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AccueilJournalNuméros parus en 2008N°65 - Janvier 2008 > Un coucou dans le Nid

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Antipatriarcat, droit et prostitution

Un coucou dans le Nid

RÉACTION À L’ARTICLE PARU DANS NO PASARAN N°64


Depuis de nombreux mois, un débat anime, déchire parfois, le réseau No Pasaran. La défense des revendications des « travailleurs et travailleuses du sexe » est pertinente car au travers de cette lutte elle interroge des domaines pour lesquels nous avons une attention particulière comme la lutte anti-capitaliste, le sort des minorités, le libre jouissance des corps, la répression sociale... Cependant, je me dois de réagir à l’article « le rassemblement du 5 novembre » paru le mois dernier et propose de faire apparaître quelques contradictions, erreurs et approximations. L’envie n’est pas de polémiquer mais d’apporter des éléments différents pour marquer les contradictions et les antagonismes existants au sein du réseau quant à la question de la prostitution. Car il me semble que, partant de la question du sort des travailleurs et travailleuses du sexe et notamment de la répression étatique autour de la loi contre le racolage passif, de nombreuses contre-vérités ont été écrites. Mais cela est finalement spécifique aux débats contradictoires surtout lorsqu’ils sont orientés sur une base manichéenne fondée sur le bien et le mal.


Ainsi, l’article nous propose de retranscrire une discussion avec deux membres militants de l’association « les putes » dont le discours ne fait pas dans la dentelle. Le parallèle effectué entre les visions de la pauvreté au 19eme siècle et celle de la prostitution aujourd’hui est certainement pertinent. Cependant, utiliser cette concomitance pour ensuite expliquer que l’association « le Nid » est la digne fille des dames patronnesses du 19eme siècle relève de la forfaiture. C’est faire un parallèle facile.

Bien sûr, le mouvement du Nid n’est pas exempt de reproches : dans sa dimension internationale, notamment dans les pays en voix de développement, son discours moralisateur est proche d’un néo-colonialiste navrant. Le mouvement du Nid, d’obédience catholique, est porteur de valeurs liées à son histoire et à ses orientations religieuses qui sont critiquables.

Cependant, je soupçonne « Thierry et Nikita » d’exprimer un positionnement partisan anti-abolitionniste en accusant cette association de tous les maux.

Pour travailler régulièrement avec une antenne du Nid, dans le domaine de la réinsertion des prostituées désireuses de sortir de réseaux prostitutionnels, je démens formellement que l’ensemble des associations liées au mouvement du Nid soient aussi infréquentables que décrites dans cet article. Jamais je n’ai entendu dire par un membre salariéE ou bénévole de l’association qu’une interdiction à la prostitution était formulée aux personnes souhaitant bénéficier du soutien du Nid. Jamais une personne fréquentant le Nid ne m’a parlé d’une telle contrainte qui irait à l’encontre même du travail long d’accompagnement proposé par le Nid. Il est facile d’accuser le Nid (ou tout autre assoiation qu’elle soit caritative ou non) de «  ne rien faire pour qu’elles puissent s’assurer financièrement leur vie ». Dites voir «  Thierry et Nikita », le pognon vous le trouvez où ? Il est facile de dénoncer le fait que les personnes bénéficiant du soutien du Nid sont « employées dans des ateliers » où elles seraient exploitées à l’instar des taulards incarcéréEs pour des salaires de merde. Dites voir « Thierry et Nikita » vous connaissez la réalité du marché de l’emploi et les difficultés inhérentes au montage d’atelier d’insertion ? Si vous avez une solution immédiate et hautement rémunératrice, faites le moi savoir. Il est encore facile de dénoncer le fait qu’aucune « réelle » formation ne leur est proposée et, qu’elles soient au final sans emploi. J’ai eu l’expérience d’ateliers d’insertions du Nid montés grâce à de multiples demandes de subventions (donc excessivement précaires) ayant permis à plusieurs dizaines de personnes d’être rémunérées, même faiblement, pour la première fois, en dehors de la prostitution. Pas question de faire de l’em- ballage pour telle ou telle entreprise, non il s’agissait de créer, de construire, de fabriquer soit même, de faire de l’art... La réalité est que souvent, le public de ces ateliers est féminin, en déficit de formation scolaire et professionnel, ne maîtrisant pas toujours le français et que l’on soit prostituéE ou pas ces contraintes ne favorisent pas l’accès à des emplois intéressants et bien rémunérés.

Jamais je n’ai été confident d’une obligation de se masculiniser de la part de transsexuelles.

Non décidément, je pense que dévaloriser à ce point l’association du Nid sous prétexte qu’elle est abolitionniste, n’est pas un juste combat. Le problème de l’existence du Nid est que la question de la prostitution, comme celle de la pauvreté, a toujours été abandonnée au caritatif ou à l’associatif dans un désengagement généralisé de l’Etat ou des collectivités. On ne peut donc pas accuser ceux qui ont investis une niche, quelques soient leurs orientations idéologiques, de toutes les dérives sans en contre partie proposer des alternatives.

Bien évidemment, les travailleurs et travailleuses du sexe « revendiquent d’être traitéEs pareillement à l’ensemble de la société ». Je rejoins donc « les putes » dans leur dénonciation des textes répressifs comme celui du racolage passif. Mais j’observe les limites du discours lorsque d’un côté vous demandez un traitement égalitaire et que vous réclamez qu’elles/ils puissent « avoir accès à des formations qualifiantes ». Elles existent, c’est du droit commun.

Il n’est pas juste d’écrire que « les abolitionnistes laissent à penser, consciemment ou non, que toutes les femmes sans-papier sont des prostituées ». Bien entendu, toutes les sans-papiers ne sont pas prostituées. Mais il est un fait avéré et irréfutable, 70% des prostituées de rue sont sans-papiers. Souvent d’ailleurs elles sont arrivées sur le territoire avec des papiers.

Mais l’enjeu pour une association ultra groupusculaire comme « les putes » est de pouvoir exister, et pour cela il leur faut laisser penser qu’ils/elles représentent un nombre plus important de personnes. C’est le sort de toute organisation qui tente de convaincre un auditoire. Il est donc nécessaire d’opposer leur faible nombre en déconstruisant les argumentaires chiffrés des abolitionnistes. Mais c’est une stratégie perverse et intellectuellement peu honnête car elle est une manière de nier le calvaire de toutes celles et ceux qui subissent la prostitution, victimes de réseaux organisés, victimes d’une paupérisation de leurs conditions d’existence, victimes de leurs dépendances, victimes de la précarisation de leur environnement affectif et amoureux.

Lorsque l’on parle de prostitution, la difficulté est de savoir de quelles prostitutions nous parlons. Si la prostitution est avant tout une expérience personnelle (donc multiple), heureuse ou malheureuse, elle n’est pas uniforme dans ses pratiques. C’est donc logiquement que j’ai apprécié de voir dans l’article du mois dernier quelques exemples de différentes formes de prostitutions.

Or, le danger d’une opposition d’arguments entre abolitionniste et réglementaristes (travailleurEs du sexes) est de faire oublier les différentes réalités de la prostitution en enfermant les prostituéEs dans des caricatures grossières : la pute qui s’assume et revendique (l’affranchie) contre la pute exploitée (l’esclave). Des associations comme « les putes » ou « droit et prostitutions » (auquel le groupe Scalp Reflex de Paris a adhéré, ce qui n’engage pas le Réseau) ont un rôle essentiel pour faire progresser le regard que la société porte sur la prostitution et les prostituéEs. Mais se rôle s’accompagne d’un devoir tout aussi important qui consiste à ne pas fausser le débat. Et en tant qu’avant-garde intellectuelle elles doivent prendre en compte que leurs revendications émancipatrices ne concernent qu’une minorité, parfois au détriment de ceux et celles qui subissent le phénomène prostitutionnel.

Je pense soudainement à toutes ces filles, Bulgares de Varna, venues s’échouer sur les trottoirs de ma ville après que leurs rêves de fric ou d’amour se soient écroulés. Je pense à leurs blessures physiques et psychiques à leur honte et culpabilité. Je pense à leur fierté et leurs doutes.

Je pense à leurs inquiétudes et leurs peurs. Je me rappel de leurs espoirs et de leurs rires, de leur courage. Elles étaient bien loin de Varna et de leurs rêves de fric et d’amour.

Ibex


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