité, police, justice, monnaie, affaires étrangères.
Amalgamer le FN à un parti fasciste ne permet que des raccourcis qui ne peuvent être des outils efficaces pour lutter contre la montée des idéologies et politiques autoritaires et sécuritaires. Pire ce type de discours laisse le champ libre aux gestionnaires et autres gouvernants pour effectivement réaliser leurs choix politiques, à savoir poursuivre le processus de dualisation et qui a pour corollaire l’exclusion sociale et politique de catégories de population. En effet ce processus implique, entre autre, “d’une part, par « moins d’Etat » pour le capital c’est-à-dire un désengagement relatif de l’appareil d’Etat à l’égard de ses fonctions de gestionnaire de l’accumulation du capital : en tant qu’Etat entrepreneur (producteur des moyens sociaux de production), protecteur (Etat-providence), régulateur (ce qui implique la déréglementation des marchés), planificateur ; d’autre part, par plus plus d’Etat contre les travailleurs : renforcement de l’appareil d’Etat dans ses fonctions répressives d’assistances, de surveillance et de contrôle social pour faire face à toutes les éventualités résultantes de la marginalisation qu’engendre l’exclusion sociale” .
Le problème est bien la montée des idéologies et politiques autoritaires et sécuritaires, pendant des logiques d’exclusion sociale ; que le FN représente un courant qui prône ce type de choix politique, surtout qu’il est permis l’ouverture d’espaces idéologiques les légitimant certes, mais pour l’instant il n’est pas au pouvoir ; c’est bien le Parti Socialiste qui, depuis plus dix ans, gère de fa« on à satisfaire les besoins du capital, donc qui met en place cette société d’exclusion porteuse en effet d’ordre sécuritaire et donc autoritaire . Si l’on veut lutter radicalement contre la montée des idéologies et politiques autoritaires et sécuritaires, l’on doit combattre les politiques d’exclusion sociale, quelques soient les forces politiques qui les mettent en place ou les défendent !
JC
Groupe LA CANAILLE/NO PASARAN
c/o MANTA
B.P. 2838
37 028 Tours cedex 1


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