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A trop jouer avec le feu…


Comme il y a sept ans, le score élevé du Front National provoque de nombreuses réactions, prises de position, (bonnes) résolutions et vœux pieux. Aujourd’hui, les moralistes de la gauche et de la droite nous appellent à nous " ressaisir " pour faire barrage à Le Pen en votant Chirac.


Qu’avons-nous vu depuis sept ans où la mobilisation anti-FN était déjà de mise ? Le plan Juppé et les manifestations contre celui-ci : le silence gêné de la gauche de pouvoir, le mépris affiché des intellectuels de gauche, des syndicats jaunes, et de la droite, nous expliquant qu’il n’y avait pas d’alternative à une politique libérale. Il faut se rappeler de l’exemplaire présentateur Cavada, méprisant la parole des grévistes en direct à la télévision. Et pourtant, pendant ce mouvement social le Front National a connu une éclipse tellement significative. Mais peut-être n’est-il pas bon de laisser l’antifascisme aux masses ? Pendant ces années, ce fut également la chasse aux sans papiers menée par Debré, encouragé par des députés de droite prêts à s’allier avec le FN pour continuer à aller à la soupe. La gauche morale bien silencieuse publiquement faisait comprendre en privé qu’effectivement on ne peut pas " accueillir toute la misère du monde ". Accréditant ainsi l’idée que la chasse aux immigrés était compréhensible, et qu’à défaut de s’attaquer aux riches il fallait s’attaquer aux plus précaires. Fallait-il comprendre qu’en expulsant les immigrés on luttait contre la pauvreté ?

Le retour de la gauche au pouvoir

Un retour au pouvoir en 1997, grâce aux artifices mitterrandiens. Mitterrand qui avait compris dès 1983 qu’en favorisant médiatiquement l’extrême droite on pouvait casser la droite et rester plus longtemps au pouvoir. Aux législatives de 1997, la machine à faire perdre la droite fonctionne très bien, et grâce aux nombreuses " triangulaires " (qui voient s’opposer au second tour un candidat de droite, un d’extrême droite et un de gauche) la gauche morale arrive au pouvoir. Cinq années de bonheur extrême où les sans papiers, les chômeurs, les salariés, les couples homosexuels apprennent le sens du mot compromis, à coups de matraque s’il le faut. Régularisation des sans papiers, mais pas de tous, " on ne peut pas accueillir… ", ça ferait le jeu du Front National. Compromis avec les lois anti-immigrés Pasqua-Debré, qu’on accepte définitivement en les révisant un peu. On divise le mouvement des sans papiers grâce à l’individualisme, en régularisant au cas par cas, en obtenant la démobilisation des militants de gauche égarés dans cette lutte.

Le compromis avec les chômeurs et précaires est tout aussi pervers. Quelques très petits milliards pour calmer les coups de matraques. Et puis surtout la promesse d’une " société du travail " contre la société de l’assistance. Société du travail précaire, pour écarter une oisiveté mère de tous ces vices : occupation, émotions, réflexions, conscience de la force collective. Le chômage de masse, durable fera place à un chômage plus dynamique, avec une ou deux heures de travail par ci par là. Ils voulaient du travail après tout ? Et pour ceux qui décidément n’ont pas compris que le travail salarié était l’avenir radieux, la mise en place du PARE, concocté par le patronat, mais si proche de la philosophie de " la société du travail " chère à Jospin : beaucoup de travail et peu de revenus. Compromis avec les salariés sur la diminution du temps de travail. Le temps libre c’est tellement populaire que tout le monde applaudissait une telle promesse. Les cadres en ont été exclus de fait, et puis les autres salariés ont vite compris qu’ils perdraient des avantages pour gagner ce temps libre : renégociation à la baisse des conventions collectives avec notamment le grappillage des temps de pause, blocage des salaires, flexibilité des horaires.

Vous reprendrez bien un peu de sécurité

Le bonheur encore, avec un ministre de l’Intérieur passé chez les morts, qui sait parler des " bandes ethniques " de Le Pen tellement plus poliment. " Sauvageon " est même devenu un nom commun pour certains journalistes. Pour ceux qui avaient mal compris le sens du terme, Georges Sarre, le copain du miraculé, l’a décodé pendant la campagne présidentielle, parlant des " sauvages ".

Ce ministre, futur candidat a permis de décomplexer un peu plus le discours lepéniste à gauche. Au premier tour, son opération est tellement réussie que le " Lion de Belfort " est dépassé dans son fief par Le Pen lui-même… Dans la même veine, on ne peut que tirer son chapeau devant Chirac qui en lançant sa campagne à Avignon voulait montrer qu’il plaçait bien sa campagne sous le signe de la Sécurité. Ville RPR, conservée en 2001 grâce à une surenchère sécuritaire, c’est Le Pen qui y est arrivé en tête… Vraiment à désespérer de faire de la démagogie. On ne peut que donner raison à Bruno Gollnisch (n° 2 du FN) quand il déclare "Nous n’avons pas eu besoin de faire campagne. Les autres candidats l’ont faite pour nous". Le premier ministre Jospin aura été digne de ses prédécesseurs Balladur et Juppé. En livrant les salariés du public aux joies du marché, en voulant faire admettre une bonne fois pour toute que la modernité c’était le SMIC à vie, la retraite avec un petit boulot complémentaire, les contrats courts ou les pauvres dans la rue. Encore qu’il ait pensé à ceux-ci en promettant " zéro SDF " pour 2007, programme tout à fait réaliste et conforme aux capitalisme à condition d’augmenter le nombre de places en prison. Pas besoin d’être anarchiste pour voir dans cette modernité un remake plus technique du 19ème siècle, avec ses domestiques, son embauche journalière, ses flics et ses mouchards.

Front républicain ?

Nos moralistes qui tiennent un discours anti-immigré et sécuritaire pour ne pas en laisser le monopole à Le Pen vont-ils maintenant lui laisser le monopole du discours anti-Chirac ? Visiblement oui, car un " front républicain " du PC au RPR en passant par la CGT, la CFDT, le PS, est en train de se constituer.
Un tel front républicain est une aubaine pour Le Pen, il n’aura ainsi pas trop besoin d’expliquer qu’il est le " candidat anti- système ". On l’a dit, il pourra aussi se placer comme le candidat " aux mains propres " face à un escroc patenté. C’est pour le courant d’extrême droite un gage pour l’avenir : aucun changement social notable n’étant à attendre, les termes du débat se reposeront d’eux-mêmes dans cinq ans. Même sans l’effet propre à la personnalité de Le Pen, le courant d’extrême droite qui sera présent pourra se présenter comme l’ultime alternative. Car le " front républicain ", avec les années, se déplace vers la droite, une évolution qui suffit à juger de son efficacité réelle sur le long terme. Sans vouloir faire de parallèle historique, on rappellera que la stratégie des sociaux-démocrates allemands d’avant-guerre a été similaire, soutenant d’abord les gouvernements libéraux à partir de 1928 avant de soutenir, en 1932, Hindenburg l’homme qui choisit finalement Hitler comme chancelier. Appeler au plébiscite de Jacques Chirac est somme toute logique pour la gauche de droite, incarnée par Notat, Fabius, DSK ou Aubry.

Ce sera par contre plus douloureux à accepter pour ceux des militants ou sympathisants de gauche qui connaissent aussi bien que nous les mécanismes du capitalisme. Ce sera on l’espère l’occasion pour eux de rompre définitivement avec ceux qui n’ont toujours vu le peuple que comme une masse électorale. Il est symptomatique de voir les socialistes s’appuyer sur la jeunesse des manifestant-e-s anti-FN pour préparer leur campagne législative. Il n’est en effet pas certain que le repoussoir Le Pen suffise à faire oublier aux plus de trente ans ce qu’ils doivent à la gauche en matière de précarisation.

Les luttes concrètes pour améliorer nos conditions de vie ne manquent pas, par contre, elles manquent souvent de militants pour les organiser. La meilleure façon de faire barrage aux idées de Le Pen reste ce terrain sur lequel l’entente est possible avec d’autres.

Tarane - Scalp Rennes


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