Retour accueil

AccueilAnalysesAntifascisme > Refuser la banalisation du Front National

Rechercher
>
thème
> pays
> ville

Les autres articles :


Refuser la banalisation du Front National


Publié dans le Monde libertaire, numéro1001, 25 au 31 mai 1995

"Ils ont tué ! Les salauds !" On s’étonne, on dénonce, on manifeste : tous unis contre le racisme et les skinheads... On pointe le FN et son idéologie, mais on oublie les lois discriminatoires vis-à-vis des immigrés, les attaques contre ceux qui aident et hébergent des sans-papiers. Mitterrand et le RPR y vont de leur discours contre la haine et la violence. Très bien ! Et pendant ce temps, tout le monde a été à la pêche aux voix du FN pour le second tour...


image 255 x 187 Y-a-t-il un retour des skins ?

Depuis dix ans les violences racistes ont tué plusieurs dizaines de personnes, qu’elles soient le fait de skinheads, de racistes ou de policiers. Rappelons-nous les années 88-90, les attaques de concerts et les ratonnades par les skins. Mais les skins ont dû rabaisser leurs prétentions, entre autres grâce à l’action des militants antifascistes, des jeunes des banlieues... Les groupes politiques auxquels les skins étaient liés : le Parti nationaliste français européen (PNFE), les Faisceaux nationalistes européens (FNE), l’Oeuvre française, ont eu quelques démêlés avec la police et ont dû faire profil bas. Des militants très connus comme O. Tod de Tours, propagateur des idées du Klan en France a dû se calmer après avoir fait plusieurs séjours en prison. Pour autant, la scène skin underground est restée très vivante comme l’indiquent les nombreux rassemblements clandestins permettant de tisser les liens, les multiples zines (plus d’une trentaine) faisant l’éloge de la musique oï, des idées nazies et nationales-socialistes, du racisme..., et enfin une implantation dans la plupart des groupes de supporter de football.

Moins exubérants, les skins sont aujourd’hui sûrement plus déterminés. Si le Front national (FN) a servi sur un plateau ceux de Reims à la police, c’est qu’il les connaît bien et se sert d’eux pour les tâches qu’ils affectionnent : collage, service d’ordre, actions coup-de-poing. Ils n’ont pas la carte du FN dans leur poche, mais les idées de Le Pen dans la tête. Et comme le Parti nazi affectionnait tout particulièrement les SA dans les années 20, pour faire la chasse aux Juifs et aux communistes, le FN ne déteste pas recourir aux services des skins pour ses basses oeuvres. Pour autant, ceux-ci sont difficilement encartables. Ils préfèrent fonctionner en bandes, avec leurs leaders, et les bastons entre eux ne sont pas rares.

Leur nombre reste encore "faible" (2 000 en France), même si leur présence est plus que dérangeante... Au-delà de la compréhension de la galaxie skin, il ne faut pas oublier le contexte politique dans lequel s’est produit ce meurtre.

Consensus politique contre les immigrés et apathie antifasciste

Pendant la campagne électorale, le discours politique de la part du Parti socialiste et de la droite classique sur l’immigration et la sécurité était consensuel (cf. No Pasaran, numéro 26, avril 1995). Tout le monde était d’accord sur les lois Pasqua et le renforcement policier au quotidien (îlotage, polices municipales, renforcement des milices dans les lieux de consommation et de transport...). Le Pen, quant à lui, continuait de distiller ses petites phrases xénophobes, ne dénonçant pas le meurtre d’lbrahim, à Marseille, par trois de ses colleurs d’affiches au mois de février. Il rappelait même que cela avait permis de mesurer l’importance de la communauté comorienne en France .

Les manifestations antifascistes, à la différence de la campagne de 1988, n’étaient plus de mise pour la gauche traditionnelle : Parti socialiste et Parti communiste, même si le candidat Hue déclarait être le seul candidat anti-Le Pen. Selon le contexte local, les manifestations antifascistes ont réuni de quelques dizaines de personnes (Paris) à plusieurs milliers (Lyon, Nantes, Rouen...), mais n’ont pas eu droit de cité dans les médias.

Certains groupes - Scalp,"Ras l’Front", le réseau "No Pasaran !" - continuent de faire de la lutte antifasciste un axe majeur dans les mobilisations de ces dernières années sur le logement, les exclusions, la précarité, la solidarité avec les étrangers. Souvent, on leur a reproché : soit que le FN et Le Pen n’étaient pas un danger (de la part de la gauche traditionnelle), soit qu’il fallait mettre tous les problèmes sur le dos du capitalisme ou du PS (voir à ce sujet les analyses de certaines organisations libertaires, de Lutte ouvrière...)

Et le 1er mai, lors de la manifestation libertaire arrivée sur la place de la République à 12 h, l’appel antifasciste du groupe Reflex-Scalp a été ignoré par les autres organisations... mesurant les forces en présence (policières et fascistes), il s’agissait avant tout de montrer que les parades de Le Pen et de ses sbires ne pouvaient pas rester sans réaction, aussi limitée soit-elle. Deux jours après, tout le monde en appelait à un sursaut antifasciste et disait que vraiment Le Pen était un raciste. Comme s’il fallait encore un meurtre pour dire une telle banalité ! Sortir de la simple dénonciation et réfléchir à une stratégie antifasciste serait préférable au simplisme consistant en une dénonciation des manquements socialistes et de l’hypocrisie de droite quand ils se retrouvent main dans la main contre Le Pen.

Autonomie et convergence dans les luttes

Certains voient dans le troisième tour social une aubaine pour les idées révolutionnaires. Ou dans la "révolte" des banlieues, des motifs de satisfaction sur le bien fondé de nos analyses. Il serait temps de sortir de ces schémas pré-établis qui s’apparentent plus à la méthode Coué qu’à une convergence des mouvements sociaux vers une remise en cause de la société à plusieurs vitesses. Qui sait si les déchirements de nos sociétés, I’atomisation et la perte des repères n’entraîneront pas l’appel à un homme providentiel ? A droite, certains s’en réfèrent à de Gaulle et au pacte républicain, mais il pourrait y avoir des surprises.

Depuis plus de quinze ans, la société s’est droitisée. Les valeurs "progressistes" sont loin d’être dominantes dans les milieux déshérités. Et au sein des classes moyennes, on se bat avant tout pour obtenir une plus grande part du gâteau. Certes, I’émergence du Droit au logement (DAL) et d’« Agir ensemble contre le chômage ! » (AC !), comme mouvements revendicatifs larges n’est pas à négliger. Au-delà de nos différences politiques - divergences sur le rapport avec le Parti socialiste -, avec ces regroupements, il y a aussi de réelles divergences sur les analyses et les revendications. Nous ne nous battons pas pour un "capitalisme à visage humain".

Offrir des perspectives novatrices comme le propose l’initiative « Appel pour une coordination des luttes contre les exclusions » (publiée dans le Monde libertaire n°ree ; 999) trace quelques lignes forte sur l’autonomie dans les luttes, la place du travail, le besoin de fonder une société basée sur la qualité et non la quantité... Plus globalement, la refondation d’un courant révolutionnaire passe par une interrogation de l’ensemble des facteurs scientifique, culturel, politique, économique... et doit s’articuler avec des pratiques militantes.

Dans ce cadre, l’antifascisme radical a toute sa place et reste plus que jamais nécessaire. Le développement des idées et pratiques sécuritaires, du fascisme dans toute l’Europe - bien sûr, il faut s’extraire d’un mimétisme d’avec les années 30 -, de la légitimation des idées différentialistes et racistes, des politiques discriminatoires doivent faire l’objet d’une sensibilisation et d’une information continues. Concrètement, il s’agit aussi de renforcer les actes de désobéissance civile (contre le flicage quotidien, les caméras-vidéo, pour l’accueil des réfugiés et des sans papiers) et d’appliquer autant faire se peut la maxime : « Pas de racistes et de fascistes dans les quartiers, les lycées, les facultés... », en associant le maximum de personnes, en développant l’auto-organisation et la prise en main par les gens de leur devenir, par une citoyenneté active retrouvée.

Défendre notre autonomie d’action et de réflexion en prenant part aux luttes sans vendre notre âme au nom d’une unité politique factice et mythique (reposant sur le mouvement ouvrier et la gauche, sur l’opposition Capital/Travail) et refuser la banalisation des actes racistes et fascistes est un combat de tous les jours.

Géronimo

Reflex-Scalp, Paris

image 240 x 180


No Pasaran 21ter rue Voltaire 75011 Paris - Tél. 06 11 29 02 15 - nopasaran@samizdat.net
Ce site est réalisé avec SPIP logiciel libre sous license GNU/GPL - Hébergé par Samizdat.net