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AccueilJournalNuméros parus en 2007N°64 - Décembre 2007RATIONALISATION CAPITALISTE DE L’ESPACE PUBLIC > VÉLORUTION VOLÉE

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VÉLORUTION VOLÉE


Parmi les évolutions récentes des villes, on en relèvera une qui, si elle peut paraître sympathique au premier abord, est néanmoins très significative de la marchandisation à l’oeuvre dans l’espace public, aux côtés de la privatisation rampante des services publics locaux (avec l’entrée des capitaux privés par le biais des sociétés d’économie mixte) et aux côtés du déferlement des nouveaux supports publicitaires urbains tels les journaux dits « gratuits », ou tels les journaux d’information des collectivités locales où il est difficile de distinguer la publicité de la promotion d’évènements payants ultra-sponsorisés.Ce dont nous souhaitons parler ici, c’est l’apparition dans nombre de grandes villes (Marseille, Aix-en-Provence, Mulhouse, Besançon, Rouen et Paris, Nantes et Bordeaux demain) du système Cyclocity de l’entreprise JCDecaux.


JCDecaux est une entreprise multinationale de publicité, d’origine française, fondée par Jean-Claude Decaux. Elle est aujourd’hui classée première entreprise internationale pour ce qui concerne le mobilier urbain et la publicité dans les aéroports, elle possède plus 760 000 faces publicitaires dans 4700 villes et est implantée dans 48 pays. Elle revendique une « audience » de 170 millions de personnes par jour. Son chiffre d’affaire avoisine les 2 milliards d’euros. Ce qui a contribué au développement très fort de cette entreprise c’est l’idée d’implanter du mobilier urbain (comme les abribus) sans faire payer les municipalités ainsi équipées, mais en se remboursant, et en faisant du profit en louant les « surfaces » ainsi crées comme supports publicitaires. On peut donc voir dans toutes les grandes villes des abribus vantant en couleurs criardes les mérites de tel ou tel produit. Mais, même si l’abribus permet éventuellement de se protéger de la pluie, il faut bien voir que sa fonction première est de faire de la publicité : preuve en est le remplacement, ses dernières années, des bancs installés sous ces abribus par des sièges ou mêmes des barres pour s’adosser, tous ces équipements ayant pour fonction de rendre impossible la station allongée, afin que la publicité ne soit pas gâchée par la vision d’un clochard ; preuve en est encore ces abribus affichant déjà de la publicité le long d’une ligne de bus pas encore en fonction (vu à Nantes, dans le quartier Malakoff). Comme toute entreprise de cette dimension, est-il nécessaire de le préciser, l’objectif premier et ultime de JCDecaux, c’est de se développer et de faire de substantiels bénéfices afin de satisfaire des actionnaires rapaces.

Le système Cyclocity (en service à Paris sous le nom de Vélib’), quant à lui, consiste en la mise à disposition aux habitants d’une ville, de vélos en libre-accès, situés dans des parkings à vélos, parkings munis d’une borne automatisée permettant diverses choses (identification à l’aide d’une carte à puce ou bien de la carte bancaire de l’utilisateur, comptage à des fins statistiques du nombre de vélos empruntés ou ramenés en fonction des heures, etc...). Une des choses qui caractérise ce système, c’est que l’utilisateur du vélo ne paie pas grand chose (de l’ordre de 1 euro l’heure). Comme pour l’exemple des abribus, ce qui permet à l’opérateur de se rembourser et de faire des bénéfices c’est la location d’espaces publicitaires. Mais dans l’exemple du Vélib’, outre les vélos eux-mêmes, les surfaces publicitaires gagnées par l’entreprise sont des panneaux installés partout dans la ville (1628 supports publicitaires à Paris en échange du système Vélib’). C’est donc un système de troc de la gestion d’une partie de l’espace public à des fins publicitaires contre un service qu’il est impossible de qualifier de « public », puisqu’il n’est ni géré par les utilisateurs, ni par les habitants de la ville où il est implanté, pas plus d’ailleurs que par leurs représentants, qui sont liés par un contrat à l’entreprise privée (à Lyon par exemple, la municipalité à concédé son espace public au publicitaire pour 13 ans !), service qu’il est impossible non plus de qualifier de « gratuit  » puisqu’il consiste pour l’entreprise à vendre l’«  audience » des habitants de la ville, en leur montrant en permanence, où qu’ils posent les yeux, des messages hypnotiques pour des trucs dont ils n’ont pas besoin. Il n’y a donc rien qui distingue le système Vélib’ des journaux dits « gratuits », puisque c’est la publicité qui paye le coût réel du service.

Or, ce système connaît un très grand succès, tant auprès des municipalités, qui sont de plus en plus nombreuses à l’adopter, qu’au près des utilisateurs. A ce succès, on peut envisager plusieurs raisons. C’est tout d’abord, pour les municipalités qui l’adoptent, l’occasion de se (re)faire une virginité écologique à bon compte, en chantant les louanges de ce moyen de déplacement propre et silencieux, ou tout simplement de fluidifier un trafic automobile devenu étouffant, d’autant plus qu’elles n’auront pas déboursé un centime dans l’affaire. Pour les utilisateurs, le succès des bicyclettes de M. Decaux possède sans doute une explication un peu plus complexe qui tient en partie au moins à l’évolution de la population des centre-villes. Il s’agit en effet d’une population de plus en plus aisée et cultivée pour laquelle le choix de se déplacer en vélo ne tient sans doute pas à des besoins d’économie budgétaire (cela n’empêche pas les habitants des centre-villes d’être de plus en plus équipés de voitures, et notamment de 4x4, tandis que cela fait longtemps que les plus précaires marchent à pied ou resquillent dans les transports en commun). Le choix du vélo tient sans doute, par contre, à des raisons de style et de qualité de vie (avec ce que cela comporte de mise en scène de cette qualité de vie « retrouvée »). Sensibilité écologique tendance « Nicolas Hulot », recherche de « l’authentique  », volonté de se voir et de se montrer en train de faire du sport (culte de ce qui est sain/naturel), sans compter que l’une des caractéristiques du vélo, c’est qu’il reste un mode de transport individuel (comme la bagnole) et que par conséquent il n’oblige pas à affronter la promiscuité des transports en communs, voilà, pour partie, ce qui explique le très fort succès du Vélib’ dans des centre-villes recolonisés par les classes moyennes- supérieures.

Or, à se pencher de plus près sur Vélib’ et ses avatars (une autre entreprise multinationale, Clear Channel, tente actuellement de disputer le marché à JCDecaux avec exactement les mêmes produits), à se pencher aussi sur les futurs produits en matière d’aménagement des espaces publics imaginés par ces entreprises (abribus envoyant des SMS publicitaires par exemple), on constate qu’en terme de bilan écologique, les choses sont loin d’être aussi brillantes qu’il n’y paraît au premier abord. Tout d’abord, ces systèmes exigent de maintenir à disposition du consommateur des vélos dans chacune des stations prévues à cet effet et donc des transports en camion de grandes quantités de vélos d’une station à une autre, de plus les panneaux publicitaires installés en échange des vélos sont fréquemment des nouveaux panneaux, électroniques ou défilants, et sont en tout cas systématiquement éclairés, comme le sont les pubs des abribus (à titre d’exemple, un panneau défilant consomme plus d’électricité qu’un ménage français pour ses activités domestiques). On est loin, là, d’une idée de maîtrise des consommations d’énergie. Sur le plan du cadre de vie, inutile par contre de s’attarder, tant il est évident que la multiplication d’une publicité aux méthodes de plus en plus performantes ne peut constituer une amélioration de la vie urbaine. Tout au plus on relèvera que les mairies s’efforcent de négocier en catimini avec les patrons, les associations et les habitants ne comprenant pas que leur intérêt est de prendre toujours plus de pub dans la tronche : à Paris, la mairie a révisé son règlement local de publicité sans attendre les résultats du groupe de travail prévu à cet effet, portant le nombre de panneaux publicitaires grand format de 8m2 à 350 (au lieu de 200 dans le projet initial du groupe de travail), merci Vélib’ ! Pour finir sur l’exemple significatif du Vélib’ comme tête de pont des nouvelles méthodes publicitaires dans l’espace public, deux dernières critiques, et pas des moindres. D’abord, en tant que produit purement commercial, le système Vélib’ n’a pas vocation à favoriser l’autonomie, le cycliste est avant tout chose un consommateur, il n’a pas à personnaliser ou à réparer le vélo (même pas un pneu crevé). C’est un système automatisé et informatisé qui détecte toute panne survenant sur le vélo et en informe le dépôt, qui viendra retirer le véhicule pour réparations. Les vélos sont donc des marchandises parfaitement interchangeables et standardisés, comme les cyclistes sont amenés à devenir des consommateurs aussi parfaitement interchangeables, standardisés et contrôlables. Car, et c’est une seconde critique en forme d’inquiétude, avec tous ces systèmes de bornes à carte, de puces électroniques, il devient possible de déterminer quels trajets sont effectués, quand, par qui, etc... Et si le but affiché est de rendre le meilleur service possible, on sait trop bien à quoi peuvent servir ce type d’informations dans la société capitaliste et sécuritaire que nous explorons tous les jours un peu plus loin.


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