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AccueilJournalNuméros parus en 2004N°26 - Janvier 2004 > La dictature de l’actualité

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La dictature de l’actualité


Citation classique d’une conférence de rédaction banale : « faut parler de ça, c’est l’actualité ». « On ne peut pas passer à coté de cela, c’est l’événement ».
L’actualité est au journaliste, ce que sont les petits fours pendant les réunions d’ATTAC : une culture.


Une culture qui se transmet de fait aux victimes des « journalistes », ceux et celles qui malheureusement les écoutent, les lisent ou les regardent. Il faut lire (le texte qui suit en est largement inspiré) les écrits de F. Brune sur l’événement (« Les médias pensent comme moi »).

1 - L’événement, qui fait l’actualité doit rapporter de la thune (en langage de presse, intéresser le receveur de l’information). « La fin de la grève chez Arcade, c’est marginal, expliquait à un chevelu agacé un des rédacteurs en chef de France Info lors d’une visite à l’IUT de journalisme de Bordeaux. Regarde plutôt le Parisien, ils ont souvent de bons sujets. Tiens ! La baisse des ventes d’automobiles, c’est plus d’actualité. Tout ce qui est social ou politique, c’est des sujets faciles à traiter. Entre nous, ce ne sont souvent pas des sujets excitants. L’auditeur, il préférera ce sujet (la baisse des ventes automobiles). »

2 - L’évènement n’est pas là pour s’interroger mais pour relater (la fameuse pseudo objectivité journalistique). A quoi bon fâcher les auditeurs/rices en déclamant un avis personnel ? Un quoi ? Un avis personnel. Mais on n’est pas là pour dire ce que l’on pense mais pour dire ce qui se passe. Autant faire avaler à nos clients des informations toutes crues sous couvert d’une prétendue neutralité.puj Le syndrome agence de presse frappe toutes les rédactions. Mais pourquoi, parmi les milliers de dépêches qui tombent chaque jour, n’en choisir qu’une dizaine (et de surcroît, les mêmes) ? Et puis, cette prétendue neutralité des agences n’est qu’un leurre. La subjectivité se retrouve non seulement dans la façon de relater l’évènement (les choix des interviewé-es par exemple) mais surtout dans le choix de ces derniers. Le nombre de correspondants pour l’Agence France Presse (AFP, enfin afp) se compte sur les doigts de la main, ce qui fait que l’on dénombre sur le fil afp (la drogue des « journalistes » avec les receptions mondaines) beaucoup plus de dépêches « people » (plus vendeuses) que de dépêches parlant du continent africain. Une fois la dépêche tombée, le « journaliste », l’imprime, change deux ou trois mots et la fait sienne, sans réfléchir. Cela donne : « Encore un accident de travail. Un jeune arabe est tombé du toit. Ce malheureux accident… » Pas d’explication, un fait présenté brut. Or une simple enquête (voir les travaux de F. Ruffin dans la revue Fakir et de PLPL (pour lire pas lu) notamment) pourrait permettre d’expliciter cette « accident » (les normes de sécurité étaient-elles respectées ?…).

3 - Car l’événement est juste là pour que les receveurs/euses de l’information puissent se sentir impliqué-es. Quoi t’es pas au courant ? L’actualité doit aggriper, tenir en haleine jusqu’à la prochaine publicité. Pour tenir en haleine, l’événement doit faire appel aux sentiments, à l’affectivité. C’est la loi de proximité. Cinq morts français valent plus que 15 allemands, 30 palestiniens, 150 chinois…

4 - L’événement est rapide. L’actualité qui traîne ne fait plus vendre (sauf quand les médias décrètent qu’il n’y a pas d’actualité, et là, le moindre fait divers peut durer des mois (cf la lente agonie médiatique de Marie Trintignant)). L’événement frappe aussi vite qu’il ne disparaît. L’éphémère événement montre chaque jour son aspect dérisoire. On ne peut traiter en une minute un problème économique et social. Par contre il est plus facile de baver sur le dernier bouquin de bhl, de werber, de saliver sur une polémique politique bidon, qui sera remplacée dès le lendemain par la journée de la faim, virée elle-même par un accident de voiture ou par les résultats d’un match de football.

5 - L’événement est simple. Il est plus facile de rapporter une phrase choc de la part de « bons clients » (voir à ce sujet les interventions de noël mamère) prêts à rentrer dans le moule imposé par la presse (40 seconde en radio,…), plutôt que d’analyser en détail un discours politique. Il est plus simple d’annoncer des licenciements que de traiter des méfaits du libéralisme. « Des épiphénomènes masquant des inégalités de fond », explique F. Brune.

6 - L’événement est une dictature. On grossit un fait, on lui donne de l’importance pour mieux oublier les sujets vraiment pertinents. Les médias donnent l’illusion de donner de l’information alors qu’ils ne font qu’occuper des enfants. Répéter, les évènements, c’est y adhérer, c’est se faire le relais de cette dictature. Et personne n’est à l’abri. Sortir un hors série, des dossiers antifasciste à l’approche d’élections (« l’actualité militante de l’année 2004 ») c’est cautionner un vote dénoncé par ailleurs. Nous sommes hélas tous/tes soumis-es à l’événement. Combien d’évènements erronés ont été démenti par la suite ? Les articles d’excuses des médias envers le bagagiste de Roissy (accusé à tort de terrorisme) ne doivent même pas atteindre le quart de tous les papiers qui l’avaient traîné dans la boue.

7 - Les événements, ce sont le crack du peuple. Ils se succèdent en faisant croire à la société qu’elle évolue alors qu’elle régresse(2). Adhérer à l’événement, c’est être de son époque. Mais une époque du « prêt-à-opiner », souligne judicieusement F. Brune. La parole, les réflexions se taisent devant l’événement. Nos opinions, à quelques nuances près, deviennent identiques. Ils suffit d’observer les réactions étudiantes dans des amphi en grève pour s’inquiéter sérieusement quant à la disparition des mots « réflexions par soi-même » dans un court avenir. Des opinions confortées par ces mêmes médias qui les donnent (on déteste tous/tes raffarin en même temps, on se soucie tous/tes des accidents de la route au même moment…) Le taux d’écoute augmente pendant que la parole se tait devant ces sophistes contemporains. Halte à l’info-réalité. Halte au publicités genre « l’actualité en temps réel, nous interrompons nos programmes pour vous faire vivre l’évènement en même temps que tout le monde, en direct. » C’est quoi le temps réel ? C’est suivre les avions qui vont s’écraser sur les tours ? Mais pour des parents ayant eu un enfant le 11 septembre 2001, l’événement de la journée sera bien évidemment la naissance. Tout est d’actualité sans l’être. Il faut sortir de : « y’a pas d’actu en ce moment ». Pourquoi des élections seraient plus couvertes par des anar que des ouvertures de squat, ou encore des actions écologiques quotidiennes (genre des personnes qui n’utilisent jamais de voitures (3)…) ?


Antoine


1) Voir à ce sujet le dernier numéro de PLPL qui a observé les unes le lendemain de l’annonce du budget de la France pour l’année 2004 (qui a priori concerne 60 millions de personnes). Rien que dans la presse écrite quotidienne, 25 titres (sur les 34 observés) consacrent leur une sur la mort de Vincent Humbert, un jeune tétraplégique euthanasié avec l’aide de sa mère (fait qui ne concerne que quelques familles).
2) Quand la télévision a été introduite en prison, le nombre d’émeute a baissé. En moyenne, les détenus dépensent plus pour la télévision (en troisième position dans leur dépenses) que pour l’hygiène. Consultez le dossier sur la télévision paru dans la revue l’œil électrique.
3) Lisez la revue Silence.


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