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AccueilJournalNuméros parus en 2004N°26 - Janvier 2004 > Entretien avec Olivier Cyran, rédacteur de CQFD

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Entretien avec Olivier Cyran, rédacteur de CQFD


Aujourd’hui la presse semble être prise de plus en plus dans le tourbillon de la normalisation. Certains titres, comme PLPL ou CQFD, réussissent à faire une information différente avec un ton différent. Olivier Muller-Cyran de CQFD répond à nos questions.


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No Pasaran : Peux-tu m’expliquer comment le journal est né et ce qui a motivé ses créateurs ? c
Olivier Cyran :
On s’est contenté de suivre la recette ! Mélanger une poignée de chômeurs insoumis élevés dans l’antimilitarisme et la défense des immigrés, ajouter un journaliste en rupture de ban, deux ou trois copains pigistes rodés à la précarité, quelques amis dessinateurs et graphistes prêts à donner un coup de main, lier à tout ça une bonne ration d’apéros, de débrouille et d’amitié, et voilà... Ah oui, j’oubliai l’ingrédient principal : l’envie de faire ensemble un journal qui ne soit ni le bulletin paroissial de telle ou telle chapelle ni une énième « entreprise de gauche » vendant de la contestation sans jamais la pratiquer, un journal de chômeurs qui s’organisent sans patron ni sous-chefs, et qui mettent à profit leurs réseaux militants pour produire une information non pré-mâchée, exprimée avec la liberté de celui qui ne rend de comptes à personne sauf à ses lecteurs.

Qu’est-ce qui a servi de déclic ?

tvAu départ il y avait le RIRe, la revue du Réseau d’information aux réfractaires, un collectif marseillais d’inspiration libertaire composé de militants condamnés pour insoumission au service militaire. Fabriqué « en amateur », le RIRe avait réussi en plusieurs années de parution à développer un vrai savoir-faire, aussi bien dans la technique (maquette, fabrication, distribution militante...) que dans la recherche d’infos, notamment sur les marchands d’armes. Mais sa diffusion restait confidentielle. Dans le même temps, comme certains membres du collectif étaient largement impliqués dans les réseaux de soutien aux demandeurs d’asile et aux immigrés en voie d’expulsion, des rencontres se sont nouées sur ce terrain avec des gens venus d’autres milieux mais qui partageaient les mêmes idées et les mêmes envies de dire et d’agir. C’est comme ça que j’ai moi-même rencontré les gens du RIRe en 1999, quand je travaillais encore à Charlie Hebdo et que je suivais d’assez près les luttes des sans-papiers. Une rencontre mémorable. Du coup, après mon licenciement de Charlie en 2001, et après quelques piges pas très marrantes dans des canards qui te paient autant qu’ils te motivent, c’est à dire très peu, je suis descendu à Marseille pour faire un bout de chemin avec la bande, du moins aussi longtemps que durerait mon chômage. D’autres se sont joints à nous, et c’est comme ça qu’est née l’envie de transformer le RIRe en un journal plus offensif, plus complet et plus pêchu. Résultat : CQFD !

Vous parlez souvent « des média qui mentent » dans vos articles. Qu’elles sont vos différences avec eux ?

L’expression « les média qui mentent » est plutôt la spécialité de PLPL. On pourrait la reprendre à notre compte, mais ce serait du plagiat ! Par ailleurs, même si l’on aime bien débusquer les mensonges médiatiques dans les domaines qui nous intéressent - la propagande sécuritaire, par exemple -, le discours des médias n’est pas franchement au cœur de nos soucis. C’est plutôt leur fonctionnement qui nous intéresse, la façon dont ils reproduisent en interne les schémas de domination propres au monde de l’entreprise, y compris - et parfois surtout - dans cette presse dite « de gauche » qui dénonce les injustices tout en en fabriquant d’autres. Les
médias ne mentent pas forcément : dans leur vie de bureau et sur les fiches de paie, ils disent même très souvent la vérité.

Comment se passe l’élaboration du journal ?

Les décisions sont prises par un comité de rédaction qui comprend sept personnes, dont trois « permanents » - un Rmiste et deux chômeurs - qui ont mandat pour assurer le suivi de la rédaction, de la fabrication et de la diffusion. A ce noyau dur s’ajoutent une vingtaine de collaborateurs extérieurs, rédacteurs, dessinateurs, graphistes, vendeurs à la criée, copains divers. Chaque mois on cherche à trouver ou préserver le bon équilibre entre un fonctionnement libertaire (partage des responsabilités, choix collectifs) et une certaine exigence d’efficacité, qui oblige parfois à prendre des initiatives personnelles. C’est pas toujours évident, mais ce n’est ni impossible ni désagréable d’essayer. Dans nos parcours, nous avons tous eu un jour ou l’autre à subir les méfaits de la hiérarchie et des abus de pouvoir, d’où une assez grande vigilance à ne pas tomber nous-mêmes dans ce merdier.

Qui peut écrire dans le journal ?

N’importe qui, du moment qu’il a des choses à nous apprendre ou des choses pour nous surprendre. Dans les pages de CQFD, on trouve un cheminot, un chanteur de rap, un bassiste de groupe punk, un postier, un taulard, des photo-bulleurs, des chômeurs et même des journalistes - alors pourquoi pas n’importe qui ?

Comment vous situez vous par rapport à Charlie Hebdo, le Canard Enchaîné et PLPL ?

On a des affinités naturelles avec PLPL, mais nos principes de fonctionnement sont différents des leurs : nous, on marche en bande, eux, ils bossent plutôt chacun de leur côté. Le Canard ? Il y a des lecteurs qui nous affublent de l’étiquette « Canard enchaîné de la gauche radicale », au motif qu’on dévoile parfois les turpitudes de certaines personnalités classées comme contestataires. La comparaison n’est pas infamante, mais je ne crois pas qu’elle soit judicieuse pour autant. Ne serait-ce que parce que le rédac-chef du Canard gagne plus de 10 000 euros par mois, alors que chez nous, on ne gagne que des capsules de bière. Par contre, ceux qui nous taxent de « Charlie anar » se fourrent complètement le doigt dans l’œil : nous, on n’a pas de patriarche, ni de patron, ni de patron-adjoint, ni de sous-patron adjoint, ni de copain au patron qui guigne la place du sous-patron adjoint, ni d’actionnaires, ni de poursuites aux Prud’hommes par d’anciens salariés virés parce qu’ils ne riaient pas aux blagues du patron.

Quels sont vos moyens de diffusion et qu’est ce qui a motivé ces choix ?

On a d’abord nos abonnés : c’est grâce à eux si on paie notre imprimeur rubis sur ongle. On vend aussi dans les manifs, sur les tables de presse ou dans des librairies militantes, grâce au réseau de Co-errances, une coopérative de diffusion avec laquelle on partage la même envie de développer des espaces d’expression alternatifs. Par ailleurs, comme on a aussi envie de rendre notre aventure économiquement viable, on vend notre canard en kiosques. Chaque mois, dix mille numéros de CQFD sont donc distribués par les NMPP, filiale monopolistique de Hachette, propriété du marchand de canons Lagardère. Ça nous reste un peu à travers du gosier, mais c’était ça ou prendre le risque de finir au RMA dans une halle aux chaussures.


Entretien réalisé par Dunadan


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